Le rêve impossible de l’autiste : la métaphore paternelle

18 juin 2011
La découverte du savoir psychanalytique à l’épreuve de l’autisme. La preuve par la clinique psychanalytique

« J’ai déjà marqué que ce n’était pas l’Oedipe, que c’était foutu, que si le père était un législateur, ça donnait le Président Schreber comme enfant. Rien de plus. Sur n’importe quel plan, le père c’est celui qui doit épater la famille. Si le père n’épate plus la famille, naturellement… mais on trouvera mieux ! C’est pas forcé que ce soit le père charnel, il y en a toujours un qui épatera la famille dont chacun sait que c’est un troupeau d’esclaves. Il y en aura d’autres qui l’épateront. Vous voyez comme la langue française peut servir à bien des choses. Je vous ai déjà expliqué ça la dernière fois, j’avais commencé par un truc : « fondre » ou « fonder d’eux un Un », au subjonctif, c’est le même truc : pour fonder il faut fondre. Il y a des choses qui ne peuvent s’exprimer que dans la langue française, c’est justement pour ça qu’il y a l’inconscient. Parce que ce sont les équivoques qui fondent dans les deux sens du mot, il n’y a même que ça » (Le Savoir du psychanalyste, 1er juin 1972).

Avec la présente intervention, je voudrais montrer deux articulations logiques : d’une part comment, au temps de la symbolisation primordiale, il y a un moment où si la mère n’est pas subjectivée, réalisée comme sujet, elle reste « insubjectivable », sans doute l’os de l’affaire pour l’autiste qui « s’arrête au seuil du langage » (Henri Rey-Flaud) ; et, d’autre part, souligner ce qui fait l’impossibilité de la métaphore comme rêve, laquelle laisse l’autiste à son désastre subjectif. Bref, il s’agit d’approcher l’une ou l’autre « figure » de « l’insondable décision de l’être ».

Le travail de ce séminaire nous a conduits à « identifier » tel (tout ?) autiste à ses « lignes d’erre » (d’R), mieux dites « d’existence » : il s’y maintient comme sujet d’une trace – assujet – dont il s’ingénie à protéger le caractère de « proto-écriture » – une écriture qui est déjà une marque du langage et qui pourtant demeure toujours coupée de la parole. Souvenons nous du commentaire de Lacan : « La parole ne lui est pas venue. Le langage ne s’est pas accolé à son système imaginaire, dont le registre est excessivement court – valorisation des trains, des boutons de portes, du lieu noir du placard. Ses facultés, non pas de communication, mais d’expression, sont limitées à cela. Pour lui, le réel et l’imaginaire, c’est équivalent. »[1].

Dans Le savoir du psychanalyste, à propos des formules de la sexuation, Lacan rapproche le père réel de l’animal de la horde que les fils aiment à partir de ses traces préhistoriques. Il situe alors son existence d’une façon qui semble valoir pour celle de l’autiste : « Très exactement, l’existence ici joue le rôle du complément ou, pour parler plus mathématiquement, du bord »[2].

A la différence de ce qui se passe avec le père réel, l’une ou l’autre fois, un « vivant quelconque » est capable de permettre à tel autiste de quitter son « R », les sillons de son monde immuable par ce qui ressemble à une « greffe d’Œdipe »[3]. En quoi celle-ci est-elle autre chose qu’une couche supplémentaire mise par suggestion sur l’assujettissement ? Quel peut-être alors le destin de la suggestion ?

Plusieurs remarques de Pascale Macary[4] la fois dernière et de Yamina Guelouet[5] cette fois-ci nous serviront de point de départ. A prendre la ligne d’existence comme un signe, celui-ci n’est pas adressée, l’enfant est « fixé » à ses allers et retour ; celui qui se dresse pour le déchiffrer, le fait sans y être appelé, d’un bon vouloir, parfois à son insu parce que, de bonne foi, il suppose une adresse – alors que l’autiste ne se sent pas forcément concerné. Quand il se sent concerné et qu’il n’accueille pas la réaction de l’autre comme une intrusion, pourquoi cet accueil ne le névrotise-t-il pas ? Nous ne répondrons pas à toutes ses questions : elles sont là pour dire que si l’année tire à sa fin, le chantier que nous avons ouvert est, oui, encore loin d’être terminé !

L’autiste, nous a rappelé Pascale Macary, est confronté à un réel « inattrapable » : intraitable par le signifiant, faute de signifiant et de signifiant vivant. Tout se passe comme si la perte précédait l’accès au signifiant, au point de l’empêcher – à l’envers de ce que nous savons déjà du psychotique, lequel a l’objet (« dans la poche », Lacan) et en est même encombré. Dans l’autisme, la perte est emportée avec l’objet, demeurant du coup non symbolisable. Avec la ligne d’existence ou d’erre (d’R), avec ce que Pascale Macary a qualifié de « langage-organisme », l’autiste témoigne à la fois d’un arrêt au seuil du langage et d’une défense (à préciser) contre l’énonciation de l’autre quel qu’il soit.

Dit autrement, l’autiste ne passe pas au « Deux », du battement signifiant à l’articulation signifiante – passage dont José Guinart nous a présenté la topologie à Berlin. Du coup, le Un lui-même n’est pas établi : et, ce, parce que l’espace entre l’Un et le Deux, entre le S1 et le S2 est éprouvé comme un trou réel dont pourrait surgir « l’étranger indicible », envahissant, alors que c’est la place où doit venir se loger le sujet (dans la séparation)[6]. Le sujet dit autiste ne peut pas symboliser cette absence, ce vide, constitutif du langage, et développe les comportements qui le protègent et du trou et de l’envahisseur. En un certain sens, ce manque de symbolisation exprime une volonté de contention de « soi-même » (un « aimer » et un trognon de moi) qui témoigne bel et bien d’un sujet du refus du signifiant (le déni de l’Autre dont parle Henri Rey-Flaud).

Le sujet dit autiste est donc également un créateur de signes sans énonciation, pas plus la sienne que celle de l’Autre qui orienterait leur lecture (par le sujet lui-même et par quiconque) en les saisissant comme lettres. Nous sommes ainsi conduits à une première conclusion : l’adoption de la position autistique se joue entre l’incorporation du symbolique, la rencontre du langage, et la symbolisation primordiale, laquelle est comme suspendue. C’est par cette dernière que nous reprenons notre examen – en quatre « temps », ceux de ma réflexion.

Temps I : la symbolisation primordiale

Nous savons qu’il y a eu symbolisation primordiale quand nous avons affaire à un sujet parlant. Je reprends sur ce point ce que Lacan énonce dans son séminaire sur Les formations de l’inconscient (Séminaire V)[7] que je vais paraphraser aujourd’hui. « Dès qu’il y a sujet parlant, (…) il y en a toujours un troisième, le grand Autre[en plus de l’un qui l’ouvre et de l’autre y compris l’analyste auquel il s’adresse], qui est constituant de sa position de sujet en tant qu’il parle, c’est-à-dire, aussi bien, en tant que vous l’analysez » (179). Il faut d’abord qu’il y ait eu une symbolisation primordiale entre l’enfant et sa mère – « symbolisation primordiale de cette mère qui va et vient, que l’on appelle quand elle n’est pas là et que, quand elle est là, on repousse pour pouvoir la rappeler » (182). Le triangle imaginaire, mère, enfant, phallus, dessine « le premier rapport de réalité » : « c’est là que l’enfant éprouve les premières réalités de son contact avec le milieu vivant ». Ce triangle permet de saisir comment l’enfant dépend du désir de la mère – soit de la première symbolisation de la mère. Par là, « l’enfant détache cette dépendance effective du désir de la mère du pur et simple vécu de cette dépendance » (souligné par moi pour lever l’ambigüité). « Quelque chose, avance Lacan, se trouve institué, qui est subjectivé à un niveau premier ou primitif ». « Cette subjectivation consiste simplement à poser la mère comme cet être qui peut-être là ou n’être pas là », là ou pas là, déjà le battement du signifiant (181-182) : cet être là est décisif dans le désir de l’enfant. L’être de la mère est constitué de cette alternance de présence absence. J’intercale ici le fait que les lignes d’existence ou les battements dont le sujet dit autiste est capable semblent bien être l’incarnation de l’alternance maternelle – comme s’il se faisait battement.

Temps II l’insubjectivable du désir de la mère

« Avec le changement de plan, [de la relation naturelle à la relation subjectivée], poursuit Lacan, le sujet ne désire pas simplement des soins, du contact, de la présence maternelle, mais son désir à elle. En tant que la mère vit dans le monde du symbole, un monde parlant – « même si elle n’y vit que partiellement, même si elle est (…) un être mal adapté à ce monde du symbole ou qui en a refusé certains éléments », entendons que peu importe qu’elle soit névrosée, perverse ou psychotique –, « cette symbolisation primordiale ouvre tout de même à l’enfant la dimension de ce que la mère peut désirer d’autre (..) sur le plan imaginaire ». Voilà comment concrètement s’introduit le fait, chez elle, du désir d’Autre chose que de satisfaire le désir de l’enfant « qui commence à palpiter à la vie » (182).

D’où vient que nous ayons le sentiment que cette description ne convient pas en ce qui concerne le sujet dit autiste ? Il est difficile de dire que la mère n’est pas instituée, mais pas davantage que l’enfant s’est introduit à la question de ce qu’elle pourrait désirer – lui-même ne s’y prétant pas comme objet du désir. Lacan précise à propos du petit Dick que sa réalité « n’est pas absolument déshumanisée ». Elle signifie à son niveau. Elle est déjà symbolisée puisqu’on peut lui donner un sens [le partenaire langagier le peut]. Mais comme elle est avant tout, mouvement d’aller et venue, il ne s’agit que d’une symbolisation anticipée, figée, et d’une seule identification primaire, qui a des noms – le vide, le noir. Cette béance est précisément ce qui est humain dans la structure propre du sujet, et c’est ce qui en lui répond. Il n’a de contact qu’avec cette béance [je souligne les deux dernières phrases] »[8]. Les interventions d’Henri Rey-Flaud et de Pascale Macary (et maintenant de Yamina Guelouët) nous montrent qu’il y a peut-être un pas entre les lignes d’erre et les allers et retours qu’elles semblent seulement esquisser.

Quand l’enfant n’est pas autiste, il y a là un virage. « Il y a à la fois accès et il n’y a pas accès », énonce Lacan (toujours le séminaire V). C’est difficilement effectué et parfois effectué de façon fautive (« drame de ce qui arrive à ce niveau primitif d’aiguillage des perversions ») (182) : « mais c’est effectué tout de même » (182). Il faut en effet plus que la mère de la symbolisation primordiale : il faut aussi, derrière elle, l’existence de tout l’ordre symbolique dont elle dépend, qui, comme tel (en tant qu’il est toujours plus ou moins là) « permet un certain accès à l’objet de son désir ». Cet objet « est tellement marqué de la nécessité instaurée par le système symbolique, qu’il est absolument impensable autrement dans sa prévalence » : vous avez reconnu le phallus privilégié à cette place par l’ordre symbolique. C’est donc une affaire de structure (183) – dont Lacan nous prévient au même endroit qu’elle est la structure de la métaphore et de la métaphore paternelle (179).

La première épreuve de la relation à l’Autre s’effectue avec la mère en tant que symbolisée. Celui qui est à peine « infans » s’adresse à cette dernière – même au travers de vagissements – de façon articulée (cf. le fort-da) pour se faire valoir auprès de l’objet maternel « instituée » en sujet. L’enfant se trouve alors entièrement soumis à ce que Lacan n’hésite pas à appeler « la loi de la mère »[9], loi puisqu’elle est constituée comme un être parlant, mais loi incontrôlée, caprice dirions-nous (188). L’enfant est littéralement l’assujet (190) de la loi capricieuse promulguée par le sujet que son vagissement a réussi à constituer : la mère. Le petit Hans éclaire cette analyse : son angoisse est d’assujettissement (« Où est-ce que cela va me conduire ? ») et la peur, paradoxalement, le sécurise en invoquant un au-delà de l’angoisse – c’est d’ailleurs à un « désasujettissement » que procède le plombier qui dévisse le fond de la baignoire.

L’enfant autiste repasse sans arrêt sur ses propres traces, sans que cela fasse rature, car alors la première trace effacée laisserait la place au sujet que la rature représenterait auprès de l’Autre. Reste que l’éducatrice (dans le cas de Vincent, évoqué ici, à la suite d’Alain Lacombe), Mélanie Klein, telles mères sont capables d’aller chercher les signes fabriqués par l’enfant autiste : mais alors il se retrouve dans la « dépendance »[10] de l’Autre.

Lacan formalise la symbolisation primordiale avec le schéma du point de capiton, première étape de son graphe du désir. Le sujet identique au vivant y figure sous la forme d’un Delta à l’origine d’un vecteur adressé à l’Autre maternel : c’est-à-dire, qui, à la fois entérine et institue la mère comme sujet parlant, auteur de la chaîne signifiante, de la phrase à partir de laquelle l’enfant lui-même pourrait advenir comme sujet à son tour. En un sens, c’est bien à un capitonnage que l’éducatrice de Vincent est parvenue (ainsi que Mélanie Klein avec Dick), en inscrivant son claquement de langue et ses arrêts (sa station en salle de pâte à modeler) dans le langage : mais nous avions conclu, malgré l’accomplissement du désir que cette éducatrice lui a « offert », à un assujettissement. Je pondèrerai ma conclusion d’alors en indiquant qu’il conviendrait sans doute de préciser ce qui distingue une vie comme acting out et sa réduction au « jeu » d’une marionnette de l’Autre.

Temps III L’œdipe pour celui qui a raturé sa trace

Que se passe-t-il alors pour l’enfant qui a spontanément « raturé » sa trace (nous quittons un instant notre autiste) ? Pour celui-là, la symbolisation primordiale permet le virage qui le confronte à l’Œdipe. Lacan semble ici ne pas distinguer névrose, psychose et perversion.

Le progrès du complexe d’Œdipe consiste dans la substitution du père comme « symbole ou signifiant » à la place de la mère (180), et c’est dans le triangle mère-enfant-phallus qu’intervient le père, lequel se présente à l’observateur comme réel, à condition qu’il ait reçu son nom de ce que Lacan appelle ici « les institutions », excluant la science et la sociologie des rôles. « Que le père (…) soit le véritable agent de la procréation, n’est en aucun cas une vérité d’expérience » (180). Ainsi, sans doute dans les sociétés primitives qui attribuent la fécondation à la rencontre de telle pierre, chacun sait bien qu’il y faut un coït : l’important étant que le nom de père soit attribué à l’homme de la relation sexuelle et non plus à la pierre ! La qualification du père comme procréateur (ce que Lacan appelle ici le Nom du Père) ne dépend pas de la saisie de la consécution « coït, grossesse, accouchement » : cette qualification se situe au niveau symbolique. Nous sommes passés du plan du sujet, l’enfant, à celui du discours qu’il habite avec les parents qui l’ont précédé.

Suit un passage plus difficile à saisir, car il distingue l’ordre symbolique des formes culturelles avec lesquelles on aurait une pente à le confondre (en quoi Lacan n’est pas interculturaliste) : « Elle [cette qualification] peut être réalisée selon les diverses formes culturelles, mais elle ne dépend pas comme telle de la forme culturelle, c’est une nécessité de la chaîne signifiante ». C’est là pour nous un point décisif : « Du seul fait que vous instituez un ordre symbolique, quelque chose répond ou non à la fonction définie par le Nom du père » – je le souligne – « et à l’intérieur de cette fonction vous mettez des significations qui peuvent être différentes selon les cas [la culture a bien une incidence], mais qui, en aucun cas, ne dépendent d’une autre nécessité que de la nécessité de la fonction du père, à quoi répond le Nom-du-Père dans la chaîne signifiante » (181). Tel est le triangle symbolique (père, mère, enfant) qui s’institue dans le réel dès lors qu’il y a articulation d’une parole. En d’autre terme, ce n’est pas parce que l’éducatrice de Vincent n’a pas prononcé le mot père que, ainsi que Mélanie Klein, elle ne l’a pas inscrit dans la chaîne signifiante. Mais ce n’est pas parce que la mère l’a nommé devant son enfant qu’il entre automatiquement en fonction.

Lacan écrit les deux triangles de façon à dessiner, autour de la diagonale commune mère-enfant (sauf que d’un côté l’axe est imaginaire et dans l’autre symbolique), le carré qui deviendra le schéma R. Il indique le problème à résoudre : il existe une liaison d’ordre métaphorique entre le père et le phallus – « la position du signifiant du père dans le symbole est fondatrice de la position du phallus dans le plan imaginaire » (183) – phallus que pourtant nous avons placé « chronologiquement » avant. Le désir de l’Autre qu’est le désir de la mère comporte un au-delà (souvenons-nous du signal de l’angoisse) qui exige une médiation pour qu’il soit atteint : le père est cette médiation. Dans la visée de cet au-delà, le fétichisme montre comment l’enfant peut s’identifier au désir de la mère, et le transvestisme, au phallus caché sous le vêtement maternel. Mais, quel que soit le destin pervers ou névrosé du sujet, Lacan note que n’est alors jamais élidé le moment où le sujet prend position sur le rôle de son père dans le fait que sa mère n’a pas le phallus.

A ce point le père intervient comme privateur de la mère. Mais il ne saurait la châtrer de quelque chose qu’elle n’a pas. Il faut donc que « ce quelque chose soit déjà projeté sur le plan symbolique en tant que symbole » (185). Il revient au sujet d’enregistrer cette privation de la mère par le père : tel est le point nodal de l’Œdipe. Comme Lacan le note pour que quelque chose manque dans le réel il faut bien logiquement que cela ait été déjà symbolisé[11].

Lacan fait une remarque précieuse pour nous : « dans la mesure où l’enfant ne franchit pas ce point nodal, c’est-à-dire n’accepte pas la privation [souligné par moi] du phallus sur la mère opérée par le père, il maintient dans la règle – la corrélation est fondée dans la structure – une certaine forme d’identification à l’objet de la mère, (…) objet rival (…), et, ce, qu’il s’agisse de phobie, de névrose ou de perversion » (185). Lacan situe là un point de repère pour inviter à interroger, dans les observations concernées, « la configuration spéciale du rapport à la mère, au père, et au phallus qui fait que l’enfant n’accepte pas que la mère soit privée par le père de l’objet de son désir » (185-186).

Lacan précise que la psychose (à quoi nous ne réduirons pas l’autisme pour l’instant) est également concernée et que la phase qu’il s’agit pour l’enfant de traverser l’oblige à « choisir » entre être ou ne pas être le phallus (l’allusion à Hamlet est explicite) (186)[12]. Avoir ou non le phallus, ce n’est pas avoir ou non le pénis. Entre les deux il y a le complexe de castration dans lequel doit intervenir « réellement, effectivement, le père » (186). Que le garçon devienne un homme et la fille une femme est réglé par ce complexe : quel que soit le sujet, mâle ou femelle, ceci « suppose que, pour l’avoir, il faut qu’il y ait eu un moment où il ne l’avait pas. On n’appellerait pas ce dont il s’agit complexe de castration si, d’une certaine façon, cela ne mettait pas au premier plan que, pour l’avoir, il faut d’abord qu’il ait été posé qu’on puisse ne pas l’avoir, si bien que la possibilité d’être castré est essentielle dans l’assomption du fait d’avoir le phallus’ « (186). Donc, si le sujet n’accepte pas la castration, qu’il soit homme ou femme, « cela l’entraîne à être le phallus » (187).

Qu’en est-il alors pour l’autiste vu que le désir de la mère au moment de la symbolisation primordiale n’a pas été subjectivée et que, donc, il n’est pas question que le père, dans la métaphore paternelle, donne signification à son désir qui est refusé ! Par parenthèse, en tant que l’enfant autiste reste fixé à une identification sans adresse et bien qu’il ne franchisse pas la frontière de l’Œdipe, il ne se retrouve pas non plus dans la position d’être le phallus : ce qui contribue bien à le distinguer de ce que présentent apparemment d’autres psychotiques.

Temps IV La métaphore comme rêve

Quel est la fonction du père là dedans ?

Nous savons que pour que le père puisse intervenir, il faut qu’il soit déjà constitué à l’extérieur du sujet comme symbole : le père ne peut intervenir comme tel que « revêtu de ce symbole » (187). Le père réel est celui qui peut porter une interdiction. Laquelle – dans la mesure où la mère est suffisante pour arrêter la séduction de l’enfant (quand il est encore proche du « être le phallus ») en dépréciant ce qu’il présente (cf. le petit Hans) et « proférant l’interdiction du nouvel instrument ».

Le père intervient de droit comme porteur de la loi – celle de l’interdit de l’inceste, qu’il n’a même pas à promulguer – en tant qu’il fait obstacle entre l’enfant et la mère. Mais en tant qu’il est culturellement le porteur de la loi, investi par le signifiant du père, il intervient autrement, de façon plus concrète : et c’est là que se voit ses éventuels manques à intervenir (187-188). Pour saisir ce qu’est cette intervention concrète dont Lacan nous dit qu’elle est échelonnée, il faut repartir de la symbolisation primordiale telle qu’il la résume dans le premier état du graphe du désir.

Nous sommes ainsi amenés à interroger le rapport de la mère au père : pas au sens sociologique de la qualité de leur relation. A ce niveau, il est évident que cela foire toujours plus ou moins. Il s’agit bien du cas qu’elle fait de sa parole – « en tant que ce qu’il dit n’est pas absolument équivalent à rien » (191). A noter que Lacan évoque ici le respect et l’amour, termes qu’il reprendra dans son Séminaire RSI où il dira qu’un père ne les mérite que s’il fait d’une femme la cause de son désir[13]. Cette fois, Lacan insiste sur le fait qu’à cette première étape, pour plaire à la mère, il suffit à l’enfant d’essayer d’être l’objet satisfaisant de la mère : à ceci près qu’elle, elle est aussi « à la poursuite de son propre désir, et quelque part, par là, s’en situent les constituants » (192).

Survolons les trois temps de l’Œdipe. Je m’en tiens quasiment au résumé que Lacan lui-même propose.

Première étape, « celle où la métaphore paternelle agit en soi »[14] : « Premièrement, l’instance paternelle s’introduit sous une forme voilée, ou non encore apparue. Il n’empêche que le père existe dans la réalité mondaine, je veux dire dans le monde, du fait qu’y règne la loi du symbole. De ce fait la question du phallus est déjà posée quelque part dans la mère, où l’enfant doit la repérer » (194).

« Deuxième temps (…), sur le plan imaginaire, le père intervient bel et bien comme privateur de la mère, ce qui veut dire que la demande adressée à l’Autre [de l’enfant, à la mère], si elle est relayée comme il convient, est renvoyée à une cours supérieure (…) ». Hans, encore lui confirmerait cette lecture a contrario : tant que la mère l’assujettit à son caprice, il est angoissé et phobique. Dans la mesure même où la parole du père, ne fait pas la loi à sa cette mère, il ne peut se brancher sur ce qu’elle attendrait du père. Le père ici, est située comme l’Autre de l’Autre en quelque sorte[15].

Troisième étape de l’Œdipe, une fois traversée le second temps, « il faut maintenant, au troisième temps, que ce que le père a promis, il le tienne. Il peut donner ou refuser en tant qu’il l’a, mais le fait qu’il l’a, lui, le phallus, il faut qu’il en fasse la preuve » (193). Alors peut se produire la bascule qui réinstaure l’instance du phallus comme objet désiré de la mère, et non plus seulement comme objet dont le père peut priver » (193)[16].

« Troisièmement, le père est révélée en tant que lui l’a. C’est la sortie du complexe d’Œdipe. Cette sortie est favorable pour autant que l’identification au père se fait à ce troisième temps, où il intervient en tant que celui qui l’a. Cette identification s’appelle Idéal du moi. Elle vient s’inscrire dans le triangle symbolique au pôle où est l’enfant, dans la mesure où c’est au pôle maternel que commence à se constituer tout ce qui sera ensuite réalité, tandis que c’est au niveau du père que commence à se constituer tout ce qui sera par la suite surmoi » (194). Aussi bien dans ces triangles que dans le graphe, Lacan inscrit alors I (à la place respectivement de E et du Delta).

Cette évocation du surmoi anticipe sur la façon dont Lacan le corèlera à l’impératif de jouissance, laquelle est introduite ici par le père réel. Et sans doute suggère-t-elle de distinguer selon que le sujet consent à la fonction du père ou non (forclusion paranoïaque), consent à l’identification Idéale ou non (ce qui le livre au Surmoi de la schizophrénie), demeure fixé au battement de la symbolisation primordiale (autisme). Ainsi serait fondée en raison la distinction de l’autisme et des autres psychoses, même si la forclusion est dans les conséquences de chacune de ces postions.

Alors le complexe d’Œdipe décline. Qu’est-ce à dire ? Tout se passe ainsi que dans un rêve : avec la métaphore paternelle l’enfant est déchu de la puissance sexuelle qui commençait à s’éveiller, au profit de l’institution de « quelque chose qui est de l’ordre du signifiant, qui est là en réserve, et dont la signification se développera plus tard. L’enfant a tous les droits à être un homme, et ce qui pourra plus tard lui être contesté au moment de la puberté est à rapporter à quelque chose qui n’aura pas complètement rempli l’identification métaphorique à l’image du père, pour autant qu’elle se sera constituée à travers ses trois temps » (195). D’où l’étonnante conclusion de Lacan : « en tant qu’il est viril, un homme est toujours plus ou moins sa propre métaphore », ce qui ne va pas sans un certain ridicule. Une femme n’a pas à se charger de cette identification ni à conserver ce titre de virilité : elle sait où aller chercher ce titre – du côté d’un homme. Une vraie féminité a toujours une dimension d’alibi et une vraie femme « toujours quelque chose d’un peu égaré » (195).

Ne sommes nous pas confirmés à voir dans la conclusion de la métaphore paternelle l’accomplissement d’un rêve ? Un désir refoulé est accompli. Le sujet s’est démené pour acquérir les moyens de sa jouissance et voilà qu’au moment de conclure il sombre dans le sommeil de la soi-disant période de latence –soit disant puisqu’il en sortira le fantasme constitué . Le réveil s’effectue avec la puberté et le désir sexuel – qui nous oblige à voir dans le sommeil un temps pour comprendre… Cette thèse fait résonner différemment l’identification par Lacan de l’Œdipe à un rêve de Freud.

J’ai insisté pour rapprocher du sujet dit autiste avec le père réel, ce qui pourrait vous étonner. Pour nous, se peut-il qu’il incarne celui dont Lacan avance qu’« il faut qu’il y en ait un pour qui rien ne laisse à désirer »[17], le père réel, sans lequel il est impossible de se repérer ? On n’interprète pas le père réel, nous rappelle encore Lacan : c’est qu’il ne rêve pas… Ce qui rendrait compte de la pente de certains psychanalystes à se retrouver en position analysante avec le sujet dit autiste !

Quand l’autiste renonce à incarner ce réel (dans un mixte de réel et d’imaginaire et de symbolique), c’est quand même pour se tenir à bonne distance du désir de l’autre. Sur la fin de nos rencontres, Mathieu, que j’ai reçu près de 15 ans, était fier de me montrer à chaque visite l’adresse qu’une jeune fille, à chaque fois différente, lui avait donnée dans le train : un ersatz du rêve impossible de l’autiste, un rêve de rêve. Après s’être présentée comme autiste une jeune femme m’a adressé un travail universitaire de très bonne tenue, où elle explique entre autre les mécanismes du désir. Les sujets dits autistes n’ont pas fini de nous surprendre… Le sujet dit autiste ne peut pas constituer le métaphore paternelle parce que en deça le désir de la mère n’est pas subjectivé. Isabelle Morin me rappelle qu’Henri Rey Flaud parle des mères d’autistes au niveau de leurs rêves : certaines pantomimes de l’enfant autiste pallient au défaut de la rêverie maternelle (comme l’enfant se fait le battement où la mère n’advient pas absolument)[18]. Cette conception empruntée à Bion fait de la rêverie de la mère le lieu de la traduction des empreintes en images qu’il revient ensuite au bébé d’accueillir comme signes. Si la mère n’est pas instituée en sujet, elle ne rêve pas, et, sans son rêve, la métaphore paternelle ne prend pas : aucune chance qu’elle devienne un rêve. Mais l’autiste ne peut-il pas en contrepartie constituer un rêve de rêve (quelque chose qui aurait à voir avec le semblant de semblant construit par le jeune homme dont nous a parlé Yamina Guelouët) qui ouvre à un univers un peu démachiné ? A cela nous pouvons essayer de contribuer.

« L’opacité de ce noyau qui s’appelle jouissance sexuelle et dont je vous ferai remarquer que l’articulation dans ce registre à explorer qui s’appelle la castration ne date que de l’émergence historiquement récente du discours psychanalytique, voilà, me semble-t-il, ce qui mérite bien qu’on s’emploie à en formuler le mathème, c’est-à-dire à ce que quelque chose se démontre autrement que de subi, subi dans une sorte de secret honteux, qui, pour avoir été par la psychanalyse publié, n’en demeure pas moins aussi honteux, aussi dépourvu d’issue, c’est à savoir que la dimension entière de la jouissance, à savoir le rapport de cet être parlant avec son corps – car il n’y a pas d’autre définition possible de la jouissance – personne ne semble s’être aperçu que c’est à ce niveau-là qu’est la question. Qu’est-ce qui, dans l’espèce animale, jouit de son corps et comment, certainement nous en avons des traces chez nos cousins les chimpanzés qui se déparasitent l’un l’autre avec tous les signes du plus vif intérêt. Et après ? A quoi est-ce que tient que chez l’être parlant, ce soit beaucoup plus élaboré, ce rapport de la jouissance qu’on appelle, au nom de ceci qui est la découverte de la psychanalyse, que la jouissance sexuelle émerge plus tôt que la maturité du même nom. Ça semble suffire à faire infantile tout ce qu’il en est de cet éventail, court sans doute, mais non sans variété, des jouissances que l’on qualifie de perverses. Que ceci soit en relation étroite, avec cette curieuse énigme qui fait qu’on ne saurait en agir avec ce qui semble directement lié à l’opération à quoi est supposée viser la jouissance sexuelle, qu’on ne saurait d’aucune façon s’engager dans cette voie dont la parole tient les chemins, sans qu’elle s’articule en castration, il est curieux que ce n’est jamais avant un …, je ne veux pas dire un essai, parce que, comme disait Picasso : « Je ne cherche pas : je trouve », « je n’essaie pas, je tranche », avant que j’aie tranché que le point clé, le point nœud, c’était « lalangue » et dans le champ de « lalangue », l’opération de la parole. Il n’y a pas une interprétation analytique qui ne soit pour donner à quelque proposition qu’on rencontre sa relation à une jouissance, à quoi… qu’est-ce que veut dire la psychanalyse ? Que cette relation à la jouissance, c’est la parole qui assure la dimension de vérité. Et encore n’en reste-t-il pas moins assuré qu’elle ne peut d’aucune façon la dire complètement. Elle ne peut, comme je m’exprime, que la mi-dire, cette relation, et en forger du semblant, très précisément ce qu’on appelle – sans pouvoir en dire grand chose justement : on en fait quelque chose, mais on ne peut pas en dire long, semble-t-il, sur le type – le semblant de ce qui s’appelle un homme ou une femme ».

(Le Savoir du psychanalyste, le 2 décembre 1971).

[1] – Jacques Lacan, Le séminaire livre 1 – Les écrits techniques de Freud (1953-1954), Paris, Seuil, p. 99. Alain Lacombe relève un autre bout de phrase de Lacan : Dick « …n’a pas accédé à la réalité humaine puisqu’il ne fait entendre aucun appel … ».(p. 100)

[2] – « Il n’y a d’évènement que ce qui se connote dans quelque chose qui s’énonce. II s’agit de structure. Qu’on puisse parler de « Tout-homme » comme étant sujet à la castration, c’est ce pourquoi, de la façon la plus patente, le mythe d’Oedipe est fait. Est-il nécessaire de se mettre à retourner à des fonctions mathématiques pour énoncer un fait logique qui est celui-ci : c’est que, s’il est vrai que l’inconscient est structuré comme un langage, la fonction de la castration y est nécessitée, c’est exactement en effet ce qui implique quelque chose qui y échappe. Et quoi que ce soit qui y échappe, même si ce n’est pas – pourquoi pas, car c’est dans le mythe – quelque chose d’humain, après tout, mais pourquoi ne pas voir le père du meurtre primitif comme un orang-outang, beaucoup de choses qui coïncident dans la tradition, la tradition d’où tout de même il faut dire que la psychanalyse surgit : de la tradition judaïque. Dans la tradition judaïque, comme j’ai pu l’énoncer, l’année où je n’ai pas voulu faire plus que mon premier séminaire sur les « Noms du Père », j’ai quand même eu le temps d’y accentuer que dans le sacrifice d’Abraham, ce qui est sacrifié, c’est effectivement le père, lequel n’est autre qu’un bélier. Comme dans toute lignée humaine qui se respecte, sa descendance mythique est animale. De sorte qu’en fin de compte, ce que je vous ai dit, l’autre jour, de la fonction de la chasse chez l’homme, c’est de ça qu’il s’agit, je ne vous en ai pas dit bien long, bien sûr, j’aurai pu vous en dire plus sur le fait que le chasseur aime son gibier, tels les fils, dans l’évènement dit primordial dans la mythologie freudienne, ils ont tué le père… comme ceux dont vous voyez les traces sur les grottes de Lascaux, ils l’ont tué, mon Dieu, parce qu’ils l’aimaient, bien sûr, comme la suite l’a prouvé, la suite est triste. La suite est très précisément que tous les hommes,  » de x, A renversé, l’universalité des hommes est sujette à la castration. Qu’il y ait « une exception, nous ne l’appellerons pas, du point d’où nous parlons, mythique. Cette exception, c’est la fonction inclusive : quoi énoncer de l’universel, sinon que l’universel soit enclos, enclos précisément par la possibilité négative. Très exactement, l’existence ici joue le rôle du complément ou, pour parler plus mathématiquement, du bord. Et c’est ce qui inclut ceci qu’il y a quelque part un tout x, un tout x qui devient un tout petit a – je veux dire un A renversé de (a) :  » a – chaque fois qu’il s’incarne, qu’il s’incarne dans ce qu’on peut appeler « Un être », « Un être » au moins qui ne se pose que comme être et à titre d’homme nommément » (Jacques Lacan, Le Savoir du psychanalyste, 1er juin 1972).

[3] – « C’est le discours de Mélanie Klein qui greffe brutalement sur l’inertie moïque initiale de l’enfant les premières symbolisations de la situation œdipienne » (100) ; Lacan indique ailleurs que Mélanie Klein « a plaqué la symbolisation du mythe d’Œdipe » (p. 100), elle a donné le « noyau », une « petite cellule palpitante de symbolisme » (ibidem), elle « livre le schéma de l’Œdipe » (101) – à un enfant qui dispose finalement de tous les éléments de la structure : mais qui ne lui sont pas venus dans le bon ordre (102) et dont l’œil n’est du coup pas à la bonne place pour les entrevoir… ‘Jacques Lacan, Le séminaire I : Les écrits techniques de Freud (1953-1954), Paris, Seuil, 1975) [4] – Pascale Macary, « La Bejahung et le trait unaire : retour aux fondamentaux », Assemblée de Toulouse La découverte du savoir psychanalytique à l’épreuve de l’autisme. La preuve par la clinique psychanalytique, le samedi 14 mai 2011. [5] – Yamina Guelouët, « L’autisme, incarnation d’un primordial refus », Assemblée de Toulouse La découverte du savoir psychanalytique à l’épreuve de l’autisme. La preuve par la clinique psychanalytique, le samedi 18 juin 2011.

[6] – D’où la difficulté soulignée à plusieurs reprises sur la liste de l’APJL par Barbara Bonneau pour parler de S1.

[7] – Jacques Lacan, Le séminaire Livre 5 : Les formations de l’inconscient (1957-1958), Paris, Seuil, 1998, sauf indications contraires, les pages entre parenthèse renvoient à ce séminaire.

[8] – Le séminaire I, op. cit., p. 82

[9] – Geneviève Morel exploite cet aspect dans La loi de la mère, essai sur le sinthome sexuel, Paris, anthropos, 2008.

[10] – Le séminaire I, op. cit., p. 103.

[11] – Lacan est ici freudien : « L’on ne peut apprécier à sa juste valeur la signification du complexe de castration qu’à la condition de faire entrer sa survenue à la phase du primat du phallus ». Au stade dit par Freud « de l’organisation génitale infantile, il y a bien un masculin, mais pas de féminin ; l’opposition s’énonce ici : organe génital masculin ou châtré » (Sigmund Freud, « L’organisation génitale infantile », La vie sexuelle, Paris, P.U.F., 1969, pp. 115 et 116). Pour l’enfant, la mère est à situer côté masculin. La découverte de la castration est d’abord découverte de la « castration » maternelle d’abord associée au phallus.Et sur ce point, Lacan rectifie Freud : légitimement, il qualifie le manque de la mère (manque de la mère subjectivé non pas par la mère mais par l’enfant) de privation et non de castration. Toujours aux yeux de l’enfant, le père réel est l’agent de cette privation.

[12] – Ce terme de « choix » est à nuancer dans la mesure où l’enfant est à la fois actif et passif : « ce n’est pas lui qui tire les ficelles du symbolique [toujours souligné par moi]. La phrase a été commencée avant lui, a été commencées par ses parents, et ce à quoi je vais vous amener, c’est précisément au rapport de chacun de ces parents à cette phrase commencée, et à la façon dont il convient que la phrase soit soutenue par une certaine postion réciproque des parents par rapport à cette phrase » (186).

[13] – « Un père n’a droit au respect, sinon à l’amour, que si le dit, le dit amour, le dit respect, est, vous n’allez pas en croire vos oreilles, père-versement orienté, c’est-à-dire fait d’une femme, objet petit a qui cause son désir » (leçon du 21 janvier 1975).

[14] – « Au premier temps et à la première étape [de l’Œdipe], il s’agit donc de ceci – le sujet s’identifie en miroir à ce qui est l’objet du désir de la mère. C’est l’étape phallique primitive, celle où la métaphore paternelle agit en soi, pour autant que la primauté du phallus est déjà instauré dans le monde par l’existence du symbole du discours et de la loi. Mais l’enfant n’en attrape que le résultat. Pour plaire à la mère (…) il faut et il suffit d’être le phallus. A cette étape, beaucoup de choses s’arrêtent et se fixent dans un certain sens. Selon la façon dont le message se réalise en M (la mère comme sujet institué par l’enfant], peuvent se fonder un certain nombre de troubles et de perturbations, parmi lesquels ces identifications que nous avons qualifiées de perverses » (192).

[15] – . Dans la conception de cette époque, donc, l’enfant rencontre l’Autre de l’Autre, la loi à laquelle l’Autre est soumis, ou plus exactement selon laquelle la mère est privée. Tel est le nœud de l’Œdipe : « ce qui détache le sujet de son identification le rattache en même temps à la première apparition de la loi sous la forme de ce fait, que la mère est dépendante d’un objet qui n’est plus simplement l’objet de son désir, mais un objet que l’Autre a ou n’a pas » (192). Tel est la clef de l’Œdipe : la relation de la mère non pas au père mais à la parole du père.

[16] – Est-ce si éloigné de la père-version que Lacan posera comme une nécessité au niveau du couple parental pour que l’enfant puisse accéder et à sa postion de sujet et à son sexe[16] ? Lacan note que c’est en quelque sorte grâce à lui que l’analyse du complexe d’Œdipe ne s’arrête plus au second temps : les analystes ne semblaient pas voir que le père y était privateur de la mère et non de l’enfant.

[17] – « La castration, ça veut dire quoi ? Ça veut dire surtout laisse à désirer, ça ne veut rien dire d’autre. Ben voilà ! Pour penser ça, c’est-à-dire à partir de la femme, il faut qu’il y en ait un pour qui rien ne laisse à désirer. C’est l’histoire du mythe d’œdipe, mais c’est absolument nécessaire, c’est absolument nécessaire. Si vous perdez ça, je vois absolument pas ce qui peut vous permettre de vous y retrouver d’une façon quelconque. C’est très important de se retrouver » (Jacques Lacan, Le Savoir du psychanalyste, 1er juin 1972).

[18] – Henri Rey-Flaud, Les enfants de l’indiscible peur, pp. 41 et 67.