Un ange parle

6 mai 2009

Séminaire Alençon : Qu’est ce qu’une mère ?

J’ai donc abordé la question de : qu’ est-ce qu’une mère ? par une voie, qui n’est pas due au hasard, celle des religions monothéistes mais je l’ ai fait sans faire appel à des références théologiques savantes mais avec le regard du quidam ordinaire ,en particulier en ce qui concerne le catholicisme auquel j’ ai biberonné dès ma plus tendre enfance et où comme tout enfant j’ ai cru ce que les autres qui comptaient pour moi me racontaient , ce qui est le propre de l’ enfance , avant d’ oser le questionner avec ma pensée d’ adulte , ce qui a sans doute un effet réducteur pour les plus savants que moi sur les questions qui touchent à la religion .Mais c’ est ma façon d’ aborder la question, par la clinique en quelque sorte, la mienne sans aucun doute .Je me suis donc attardée les deux dernières fois sur cette figure de mère particulière, propre au christianisme, qu’est la vierge Marie.

Emmanuel Lehoux la dernière fois vous a parlé de Sara et d’Agar, mères respectives d’Isaac et d’Ismaël, les deux fils d’Abraham, père du monothéisme. Aujourd’hui nous aborderons donc l’Islam. Je le ferai très modestement n’étant pas théologienne ou autre chose du genre, juste à la lumière de ma lorgnette dont le champ est sans aucun doute très restreint. Comme les deux religions monothéistes avant elle , bien que ce soit celle à qui on le reproche avec virulence et stupidité ,comme si elle était la seule à l’ avoir fait ,elle s’ est appuyée sur l’ existant du contexte socio -culturel où elle est née , elle a censuré ou refoulé ce qui la gêne , créé une mythologie, s’est complexifiée au cours des âges, et elle comporte des courants divers et multiples, ce à quoi elle se prête particulièrement .Je n’ en retiendrai donc que ce qui me permet d’avancer sur mon sujet .

J’avais conclu ma dernière intervention en disant que ce qui m’avait beaucoup frappé en abordant l’Islam, c’est l’absolu silence de Dieu en ce qui concerne la révélation. Si on peut lire partout : « Allah a dit…. » ce qui est remarquable c’est qu’Allah justement n’a rien dit, du moins à son prophète. La révélation faite à Mahomet n’empreinte pas les mêmes voies que celles faites aux différents prophètes de la bible qui sont en lien direct avec Dieu qui les nomme et leur parle, elle a lieu par l’intermédiaire d’un ange, celui là même qui fut mis au travail par Dieu pour la vierge Marie, l’ange Gabriel, dont il est le messager, qui déjà intervenait dans la bible.

Je vais pour commencer vous donner quelques indications sur Mahomet, sa biographie et vous en dirai un petit quelque chose à la lumière de la psychanalyse que je développerai la prochaine fois.

Contrairement aux prophètes du judaïsme et du Jésus du christianisme, sa biographie n’est pas incluse en tant que telle dans le texte sacré lui-même, le Coran, dont je vous parlerai tout à l’heure, qui est le texte de la révélation. Si celui-ci donne de très nombreuses indications sur le prophète, il est impossible à partir d’elles d’en tirer une biographie même succincte. Mais à côté du Coran il y a la Sunna, récit plus ou moins mythique, voire nettement mythique, de la vie du prophète après la révélation, de ses dires, faits et gestes, écrits d’ après les témoignages de ses disciples reconnus comme crédibles et la Sira qui est sa biographie écrite beaucoup plus tard. La Sira, bien qu’ayant une grande importance, n’a pas la même valeur que la Sunna. La Sunna n’est pas en soi le texte sacré mais elle en a la fonction. Car ne pas croire à tout ce qui est raconté dans la Sunna est impossible puisqu’e c’est à partir d’elle en grande partie que s’est fondé le dogme qui régit le fait religieux, politique et social de l’Islam. Bien que Mahomet dise de lui qu’il est « un homme comme les autres », il n’ est pas bien sûr un homme comme les autres puisqu’il est le prophète de Dieu et qui plus est le dernier. Donc tout ce qu’il a dit et fait en dehors de la révélation le pose en modèle. Il est le prototype du genre humain, il n’y a pas de perfection qui puisse dépasser la sienne. S’il n’est pas le seul prophète reconnu par l’Islam il est donc le dernier, ce qu’il est impératif de croire. Mahomet est le prophète de Dieu, le Vrai, le prophète absolu, il est à cette place absolument unique mais il est un prophète tout à fait différent de ceux qui l’ont précédé.

Premier point d’abord, il n’est pas issu de la même lignée que celle des autres prophètes auxquels se référent le judéo- christianisme. Ce qui pour Mahomet lui-même n’avait pas, semble-t- il, grande importance, lui qui disait qu’il ne fallait pas aller trop loin dans la généalogie, mais cela semble avoir eu de l’importance pour ses disciples. Emmanuel Lehoux nous a parlé la dernière fois de Sara et d’Agar qui furent l’une et l’autre l’objet du désir d’Abraham, voire de sa jouissance puisque, après les pérégrinations qu’il nous a racontées, un fils lui fut donné par chacune de ces femmes après qu’il eut couché avec elles : Ismaël père des arabes et Isaac père des juifs. Je retiendrai les points suivants.

Le judaïsme pose Abraham comme père du monothéisme et inscrit les prophètes qui le suivent à partir de sa descendance venant de son fils Isaac, fils de Sara sa femme légitime, celle qu’il aime et dont il est aimé. Je pense que c’est ici le point important qui donne à Sara sa légitimité et par la même à son fils Isaac : l’amour pour son homme et de son homme .Comme le faisait remarquer Emmanuel, de sa position de mère on ne sait rien sinon sa volonté que l’héritage du père soit pour son seul fils, c’est ce à quoi se résume sa fonction de mère. L’Islam inscrit aussi Mahomet dans la lignée d’Abraham mais par son fils Ismaël, fils d’Agar l’esclave de Sara qu’à la demande de celle-ci Abraham a rejetée avec son fils, les condamnant à mort en les envoyant dans le désert .Ismaël est dans l’Islam considéré comme son fils ainé, ce qui n’est pas dit dans le Coran explicitement mais qui fait loi. En témoigne par exemple le fait que le fils qu’Abraham est sur le point de sacrifier à la demande de Dieu est Ismaël et non Isaac si un ange n’arrêtait pas son bras .Si Abraham reconnait Ismaël comme étant son fils ce n’est pas parce qu’il aime Agar et est aimé d’elle mais parce qu’il a couché avec elle et en est le géniteur. Ici est en jeu quelque chose qui est de l’ ordre de la légalité et non de la légitimité au regard du père , ce qui n’ est pas sans rappeler ce qui se joue à l’ heure actuelle au regard de la science qui déclare père celui qui a donné son sperme pour que naisse un enfant .Cette exclusion de l’ amour entre les procréateurs n’ est pas sans conséquences car elle inscrit le père sur le seul versant du père de la jouissance, celle dont s’origine la haine pour le père transmise par la mère à son fils . A l’inverse pour Sara c’est un amour inconditionnel pour le père qui est retransmit par la mère à son fils .Question : s’ il n’y a pas d’amour sans haine et réciproquement, à qui dans un cas la haine va t-elle pouvoir s’adresser et dans l’autre l’amour ?

Pour Agar cela donne une autre place à la maternité ,qui est celle de donner la vie qui n’ inscrit pas l’ enfant dans une fonction qui est celle de transmettre le nom du père par amour pour lui comme pour Sara, mais de donner la vie sans d’ autre objectif que de la donner, pour le seul amour du vivant sans y accrocher le moindre sens , telle est ici la volonté de Dieu. En effet ,disons que malgré l’inutilité d’ Ismaël au regard des visées de Dieu en jeu dans son alliance avec Abraham quand Sara a un fils , celui-ci permet à Agar de le garder vivant .Ici ce qui légitime Agar c’ est son amour pour son fils vivant, c’ est à dire sa position de mère aimante et non de femme aimée . Sans le secours de Dieu Ismaël, face au lâchage de son père, a bien failli perdre la vie si l’œil clairvoyant de sa mère n’avait vu la source que Dieu faisait jaillir dans le désert pour abreuver son fils, ayant entendu le cri de détresse de celui ci. On a ici, bien tranchées à la limite de la caricature, deux positions de mère. D’ un côté on a : donner la vie pour permettre la transmission du nom de l’homme aimé et avec lui les valeurs qui y sont accrochées ,en lui assurant une lignée, ce qui serait la fonction de Sara ; qui donne réellement ce qu’ elle n’ a pas à Isaac , le phallus, instrument s’il en est du pouvoir sur les autres hommes qui lui permettra de remplir sa mission, être le successeur de son père et de l’autre donner la vie simplement pour la donner, ce qui serait la fonction d’Agar en position de mère aimante ,qui faute d’ avoir à transmettre quoique ce soit d’ un homme aimé et aimant , ne lui donne aucun instrument pour assurer son pouvoir sur les autres hommes , elle lui donne juste la vie .Question : est -ce pour jouir de lui vivant ou par amour de la vie sans que cela ait le moindre sens quant à l’ inscription d’ une mission dont il aurait à répondre au nom du père .Si Ismaël est bien le fils légal de son géniteur de père Abraham cela ne l’ engage à rien vis-à-vis de lui , il n’ a pas à répondre à sa Loi , à la Loi du père . La seule chose dont finalement il aurait à répondre ce serait au regard de sa mère qui l’inscrirait comme vivant parce qu’elle l’a voulu ainsi. Pourquoi ? Soit est en jeu, d’ une part , ce que Geneviève Morel appelle la Loi de la mère, qu’il faut mettre entre de gros guillemets ,car ce n’est pas une Loi la même pour tous mais est entièrement dépendante de la mère elle-même , de son caprice dirait Lacan ,qui pose l’enfant comme objet de jouissance pour la mère soit est en jeu, d’ autre part, une autre réponse qui est de permettre que la vie continue sans pour autant faire de l’enfant l’objet de jouissance de la mère.

Se pose avec Agar, dénudée, la vraie question que vient voiler celle du père en jeu avec Sara : pourquoi l’a t- elle voulu vivant en dehors du fait d’en jouir ? De réponse à cette question les femmes elles mêmes n’en ont pas sinon à dire que cette capacité à donner réellement la vie elles l’ont, qu’elles peuvent ou non exercer ce réel pouvoir, le vrai pouvoir devant lequel tous les autres ne sont que des semblants .Si toutes les femmes faisaient la grève en n’exerçant pas ce pouvoir ce serait la fin de l’humanité. Impossible de laisser entre les mains des femmes cet ultime pouvoir .Elles n’en demandent pas tant, quoique les hommes en pensent qui leur attribuent leur propre désir de domination où aimer la vie simplement parce que c’ est la vie et mettre en œuvre simplement ce qu’il faut pour la conserver a une nette tendance à leur échapper face à leur visée de domination phallique qui met en jeu le pouvoir du plus fort qui écrase le plus faible et menace en dernier ressort la vie qu’ elles ont donnée. Mais aimer la vie simplement parce que c’ est la vie si cette réponse est en elle-même suffisante aux femmes en tant que femme, là où elles ne sont « pas toute « engagées dans la question phallique des hommes et dans la jouissance de l’ objet qu’ est leur enfant , ceci n’ articule en soit aucune pensée pensable. Est en jeu ici le hors sens absolu, la vie pour la vie mais alors pour quoi faire ? Et on va le voir c’est bien à cette question que se trouve confronté Mahomet au regard de son histoire qui le fait ,que cela soit vrai ou non dans la réalité, digne d’ être un descendant d’ Ismaël et de sa mère Agar. Et de façon remarquable dans le Coran le nom d’ Agar ne figure pas ne faisant d’ elle qu’ un instrument anonyme de Dieu .

Voici donc les quelques éléments de la très riche biographie de Mahomet, je m’arrêterai sur sa petite enfance et laisserai de côté en grande partie ce qui suit la révélation.

Il y a des récits élaborées à partir de la Sira et de la Sunna que nous conte Roger Caratini (Mahomet, édition CRITERIUM, Histoire et histoire, 1993), Anne -Marie Delcambre (Mahomet, la parole d’Allah, Découvertes Gallimard, philosophies et religions, mars1995) qui sont des sources reconnues comme sérieuses, que je connaissais depuis leur parution mais il en a eu bien d’autres. Comme le texte de M. L. Castillon (1765) Essai sur les Erreurs et les Superstitions.Une magnifique horreur dans le genre !

J’ ai, autant que faire se peut, recoupé les renseignements que j’ y ai trouvé en consultant de nombreux sites sur internet , le texte de la Sira condensé en français qui parait-il n’ est pas très recommandable.Toutes les informations ne se recoupent pas entièrement et vu l’ abondance de la littérature, marquée par le militantisme religieux comme anti religieux j’ ai failli m’ effondrer, découragée .« Dieu seul sait la vérité » disent les musulmans donc, à défaut de la vérité absolue supposée être détenue par Dieu, je me contenterai de celle des hommes et calerai mon discours en grande partie sur Caratini et Delcambre.

Mahomet (570 -632) nait à La Mecque vers 570 -71 dans un contexte social perturbé où la loi des bédouins du désert, qui régissait la vie de tous, n’est plus respectée et où la fièvre commerciale des riches négociants fait loi. « Les enfants et les femmes ne sont plus protégés et les pauvres nourris » nous dit Anne Marie Delicambre. Contexte, donc, où l’appât du gain fait loi au détriment du respect du vivant et des règles qui gèrent la vie en commun. Contexte qui je pense n’est pas sans évoquer pour vous le nôtre et qui est par excellence celui propice à l’émergence du phénomène religieux, quelqu’ en soit la nature, dont l’objectif est de remettre de l’ordre dans une société décadente sans foi ni loi qui va vers son auto destruction et menace les plus vulnérables.

Il est le fils d’un homme qui se prénomme Abd Allah, ce qui veut dire esclave ou serviteur de Dieu. C’est remarquable que le nom d’Allah figure dans le nom du père de Mahomet, pour cela il y a l’unanimité. S’il est né à l’ombre de la Kaaba, qui à l’époque était un lieu de pèlerinage des bédouins, qui abritait 360 dieux, un par jour, dit-on, l’influence des juifs et des chrétiens dans la région n’était pas négligeable et la référence à un Dieu unique dans le nom même du père du prophète pourrait en en témoigner, car semble-t-il Allah était le nom donné à Dieu par les arabes chrétiens. Mais l’origine du mot Allah est très controversée. On peut lire que c’ est l’ évolution du nom d’ une déesse sumérienne Lilith , la masculinisation du mot qui veut dire déesse , le nom générique pour dire Dieu qui n’ en fait pas un nom propre et derrière lequel on peut donc mettre l’ un des 360 dieux ou déesses vénérés à la Kaaba, mais aussi le Dieu- lune , l’ un des dieux les plus vénéré , dieu masculin ,le soleil étant un dieu féminin…etc. .Ce n’est pas moi qui trancherai sur la question, en tout cas c’est un prénom qui a court dans le monde arabe avant l’Islam. Pour l’Islam, Allah est le nom générique pour dire Dieu comme principe unificateur, ce qui semble donc exister avant l’Islam, mais avec lui tous les autres dieux n’existent plus, il devient le Dieu Unique.

Le père de Mahomet meurt quelques semaines avant, voire deux mois après, la naissance de son fils laissant sa femme démunie qui se met sous la protection de son beau père, dont le Coran ne dira pas de bien quant à ses agissements puisqu’il réside en enfer. Il est donc nommé Muhammad (le loué, ce qui est aussi contesté par d’aucun et serait une nomination d’ après coup) ben Abd Allah ben al –Muttabib

On peut bien sûr se demander si, fils du serviteur d’Allah, Mahomet en se mettant au service d’Allah ne reste pas de cette façon « enraciné à son père » mais d’une façon très particulière car ce père ne lui a rien retransmit de ce qu’être « serviteur d’Allah » veut dire, mort avant d’avoir pu lui en dire quoique ce soit, quant à son grand-père n’en parlons pas. Opérerait là quelque chose qui ressemble fort à « une forclusion de fait du Nom du Père », nommée comme telle par Lacan pour Joyce, faute, pourrait-on dire du mode d’emploi. Serviteur d’Allah, Mahomet le sera mais pas au nom de son père, pas en s’inscrivant dans une lignée dont il aurait à répondre des valeurs mais en inventant un mode d’emploi qui lui est propre. Ce qui est en somme très joycien et pas du tout schrebérien.

De la mère de Mahomet, Amina, il est dit que c’est dans un grand élan amoureux qu’elle consomme l’homme que lui amène son futur beau père comme époux, qui semble-t-il était un très bel homme, convoité en particulier par une autre femme qui se refuse ensuite à lui après ce mariage, jour où il fut conçu. Amour donc ancré, semble-t-il, dans le seul imaginaire et non dans le symbolique. C’est le grand-père qui choisit son nom, informé par Dieu que c’est celui là qu’il faut donner à l’enfant, voire c’est en songe qu’un ange dit à Amina comment nommer son enfant et de prononcer ces mots quand il naitra : « je le mets sous la garde du Dieu unique contre le mal et les envieux ».Je passe sur tous les miracles qui se produisent le jour de sa naissance. Mais on remarque que la pré- nomination de l’enfant n’est pas directement issu de la mère et qu’il sera surnommé Amin pendant son enfance, masculinisation d’Amina peut-être.

Jusqu’ à 4 mois il est allaité par la même nourrice que son père, qui est celle qui a allaité les derniers des 10 enfants de son grand père, son père étant le dernier. D’autres textes disent que sa mère l’a allaité au départ et ensuite une autre servante. Ce dont il fait état c’est que par reconnaissance pour la femme qui l’allaita nourrisson il épargnera son fils plus tard. On attend le printemps où des femmes d’une tribu pauvre viennent à La Mecque avec leur famille pour chercher un enfant. Le grand -père se met alors à la recherche d’une nourrice pour son petit fils. Aucune ne veut le prendre car il est orphelin et refusent en disant : « Un orphelin ! Qu’est ce que sa mère et son grand-père pourront faire pour lui » .Il le présente à Halima, que personne n’a choisi car elle a à peine de lait pour nourrir son propre fils ,elle dit : « J’ ai assez de ma pauvreté , je n’ ai pas besoin d’ ajouter celle d’ un orphelin », finalement elle le prend « Par Dieu ! dit-elle je n’ aime pas l’ idée de retourner avec mes compagnes sans nourrisson, je vais prendre cet orphelin ». Son mari a qui elle demande son avis, lui répond : « fais ce qu’il te plaît, peut-être dieu (celui de leur tribu) nous en sera-t-il gré » .Vous repèrerez comme le signifiant orphelin revient, en particulier dans la bouche d’ Halina .L’histoire continue qui dit que les seins de la nourrice regorgent alors de lait et qu’elle peut allaiter les deux nourrissons, son fils et Mahomet .Halima et son époux peuvent alors passer une nuit calme sans les pleurs de leur fils affamé qui avait accompagné leurs nuits.

C’est la coutume pour les familles aisées de mettre les enfants nouveaux nés en nourrice loin de la chaleur étouffante de La Mecque et pour permettre des alliances entre différentes tribus car les frères de lait ont les mêmes droits que les frères de sang dans le code bédouin. Notons que cela inscrit la fraternité par la mère nourricière et pas seulement par la génitrice ou le géniteur .C’est une reconnaissance implicite du fait qu’être nourri et élevé par la même femme doit bien laisser quelques traces communes chez les enfants. Celle qui sera mise en avant par Mahomet sera celle de lalangue. Signalons que le frère de lait de Mahomet celui avec qui il partagera voire se disputera la même mère nourricière s’appelle Abb Allah, comme le père dont il est orphelin !

On nous raconte ensuite comment ramené à sa mère à l’âge de 2 ans après le sevrage, celle-ci le laisse repartir sur l’insistance de sa nourrice qui secrètement voulait le garder car depuis qu’il était chez elle les bénédictions sont tombées sur la famille. Il est ramené à un âge qui varie de trois ans à cinq ans (5 est le plus souvent évoqué) auprès d’elle. Dans ce laps de temps des anges lui ouvrent la poitrine pour nettoyer son cœur de tout péché. Pour certains, cet épisode où deux hommes en blanc qui lui ouvrent la poitrine, qu’il raconte à ses parents nourriciers, les effraie, il est le motif de sa restitution à Amina. Lors de celle-ci, il se sauve, sa nourrice affolée le cherche partout et c’est finalement le grand-père qui le retrouve à la Kaaba. Il retrouve alors sa mère qui à son tour meurt au retour d’un voyage qui avait comme objectif d’aller sur la tombe de son mari à Médine et voir sa famille ; ils y restent un an. Mahomet a 6 ans ; orphelin de père et de mère,il est confié à la garde de son grand-père Al Muttabib, patriarche de 70 ans, d’une centaine d’années pour d’autres, dont il semble être le seul à pouvoir en faire ce qu’il veut, à ne pas le craindre. Celui ci meurt quand il a 8 ans et c’est un de ses oncles paternels qui élève ce jeune orphelin pauvre et sans racines. Vous voyez déjà la différence absolue dans laquelle il se situe par rapport aux autres prophètes en ce qui concerne le lignage.

Il se marie à 25 ans avec Hkadîdja, une riche femme qui le convoite et au service duquel il est, berger, puis secrétaire qui parcourt la péninsule pour y faire commerce pour elle. Déjà deux fois mariée, divorcée puis veuve, mère de deux enfants, elle est de 15 ans son ainée .Elle lui assure l’aisance financière et une place reconnue dans la société mais pas seulement, car elle a pour lui tant qu’elle est vivante une fonction de réassurance quasiment maternelle et elle sera la première de ses disciples. C’est sans aucun doute elle qui induit que c’est un ange qui se manifeste à Mahomet et le fait qu’il soit un prophète quand effrayé par les manifestations,disons dans un vocabulaire psychiatrique, hallucinatoires, auxquelles il va être en proie, il vient chercher du réconfort auprès d’elle et un sens à ce qui lui arrive. Le sens c’est elle qui lui donne. Il lui restera fidèle jusqu’ à sa mort. Après du côté des femmes et des très jeunes femmes voire encore petite fille (Aïsha a 6 ans quand il se fiance avec elle et 9 ans quand elle habite avec lui) ce sera une autre histoire puisqu’ on lui en attribue de 12 à 20 .La légende dit qu’il satisfaisait les 9 qui à un moment cohabitent, toutes à égalité, voire la même nuit alors qu’il a 50 ans bien passé. Quoiqu’il en soit, le rapport aux femmes de Mahomet est un grand sujet de polémique que l’Islam résout en affirmant que sa place unique lui donne des droits uniques. Mais tant que Khadîdja vit, elle reste pour lui unique (de 595 à 619). D’elle il a 4 ou 5 filles qui restent en vie et 2 ou 3 fils qui meurent en bas âge .Les chiffres sont variables quant au nombre d’enfants mais ce qui est sûr c’est qu’il n’a pas d’héritier mâle, ce qui est une honte dans le contexte social .Mais malgré la loi de la polygamie en rigueur qui le lui permet, il ne prend pas pour autant une autre femme et adopte deux garçons .Le premier est un esclave de Khadîcha dont elle lui fait cadeau pour qu’il l’ adopte. Je ne suis pas sans m’ être demandée si ce ne fut pas ce cadeau et l’ adoption qui provoqua ce qui suit .

C’est à 40 ans que, pour cet être purifié par Dieu dés son plus jeune âge,la révélation va avoir lieu. Cette révélation lui est faite par l’intermédiaire de l’Ange Gabriel alors qu’il médite dans une grotte .Celui ci l’appelle sous le vocable de « l’orphelin » et lui dit « lis », Mahomet ne sait pas lire, ce qui semble à certain peu probable puisqu’il est le secrétaire de Khadîcha et fait du commerce pour elle mais qui me semble plausible. On peut savoir compter sans savoir lire ! L’ange lit donc à sa place et lui fait répéter alors deux fois ce qu’il est sensé devoir lire pour qu’il s’en souvienne correctement et puisse le retransmettre. Dire qui inaugure la révélation, l’ouverture du Coran, de l’Appel, de la Récitation .Cet ange l’accompagnera le reste de sa vie et lui transmettra au fur et à mesure du reste de son existence ce que Dieu veut qu’il sache, dise ou fasse, commentant ses actes pour les approuver. A aucun moment Mahomet ne sera en lien direct avec un Dieu parlant mais il sera en lien avec l’ ange Gabriel qui lui lit le contenu de la lettre de Dieu ,dont il est le messager, qui lui est destiné et par l’ intermédiaire de Mahomet aux hommes. Bien sûr l’ ange est supposé lire exactement le contenu de la lettre, si ce n’est la fameuse exception des versets sataniques où un ange trompeur se substitut à Gabriel et fait dire des choses fausses à Mahomet. Si une fois Mahomet est en contact avec Dieu lors d’ une montée au ciel , il ne fait là que voir Dieu en face mais celui ci ne lui parle pas . Donc à aucun moment on ne peut littéralement dire : « Allah a dit »si on peut dire ; l’ ange Gabriel a dit qu’ Allah a dit et Mahomet a dit que l’ ange a dit que Dieu a dit, en supposant qu’il n’ y ait pas de faille dans la retransmission de l’ un à l’ autre .

Aujourd’ hui je ne commenterai pas plus cette mini biographie, je le ferai la prochaine fois mais tâcherai de répondre à ma façon à cette question : qu’est ce alors que le Coran et Dieu dans l’islam ? Le Coran est donc une retranscription écrite après la mort de Mahomet de l’ensemble des révélations qui lui ont été faites afin que celles ci soient conformes au texte oral transmis par l’ange à Mahomet que ses disciples écrivaient ou apprenaient par cœur quand il était vivant. Chaque révélation est ce qui s’appelle une sourate contenant un nombre plus ou moins grand de versets qui sont au nombre de 6219. Le choix retenu pour constituer le texte du Coran fut de ranger les sourates en commençant par la plus longue pour arriver à la plus courte. Dans ce registre là il n’a donc déjà aucun repère chronologique en ce qui concerne la révélation elle même pour le lecteur.

Ce qui est troublant à la lecture c’est que Dieu parle de lui soit à la première ou troisième personne, à moins que ce soit l’ange lisant la lettre qui dise : « Allah dit…. » quand il s’agit de la troisième personne. Dieu s’ y auto définit comme omniscient, son omniscience revient d’ une façon récurrente de verset en verset , il est le tout -sachant de toute éternité ,c’ est ce qui le définit entièrement. Le texte des sourates est très divers, il chante la grandeur de Dieu et son amour pour les hommes arguant de tous les signes qu’il en a donné , il contient des injonctions de Dieu ,son amour n’ étant pas inconditionnel sauf pour Mahomet, sur ce qu’il faut faire ou ne pas faire pour être conforme à ce qu’il veut ,sur des sujets très divers , religieux bien sûr, politiques, militaires mais aussi sur la vie quotidienne. La menace de l’enfer est omniprésente, ce qui m’a beaucoup frappé. Est moins présente celle d’un paradis très terrestre pour hommes, pour les femmes je ne sais ce qu’il sera. Il donne des informations sur la vie de Mahomet lui-même et de ces contemporains. Il raconte aussi des histoires qui reprennent ,avec des variantes souvent importantes ,celles que l’ on retrouve dans la bible et l’ évangile , en particulier le fait que c’ est par un ange et non par Dieu lui même que les autres prophètes ont eu leurs révélations ou en songe que leurs missions leur aient été dévoilées et non par une parole directe de Dieu.Cela me semble-t-il insiste dans le Coran et avec ce commentateur extraordinaire qu’est Tabari qui en rajoute plus que le Coran lui même. Et tout ce que le Coran ne dit pas, Dieu seul le sait. D’aucuns disent, à la lumière d’une sourate, que Dieu garde écrit sur une table, dite table Mère, l’ensemble du savoir sur tout et tous de toute éternité. Le moins que l’on puisse dire c’est que la castration ne concerne pas ce Dieu là et ce dont il jouit c’est du savoir absolu sur les objets a que nous sommes dont il est le créateur. Le savoir absolu c’est ce que l’on peut appeler la vérité ou encore la connaissance qui n’est pas le savoir relatif de la science qui peut évoluer au court des temps mais le Vrai savoir, un savoir immuable.

Pour l’étrangère que je suis de ce texte, n’y ayant pas biberonné, je suis dans une incapacité totale de m’y repérer. Je ne prendrai qu’un exemple. Voulant me remémorer ce que le Coran dit de la création de l’homme par Dieu, je me suis trouvée dans l’incapacité de savoir où chercher. Devant le même problème avec la Bible c’était simple il suffisait de l’ouvrir aux premières pages. Le Coran est donc un texte sans aucune chronologie, s’il raconte des histoires comme le font la Bible et l’évangile, elles sont toutes hors contextes, ne respectent aucune chronologie qui se voudrait historisante. Il y a une somme impressionnante dans la version du Coran de Chouraqui, qui est celle que j’ai, de notes en bas de pages qui accompagnent le texte, plus importantes que le texte lui même. Ces commentaires tentent de donner des repères de compréhension .Ils sont aussi des commentaires des interprétations diverses qui ont été faites des différentes sourates voire des mots utilisés et de leurs sens, qui par ailleurs différent d’un traducteur à l’autre dans ce que j’ai pu en vérifier avec d’autres traductions. Le Coran fait appel à une langue qui est bien sûr l’arabe traditionnel mais aussi à des dialectes en usage dans le monde arabe de l’époque. (La première sourate est exemplaire quant à la différence de traduction, elle est traduite souvent par : Au nom d’Allah le clément, le miséricordieux, par Chouraqui qui s’en explique : au nom d’Allah le matriciant, le matriciel …ce qui me satisferait plus mais …). Sans ces commentaires la majorité du texte me serait incompréhensible sinon à y mettre le sens qui me conviendrait et encore parfois je n’en trouve aucun.

Je vous confierai qu’au départ, les Ecrits de Lacan et les textes oraux de ses séminaires retranscrits pour la plupart après sa mort m’ont fait, dans un autre registre, à peu près le même effet la première fois que je les ai ouverts. Mais pour les avoir un peu fréquentés et fait l’ effort d’essayer d’ entrer dedans , ce qui n’ est pas gagné d’ avance pour ne pas dire jamais gagné , au regard du style et du génie de l’ homme qui fait appel à des références multiples issues de tous les champs de la pensée de son temps et qui les triture à sa sauce , je me suis rendu compte que derrière il y a la pensée d’ un homme. Il ne s’ agit pas là du savoir attribué à un Dieu omniscient ,quoique certains peuvent en faire, mais de celui d’ un homme qui cherche des réponses à ses questions , en trouvent ou pas d’ ailleurs et nous fait partager ses trouvailles pour faire avancer la psychanalyse, la décalant d’ une religion car elle est inscrite dans la mouvance de la pensée humaine et non dans la certitude d’ un savoir venant de Dieu .Si Lacan se trouve parfois joycien on pourrait tout autant si ce n’ est plus ,en reculant dans le temps, le dire Mahométan pour diverses raisons mais surtout pour ce qui sous-tend l’ ensemble de son questionnement qu’il pose en terme de l’ Autre de l’ Autre , j’ y reviendrai, car vous vous en doutez bien sa réponse et le point de départ de son questionnement n’ est pas la même que celle de Mahomet pas plus que de Joyce d’ ailleurs, enfin c’ est moi qui le dit, mais quand même c’ est des dires de Freud que Lacan est parti, çà il le dit . Mais continuons avec le Coran.

Le Coran, vous le savez peut-être, est un texte qui, non seulement s’apprend par cœur pour les croyants, mais qui doit aussi être porté par la voix de celui qui le récite sur un mode qui doit en permette d’en dégager toute la beauté. Je ne peux pas personnellement en témoigner, ne connaissant pas l’ arabe, mais le texte a parait-il une grande valeur poétique. Croyants et non croyants sont unanimes à ce sujet . Pour un croyant sa valeur littéraire est la plus grande de tout ce qui peut s’ écrire, rien de ce qui s’ écrit ne peut le dépasser. Dit en arabe par l’ ange, il ne peut se traduire dans une autre langue,toute traduction est une interprétation et n’ est donc pas le Coran .Qu’une traduction soit une interprétation ,ce n’ est pas la psychanalyse qui dira le contraire ,qui inscrit une perte par rapport au texte lui-même qu’il s’ agisse du sens et de l’ esthétique en lien avec le jeu des signifiants et pour la poésie en particulier c’est très sensible. Le Coran a valeur de poésie, de vraie poésie. La poésie était un art très prisé du temps de Mahomet et reste un art dans la langue arabe, du fait sans doute de la nature de la langue elle-même qui la rend très riche en métaphores superbes et subtiles dont les occidentaux n’ont pas le secret. Mahomet se défend d’ être un poète , le poète en l’ occurrence est donc l’ ange si ce n’ est Dieu qui donc reste indépassable, ce qui soit dit en passant n’ est pas sans conséquences sur les écrivains de culture islamique comme effet inhibiteur quand il s’ agit d’ écrire dans cette langue( Rachid Boudjedra 1995) .Pour les versets qui sont compréhensibles et gardent le même sens d’ un traducteur à l’ autre, on peut les prendre au pied de la lettre . Détachés du contexte socio culturel de l’époque de la révélation, c’est plutôt ravageant dans notre monde d’aujourd’hui quant à la crédibilité de l’Islam. C’est ce que font les dits islamiques fanatiques qui veulent ramener les croyants dans le monde arabe du début du moyen âge où le Coran fut récité par Mahomet. Mais on peut aussi dire que comme toute poésie digne de ce nom elle est interprétable à l’infini ou ininterprétable dans lalangue même où elle fut dite. C’est plutôt sous cette forme là qu’il faut donc aborder ce texte et ici le poids du signifiant lalangue, inventé par Lacan, a toute sa valeur car bien sûr, en dehors de la croyance à la révélation, c’est de lalangue de Mahomet dont il s’agit et l’on peut donc dire qu’il était un poète inspiré mais qui ne se fait pas sujet de sa lalangue. C’ est en effet par un retour dans le réel que l’ Autre de lalangue de l’ enfant qu’il fut, sa mère nourrice et non sa génitrice, va lui parler sous les apparences d’ un ange et lui dicter le Coran. Et ce qui est remarquable c’ est alors qu’il est absolument terrifié par ce qu’il lui arrive, dans un état d’ angoisse majeure, étant déjà en proie à des hallucinations diverses, entendant des sons venant des pierres par exemple, il va être rassuré par la nomination par Kadidja du responsable des voix, ce qui lui permet d’ une certaine façon de symboliser cet Autre de lalangue en le nommant qui signe le fait que pour lui elle ne l’ était pas. C’ est elle aussi qui lui dira qu’il est le prophète attendu le fixant sous un signifiant qui lui donne une identité subjective qu’il n’ avait pas. Ajoutons que c’est après la consultation d’un de ses cousins, nommé Waraqua, que certains disent chrétien, qui connaissait bien les textes juifs et chrétiens, auprès de qui elle-même se rassure, qu’elle va lui donner un sens à ce qui lui arrive et elle-même y adhérer. Reste cependant à interpréter le contenu de ce que disent les révélations aussi appelées épiphanies par des penseurs de l’Islam, ce qui n’est pas pour les joyciens sans évoquer quelque chose.

Pour ceux-ci le texte du Coran a deux sens, un exotérique et l’autre ésotérique. L’ exotérisme est réservé au tout venant, pourrions nous dire, pour lui donner un cadre minimum de compréhension mais ce n’est pas dans ce registre qu’est le vrai sens du Coran mais du côté de l’ésotérisme.

Je dirai que le sens exotérique est celui qui est donné par l’Autre du langage qui est supposé avoir le savoir pour fixer l’ usage du signifiant, le même pour tous ,qui est la condition pour que l’on puisse un tant soit peu parler en se faisant comprendre et que quand, par exemple, je dis : « je ne peux pas faire d’omelette parce que je n’ai plus d’œufs » je sois compris par celui à qui je délivre ce message. S’il ne le comprend pas c’est qu’il lui manque un savoir pour ce faire, qu’il pourra acquérir ce qui lui permettra de comprendre le sens de l’énoncé. Si malgré ses efforts il n’ y arrive pas, il peut penser que l’Autre du langage le castre du savoir qui lui permettrait de comprendre se le gardant pour en jouir seul et s’assurant ainsi un pouvoir sur lui. Mais le sens exotérique, c’est un semblant de sens dont les dupes se contentent car derrière ce sens le même pour tous, il y en a peut être un autre qui reste voilé où le sujet qui énonce cette phrase veut peut être dire tout autre chose que ce que dit le contenu de son énoncé et là s’ouvrent deux voix : celle de l’inconscient et celle de l’ésotérisme. Du côté de l’inconscient on pourrait dire par exemple que dans cette phrase est mis en jeu le sujet d’un désir où le décryptage de celui-ci permettrait de comprendre le vrai sens de l’énoncé qui serait par exemple : « je n’ai pas envie de faire à manger ». Il met en scène un Autre, lieu d’un discours structuré comme un langage, cet Autre pour chaque sujet est son inconscient. Mais nous sommes là finalement dans le même registre, celui des dupes. Les dupes en question sont les dupes du Père qui supposent celui-ci détenteur du savoir qui lui manque pour tout comprendre voire tout dire .L’ objectif de la psychanalyse est de le faire sortir le sujet de la duperie sans pour autant le renvoyer dans le champ de l’ ésotérisme vous vous en doutez. L’ésotérisme ne met pas en scène des dupes du père puisqu’ils se passent radicalement du Père. Cela se joue sur le fond d’une primitive absence d’’inconscient faute d’ un lieu symbolisé pour le contenir , faute d’ un Autre de lalangue dont l’ ange fait ici fonction. Si Mahomet n’était pas le prophète de Dieu on pourrait dire que le texte du Coran est le texte d’un inconscient qu’il se crée au fur et à mesure de ses besoins, écrit comme pour tout sujet dans lalangue de la mère, à partir de ses énoncés, mais qui serait ininterprétable en l’absence radicale d’un père détenteur d’un savoir transmissible, ce qui n’ est pas ici ce qui est supposé. Mais c’ est le champ de l’ ésotérisme . Dans ce champ il n’y a pas d’interprétation possible au NDP et en ce qui concerne l’Islam, d’un père qui serait Dieu ; celui-ci n’engendrant pas ni n’étant engendré n’est pas un père. Vous avez peut-être en tête le titre d’un des séminaires de Lacan « Les non dupent errent ». Mais la pente ouverte à l’ errance par l’ interprétation infinie possible du Coran via un ésotérisme dans lesquels peuvent s’ engouffrer tout ce qui relève de la magie , de la cartomancie , de la voyance , de l’ astrologie, du chamanisme , bref toutes les sciences occultes est formellement interdit dans l’ Islam où l’on a donc affaire à un ésotérisme très cadré , puisqu’il est en final cadré par Dieu. Mais quel Dieu ? C’est là que le champ de l’Autre de l’Autre va rentrer en scène.

Au dire de Mahomet, chaque fois qu’il prononçait un mot du coran il entrevoyait ses 70 nuances entrelacées. Entrevoir ce n’est pas voir, c’est juste avoir une petite idée de la chose entrevue de façon floue dans un éclair qui se dissipe, une petite lueur de compréhension , qui dit que pour Mahomet même l’absolu du sens des énoncés qu’il transmet lui échappe. Chacun peut donc prendre le risque d’ interpréter le Coran ,ce qui n’est pas défendu, mais en sachant d’avance qu’il n’y arrivera pas d’une façon absolue. Cette tâche d’interprétation du Coran dans l’Islam est réservé en général à celui que la communauté reconnait comme le plus savant et juge digne qu’il s’y risque . Pris pour guide, sans que pour autant son dire soit la vérité absolue, l’ imam choisi peut si la communauté le décide être démis de cette fonction. Celà laisse bien sûr la place disponible pour les paranoïaques qui s’ auto proclament à cette place et posent leur interprétation comme étant la seule bonne et en font des dictateurs d’ une communauté à leur botte qui n’ a pas d’ autres choix que de s’y soumettre, la force, pas seulement celle du verbe , étant de leur côté, pas besoin de vous en dire plus, je pense. Cela relève d’un exotérisme pas du tout islamique bien qu’on les dise islamiques .Car, si de la place qu’occupe Mahomet qui est unique, il peut s’autoriser à interpréter le Coran, son interprétation même est sans garantie bien qu’elle puisse être supposée la meilleure. Une façon de dire qu’il n’y a ici aucune grille, aucun code pour interpréter le Coran qui pose de fait l’inconsistance de L’Autre, de l’Autre du langage. Ce qui signe ici une forclusion du NDP mais sur un mode particulier qui n’est pas paranoïaque .Les 70 nuances ,avancées par Mahomet , posent en fait 70 NDP possibles sans pour autant en retenir un qui serait garanti par un Dieu Père .On pourrait dire( en reprenant à rebours un dire de Schreber) que l’ Autre de lalangue refuse tous les signifiants venant de l’ Autre du langage qui viendrait donner un sens à son dire qui serait le même pour tous . C’est de cette façon que je lirai ce que Lacan appelle une forclusion de fait du NDP pour Joyce. (Pour Schreber c’est l’inverse qui se passe c’est l’Autre du langage qui refuse un signifiant venant de l’Autre de lalangue quand il dit dans le poème adressé à sa mère : « La langue maternelle se refuse .. » où ici la dite langue maternelle est celle du pour tous contrairement à la langue fondamentale. Là l’Autre du langage ne veut pas accueillir un signifiant venant de l’Autre de lalangue qui signerait une forclusion de fait de la Chose. Je remercie ici les personnes dont les questions et commentaires lors de mon exposé à l’assemblée de Paris sur Schreber le 4 Avril 2009 m’ont permis de poser ici quelques jalons pour tenter d ‘ éclairer la question. En particulier Pierre Bruno qui a noté l’importance du « se refuse » de la langue). En ce qui concerne l’Islam cet Autre du langage est inconsistant, on peut dire aussi qu’une interprétation en vaut une autre, rien ne garantit qu’elle soit vrai ou fausse. Ce qui s’écrit A barré en lacanien.

Quelle place a donc occupé Mahomet ? Pas la place d’Autre du langage car il n’a pas fixé l’usage de lalangue du Coran, ne faisant lui-même que l’entrevoir, ce n’est pas un père symbolique donc. D’où l’importance de ses faits et gestes pour guider le croyant sur un mode qui reste imaginaire. Si il se situe en place de père là où le père a été radicalement carent, comme « père du père «  » aurait dit Althusser » c’est sur un mode qui reste ici imaginaire. Il ne fut pas « Autre malgré la Loi »comme le dit Lacan pour lui, qui fait usage de lalangue avec des lois différentes que celle qui sont orthodoxes et en impose, de cette place de maître où il est reconnu, un nouvel usage dont les règles sont définies voire restent à définir car il faut d’ abord en comprendre l’usage qu’il en fait, à quoi ça lui sert pour transmettre ce qu’il voudrait transmettre. C ‘est d’une certaine façon ce que fait le sujet de l’inconscient qui est Autre malgré la Loi mais où son désir inconscient, en dernier ressort, est pour lui celui qui fait la loi sans qu’il le sache. On peut dire que Mahomet fut Autre sans la Loi, qu’il incarne une fonction qui est celle du père imaginaire ,ici supposé entièrement bon et donc tout ce qu’il fait, juste , puisqu’il a été choisi par Dieu et que Dieu par l’intermédiaire de l’ange est toujours en accord avec ses faits et gestes . Il est donc posé comme modèle, mais comme père imaginaire il jouit de droits que les autres n’ont pas. Mais il me semble que ce n’est qu’après la mort de Khadîdja que cela se passe, en ce qui concerne les femmes en particulier et l’ ensemble, disons, de ses combats où de façon remarquable il quitte La Mecque pour rejoindre Médine là où repose le corps de son père mort, lors de ce qui s’ appellera l’ Hégire , l’ an 1 de l’ Islam. Car des combats bien terrestres il y en eut au nom d’ Allah comme il en avait déjà eu bien avant lui au nom du Dieu des juifs et des chrétiens. Au nom du monothéisme qui, au dire de Freud est un principe civilisateur, il a coulé beaucoup de sang, et il en coule encore .Drôle de prix à payer pour l’humanité qu’une partie de son extermination pour sa civilisation. La copie serait peut-être à revoir.

En dehors de cet incarnation de la figure de père imaginaire il me semble que Mahomet occupe aussi une autre place celle de l’Autre de l’Autre qui ne me semble pas, quant à moi, équivalente à celle du père imaginaire .Comment définir ce que serait L’Autre de l’Autre ? Ce serait celui qui connait le vrai sens des mots ou pour le dire autrement la finalité de toute chose .Par exemple, si l’Autre dit : tu dois travailler, on peut avancer un ; pourquoi ? Auquel il répondra : pour avoir un bon métier. On peut lui rétorquer : pourquoi avoir un bon métier ? Il répondra pour….mais à son pour… pourra encore s’articuler une autre question.Et la conclusion de l’histoire sera : « tu le fais parce que je te le dis, parce que c’est comme ça depuis toujours, c’est la Loi pour tous » même si le père qui occupe cette place de l’Autre peut se soustraire à la loi qu’il énonce. Le sujet s’exécutera parce qu’il aime ce père qui lui en donne l’ordre mais aussi parce qu’il le craint où l’amour et la haine pour le père verra le jour. L’Autre de l’Autre lui connaitrait la réponse qui ne laisse pas de place au doute, qui ne relèverait pas de l’arbitraire, le vrai de la vérité du père, « le vrai du vrai ». Donc il me semble que Mahomet occupe la place de l’ Autre de l’ Autre , non pas de l’ Autre ( le deuxième dans la formulation )celui du langage dont l’ Islam dit l’ inconsistance qui pose toute interprétation comme relative et n’ engageant que celui qui la fait mais de l’ Autre du vrai savoir. Mais occuper la place de l’ Autre de l’ Autre ce n’ est pas l’ être et Mahomet ne dit pas qu’il l’ est , ce n’ est pas un Chaman, ni un devin , mais il en occupe la place , initié par l’ ange, qui est l’ initiateur universel à une part du savoir de Dieu qu’il entrevoit, mais Il ne fait qu’ entrevoir car le vrai sens de ce qu’il énonce lui échappe , Dieu seul le sait .Car pour lui comme pour tous Dieu reste muet. C’est l’ange et à sa suite Mahomet qui occupe la place vide laisser par ce Dieu muet et une fois Mahomet mort cette place reste vide, si ce n’est à être occupé par d’autres initiés, ce que l’Islam appelle les savants. Mais comment le devient-on ? C’est une autre histoire car c’est une transmission marqué du sceau du secret, elle n’est pas pour tous.

Cette place de l’ Autre de l’ Autre laissée vide par Dieu , donne de ce fait à ce Dieu une absolue transcendance, dans ce registre on peut dire qu’il est pour tout un chacun non- Autre. Il n’ est pas l’ Autre inconsistant du langage, A barré, puisqu’il est d’ avant le langage qui n’ est qu’ un outil inventé par les hommes ,même si cet outil semble lui convenir puisqu’il l’ utilise dans sa missive. Ajoutons quand même que dans ce registre, comme dans beaucoup d’ autres , le Coran ouvre une ambigüité puisqu’il est dit que Dieu a appris à Adam le nom de tous et de toutes choses. Mais on le posera comme un dire ininterprétable comme les autres et Tabari l’ interprète en disant que c’ est l’ Ange Gabriel qui a eu cette charge et même celle de façonner le premier homme avec de l’ argile . Dieu n’ ‘ est pas l’ ange qui n’ est que son messager mais Dieu a le savoir qui viendrait compléter le savoir des hommes si relatif ,si incertain, si inconsistant pour dire en dernier ressort, au-delà du sens du Coran, quel est le sens de la vie . L’ininterprétabilité du Coran n’est en somme qu’une image pour dire l’ininterprétabilité du sens de la vie par l’homme, vie marquée du sceau de la mort qui inclue la différence sexuelle qui permet qu’elle continue par les voies de la procréation, c’est comme cela qu’il a voulu les choses. Ce sens absent ,Dieu le sait mais son silence sur le sujet depuis toujours et pour toujours le laisse dans une transcendance absolue .Seul l’Islam permet de dégager la place de ce qu’est le Vrai Dieu, non pas Autre du langage , ni Autre inconsistant, A barré , ni Autre de l’ Autre , mais non -Autre, lieu d’ un savoir qui ne pourra jamais se savoir. Il faut ajouter si il existe. Car son existence est indémontrable, rien ni personne ne peut répondre oui ou non à cette question sinon à interpréter tout ce qui pour un sujet pourrait faire pour lui et lui seul signe de son existence ou comme l’ Islam dire oui dans une absolue soumission à un destin dont il n’ a pas ,quoiqu’il fasse, le dernier mot .

Ce non- A que je viens d’ introduire , c’ est Emmanuel Lehoux qui me l’ a signalé, est dans la théorie des ensembles ce qui désigne le complémentaire de A , ensemble qui contient tous les éléments qui manquent à l’ ensemble A où la réunion des deux ensemble fait un ensemble sans manque , un Un qui est un tout. En terme de savoir l’ ensemble nommé ici non -A est celui qui contient le savoir de Dieu qui manque aux hommes dont le savoir serait contenu dans l’ ensemble A. Ce savoir de Dieu est celui qui leur est interdit par cette métaphore de l’ arbre de la connaissance du paradis terrestre biblique, celui qui appartient donc à Dieu seul qui muet ne le dit pas .On peut dire que ce que Dieu veut que les hommes sachent il leur a fait transmettre, il s’ en est d’ une certaine façon séparé. Mais il y a là une aporie , une impossibilité logique qui poserait A inclus dans non A si Dieu est le tout sachant ou deuxième possibilité A est exclu de non A tel que A n’ est pas le savoir de Dieu mais le savoir inventé par les hommes pour interpréter le message de Dieu rendant A inconsistant , rien ne dit qu’il soit vrai ou faux si ce n’ est pour l’ initié pour qui seul quelque chose de la complémentarité serait envisageable. Ce non -A ,Lacan n’en fait pas usage il dit juste une fois qu’il regrette d’avoir rangé la jouissance féminine sous le sigle S de A barré et non pas de non A. Il me semble, quant à moi, à la suite de ce que je viens de vous dire qu’il serait important de conserver les deux écritures , A barré et non -A ,qui ne recouvrent pas la même champ , l’ un étant d’après le langage qui suppose donc qu’il y ait eu du père et l’ autre d’ avant le langage où il n’ y en a pas encore, même s’ils mettent en jeu ce qu’il est convenu d’appeler avec Lacan : La femme . Juste en petite touche dire qu’avec non- A s’inscrit une impossible complémentarité alors qu’avec A barré s’inscrit une possible supplémentarité. J’ajouterai juste qu’il y a quelque chose qui me tracasse dont les familiers de l’enseignement de Lacan doivent voir où cela se profile. Ce que Lacan dit, je ne cite qu’un petit bout réservant la suite pour plus tard, préférant la transcription pirate à l’ interprétation de J A Miller dans le séminaire Le sintome p 128, c’est :« la toute nécessité humaine étant ( Miller dit :était ) qu’il y ait un Autre de l’Autre c’est celui là que on appelle en généralement Dieu, mais dont l’analyse dévoile que c’est tout simplement La femme. » (version rue CB notes Séminaire du 16 MARS 1976) où j’ entendrai le Dieu ou La femme ici évoquée comme étant le tout sachant et il continue ,reprenant ce qu’il dit depuis le début de son enseignement, « il n’ y a pas d’ Autre de l’ Autre »ce qui en bonne logique fait conclure : Dieu n’ existe pas , La femme n’ existe pas . Or ce que dit l’Islam me semble-t-il c’est bien que Dieu est le tout sachant mais que muet, il n’est pas l’Autre de l’Autre, il est non -Autre ce qui n’ est pas pareil que « il n’existe pas ».Mais c’est l’ange comme Autre réellement imaginaire qui occupe la place laissée vide par Dieu ,qui parle à sa place ,et à sa suite Mahomet n’ étant ni l’ un ni l’ autre Dieu .Dieu n’ est donc pas l’ Autre de l’ Autre là où le met dans son dire Lacan . L’Islam remet Dieu, s’il existe, à sa vraie place celle où les vrais mystiques le mettent, me semble-t-il. Je vous citerai juste ceci que j’ai trouvé remarquable( dictionnaire des symboles musulmans de Malek Chebel ,Albin Michel 1995 ) écrit par Ghazali (1058- 1111) considéré comme le plus grand penseur de l’Islam, issu de la lignée des soufis et dont nombre de penseurs juifs et chrétiens se sont inspirés, ai-je lu ,dont Saint Thomas d’ Aquin : « Si quelqu’un demandait quel est le représentant symbolique de « Celui qui », aucune réponse ne serait concevable .Et Celui qui, exempt de toute correspondance analogique est le Principe, le Réel. » . C’est quand même remarquable. Dieu est donc non imaginarisable et non symbolisable, c’est le Réel . Mais avec ceci de particulier pour ce Réel là, c’est qu’il contient du savoir voire tout le savoir or affirmera Lacan il n’y a pas de savoir dans le réel, sauf à le poser comme impossible à savoir répond l’Islam, impossible à dire répond Lacan avec la jouissance féminine, mais aussi impossible à savoir quand il s’agit du refoulement originaire a dit avant lui Freud, dire que Lacan reprend….à suivre !

Car impossible à dire et impossible à savoir, est-ce équivalent ? Les deux écritures de A barré et non -A permettent au moins d’ouvrir un espace pour poser la question et où une possible différence peut s inscrire, que Lacan introduit en posant d’ une part la jouissance féminine comme supplémentaire où cette jouissance que l’on soit homme ou femme est là comme un plus pour qui veut ou peut et d’ autre part son : « il n » y a pas de rapport sexuel » qui dit l’impossible d’une complémentarité entre l’homme et la femme. Avec ce dilemme où, bien sûr, l’impossible à savoir est forcément impossible à dire et réciproquement (peut-être ?) et c’est là où la question de la jouissance de Dieu et la jouissance féminine rentrent dans la ronde qui pose le problème de savoir si elles sont équivalentes. Répondre oui c’est plutôt ravageant pour les femmes car pour conserver Dieu il faut supprimer les femmes, les empêcher d’exister, forclore le nom de la femme pourrions nous traduire, les paranoïaques de l’Islam ne s’en privent pas, l’inverse me fait moins de soucis bien que le résultat ne soit pas des plus réjouissants car c’est la porte ouverte à l’ésotérisme généralisé. Bon j’arrête là ma tracasserie qui va bien au-delà d’une question théorique mais pose la question de ce qui se profile à l’horizon de notre monde. En ce qui concerne le sujet de ce séminaire cela peut vous permettre de comprendre pourquoi j’ai voulu me saisir de l’Islam qui dans sa structure même permet de se saisir de ces questions, ce que les deux autres religions monothéistes, toutes axées sur le père, viennent voiler, si ce n’est quand même à minima la Vierge Marie dans le christianisme.

Le Réel qu’est donc Dieu dans l’Islam est insymbolisable et l’on retrouve alors ce que je vous disais il y a quelque temps ,c’ est qu’ Allah n’ est donc pas un signifiant qui nomme Dieu , si tel était le cas c’ est que Dieu serait symbolisable , c’ est donc bien juste des lettres pour dire avec les moyens humains que le Vrai réel qu’ est Dieu est là ,lettre qui désigne là où est le vrai trou dans le savoir de l’ humain dit en écho Lacan qui ne l’ attribue pas à Dieu mais à la structure déterminée par le fait que les humains parlent et jouissent . La jouissance est hors langage mais reste cependant un fait de langage en négatif car sans lui la jouissance n’existerait pas, on ne saurait pas que l’on jouit sinon à jouir du signifiant même.

L’Islam a une façon que je trouve particulièrement élégante de dire l’innommable de Dieu, car le nommer serait le ranger sous un signifiant humain qui le ferait chuter de sa transcendance. Il utilise une joli métaphore pour dire cet innommable, il fait une liste de tous les noms par lesquels Dieu peut être nommé, la liste en comporte 99 , 100 moins UN ,cela aurait pu être 1000 moins UN ( et non pas mille plus Un comme dans les mille et une nuits de Shéhérazade ) donc il en manque un et justement le un qu’il faudrait qui serait le vrai nom de Dieu et que l’homme ordinaire ne peut pas connaitre, seuls quelques savants dont on ignore qui ils sont peuvent y avoir accès. Mais qui peut se dire assez savant pour cela, qui peut se dire être le vrai savant puisque de vrai savant, de savant absolu il n’y en a qu’un Dieu. Cette énumération des noms de Dieu dont l’ infinité possible, qui vient donc marquer l’ impossible de l’énumération ,qui me semble est de cette façon évoquée par l’ Islam, n’ est pas pour ceux qui connaissent la fin de la préface de l’ éveil du printemps de Lacan ,dont j’ avais fait état au début de ce séminaire, sans évoquer la déesse blanche qui pourrait ici prendre sa place mais avec cette différence, c’ est que la déesse blanche est représentée par un petit tas de cendre blanche , il y a là quelque chose qui en donne une image aussi ténue soit-elle .Le Dieu de l’ Islam est encore en deça de la Déesse blanche puisqu’il est non représentable ni dans l’ imaginaire ni dans le symbolique, pour vous dire son absolue transcendance. Alors comment faire exister ce Dieu. La solution mis en avant par Lacan pour faire exister l’Autre c’est de l’aimer et continue –t-il celui qu’on aime est celui à qui l’on attribue le savoir. Dieu est omniscient c’est ce que décline le Coran à longueur de verset, ce qui le rend absolument aimable et il propose aux croyants de l’aimer, d’aimer le Réel c’est à dire de l’aimer mais sans le faire exister à l’aide du symbolique et de l’imaginaire. C’est la voie du mysticisme qui a tant intéressé Lacan et d’une façon paradoxale tant inquiété l’Islam qui en a eu de très grands, si ce n’est les plus grands, ce à quoi cette religion se prête particulièrement. Issus de l’Islam s’ils n’en sont pas exclus ils sont mis en marge.

Donc, pour conclure aujourd’hui ,contrairement au deux autres religions c’ est en effet par le biais de l’ initiation qu’ il faut prendre ici la révélation et non par le biais de la reconnaissance comme dans les deux autres .Si dans les deux premières il y a l’ élu nommé par Dieu pour faire respecter une loi ,la même pour tous ,qui ferait de ses créatures des êtres conformes à sa volonté, ici il y a un initié par l’ ange et un seul capable d’ entrevoir l’ interprétation de ce qui lui est transmis , renvoyant finalement tout croyant à une solitude face à l’ interprétation d’un texte support de la croyance et face à un Dieu d’ une absolue transcendance . Ceci donne une grande liberté à chaque humain pour finalement penser et faire ce qu’il veut, ce serait le côté positif de la chose .Mais comment faire face à cette liberté qui finalement s’avère particulièrement angoissante et obsessionalisante d’ une part et d’ autre part comment faire tenir ensemble une communauté d’humains où finalement chacun pourrait penser et faire ce qu’il veut s’il aime Dieu. Le résultat c’est la mise en place de ce que j’appellerai un surmoi social où le signifiant féroce avancé par Lacan pour cette instance a ici sa place et une mise à l’ écart des mystiques qui sont sans doute dans la vraie voie ouverte par cette religion mais qui à être trop nombreux signeraient la fin de l’ humanité dans l’ ascèse que cela suppose , c’ est tout le paradoxe de l’ Islam .

La prochaine fois je me pencherai sur le cas de Mahomet à travers ce que nous en dit l’histoire pour tenter de montrer comment se pose pour lui la question de la mère dont s’origine l’histoire de l’Islam et ce que l’on peut en tirer comme enseignement qui peut éclairer ma question.