Quels cartels à l’APJL ? 2010

Quels cartels à l’APJL ?

Texte issu du rapport des Assises I sur le savoir du psychanalyste ; l’Association.  2010


Il est temps de s’arrêter sur les cartels de l’APJL et sur la place qu’ils occupent dans l’élaboration de savoir offerte par l’association. Depuis la création de l’APJL, les cartels font symptôme : on ne sait pas leur nombre parce que peu se déclarent, ni s’ils fonctionnent avec des + 1. Et rares sont les cartels qui ont exposé leur production. Pourtant, il apparaît clairement qu’ils comptent pour les membres de l’apjl : ils font régulièrement l’objet de débats lors des plénières et des assemblées générales, et dans les discussions les associés n’hésitent pas à parler du fait qu’ils sont en cartel et de l’appui qu’ils y trouvent dans la mise au travail de questions particulièrement ardues. On leur reconnaît le mérite de permettre au discours analytique d’opérer et de favoriser l’émergence d’un savoir qui ne soit pas universitaire. C’est la déclaration du cartel qui fait problème. Il a pris forme par la considération que les cartellisants ne peuvent dire qu’il y a eu effet de cartel que dans l’après-coup.
L’activation du dispositif est traversée par ce qui est au fondement des cartels tels que formalisés par Lacan, et que l’APJL s’est appropriés : l’absence de garantie (à chacun d’inventer) et le supplémentaire (cartels composés de cartellisants de divers horizons, associatifs ou non, analystes ou pas, et d’un « plus-un » choisi par les cartellisants). « Le cartel fonctionne. Il suffit de ne pas lui faire obstacle. »
Son dispositif est donc mis en route par la rencontre de différents désirs : celui de trois à cinq cartellisants, puis d’un « plus-un ». Il met en relation cure et association et confronte chacun à son rapport au savoir et à la place de la psychanalyse dans le monde. Le cartel est le lieu de confrontation au trou dans le savoir. Il permet de s’instruire des non-analystes, « pas trop immunisés par la pratique même de l’analyse, contre une vision structurale des problèmes [14]   ». Cet espace, proposé aux analysants et aux non-analysants, aux non-associés, permet d’élaborer et de critiquer avec d’autres l’expérience analytique et de sortir de l’enclos de la cure.
Face à toute tentative de formalisation pour répertorier la liste des cartels, pour faire une fiche de formalisation, pour régler la déclaration des cartels, pour constituer une adresse…, et quels que soient les arguments, voire les sonnettes d’alarme, il y a toujours quelqu’un qui se lève pour aller contre. Peur qu’il y ait des « cartels de l’APJL », peur de la « déclaration » comme élément de contrôle ? Chacun est renvoyé chaque fois à sa responsabilité à l’égard du groupe et de l’association pour la transmission de son travail, mais pas au nom du cartel, dont il n’aurait alors pas à répondre.
Il est remarquable cependant que le collectif des cartels de passe soit la seule instance pérenne de l’apjl. Toutes ses étapes sont connues de tous et officialisées. Chaque cartel de passe est constitué non pas par affinité mais par le secrétariat de la passe, auprès duquel il se déclare dès qu’il a trouvé son « plus-un ». Il donne un produit, qui est la réponse rendue au passant. Puis il se dissout.
Seuls les cartels de l’association n’arrivent pas à se déclarer. Même si l’on admet les souvenirs encore douloureux laissés par des injonctions à faire cartel et leur surveillance rapprochée dans les catalogues les répertoriant, il est surprenant qu’ils ne se déclarent que dans l’après-coup de leur fonctionnement, justifiés alors par leur production. Dans le temps même du cartel, celui-ci fonctionne dans le secret de ses réunions. Secret pour préserver quel intime ? Anonymat à l’œuvre de quel effacement ? Il plane un léger soupçon d’ésotérisme, là où Lacan avec le cartel voulait au contraire faire prévaloir une sortie de l’anonymat.
« Le principe d’une élaboration soutenue dans un petit groupe » avec une « plusune » (comme il l’écrit, ce qui n’est pas sans référence avec la lecture côté droit du tableau de la sexuation) est proposé par Lacan lorsqu’il fonde – seul – l’École freudienne de Paris en 1964. Le dispositif des cartels doit participer de l’objectif de l’École : maintenir la psychanalyse et le devoir qui lui revient dans le monde. Adhérer à l’EFP, c’est s’engager à être cartellisant et à produire. Le cartel et sa permutation constituent le mode du s’associer dans l’École freudienne. Mais en 1975, lors des journées de cartels essentiellement consacrées à la « plus une », Lacan évoque un échec des cartels : c’est individuellement que l’entrée à l’EFP s’est faite et non au titre d’un cartel comme il l’avait pensé ; « il n’y a aucune espèce de véritable réalisation de cartel » dit-il, faisant écho à « l’École n’a peut-être pas encore réellement commencé à fonctionner ». À la dissolution de l’EFP, pendant la « Cause freudienne », et peu avant sa mort, Lacan réaffirme l’importance des cartels : « Le cartel fonctionne. Il suffit de ne pas y faire obstacle. » Il lui paraissait « difficile que des analystes ne se demandent pas ce que veut dire analytiquement leur travail en tant que c’est un travail en commun [15]   ».
Il a été pensé que les cartels de la passe à l’APJL ont fonctionné comme des tabous : eux seuls pouvaient avoir accès aux « rites sacrés du cartel de passe ». Aux profanes les cartels non déclarés. Cet aspect de la question a été récemment mis en valeur avec l’intervention d’un cartel sur le fonctionnement d’un cartel à l’APJL. Ce cartel s’est donné pour titre « Profanation ». Mais de quoi est-ce le signe ? Cette sacralisation-désacralisation est-elle cause ou effet ? Quel savoir, encore encombré, se niche dans ces allers-retours ?
Il y a sans doute aussi à interroger ce que signifie cette faveur de l’après- coup, par rapport à l’anticipation de la déclaration, et ce qu’elle recèle dans le maniement du temps logique concernant l’APJL. Nous sommes encore dans le temps pour comprendre.
Cela n’est peut-être pas sans lien avec une autre difficulté à l’APJL, concernant la formation des jeunes analystes, qui fait l’objet de débats récurrents et animés, et qui reste un peu en suspens. Si elle apparaît comme indispensable, elle n’arrive pas à se dégager de la gangue universitaire qui aliène toute formation. Là aussi, c’est à chacun d’inventer, à ses risques. Une expérience de « formation permanente » a été envisagée par quelques associés, à partir d’un travail collectif qu’ils ont fait. Mais rien jusqu’à présent n’a été trouvé qui « emporte la satisfaction de tous ».