Vers une clinique de l’autisme. Suite ……..

18 décembre 2010
La découverte du savoir psychanalytique à l’épreuve de l’autisme.La preuve par la clinique psychanalytique

Absent la fois dernière, je n’ai pas profité des exposés de Balbino Bautista et de Jan-Marc Canto, même si j’ai pu lire le premier, et je le regrette. J’ai entendu entre temps, sur France Inter, un journaliste évoquer l’ouvrage d’Henri Rey-Flaud. Il parlait des autistes comme des sujets envahis pulsionnellement par des motions incompréhensibles et du coup destructrices, qui n’attendaient que le lien à l’Autre pour s’ordonner et se pacifier. Nous dirions, dans notre langue : pour participer à leur propre processus de subjectivation et de recréation du lien social. A ceci près que la question se pose de savoir si l’absence de ce lien est liée à l’intrusion d’un obstacle tiers, ou si elle relève d’un refus du sujet. L’hypothèse que j’ai soutenue, que nous avons déjà mise en question et que nous rediscuterons, consiste à postuler un refus du dit autiste de consentir justement à livrer son énonciation à l’Autre : et à réserver le terme d’autiste à ce cas de figure. Il s’agirait donc d’un non qui suppose un oui, et relèverait d’une sorte de récusation de l’Autre au temps de l’incorporation – un « primordial refus » dont le sujet porte la marque . Il faudrait examiner si les conséquences de ce « non » comportent la forclusion du Nom-du-Père, ainsi que Balbino Bautista le soutient (et que je l’ai avancé par ailleurs), ou non, ainsi que Henri Rey-Flaud nous invite à le penser. Je livre ici quelques unes des questions que j’ai laissées en suspens la fois dernière et qui serviront d’introduction aujourd’hui.

1 – Culpabilité / responsabilité :

Quid de la détermination sociale, biologique ou psychique (bio-psycho-sociale) de l’autisme ? L’explication biologique est opposée à une explication de l’autisme par leur type de parents et spécialement de mères. Cette dernière théorie est attribuée à une lecture fautive de Bettelheim. L’explication biologique est supposée préserver les parents d’une inutile culpabilité. Sur ce point, c’est sans doute ratée, au vue des tourments de parents qui s’interrogent sur leur responsabilité : s’ils s’étaient sus porteur d’un gène ou d’une tare génétique, ils n’auraient pas fait d’enfant. La culpabilité ne se confond pas avec les conséquences d’une faute éventuelle (la clinique montre d’ailleurs, Freud le note, que le criminel éprouve moins de culpabilité que l’innocent), mais avec le fait de consentir à sa position de sujet et d’en assumer les conséquences : c’est ainsi que Freud fonde l’humanité dans un meurtre qui n’est tel que de le dire tel, de l’assumer ainsi, puisque ce qui humanise est précisément d’assumer comme meurtre du père la mort donnée à une bête qui, elle, ne s’humanisera jamais… La culpabilité est une dimension de l’humain, indissociable de la responsabilité : il y a dans le fait de séparer responsabilité et culpabilité une façon de refuser d’assumer sa position de sujet… Le sujet dit autiste lui-même (et non ses parents), traite-t-il cette question à la manière d’un névrosé, d’un psychotique ou en adoptant une voie propre ?

2 – Organicité / histoire :

Certes, il convient que l’organicité soit habitable par le sujet : si vous me coupez la tête, ne pourrais pas parler, et c’est sans doute également vrai pour des affections qui n’atteignent pas cette extrémité ! Mais la biologie accomplit l’histoire, elle porte la marque des activités psychologiques des sujets : elle ne les détermine pas. Sans doute sans telle ou telle capacité organique nous ne parlerions pas, mais ce ne sont pas ces capacités qui dictent ce que nous faisons de notre organicité. Deux fragments cliniques : un adolescent, laissant échapper le gâteau qu’il vient de confectionner pour son groupe éducatif, lui qui n’a jamais parlé de sa vie, s’écrie à la grande stupeur de son entourage : « J’ai de la merde dans les mains ! ». Il n’a plus parlé depuis. Un autre, également silencieux, alors que l’orthophoniste lui passe la main dans les cheveux pour y mettre un peu d’ordre, la regarde dans les yeux et lui glisse « Parce que je le vaux bien ! ». Je pourrais allonger la liste d’exemples. Ces moments, que tout le monde connaît, démontrent que, au moins dans ces cas, il ne s’agit pas de déficit cognitif ou de défaut neurologiques. Ils confirment la capacité d’énonciation – donc l’hypothèse du refus. Ce refus est alors à prendre comme le minimum de l’énonciation nous confirmant dans notre décision de réserver à ce cas de figure le diagnostic structural d’autisme.

3 – Détermination organique / cause :

Je n’ignore pas la recherche de facteurs organiques. Certes nous trouvons des foules de zones du système nerveux ou des gènes impliquées chez tel ou tel individu : si l’on rassemblait tous ses éléments dans le même organisme en le figurant d’un coup de scalpel, sans doute son cerveau serait transformé en chair à saucisse, et il faudrait alors le doter d’un cerveau sain pour rendre compte de l’existence d’autistes sans organicité avérée (on peut bien sûr, à la façon de Charcot, rechercher la lésion invisible). Je note seulement qu’une épistémologie ordinaire exigerait que l’on vérifie que seuls les individus présentant le même type de lésion sont autistes : l’absence de cette vérification économiquement et pratiquement impossible limite la portée des travaux relatifs à l’organicité de l’autisme, accentuant la dimension idéologique du préjugé biologique.

Il vaudrait le coup, pourtant, de s’arrêter sur les expériences menés par des psychologues neuroscientifiques, cognitivistes et comportementalistes, qui ont enregistrés à l’IRM les images du cerveau d’enfants normaux et autistes en réaction au « parentais » (au « mamannais » et au « papanais »), le langage si particulier des parents aux nouveau-nés (comme l’on dit le français, l’anglais, etc.) : de fait le Système Temporal Supérieur du cerveau des enfants normaux est plus largement réactif que celui des enfants autistes à la voix des parents. L’analyse de celle-ci montre que les parents d’enfants normaux présentent plus de modulation, de fluctuations, de modifications de rythme et d’amplitude que celle des parents d’autistes – sans que les chercheurs ne concluent à l’existence de parents « autistisants » puisqu’il s’agit d’interaction.

Du coup, les chercheurs ont enregistré le « parentais » le plus stimulant pour le passer aux enfants en l’absence de leur parents. Les enfants normaux n’ont alors pas plus réagi à l’IRM que les dits autistes : de sorte qu’il faut conclure que le rapport langagier entre un sujet et l’Autre ne s’enregistre pas, quoique ces effets qui ne s’enregistrent pas, s’inscrivent bel et bien dans le Système Temporal Supérieur. De plus, la non activation prolongée de cette zone (quand on compare des adultes autistes à des adultes normaux de même âge) entraîne une dégradation de la masse nerveuse ! Le langage est une condition de l’épanouissement du système nerveux central, ce que de nombreuses expériences ont largement démontré… Dès lors, si la biologie est capable d’affecter les relations du sujet et de l’Autre, nous devrions réserver le terme d’autisme à cette réponse du sujet à un Autre suffisamment inquiétant pour lui refuser son énonciation. De sorte qu’à côté de la détermination biologique, que d’ailleurs on peut réparer et qu’il convient de réparer, il faut compter avec la cause que le sujet se fait de sa réponse…

3 – Machinerie cognitive / Autre :

Il me semble que nous devons revenir sur les disciplines informatiques et scientifiques (électronique, mathématique, physique) dans lesquelles des dits autistes trouvent parfois à exceller : tout ce passe comme s’ils se fabriquaient selon l’heureuse expression de Pierre Bruno un Autre de synthèse, un Autre sans désir, sans volonté de jouissance, dans lequel ils puissent justement sans risque glisser leur propre désir et démontrer leur capacité de création langagière et prendre leur part au monde qui les entoure. Seulement, ces apprentissages nécessitent des conditions, au fond comme chacun de nous en a eu la chance quand il a appris à lire ou à écrire. Personne ne peut dire qu’il a appris à lire ou à écrire à quelqu’un. Et pourtant souvent nous nous rappelons de l’enseignant avec lequel le déclic s’est fait. En effet, il faut rencontrer un « vivant » qui nous incite à parier sur la vie, sur la possibilité de réussir, un vivant qui nous consacre son temps, qui nous donne ses mots, qui nous loue son corps et sa libido, qui paye de sa personne comme on dit… Il faut un vivant qui sache se glisser de façon non menaçante entre l’Autre et le sujet. Et ce vivant, je dirais ici qu’il importe peu qu’il soit psychanalyste ou cognitiviste, théoricien TEACH ou promoteur des méthodes idéographiques… On a souvent critiqué la mère de Birger Selling qui prête sa main pour que l’enfant écrive à l’ordinateur des textes qui témoignent d’une expérience inédite de la solitude, du langage et des autres, un témoignage qui permet à Selling de s’inscrire un peu plus dans notre communauté .

4 – Objet / sujet :

Sans doute avons-nous pour cela à nous laisser guider par les enfants parfois : ainsi de Matthieu, qui ne parlait et n’était capable que d’un comportement stéréotypé que son entourage familial, éducatif et scolaire lui interdisait – sauf moi. Il effeuillait un mouchoir de papier ou tout ce qu’il trouvait. En séance il se mettait sur le divan, dos tourné (toujours la défiance de l’autre), et entreprenait de défaire le plaid qui le recouvrait si j’avais oublié de lui donner le fameux kleenex. Un jour cependant je suis resté avec ses parents dans la salle d’attente pour évoquer cette situation douloureuse. Alors, lui, l’enfant sans subjectivité connu, est ressorti de mon cabinet, m’a pris par la main, a refermé la porte derrière nous, laissant ses parents désemparés et étonnés. Il a repris sa place, démontrant que sa stéréotypie était bel et bien adressée à un autre… Un autre adolescent essaye mystérieusement tout d’un coup de se faire comprendre, et, n’y arrivant pas, emprunte à son voisin et à bon escient ses pictogrammes alors qu’il n’a jamais appris à s’en servir ! Il est drôle de voir que l’éducatrice en a conclu qu’il fallait donc l’initier à cette technique dont il venait de lui démontrer qu’il avait tout à fait profité des leçons adressées… aux autres ! Dimitris Sakellariou a remarqué judicieusement (après ma première intervention) qu’après tout, dans le cas de Matthieu, il pourrait s’agir seulement de recréer les conditions de sa « tranquillité d’objet » (je ne me souviens plus des mots de D. S.) dans un monde immobile sans interférence avec l’Autre. Pourquoi pas ? A ceci près, que cela seul prouve bien l’existence d’un sujet : car aucun objet n’intervient sur le monde pour préserver sa condition d’objet.

5 – Intervention / réponse :

C’est ce qui me fait dire ici, pour reprendre une expression de Lacan, qu’il y a sans doute quelque chose à dire aux autistes. Mais pour quoi ? Pour qu’ils sachent qu’ils ne sont pas seuls dans ce monde immuable, à essayer de permettre une vie collective viable : et pas n’importe quoi (je m’insurge contre ceux qui cherchent à stabiliser le monde en demandant aux objets de laisser le sujet tranquille, ce qui revient à les conforter dans l’appartenance à un monde préscientifique, alors qu’ils sont en avance sur nous sur ce point). Mais je crois que les dits autistes peuvent nous apprendre à faire avec le monde de l’évaluation qui est le nôtre, un monde qui traque l’énonciation, le sujet de la parole, le symptôme, qui éradique les singularités (c’est la seule allusion que je ferai à l’entreprise d’un Michel Onfray), qui nous impose une anthropologie machinique, etc. Je ne développerai pas cela, mais c’est en un sens une des leçons de Millenium de Stieg Larsson : j’ai du mal à ne pas lire ainsi l’histoire de Lisbeth Salander. Et c’est sans doute l’avis également de Daniel Alfredson, le réalisateur du film tiré du roman : « Millenium mêle une histoire réaliste, celle du Mikael Blomkvist, et une histoire surréaliste, celle de Lisbeth Salander » – à ceci près que je crois au-contraire que ce qui concerne cette dernière relève plutôt d’une sorte d’hyperréalisme. Et cela ne confère-t-il pas une touche d’espoir ? Si nous savons conjuguer nos différences pour accueillir celle des sujets dits autistes, jusqu’à leur permettre de » triompher » à leur façon dans notre « vivre ensemble », alors peut-être que nous aurons agi de fait sur la qualité de ce « vivre ensemble » et au moins légèrement infléchi l’orientation prise par le monde de la globalisation.

6 – Une question de méthode : je l’extraie de la dernière discussion. Il n’y a pas une mais des théories « psychanalytiques » de l’autisme, pour nous en tenir à celles-là. Pas de théorie toute faite, donc, mais des ressources que nous tirons respectivement de l’œuvre de Freud, de l’enseignement de Lacan, des élaborations de quelques autres, et de nos pratiques : un réel échappe sans doute à chaque exposé qui n’appartient à aucun autre, mais dont les constructions de chacun portent la trace. Nous cherchons à la fois les concepts qui nous permettent de rendre compte de cette expérience ainsi que les éléments structuraux qui reviendraient à la même place chez chacun et qui témoigneraient de ce réel justement. A dire vrai, non seulement il ne s’agit pas de « régler son compte » à celui que nous lisons et avec lequel un désaccord se dessine autour de la façon de penser l’autisme, mais peut-être même pourrons-nous parfois élargir notre attention à la démarche y compris de collègues d’autres champs que la psychanalyse – sans parti-pris, sans concession…

*** Je passe la parole à Pascale Macary, qui va nous introduire à la lecture des travaux d’Henri Rey-Flaud.

Toulouse, le 18 Décembre 2010 Marie-Jean Sauret