Passe à la création. 2006

Rencontre-Exposition. Lyon. Avril 2006

Ce recueil signe une rencontre qui s’est produite le 2 avril 2006 à Lyon, entre des artistes, touchés par l’étrange nécessité de transmission qui s’avère dans la passe, au cours d’une psychanalyse, et des psychanalystes concernés par la production d’une oeuvre d’art et par les effets qu’elle provoque : s’agit-il de transmission et si oui, de laquelle ?

Comme toute rencontre, elle ne s’écrit pas : elle s’est éprouvée. Mais vous en trouverez là les traces, comme autant de repères permettant à chacun de ne pas oublier les impacts sur le désir qu’elle a provoqués.

On pourra sans doute saisir les effets de surprise déclenchés par l’entrelacement de ces discours, artistique et analytique, qui ne se mélangent pas, mais cernent les mêmes points : la mort, le barbare, le réel, le sexe. Et, magie ! C’est en ne reculant pas devant ces insupportables que l’on voit surgir la vie, qui se déplie comme une fleur japonaise là où on aurait pu penser qu’elle n’avait plus droit de cité. (L’intervention de Laura lnnocenti et Jean-Paul Rathier est à ce titre paradigmatique). C’est parce que ces impossibles se répondent et ricochent de l’un à l’autre que le sujet invente sa place, et veut -et peut- en témoigner. Mais la tâche n’est pas facile. Encore faut-il y consentir, et travailler. Car la création n’est pas sublime. « Quand il joue de la lumière, il y va de sa vie » (Jacques Monchal), « Ce n’est pas un don du ciel, mais un produit de l’effort terrestre » (Jacques Marblé).

À cet effort, le groupe du Val de Drôme s’est attelé. Psychanalystes, artistes, et philosophe se sont donc réunis, en cartel, pour échanger, discuter , « disputer », voire créer, à partif du « tissage » de la parole (cf. Joanna Mico), et « en suivant les voies de la pulsion » (Michel Lapeyre). Comme chacune de leurs « Ouvertures », la rencontre avait été longuement préparée. C’est le produit de ce travail qu’ils nous ont donné à nous, le public. À charge pour chacun de prendre la relève, là où le désir a été piqué. Nous avons donc été mis à contribution dans ce tissage d’humanité.

Car nous avons été accompagnés tout au long de cette journée, dans la salle et dans l’entrée, par les oeuvres des artistes : le public était accueilli par les toiles de Bernadette Lemouzy , puis pénétrait dans une petite salle de théâtre où deux longs bandeaux de pivoines faites « sans repentir » par Gérard Parent orientaient vers la scène. En approchant de l’estrade, les « textures » de Joanna Mico faisaient une haie d’honneur, et confrontaient le spectateur aux sculptures d’Olivier Giroud. Le spectateur se retrouvait finalement, après ce parcours, face aux toiles, très puissantes, d’Annick Roubinowitz. La découverte ne s’arrêtait pas là, car une fois sur scène, le regard était happé, du fond de la salle, par d’autres oeuvres : les « Lumières et transparences » de Jacques Monchal. Etre entouré de créations artistiques n’apaise pas, mais plonge le sujet dans une intranquillité féconde. Telles les « Turbulences » de Florence Briolais qui, sur le fil de bulles de savon géantes, nous ont fait passer du plaisir de l’enfance pour la création éphémère et brillante, à la logique de l’asphère. Est-ce cette vigilance à maintenir ceux qu’il faut maintenant appeler les « participants » en état de veille, qui a donné à cette journée son intensité ? La pudeur et la liberté avec lesquelles des questions dures, voire crues (cf. les photos du peintre Pierre Molinier présentées par Florence Briolais), ou très intimes (ce qui a poussé Martine Noël à faire la passe) ont été abordées, tant par les artistes que par les psychanalystes. Elles donnent une idée de ce qu’est la passe, en tant que « performance », selon le terme de Jacques Lacan, reconnue par la communauté.

Le psychanalyste n’en devient pas un créateur pour autant. « Le psychanalyste est celui qui comme psychanalyste renonce à toute oeuvre » (Pierre Bruno). Même s’il a partie liée avec la poésie. Ainsi, Lacan, dans son débat avec la poésie, pourra dire que l’interprétation psychanalytique est un poème ; mais aussi qu’ elle en diffère parce qu’elle tranche.

Un mot, pour conclure, d’une pièce dont il ne sera sans doute pas question dans ce recueil, mais qui se pose en exergue de cette rencontre. II s’agit du Tigre bleu de l’Euphrate de Laurent Gaudé. Alexandre le Grand y est mis en scène, face à sa mort, sans autre présence que celle de l’acteur (Yannick Laurent) et d’une percussionniste (Yi-Ping Yang) dont les sons s’enroulent aux dires d’ Alexandre et rythment leur vie. Cette pièce sauvage et subtile dévoile l’agalma d’Alexandre : c’est le tigre bleu de l’Euphrate, le tigre -désir qu’il a rencontré, qu’il a cherché à rejoindre, et auquel il ne faut pas tourner le dos sous peine de mort intérieure. Sans désir, que vaut une vie, fût-elle celle d’ Alexandre – ? Laure Thibaudeau . 2006

Ce colloque a fait l’objet d’une publication

Table des matières :

Jacques Marblé : Ouverture : passe à la création

Florence Briolais : Turbulences

Bernadette Sauret-Lemouzy :Peindre, exposer

Michel Lapeyre : Ramassis, collage

Jean-Paul Rathier, Laura Innocenti : La médiation artistique et culturelle en milieu hospitalier

Groupe du Val de Drôme : Présentation par Jacqueline Ferret

Annick Roubinowitz : L’atelier comme lieu de passe du passer

Gérard Parent : Ostinato !

Bénédicte D’Y voire : La répéfition dans l’acte de création : pertes et profits

Roland Favier : L’illusion de l’avenir

Olivier Giroud : Présentation d’une oeuvre .

Jacques Monchal : Lumières et transparences

Joanna Mico : Lecture à nu, à peine et amplement

Martine Noël : L’aveugle

Pierre Bruno : Passe et oeuvre

Conclusion : Jacqueline Ferret