Il convient de se mobiliser autour de l’autisme. Et pour cela distinguer ce qui fait réellement débat et ce qui fait seulement polémique, et, ce, aux différents niveaux mobilisés justement – expérientiel, éducatif, médical, clinique (soin psychique), théorique, politique. Les deux écueils majeurs sont le faux débat (prétexte, instrumenté, entre-soi) et la vraie polémique – qui rajoutent de la souffrance à la souffrance.
1 –Au départ, il y a le niveau-même de l’existence et de l’expérience de l’autisme, avant même de nous expliquer sur ce que nous appelons exactement ainsi les uns et les autres : c’est le niveau de l’angoisse, de la haine, de la violence, de l’enfermement, réduit, dans le meilleur des cas, au seul fonctionnement psychique spécifique, de sujets dits autistes – présence de « troubles » qualitatifs quant au langage et à la communication, quant aux relations sociales, et quant aux activités de jeu et des intérêts. A ce niveau se situe(nt) aussi la détresse ou les difficultés des parents, de l’entourage, le désarroi des enseignants et des éducateurs, et, finalement l’inadaptation des institutions de la république (école, centre de loisirs, d’accueil, de soin, etc.). Enfin, il conviendrait de ne pas oublier le dénuement de tous ceux-là, qui, avec l’autisme, doivent ou devraient partager le même « vivre ensemble ».
2 – Ensuite, il y a le niveau de la querelle du diagnostic sur le fond. Pour les uns l’autisme est un handicap cognitif, langagier, social et parfois moteur, résultant de déterminations la essentiellement organiques (qui se combinent au social). Des centaines d’accidents biologiques ou génétiques se retrouvent de fait chez tel ou el autiste (jamais tous rassemblés chez le même). Mais ces « accidents » sont également associés à d’autres « pathologies ». En toute logique les auteurs devraient s’interroger sur le pourquoi d’un destin autistique ici et autre ailleurs : pourquoi les mêmes causes ne produisent-elles pas les mêmes effets ? Les tenants de cette option préfèrent conclure à l’impossibilité d’une réparation organique possible, et proposer alors que la prise en charge soit quasi exclusivement éducative et rééducative. L’exclusivité éducative est dictée par l’exclusivité biopsychosociale postulée de l’individu et de ses accidents : à cet endroit, les mêmes causes éducatives devraient produire les mêmes effets sur un handicap pourtant « polyfactoriel »). Pour les autres, quelles que soient les raisons de ce handicap, le sujet ne s’y réduit pas. L’autisme est une sorte de réponse déjà à un environnement langagier (un Autre) que ce handicap rend menaçant : le sujet est abandonné à ses soins, même s’il ne peut s’interroger sur ce qu’il est pour cet Autre et sur les raisons qui le poussent à prendre soin de lui. Le sujet aura, de toute façon, à faire avec son « handicap » et, si possible à l’intégrer dans son histoire avec d’autres. Pour que cette intégration soit réalisable, certes il convient de lui donner les moyens les meilleurs aux plans moteur, langagier, cognitif, social – mais sans omettre d’aller à la rencontre du sujet lui-même pour lui permettre autant que faire se peu de se saisir de ces moyens et de faire au moins quelques pas hors de son monde, et parfois plus. A moins de n’y voir par définition qu’une manifestation biologique, les marques affectives, les « caprices », les choix d’un objet plutôt qu’un autre, son histoire de vie (familiale et autre) aussi réduite soit-elle, et, par-dessus tout, l’angoisse, témoignent en faveur de ce sujet parfois « impuissant » devant son autisme et néanmoins « responsable » de ce qu’il pourrait éventuellement en faire.
3 – Cette querelle est redoublée d’une autre purement idéologique. Les tenants des TCC, quels que soient les mérites à évaluer de leurs méthodes, ne cessent pas de parler de la psychanalyse qu’ils connaissent souvent assez peu (c’est en cela que le risque de posture idéologique est inévitable). Ils affirment sur des fondements à discuter que la psychanalyse postulerait une détermination parentale de l’autisme et récuserait toute intervention éducative au profit d’une attente de l’émergence du désir – bien que nous venons une nouvelle fois d’écrire le contraire et que cela pourrait rester une fois de plus lettre morte. Sans doute la réaction des opposants aux méthodes comportementales est parfois dénuée de nuances. Pourtant, cette posture idéologique n’est pas au même niveau que l’accusation de violence lancée contre le caractère exclusif des mesures éducatives qui rendent sourd à leur propre exclusivité. Ce n’est pas la gentillesse, le dévouement ni même le désir des tenants des TCC qui est en cause, d’autant que c’est souvent ce qui fait leur efficacité, mais le fait de récuser à l’autiste toute position de sujet pour le réduire à l’individu à formater le plus vite possible (temps des apprentissages oblige).
4 – Il existe un quatrième plan quasiment anthropologique. Pour les TCC (pour aller vite) l’humain est le résultat de déterminations biopsychosociales. Celui qui dispose de bonnes déterminations dispose également du libre arbitre et peut raisonner correctement. Indiquons juste une conséquence de ce point de vue : celui qui ne raisonne pas sur le mode politiquement correct est soupçonné de ne pas bénéficier des meilleures conditions biopsychosociales – et donc d’être lui-même psychologiquement à problème. Cette conception, qui était celle dont les dissidents soviétiques avaient à souffrir, est aussi celle de du temps du capitalisme : l’homme est amené à se penser diversement comme un organisme vivant (cf. le biopouvoir de Michel Foucault), une machine de traitement de l’information (de la communication et des compétences), ou encore une entreprise – dans tous les cas efficace, utile, performant, rentable, flexible, économique, doué justement du libre arbitre quand il est au régime maximal..
5 – La revendication de la psychanalyse à être la seule à prendre l’autre comme un sujet lui est renvoyée comme une prétention infondée à être la gardienne de l’humanisme. Il y a quiproquo. L’hypothèse du libre arbitre est compatible avec la revendication humaniste à vouloir le bien de l’autiste : c’est au nom de la non assistance à personne en danger, et appuyé sur l’accusation purement idéologique des psychanalystes, que des associations et des politiques s’en prennent à la psychanalyse, et justifient leur droit d’ingérence humanitaire (d’intervention forcée) auprès des autistes, de leurs familles et des institutions qui n’en demandent pas toujours tant. La psychanalyse oppose à cette idéologie humaniste-là et à l’hypothèse du libre arbitre la conception finalement éthique du sujet potentiellement parlant : obligé de se poser la question de ce qu’il est dès qu’il l’ouvre, et obligé alors de mettre sa vie en récit, de l’inscrire dans un sens partageable avec quelques autres. C’est sur le bord de cette contrainte qui se pose à lui comme à tout humain que se tient l’autiste profond. De nombreux autres autistes témoignent avoir su la traiter à leur façon pour le bénéfice d’un lien social renouvelé quand ce n’est pas d’inventions culturelles et scientifiques qui bénéficient à l’ensemble de la communauté (cf. Temple Grandin, Daniel Tammet, Wendy Lawson et d’autres) : il convient de se mettre à leur école.
C’est pourquoi il s’agit de profiter de la mobilisation autour de l’autisme pour :
- préciser le savoir de la psychanalyse : montrer en quoi il nous empêche d’adopter spontanément les notions forgées par la psychiatrie désaimiste (TED et TSA) qui tente d’appréhender l’autisme à partir de catégories générales valant pour tous à l’exclusion du sujet ;
- consentir à l’inventaire des théories dites psychodynamiques (qu’en est-il exactement de Bettelheim et des premiers psychanalystes qui ont ouvert le soin psychique aux autistes ?), ainsi que des pratiques qui s’en réclament (il n’est pas sûr qu’il faille mettre dans le même ensemble et quoique l’on en pense, le packing et le suivi clinique, etc.) ;
- créer les conditions d’un débat avec les différents courants qui prendraient la mesure de l’enjeu humain, idéologique, politique de l’autisme : accepter de se parler supposerait déjà être sorti du dogmatisme théorique,
Ne peut-on faire l’hypothèse – à valider – selon laquelle, du fait de son « handicap » cognitif, langagier et social, l’autisme se présenterait comme un organisme cassé, une machine en panne, une entreprise à l’arrêt, et serait l’occasion de valider in vivo la conception organique, machinique ou entrepreneuriale de l’humain : la querelle de l’autisme contribuerait ainsi à la fabrication (au formatage) de l’individu dont le capitalise à besoin.
Au bout du compte, pourquoi pas des assises du savoir (d’abord psychanalytique ?) sur l’autisme, qui pourraient être l’occasion, outre de la mise en commun du travail précédent, de rassembler ce que les autistes nous enseignent ?
Toulouse, séminaire de l’APJL et SLC 26 février et 10 mars 2012 Marie-Jean Sauret
