le 18 février 2008
A la veille des vacances scolaires, cette séance constituera une sorte de pause. En effet, il s’est trouvé quelqu’un pour me signaler les difficultés particulières que concentrait pour lui ce séminaire « Science et ascience ». Je prends cette remarque au sérieux. Je présume que ces difficultés sont liées non pas aux problèmes conceptuels rencontrés, mais une contrainte systématiquement éprouvée : (se) démontrer que le binôme « Science, ascience », loin d’évoquer une quelconque préoccupation épistémologique, interroge le cœur de la psychanalyse.
J’ai choisi d’enchaîner en mettant au centre des préoccupations de cette séance le terme de « supplémentaire », et, ce, à la suite de la rencontre qui s’est tenue à Toulouse, il y a huit jours, permise par l’APJL, avec quatre psychanalystes belges : Line Balestrière, Jacqueline Godfrind, Jean-Pierre Lebrun et Pierre Malengreau, tous quatre issus d’associations différentes, mais auteurs, ensemble, de Ce qui est opérant dans la cure. Des psychanalystes en débat (Toulouse, Erès, 2008). Quatre collègues toulousains, également de quatre associations différentes, ont accepté alors de discuter avec eux et avec nous : Sidi Askofaré, Marc Babonneau, Christiane Terrisse et Serge Vallon. Le succès de l’entreprise m’a surpris au point que je me suis interrogé sur sa signification pour la psychanalyse. De quel ordre était ce rassemblement ? A quoi tenait la satisfaction dont beaucoup ont témoigné à la suite de la soirée ? Et, pour le dire vite, étions-nous dans l’œcuménisme ou dans le « pas tout », dans le complémentaire ou dans le supplémentaire ?
Pierre Bruno, Isabelle Morin et moi-même, avions choisi le signifiant « supplémentaire » pour qualifier l’association de psychanalyse que nous appelions de nos vœux – « exclusive d’aucune, respectueuse de toutes » (lettre du 28 décembre 2001), qui, « ne dissuadant aucun de ses membres d’appartenir à une autre association psychanalytique, (…) ne participe pas d’une logique de scission » (Préface au premier annuaire, 21 septembre 2002),. Et c’est à regarder quelques uns des usages du terme « supplémentaire » chez Lacan que je vous convie d’abord – non sans quelques effets de surprise…
1 – Dans mon esprit, le choix de « supplémentaire » pour définir l’APJL prenait appui sur une référence au Séminaire XX où Lacan l’opposait explicitement à « complémentaire » : « Il n’en reste pas moins, y avance-t-il, que si elle [une femme] est exclue par la nature des choses [qui est la nature des mots], c’est justement de ceci que, d’être pas toute, elle a, par rapport à ce que désigne de jouissance la fonction phallique, une jouissance supplémentaire. /Vous remarquerez que j’ai dit supplémentaire. Si j’avais dit complémentaire, où en serions-nous ! On retomberait dans le tout. /Les femmes s’en tiennent, aucune s’en tient d’être pas toute, à la jouis¬sance dont il s’agit, et, mon Dieu, d’une façon générale, on aurait bien tort de ne pas voir que, contrairement à ce qui se dit, c’est quand même elles qui possèdent les hommes » (Encore, 20 février 1973, p. 68).
2 – Le (l’élément) complémentaire, selon les dictionnaires que j’ai consultés, appartient au même ensemble que celui qu’il complète ; l’un sans l’autre, le complément et le complémenté sont donc incomplets, mais ensemble ils forment un tout. Le supplémentaire vient se surajouter à un ensemble déjà complet – soit pour parer la défaillance d’un élément déjà existant (supplémentaire prend alors la valeur de suppléance), soit pour en changer la nature, le décomplétant du coup : en géométrie, un angle supplémentaire est celui qu’il convient d’ajouter à un autre (en soit « complet ») pour construire un angle plat (180 degrés) ; Lacan qualifie de supplémentaire le quatrième rond qui est nécessaire pour lier borroméennement les trois autres (chacun étant déjà R, S et I) – jouant pour le coup entre suppléance et supplément (1).
3 – Mais Lacan, première surprise, avait déjà usé du terme de « supplémentaire » précisément pour l’associer au surgissement de la science moderne : en quoi le terme pourrait bien être bienvenu pour caractériser une association qui chercherait à se maintenir à la hauteur du « moment (a)scientifique lacanien ». Exactement, Lacan attribue à Socrate d’être à l’origine du savoir de la science, parce qu’il a été capable de « supplémenter » l’Autre avec lequel il avait affaire. Comment ? En y convoquant le sujet à la place du semblant (je reviendrai sur ce terme) : le savoir est complet auprès des dieux ; ce qui est nouveau c’est de faire accoucher le savoir par le sujet (l’esclave du Ménon). Et Lacan situe le point d’Altérité radicale qui permet à Socrate d’échapper au tout divin (c’est ainsi que je le comprends) dans la haine de sa femme : Socrate n’a-t’il pas demandé à Diotime de se retirer au moment de mourir, afin de laisser à sa mort sa signification politique. Lacan en rebaptise l’Autre « Hautre » (2).
4 – Et sans doute ne sera-t-on pas surpris que le terme de « supplément » caractérise le dire de l’interprétation. Je ne reviens pas sur l’interprétation freudienne du complexe d’Œdipe auprès du petit Hans, déjà plusieurs fois convoquée dans ce séminaire : en rassemblant l’ensemble des dits de Hans sous le signifiant « supplémentaire » du complexe d’Œdipe, Freud fait exister un réel « au-delà de l’Œdipe ». Lacan explicite cette acception de l’interprétation dans Le savoir du psychanalyste : « L’analyste, je précise, n’est nullement nominaliste. Il ne pense pas aux représentations de son sujet, mais il a à intervenir dans son discours, en lui procurant un supplément de signifiant. C’est ce qu’on appelle l’interprétation. Pour ce qu’il n’a pas à sa portée, c’est-à-dire ce qui est en question à savoir la jouis¬sance de celui qui n’est pas là, en analyse, il la tient pour ce qu’elle est, c’est-à¬-dire assurément de l’ordre du réel, puisqu’il ne peut rien lui faire ». Lacan réfère alors cette interprétation explicitement à l’impossible du rapport sexuel. Le passage commence ainsi : « Il y a une chose frappante, c’est que le sexe, comme réel, je veux dire duel, je veux dire qu’il y en ait deux, jamais personne, même l’évêque Berke¬ley n’a osé énoncer que c’était une petite idée que chacun avait dans la tête, que c’était une représentation. Et c’est bien instructif que, dans toute l’histoire de la philosophie, jamais personne ne se soit avisé d’étendre jusque là l’idéalisme » (4 mai 1972, souligné par moi).
5 – Nous trouvons encore une forte concentration de mentions du supplémentaire dans « L’Etourdit » (Autres écrits, Paris, Seuil, 2001, pp. 449-495). L’une d’entre elles concerne le lien social : ce qui intéresse donc la problématique de l’association. Je m’appuie sur le commentaire qu’en livre Christian Fierens pour la faire résonner (Lecture de l’Etourdit – Lacan 1972, Paris, L’Harmattan, 2002). Ce qui fait tenir les sujets ensemble dans le discours entendu comme lien social, faute de rapport sexuel, c’est le signifiant. Là, dans le discours, c’est le semblant qui vient en position d’agent. Le semblant n’est pas le faux semblant, mais ce qui se présente à la place de la vérité et que le sujet peut en attraper : la vérité dont il s’agit concerne le réel de l’impossible du rapport sexuel (que même l’évêque Berkeley n’a pas osé contester). « Le réel de cette plage, écrit Lacan, à ce qui échoue le semblant, ‘’réalise‘’ sans doute le rapport dont le semblant fait le supplément, mais ce n’est pas plus que le fantasme ne soutient notre réalité, pas peu non plus, puisque c’est toute, au cinq sens près, si l’on m’en croit ». Suit un passage plus énigmatique : « La castration relaie de fait comme lien au père, ce qui dans chaque discours se connote de virilité. Il y a donc deux dimensions du pourtouthomme, celle du discours dont il se pourtoute et celle des lieux dont ça se thome » (AE, p. 460). Le « lieu » fait directement référence au semblant – la position de l’agent dans chaque discours. Le commentaire de Christian Fierens à présent : « L’impuissance d’un discours expulse le terme qui occupe la plage de l’autre dans ce discours et ce terme échoue sur la plage du semblant dans le discours suivant. La plage réelle du dire est ainsi occupée par le semblant qui était l’autre dans le discours précédent. La plage du dire devient un lieu réel lorsqu’elle a été occupée successivement par l’objet a analyste qui vient de l’Autre de l’universitaire, par le sujet barré hystérique qui vient de l’Autre de l’analyste, par le signifiant maître qui vient de l’Autre de l’hystérique, par le savoir universitaire qui vient de l’Autre du maître. Ce défilé des termes au lieu du semblant est conditionné par l’absence de rapport sexuel ; il dépend de l’impuissance de chaque discours développée à partir de l’absence de rapport sexuel ; ce défilé est un supplément : il supplée à l’absence de rapport sexuel. Dans l’apparition du lieu, le Nom-du-Père est dès lors remplacé par la suite des termes qui viennent occuper le lieu du semblant dans la ronde des discours. De cette façon, le semblant ‘’soutient notre réalité‘’ à partir de la ronde des discours, tout comme le fantasme. Le soutien de notre réalité par le fantasme n’est rien d’autre que la ‘’réalisation‘’ attribuée au semblant et déjà perceptible dans les deux formules masculines [« il existe un x qui fait défaut à la fonction phallique » et « tout x est soumis à la fonction phallique »]. Le scénario fantasmatique comme dit universel est borné par un dire qui s’en excepte. Ce dire suppose pour Freud une série de phrases (cf. ‘’Un enfant est battu‘’ (1919) ou le passage d’un discours à un autre » (C. Fierens, pp.121-122).
Pour ne pas être trop fastidieux, je souligne seulement deux points. D’une part, de revenir à la même place de semblant, la série des termes fait passer ladite place au réel : ce qui permet d’affirmer que la névrose n’est dépassée que dans la structure qui implique la ronde des quatre discours (70) et que la ronde des discours « se ferme dans l’analyse » (CF, p. 82) ; la distinction entre le dire et le dit est reprise dans la structure de discours : chaque discours articule le quatuor des termes (les dits) dans le quatuor des lieux (le dire) (CF, p. 123)…
6 – Sans doute devons-nous mentionner encore une occurrence de « supplémentaire » dans « l’Etourdit », avant celle qui nous permettra de conclure – et qui figure un peu après le passage commenté avec C. Fierens : « Je souligne. Je n’ai pas dit : qu’il [le rapport au sexe] les répartisse [les parlêtres] d’y répartir l’organe, voile où se sont fourvoyées Karen, Hélène, Dieu ait leurs âmes si ce n’est déjà fait. Car ce qui est important, ce n’est pas que ça parte des titillations que les chers mignons dans la moitié de leur corps ressentent qui est à rendre à son moi-haut, c’est que cette moitié y fasse entrée en emperesse pour qu’elle n’y rentre que comme signifiant-m’être de cette affaire de rapport au sexe. Ceci tout uniment (là en effet Freud a raison) de la, fonction phallique, pour ce que c’est bien d’un phanère unique qu’à pro¬céder de supplément, elle, cette fonction, s’organise, trouve l’orga¬non qu’ici je revise [et non : je révise] » (AE, p. 464). Le phallus, signifiant de la différence des sexes (et non du sexe mâle de la réalité ordinaire) vient comme supplément en quelque sorte dans cette affaire de rapport entre les sexes – le signifiant d’un réel qui demande à être signifié du fait même de ne pas trouver son signifiant dans l’Autre.
7 – Lacan va chercher à donner de la structure, qui permet de distinguer le dire et le dit et de situer leur lien paradoxal via le phallus et la castration, une autre présentation que discursive : la topologie. Et, là, cet examen du « supplément » réserve une autre surprise. Pierre Bruno, on s’en souvient, identifie le moment scientifique lacanien avec l’introduction, par Lacan, de la structure par les moyens du cross-cap.
Le cross-cap est un objet de la topologie projective. Projectif se dit des propriétés que les figures conservent quand on les projette sur un plan. Les objets de la réalité son susceptibles d’être décrits à l’aide des coordonnées du plan justement dit cartésien des trois dimensions géométriques – approximativement la hauteur, la largeur et la profondeur (x, y et z). Or, il n’est possible de projeter cette réalité sur un plan projectif cette fois qu’en rajoutant un point supplémentaire à l’infini. L’espace projectif inclut donc à la fois les coordonnées de la réalité et le point d’horizon en quelque sorte où toutes les lignes convergent. On peut être tenté de fabriquer ce plan projectif comme un objet qui inclut ce point à l’infini où toutes ses lignes se rejoignent, et de plonger le dit objet dans notre espace ordinaire pour voir à quoi il ressemble : la dimension infinie de cet objet fini apparaîtrait dans le fait que sa surface serait sans bord, en continue, et unilatère, l’extérieur étant en continuité avec l’extérieur – tel est le cross cap. A dire vrai, ce plan projectif est construit en réduisant l’horizon à un point. Ce point est représenté non par la périphérie mais par la rondelle centrale du cross-cap réduite à un point, précisément, le point-hors ligne (3).
L’horizon est réduit à un point « tel que toute ligne tracée d’y aboutir ne se franchit qu’à passer de la face endroit à sa face envers. La rondelle peut diminuer au profit de la bande de Moebius et vice versa, jusqu’à deux positions extrêmes, celle où la rondelle n’est plus qu’un point (point hors-ligne) et celle où la bande de Moebius n’est plus que coupure (ligne sans points). Dans ce dernier cas, le point hors-ligne ‘’s’étale‘’ et la bande de Moebius se réduit à la seule coupure, à ‘’la ligne insaisissable‘’ Comme la bande de Moebius se définit de cette coupure, la rondelle supplémentaire ‘’ne cesse pas de s’inscrire ‘’ dès que la coupure est là : elle est ‘’nécessaire‘’ » (191). Pour décrire la construction du cross-cap, Lacan précisément a donc recours lui-aussi au terme de supplémentaire – de sorte que je suis conforté dans ma demande : cette rencontre du moment scientifique et de l’association de psychanalyse autour de ce « supplément » est-elle fortuite ou structurale ?
8 – Retour sur notre rencontre avec les collègues et le public nombreux de Ce qui est opérant dans la cure. Des psychanalystes en débat.
A mes yeux, l’intérêt de cette entreprise éditoriale résidait bien sûr dans le parti pris des auteurs de confronter leurs points de vue, et de faire surgir en quelque sorte le réel qui les divisait : de ce point de vue, l’apport de l’ouvrage porte moins sur une avancée éventuelle concernant la direction de la cure, que sur la mise à plat de divergences qui aident chacun a mieux percevoir finalement ce qui fait la spécificité du discours analytique – au-delà et malgré quelque fois nos théorisations. Mais cela, ne le savaient que ceux qui avaient lu le livre et pas tous les auditeurs. Dès lors comment rendre compte du succès médiatique de la soirée ? Est-il dû, je reprends ma question, à l’œcuménisme, à la perspective de ravaler nos différences, et finalement d’araser le réel qui pourtant divisait non seulement les intervenants entre eux mais chacun dans son expérience ? Dans ces conditions nous n’aurions fait que contribuer à un moment religieux en quelque sorte – une version de ce que pourrait devenir le bio-psycho-social dans notre domaine !
Ou bien était-ce le supplémentaire à l’œuvre ? Je sais que des collègues d’autres associations ont dissuadé leur entourage de se déplacer (heureusement, vu la foule présente) parce que c’était l’APJL qui était la « personnalité morale accueillante » : ceux-là considèrent que nous appartenons à l’ensemble des associations de psychanalyse et que dans cet ensemble nous ne serions pas fréquentables. Ce disant, ils avouent leur conception « complémentaire » de leur institution, de leur Ecole et de toutes es associations existantes.
Se pourrait-il que l’adoption du supplémentaire confère à l’association la structure qui permet la réappropriation par chacun du moment lacanien (au-delà des seuls membres de la dite association qui n’est supplémentaire qu’à prendre l’autre association en considération d’une certaine façon) ? D’ailleurs, la « structure » de cette soirée éclaire, me semble-t-il la celle du cartel et en quoi ce dernier est adaptée à la structure d’une Ecole telle que nous l’entendons : les quatre psychanalystes formaient un groupe – complet en tant que tel. En nous proposant de les écouter et de débattre avec eux, ne nous ont-ils pas mis dans la position du plus-un – un autre nom pour le supplémentaire ? Mais c’est une place que l’on peut récuser… Pierre Bruno a conclut sa dernière intervention sur une différence entre le moment cartésien et le moment lacanien, différence qui interroge la transmission de la psychanalyse : en bref, il n’y a qu’un seul moment cartésien – que nous pouvons passer notre temps à commenter. Mais pour ce qui est du moment scientifique lacanien, chacun ne s’assure de son rapport à la psychanalyse qu’à en faire littéralement l’expérience – à effectuer ce parcours dont le cross-cap donne la structure Pierre Bruno précisait : « le disciple de Descartes est un cartésien. Le disciple de Lacan est un analysant ou un passant ». Ce qui sans doute exige la passe – soit s’offrir à être découvert à son tour par le cross-cap lui-même… Alors je ne sais pas bien comment répondre à la question qui porte sur la nature du regroupement qui a eu lieu avec nos collègues belges. Et sans doute n’est-il pas possible de répondre « pour tous » : il dépend finalement de l’accueil de chacun de ceux qui s’en est enseigné que ce moment prenne la portée éventuelle d’un « faire école ». Et quelques questions témoignaient du fait que quelques uns ont su saisir cette opportunité. Le fait que cela vaille pour quelques uns suffit-il à conclure que cela valait, du coup, pour les autres ?
(1) « Je poserai, si je puis dire, cette année la question de savoir si, quant à ce dont il s’agit, à savoir le nouement de l’Imaginaire, du Symbolique et du Réel, il faille, cette fonction supplémentaire en somme d’un tore de plus, celui dont la consistance serait à référer à la fonction dite du Père. C’est bien parce que ces choses m’intéressaient depuis longtemps, quoique je n’avais pas encore à cette époque trouvé cette façon de les figurer, que j’ai commencé Les Noms-du-père. Il y a en effet plusieurs façons d’illustrer la manière dont Freud, comme c’est patent dans son texte, ne fait tenir la conjonction du Symbolique, de l’Imaginaire et du Réel que par les Noms-du-père. Est-ce indispensable ? Ce n’est pas parce que ça serait indispensable et que je dis là-contre que ça pourrait être controuvé que ça l’est, en fait, toujours ! /Il est certain que quand j’ai commencé à faire le séminaire Les Noms¬-du-Père, et que j’ai, comme certains le savent, au moins ceux qui étaient là, que j’y ai mis un terme, j’avais sûrement – c’est pas pour rien que j’avais appelé ça Les Noms-du-Père et pas Le Nom-du-Père ! J’avais un certain nombre d’idées de la suppléance que prend le domaine, le dis¬cours analytique, du fait de cette avancée par Freud des Noms-du-Père, ce n’est pas parce que cette suppléance n’est pas indispensable qu’elle n’a pas lieu. Notre Imaginaire, notre Symbolique et notre Réel sont peut-être pour chacun de nous encore dans un état de suffisante dissociation pour que seul le Nom-du-Père fasse nœud borroméen et tenir tout ça ensemble, fasse nœud du Symbolique, de l’Imaginaire et du Réel. Mais ne vous imaginez pas que, (ce serait bien pas dans mon ton habituel), je sois en train de prophétiser que du Nom-du-Père dans l’analyse et aussi bien que du Nom-du-Père ailleurs, nous puissions d’aucune façon nous passer pour que notre Symbolique, notre Imaginaire et notre Réel, comme c’est votre sort à tous ne s’en aillent très bien chacun de son côté. Il est certain que, sans qu’on puisse dire que ceci constitue un progrès, car on ne voit pas en quoi un nœud, de plus sur le dos, sur le col et ailleurs ! on ne voit pas en quoi un nœud, un nœud réduit à son plus strict constituerait un progrès, de ce seul fait que ce soit un minimum, ça constitue sûrement un progrès dans l’Imaginaire, c’est-à-dire un progrès dans la consistance. Il est bien certain que dans l’état actuel des choses, vous êtes tous et tout un chacun aussi inconsistants que vos pères, mais c’est justement du fait d’en être entièrement suspendus à eux que vous êtes dans l’état présent (RSI, Leçon V, 11 février 1975).
(2) ). « Ce rapport, pour préciser, rendre l’Autre absolument étranger à ce qui pourrait être ici purement et simplement secondant, est ce qui peut-être, ce soir, me forcera d’accentuer le A dont je marque cet Autre comme vide, de quelque chose de supplémentaire, un « H » , le « Hautre » qui ne serait pas une si mauvaise manière de faire entendre la dimension de « Hun » qui peut ici entrer en jeu, soit de nous apercevoir que, par exemple, tout ce que nous avons d’élucubrations philosophiques n’était pas par hasard sorti d’un nommé Socrate manifestement hystérique, je veux dire cliniquement. Enfin, nous avons le rapport de ses manifestations d’ordre cataleptique. Le nommé Socrate, s’il a pu soutenir un discours dont il n’est pas pour rien qu’il est à l’origine du discours de la science, c’est très précisément pour avoir fait venir, comme je le définis, à la place du semblant, le sujet. Et ceci, il l’a pu très précisément en raison de cette dimension qui, pour lui, présentifiait le « Hautre » comme tel, à savoir cette haine de sa femme, pour l’appeler par son nom : cette personne, c’était sa femme au point qu’elle « s’affemmait » à tel point que, lui, il a fallu au moment de sa mort qu’il la prie poliment de se retirer pour laisser à la dite, la dite mort, toute sa signification politique. C’est simplement une dimension d’indication concernant le point où gît la question que nous sommes en train de soulever » (Le savoir du psychanalyste, 3 mars 1972).
(3) Une fois le contexte donné, voici l’introduction du cross-cap proprement dite, non sans un détour : « Le trou de l’autre bord peut pourtant se supplémenter autrement, à savoir d’une surface qui, d’avoir la double boude pour bord, le remplit ; – d’une autre bande de Moebius, cela va de soi, et cela donne la bouteille de Klein. /II y a encore une autre solution : à prendre ce bord de la découpe en rondelle qu’à le dérouler il étale sur la sphère. A y faire cercle, il peut se réduire au point : point hors-ligne qui, de supplémenter la ligne sans points, se trouve composer ce qui dans la topologie se désigne du cross-cap. /Ce point aussi bien s’étale-t-il de la, ligne insaisissable dont se dessine dans la figuration du cross-cap, la traversée nécessaire de la bande de Moebius par la rondelle dont nous venons de la supplé¬menter à ce qu’elle s’appuie sur son bord » (Autres écrits, p. 471).
