Freud : refoulement ; inhibition/symptôme/angoisse

20 octobre 2012

Présence de la psychanalyse  à Bordeaux : l’angoisse et le réel dans la cure analytique
Lectures commentées.

Introduction

Lors de notre première rencontre Jean-François Bouhier nous a proposé une lecture commentée de la lettre de Freud adressée à Wilhem Fliess, écrite en 1894. Dans cet écrit adressé, Freud tente de répondre à cette question : « Comment nait l’angoisse ? » L’angoisse serait imputable à la sexualité et sa source relèverait du domaine physique. Elle découlerait d’une transformation de la tension sexuelle physique accumulée, et dont la décharge a été entravée. Freud établira des diagnostics différentiels entre névrose d’angoisse et mélancolie, entre névrose d’angoisse et hystérie. Il précisera les symptômes de la névrose d’angoisse, qui seraient similaires à ceux de la grande attaque d’angoisse : simple dyspnée, simples palpitations, simple sensation d’angoisse et combinaison de toutes ces manifestations. Freud se réfère à son expérience clinique, mais en 1894, son approche est celle d’un médecin, chercheur en biologie. La psychanalyse n’est pas encore née.

Par la suite, nous avons amorcé l’approche d’un texte bien plus tardif, puisqu’il date de 1915, « Le refoulement » qui est un des chapitres de Métapsychologie. C’est un recueil d’articles très importants pour la psychanalyse : Il s’agit des pulsions et de leur destin, de l’inconscient, du rêve, du Deuil et de la mélancolie et en fin, d’une note sur l’inconscient en psychanalyse. Dans cet article « Le refoulement » Freud avance sa première thèse sur l’angoisse : C’est la pulsion réprimée qui se transforme en angoisse. Un mot sur la pulsion : La pulsion est ce concept qui apparaît dès 1905 dans les « Trois essais sur la théorie sexuelle », dans ce texte de 1915, « Le refoulement » la pulsion passe au premier plan, mais c’est en 1920 dans « Au-delà du principe de plaisir » qu’elle atteindra son dernier état de théorisation dans la construction freudienne. Mais revenons à ce texte de 1915 où l’angoisse découlerait de cette pulsion réprimée, alors que le refoulement a raté. C’est à dire que ce refoulement n’aurait pas pu empêcher la sensation de déplaisir ou d’angoisse. L’angoisse serait une transposition des énergies psychiques des pulsions, elle serait secondaire au refoulement.

Aujourd’hui, Michel Mesclier a souhaité reprendre ce texte de 1915 sur le refoulement et en a souligner le passage qui lui est apparu le plus problématique. Il commentera le postulat posé par Freud, à savoir que, précédant le refoulement proprement dit, il se produit une phase primitive : le refoulement originaire. Le titre de son intervention : « le refoulement originaire, présence ou traduction ? » Par la suite, Aurélien Alliot proposera une lecture commentée d’un texte plus tardif encore : Inhibition, symptôme, angoisse, puisqu’il fut écrit en 1925. La thèse sur l’angoisse y est remaniée. Le titre de son intervention : « Les remaniements théoriques qu’impose l’angoisse ».

Le refoulement originaire, présence ou traduction ?

Lecture commentée de l’article : « Le refoulement » in Métapsychologie, 1915. Michel Mesclier.

J’ai souhaité revenir sur l’article que Freud consacre au refoulement non parce que la précédente lecture de Jean-François Bouiller me laissa insatisfait, mais parce que la lecture de Freud est si vivifiante qu’elle rouvre des questions fondamentales sur notre pratique de la psychanalyse que l’habitude et il faut le dire la paresse intellectuelle cesse de maintenir vives. Relire Freud, aussi mal traduit soit-il et sur ce point de la traduction je dirai quelques mots, le lire et encore le lire c’est revenir aux temps de la découverte sans laquelle nous ne serions rien en tant qu’analystes. Et Freud découvrit l’inconscient durant toute son existence. Si nous quittons le champ gravitationnel de cette constante recherche, si nous perdons le fil des concepts freudiens, nous devenons des astres errants, des comètes. J’espère donc ne pas trop errer pour commenter les quelques fragments de cet article qui restent à me questionner. Jean-François Bouiller m’a semble-t-il assez bien dégagé les nervures de l’article. Je suppose que vous avez saisi la raison de notre insistance à clarifier ce qui concerne le refoulement. Angoisse et refoulement sont dans l’œuvre de Freud le couple infernal qui tour à tour se dispute la place initiale, la fonction causale. Je voudrais m’arrêter sur une des articulations de cette Die Verdrängung, lorsque Freud distingue deux temps et deux régimes de refoulement. C’est aux pages 48 et 49 de l’édition de poche Idées-Gallimard. Que pouvons nous entendre ici par refoulement originaire ? Comment peut-il se produire ? Est-il synchrone à la production de l’inconscient ? Que vaut cette traduction : représentant-représentation de la pulsion ? Oui, pulsion au singulier qu’est-ce cette pulsion unique ? Comment concevoir qu’elle se fasse représenter ? Où bien qu’elle vienne en tant que pulsion une seconde fois, qu’elle se re-présente ? Et la fixation, de quoi s’agit-il ? De même à propos du refoulement secondaire, n’est-ce pas étrange cette histoire de rejetons, cette descendance du refoulement originaire ? Ce questionnement peut paraître confus. Si c’est le cas, tant mieux, car ce serait le signe de mon tâtonnement, soit que je cesse de croire savoir. C’est ainsi que je ne peux pas entendre quoi que ce soit au concept de pulsion si j’oublie que depuis le début de sa recherche Freud veut découvrir par quel mécanisme se produit la métamorphose, et même la transmutation, d’une énergie somatique endogène à fort potentiel d’excitation, en une énergie psychique, elle aussi endogène, à potentiel beaucoup plus bas, mais nanti de multiples qualités qui lui confère le pouvoir d’être vécu consciemment. Pour le dire simplement comment les flux d’excitations venant d’un organisme, en position d’extériorité interne par rapport au psychisme, se transforment-ils en activité psychique d’abord inconsciente puis consciente ? Cette question c’est toute son Esquisse d’une psychologie scientifique conçue en 1895 et qu’il ne destinait pas au public. Ou, pour illustrer cela de façon triviale, comment une soif nocturne se transforme-t-elle en un rêve de boisson fraiche ? Tout le monde pense connaître la réponse mais est-ce si évident ? Et la question se corse lorsque Freud envisage la sexualité car il ne peut pas avoir recours à la commode notion de besoin. Par quel enchainement causal un très jeune enfant passe de la réplétion du nourrissage, du plaisir des soins maternels, à cette constante recherche d‘excitations corporelles puis à cette production fantasmatique qui caractérise la sexualité infantile ? Freud répondra dans ses essais de 1905 en introduisant la notion de pulsion qu’il n’aura de cesse par la suite d’établir en tant que concept. Avec la pulsion il réalise un véritable saut intellectuel. Il introduit une discontinuité dans le champ des savoirs scientifiques et philosophiques, en un mot il surmonte la dualité cartésienne du corps et de l’esprit. Mais il ne l’annule pas en ce qu’il instaure la catégorie du psychique. Il faudra la longue élaboration de Lacan pour être enfin débarrassé de ce dualisme hérité de la tradition scolastique. Je rappelle qu’en allemand le terme Der Trieb n’impliquant pas l’idée de pulsation se trouve un peu faussé dans sa traduction par pulsion. Le drive ou le push anglais serait plus près, pusching encore mieux qui veut dire bousculade, pushing au portillon de la conscience. Mais les anglais ont traduit Trieb par instinct ce qui était conforme à leur culture naturaliste. Car, et c’est là que je veux en venir, nous ne pouvons traduire, comme nous ne pouvons penser, qu’à travers le génie propre à notre langue. Je ne peux concevoir les notions freudiennes qu’en français puisque c’est ma langue maternelle. Aurais-je appris l’allemand que ce serait une langue d’emprunt qui ne donnerait aux actes de ma pratique analytique aucun supplément d’authenticité. Ce que je peux exiger d’une traduction c’est qu’elle ne m’égare pas, qu’elle me permette d’opérer dans la praxis selon l’esprit ou plutôt selon la logique interne de la théorie freudienne telle que Lacan le reformula pour lui restituer sa portée dans l’actualité des discours. Ainsi lorsque Laplanche et Pontalis, les traducteurs de Métapsychologie, proposent représentant-représentation pour traduire Vorstellungsrepräsentanz dans la phrase : « Nous sommes donc fondés…. » ils font le choix d’orienter le lecteur français vers une conception signifiante de la présence pulsionnelle dans l’appareil psychique. Le terme Vorstellung signifie littéralement –représentation mais repräsentanz implique plutôt l’idée d’une fonction de représentance. C’est d’ailleurs cette traduction qui fut choisie dans la nouvelle édition aux P.U.F. des œuvres de Freud sous la direction d’André Bourguignon et Pierre Cotet : représentance de la représentation. Or le signifiant ne se confond pas avec sa fonction. Il est un trait différentiel susceptible d’être articulé dans une structure. Lacan avait de son coté donné comme traduction de cette notion complexe : tenant-lieu de la représentation, faisant en quelque sorte du nouage réel-signifiant le lieutenant de la pulsion dans le psychisme. Tenant-lieu et représentant ont quasiment le même sens à la nuance près qu’un tenant-lieu doit, en personne, réincarner celui qu’il représente alors que le représentant peut se contenter d’une carte de visite. Ce souci de précision est nécessaire car selon l’inclinaison des termes vous obtenez une version biologique de la pulsion, émanation du corps biologique exclue du psychisme et n’y étant traduite que par la représentance de la Vorstellung, de la représentation ; ou bien une version psychique de la pulsion présente sous les espèces d’un tenant-lieu ou plus faiblement d’un représentant ce qui implique que le réel se noue au signifiant. Cela ne donne pas tout à fait le même inconscient. Freud a toujours maintenu que la pulsion se déployait sur les deux versus, biologique et psychique, et son expression composée Vorstellungsrepräsentanz nous en donne un équivalent sémantique. Je dois dire que je réagis ici avec un peu de retard à une intervention que fit l’ancien élève, (très très ancien) de Lacan, Michel Tort, au séminaire de psychanalyse de l’École normale supérieure en mars 1966. Commentant fort savamment l’expression Vorstellungsrepräsentanz il rejette les traductions de Lacan et celle de Laplanche et Pontalis comme étant des contre-sens, des créations non fondées de concepts nouveaux. Il n’arrive pour sa part pas à grand – chose de convaincant mais l’important, n’est-ce-pas, c’est de bien calomnier. Nous pouvons nous en tenir là quand aux variantes de la traduction et nous épargner les versions espagnoles, italiennes, hongroises, ourdou, tadjic, portugaise, serbo-croates ou mandarines. Pourrait-on traduire Vortstellungsrepräsentanz dans toutes les langues du monde que cette expression resterait à-traduire. Il y aurait un reste dont il faut accepter la perte. C’est cette lacune creusant chaque langue, cet intraduisible, qui se manifeste dans le refoulement originaire. L’origine est un trou réel, pour les langues comme pour l’inconscient, qui actualise chez chaque sujet l’intrusion de la parole dans l’espèce. Et ce défaut originel fait partie de la langue comme de l’inconscient. Il s’y trouve fixé sous la forme de ce tenant-lieu de la représentation qui marque le heurt de la détresse postnatale, conditionnée par la prématuration et la défaillance de l’instinct, contre la violence du signifiant. Cette rencontre mortifère produit la pulsion. La pulsion vient là où l’instinct fait défaut et le tenant-lieu de la représentation présentifie la pulsion, à sa place. Oui à la place de, et sur cette place puisqu’elle est intenable, impossible, pour tout être parlant. Le génie de Freud fut d’avoir seul et pour la première fois conceptualisé cette fatalité du genre humain. Le postulat d’un refoulement originaire trouve ici sa nécessité et Freud, dans la suite de son article ainsi que dans une large partie du suivant : l’inconscient, décrit le mécanisme qui maintient ce tenant-lieu définitivement interdit de tout accès au préconscient, ou à la conscience, pour constituer le noyau d’un inconscient réel fermé à tout savoir. Soyons ici attentif au texte. Freud ne fait pas de ce lieu une monade close sur elle-même. Certes le Vorstellungsrepräsentanz devient sous l’effet de ce refoulement originaire, qui se poursuit indéfiniment sous le mode d’un contre-investisssement permanent, ce tenant-lieu de la représentation devient inaccessible, inconnaissable et ne fera pas retour. Mais, d’une part il reste sensible à la poussée refoulante, d’autre part il exerce une force d’attraction : « Du reste, on aurait tort de ne mettre en relief que la répulsion qui, venant du conscient, agit sur ce qui est à refouler. On prendra tout autant en considération l’attraction que le refoulé originaire exerce sur tout avec quoi il peut établir des liaisons » (Freud, Le refoulement, p. 49) Notez au passage que pour que se produise ce destin particulier de la pulsion qu’est le refoulement il faut une différenciation des instances psychiques : une topique. Il faut également que ce destin obéisse à une dynamique paradoxale faite de répulsion et d’attraction. Mais ce n’est pas tout car cette fameuse représentation de la pulsion est un amalgame qui comme tout amalgame est instable. Le tenant-lieu est bien la présence d’une re-présentation au sens radical de stellung qui vient du stare latin : position, que ne manque pas de prendre la star du Kama-sutra ( ici pensée pour Sylvia Kristel qui vient de rejoindre les étoiles), mais il est aussi, ce lieutenant de la pulsion, un quantum d’énergie, libidinale pour la dite star ou hors libido si le phallus est forclos : « Pour désigner cet autre élément du représentant psychique le nom de quantum d’énergie est admis ; il correspond à la pulsion en tant qu’elle s’est détachée de la représentation et trouve une expression conforme à sa quantité dans les processus qui sont ressentis sous forme d’affects » ( Freud, « Le refoulement », p. 55). Nous sommes là sur un troisième plan de la conceptualisation de l’appareil psychique : le plan de l’économie que Freud sémantise sous les termes d’investissement d’énergie et de contre-investissement. C’est à ce niveau que se joue l’impact du refoulement car c’est là qu’il échoue. Il peut écarter une représentation mais ne peut empêcher que le quantum d’énergie qui s’y trouvait liée s’en détache et poursuive sa trajectoire à travers les instances psychiques pour se manifester comme affect d’angoisse dans la conscience. C’est aussi l’économique qui génère ce que Freud nomme les rejetons du refoulement originaire contre lesquels va s’exercer le refoulement secondaire ou refoulement proprement dit. L’énergie libre se déplace sur de nouvelles représentations qui entrent alors en liaison avec la représentation originaire et selon le niveau d’investissement peuvent tenter un accès au préconscient déclenchant alors un nouveau refoulement. Nous sommes encore dans la première thèse sur l’angoisse avec l’enchainement : pulsion, refoulement, échec du refoulement, transformation d’une partie de l’énergie pulsionnelle en angoisse ; mais cette thèse est réversible, et Freud, devant les impasses de la cliniques, sera conduit à opérer cette révolution.

LES REMANIEMENTS THEORIQUES QU’IMPOSE L’ANGOISSE

Lecture commentée : Inhibition, symptôme, angoisse, 1925 de S. Freud. Aurélien Alliot

J’ai choisi d’intervenir sous ce titre car à la lecture de ce texte mon impression était que l’angoisse n’y était pas seulement théorisée mais un peu éprouvée. Peut-être était-ce l’angoisse propre au désir de Freud qui le poussait à avancer dans ses recherches. C’est un texte en mouvement, voir un peu mouvant. C’est un texte que j’ai trouvé difficile et que je ne conseillerai pas comme première lecture de Freud car trop technique. Nous sommes un peu comme parachuté, nous sommes d’entrée plongée dans le vif des questionnements de Freud sur de nombreux points très importants de ses travaux. Il faut faire l’effort que nous impose Freud de le suivre dans pleins de directions à la fois, opérant sans cesse des renversements entre différents opérateurs. Mais c’est aussi un texte très dynamique, l’un des derniers grands textes métapsychologique de Freud et j’espère que j’arriverai un. Cela mérite d’ailleurs peut-être de revenir rapidement sur ce qu’est la métapsychologie freudienne. Nous pouvons dire que la métapsychologie formulée par Freud décrit la réalité psychique par opposition à la réalité extérieure et selon trois principes :

  • Le principe économique qui renvoie à la libido ;
  • Le principe dynamique qui renvoie à la pulsion ;
  • Et le principe topique qui renvoie aux instances psychiques. En 1923 Freud écrit Le Moi et le Ça où il livre sa nouvelle partition de l’appareil psychique. Ce texte fait déjà suite à Au-delà du principe de plaisir qui est le livre de la seconde topique où en introduisant le ça et le sur-moi Freud différencie le moi « être de surface », « être de frontière ». Dans ISA on sent l’affirmation de cette seconde topique et c’est ce qui donne une explication plus dynamique de l’appareil psychique où ces trois instances apparaissent comme des opérateurs vraiment actif du fonctionnement d’une personne. Le moi est très souvent en position défensive. Autre concept fondamental convoqué par la lecture de ce texte est celui de la pulsion. Dans ISA Freud n’en parle pas tout de suite, il l’introduit à partir de la partie II lorsqu’il l’articule avec le symptôme. C’est à partir de ce concept que l’on arrive mieux à cerner je trouve le fonctionnement de ce que Freud appelait l’énergie psychique. Pour commencer, à la lecture du titre de ce texte il y a un questionnement sur la manière dont Freud a ordonné les trois termes. On se demande qui précède l’autre où sont la cause et la conséquence ? Est-ce que cela préfigure la façon dont Freud va dérouler sa démonstration ? Nous pouvons dire Freud tente de trouver un ordre à ISA, de les articuler ensemble. Je vais maintenant commenter les trois premières parties de ce texte au travers de plusieurs questions.

PARTIE I : COMMENT DIFFERENCIER L’INHIBITION ET LE SYMPTOME ?

Au début de ce texte, Freud tente de différencier l’inhibition du symptôme. Il montre que cela n’est pas si évident à cerner du fait du peu de valeur accordée à la différence inhérente à ces deux concepts, l’un pouvant revêtir l’aspect de l’autre et finalement en fonction de la façon dont un processus pathologique peut être abordé. Je cite : « Inhibition a une relation particulière avec la fonction et ne signifie pas nécessairement quelque chose de pathologique, (…) Symptôme au contraire ne veut rien dire d’autre qu’indice d’un processus morbide ». Mais l’inhibition peut aussi être « une restriction normale d’une fonction » donc « être aussi un symptôme ». Freud tâtonne et n’est pas satisfait de ce raisonnement. Je cite : « Tout cela n’est vraiment pas intéressant et la façon de poser la question s’avère peu féconde ». « L’inhibition est si intimement rattachée à la fonction » nous dit Freud, que pour avancer dans la compréhension, il nous propose « d’examiner les diverses fonctions du moi qui pourraient être inhibées dans chacune des affections névrotiques ». Ces fonctions sont : la fonction sexuelle, l’alimentation, la locomotion et le travail professionnel. Pour chacune d’elles, Freud fait correspondre une forme d’inhibition. Pour la fonction sexuelle : l’impuissance et la frigidité ; pour l’alimentation nous dirions aujourd’hui : l’anorexie et la boulimie ; pour la locomotion : la paralysie, l’abasie ou l’incapacité un prendre un moyen de transport ; pour le travail professionnel : la fatigue, la paralysie d’organe ou de fonction, la perte de temps. Dans chacune de ces fonctions du moi, Freud articule l’inhibition avec la forme d’affection névrotique dominante mais la délimitation n’est pas toujours nette et les choses sont devenues mouvantes depuis que Freud a introduit sa seconde topique. Avec la première topique, Freud tentait de cerner, de délimiter, trois structures, trois pôles : inconscient, préconscient, conscient. Avec la seconde topique, Freud y a identifié trois instances, trois opérateurs agissant et même fondant la structure de la première topique. C’est pour cette raison que les choses sont mouvantes dans ce texte où Freud tente de théoriser un peu plus l’angoisse. Et justement dès ce moment du texte il introduit l’angoisse en l’articulant avec l’inhibition. Je cite : « Il ne peut nous échapper longtemps qu’il y a une relation de l’inhibition à l’angoisse. Bien des inhibitions sont manifestement des renoncements à la fonction, parce que, dans l’exercice de celle-ci, de l’angoisse serait développée ». Dès le début de ce texte d’ISA on perçoit comment Freud prend l’angoisse comme point de repère et tente à partir d’elle d’articuler les deux autres termes que sont l’inhibition et le symptôme. Dans ce texte, il faut raisonner en terme topologique autour de l’angoisse, car Freud ressert l’angoisse du côté du moi, pour en faire même son lieu. Cela lui permet de mieux caractériser l’inhibition dans cette première partie. Elle est en deçà du symptôme et finalement Freud la range du côté des défenses du moi, une sorte de premier rempart qui évite le refoulement. C’est-à-dire un rabaissement de la libido plutôt qu’un substitut d’une satisfaction pulsionnelle telle qu’est le symptôme. Je cite : « Décidons-nous en faveur d’une conception qui ne laisse plus grand-chose d’énigmatique au concept d’inhibition. L’inhibition est l’expression d’une restriction fonctionnelle du moi (…) » ainsi, « le moi renonce à ces fonctions qui lui incombent pour ne pas avoir à procéder à un nouveau refoulement, pour esquiver un conflit avec le ça (…) » ou « le moi renonce aussi à ces opérations, pour ne pas entrer en conflit avec le sur-moi ». On comprend mieux que l’inhibition est un effet du moi, donc du côté de l’imaginaire. Je poursuis : « En conclusion, on peut donc dire des inhibitions qu’elles sont des restrictions des fonctions du moi, soit par précaution, soit à la suite d’un appauvrissement en énergie. Il est maintenant facile de reconnaître en quoi l’inhibition se différencie du symptôme. Le symptôme ne peut plus être décrit comme un processus dans le moi ou au niveau du moi ».

PARTIE 2 : QU’EST-CE QUI FORME LE SYMPTÔME ? D’OÙ PROVIENT L’ANGOISSE ?

Dans cette deuxième partie, Freud introduit son propos par la question de la formation de symptôme mais toujours en trame de fond avec le désir de mieux comprendre la position de l’angoisse. Je cite : « Le symptôme serait indice et substitut d’une satisfaction pulsionnelle qui n’a pas eu lieu, un succès du processus de refoulement ». Autrement dit, le symptôme serait l’expression d’une libido refoulée, refoulée par le moi et mandatée par le sur-moi. Je cite : « Le refoulement procède du moi qui, éventuellement par mandat du sur-moi, ne veut pas prendre part à un investissement pulsionnel incité dans le ça ». Mais Freud fait face au doute, il se questionne : si la pulsion est refoulée que devient-elle alors qu’elle est activée dans le ça ? Freud est en fait face à un renversement théorique part rapport à sa première théorie sur l’angoisse. Il dit lui-même un peu plus loin dans le texte qu’il faut qu’il passe d’une représentation phénoménologique à une présentation métapsychologique. En effet, je cite Freud : « La réponse était une réponse indirecte, elle était que, par le processus de refoulement, le plaisir de satisfaction que l’on pouvait attendre était transformé en déplaisir (…) ». Alors qu’elle était censée apporter une satisfaction, la pulsion se transforme en déplaisir sous l’action du refoulement. On voit bien que cela correspond à la première théorie de Freud sur l’angoisse. A savoir : « C’est le refoulement qui crée l’angoisse ». En fait, pour opérer son renversement, Freud nous explique que le moi, investi de l’énergie des pulsions extérieures et intérieures dans le préconscient et le conscient influence le ça. Ce moi que Freud à l’habitude de nous présenter comme impuissant et empêtré pour reprendre ses propos, a finalement la force nécessaire, par le moyen des sensations de plaisir-déplaisir, de détourner la libido vers le ça. En termes de la première topique, nous dirions, que l’investissement est détourné du système perceptif vers le système conscience. Et ceci nous dit Freud est lié à l’étroite relation du moi avec le système perceptif qui le différencie essentiellement du ça. Je cite : « Mais, par là, nous avons fait au moi la concession qu’il peut manifester une influence aussi étendue sur les processus dans le ça, et nous devons apprendre à comprendre par quelle voie ce surprenant déploiement de puissance lui devient possible (…). Je crois que cette influence échoit au moi par suite de ses relations intimes avec le système de perception, lesquelles constituent en effet son essence et sont devenues le fondement de sa différenciation d’avec le ça. La fonction de ce système que nous avons nommé Pc-Cs est reliée au phénomène de la conscience ; ce système reçoit des excitations non seulement de l’extérieur, mais aussi en provenance de l’intérieur, et par le moyen des sensations de plaisir- déplaisir qui l’atteignent en provenance de là, il essaie d’orienter tous les cours de l’advenir animique dans le sens du principe de plaisir. Nous aimons tant nous représenter le moi comme impuissant face au ça, mais lorsqu’il se rebelle contre un processus pulsionnel dans le ça, il lui suffit de donner un signal de déplaisir pour atteindre sa visée à l’aide de l’instance presque toute- puissante du principe de plaisir ». Cependant, reste pour Freud à expliquer d’où le moi tire cette énergie nécessaire à la production du signal de déplaisir ? Et là, Freud a recours à une explication métapsychologique et selon un principe dynamique. Pour se protéger d’un danger interne, les défenses du moi emprunteraient la même voie que face à un danger externe. De la même manière que l’être organique, devant un danger, provoque la fuite nous dit Freud, le moi psychique face à une représentation désagréable de danger, provoque le refoulement. Freud fait d’ailleurs équivaloir la tentative de fuite au refoulement. Mais surtout, cette approche métapsychologique de l’angoisse permet à Freud de révéler sa place première comme signal dans le conflit intrapsychique et lui permet ce renversement théorique. A savoir : « c’est l’angoisse qui provoque le refoulement ». Je cite Freud : « A cette réponse-là » c’est-à-dire que le moi déploie ses défenses dans le ça à l’aide du principe de plaisir « se rattachent de nouvelles interrogations. D’où provient l’énergie qui est utilisée pour la production du signal de déplaisir ? Ici la voie nous est montrée par l’idée que la défense contre un processus non souhaité à l’intérieur pourrait se produire sur le modèle de la défense contre un stimulus externe, que le moi emprunte pour se défendre contre le danger interne la même voie que contre le danger externe. En cas de danger externe, l’être organique procède à une tentative de fuite (…). C’est d’ailleurs à une telle tentative de fuite qu’équivaut le refoulement. Le moi retire l’investissement (préconscient) à la représentance pulsionnelle à refouler et l’utilise pour la déliaison-de-déplaisir (-d’angoisse). Le problème de savoir comment, dans le refoulement, l’angoisse apparaît n’est sans doute pas simple ; toujours est-il qu’on a le droit de rester attaché à l’idée que le moi est le lieu de l’angoisse proprement dit, et de repousser la conception antérieure, selon laquelle l’énergie d’investissement de la motion refoulée serait automatiquement transformée en angoisse ». Finalement, avec ce travail métapsychologique sur l’angoisse, Freud fait correspondre ses racines avec la question de l’Etre. Donc, si nous reprenons ce raisonnement, dans la première théorisation de l’angoisse où elle est secondaire au refoulement : c’est l’affect sexuel délié de la représentation refoulée qui est transformé en angoisse ; alors que dans la deuxième théorisation elle est considérée comme un signal devant l’imminence d’un danger notamment interne : l’angoisse est donc ici un processus de défense mis en place par le moi, face à l’afflux d’excitation pulsionnelle. Cependant, comme toujours chez Freud, une autre question découle de cette explication. Cette question, c’est celle de la provenance de cette angoisse ? Et là, Freud nous met en garde contre la tentative d’y répondre sur le plan de l’économie psychique. Je cite : « Je réponds que cette causation ne doit pas être expliquée économiquement, que l’angoisse n’est pas nouvellement engendrée dans le refoulement, mais reproduite en tant qu’état d’affect d’après une image mnésique ici présente ».

En fait, Freud nous dit que l’angoisse est déjà là, que c’est même un prototype d’affect et qu’elle partitionne le psychisme bien avant l’action du refoulement. Je poursuis avec Freud : « Mais avec cette nouvelle question sur la provenance de cette angoisse _ comme des affects en général _ nous quittons le terrain incontestablement psychologique et pénétrons dans le domaine limitrophe de la physiologie ». Là, Freud à recours à la tentative d’essayer d’expliquer les phénomènes psychologiques en se rapprochant du corps physique. Il laisse tout à coup tomber, momentanément, son édifice métapsychologique et passe à un autre niveau d’explication. Pour Freud, je cite : « Les états d’affects sont incorporés à la vie d’âme en tant que précipité de très anciennes expériences vécues traumatiques et sont évoqués dans des situations similaires comme symboles mnésiques ». En fait, avec cette question du symbole d’affect, Freud efflore la question de la structure de l’inconscient et rend un peu plus compte que l’Homme, être pulsionnel, est dans le symbolique. Freud va donc ensuite, à nouveau, discuter cette question du vécu de la naissance comme première expérience vécue d’angoisse. Freud discute cette corrélation naissance-angoisse. Sans surestimer cette corrélation nous dit-il, nous devons apercevoir que la création d’un symbole d’affect est de toute façon une nécessité biologique mais également que toute irruption d’angoisse ne reproduit pas la situation de la naissance. C’est avec la question du refoulement que l’angoisse est corrélée. Car Freud introduit cette distinction entre refoulement primaire et refoulement secondaire ou post-foulement. En effet, selon lui, je le cite : « La plupart des refoulements auxquels nous avons affaire dans le travail thérapeutique sont des cas de post-foulement ». Se posent alors deux questions : Est-ce l’apparition du sur-moi qui crée la délimitation entre refoulement primaire et refoulement secondaire ? Ou, est-ce la quantité d’énergie déployée au niveau pulsionnelle ou les effractions du pare-stimulus qui les différencie ? Freud reprendra cette question du refoulement originaire dans un autre texte de 1925, Die Verneinung (La Dénégation), que Lacan reprendra dans Les Ecrits à partir du commentaire de Jean-Hyppolite sur la Verneinung de Freud.

PARTIE 3 : LE MOI

Dans cette troisième partie, Freud fait une présentation de l’instance psychique désignée sous le terme de moi. Il en dresse un portrait pour ainsi dire, au travers des grands traits suivants : • Le moi se différencie du ça, il en est la part organisée. • Le moi n’est pas le sur-moi mais il est mandaté par lui. • Il emploi son énergie désexualisée à unifier, à réconcilier ses différentes parties. • Il cherche à supprimer le caractère étranger du symptôme pour l’incorporer à son organisation. • Il se satisfait du substitut de plaisir dans le ça ; • Et est puni par le sur-moi de ne pas prendre part entièrement à cette satisfaction. Pour reprendre un commentaire de ce portrait du moi dressé par Freud, dont la comparaison m’avait laissé la même impression. Ce portrait est un brin caricatural, le moi y est apparenté à un concierge d’immeuble ou à un videur de boîte de nuit. Il filtre les entrées et les sorties, refoule les agressions venues de l’extérieure, tempère les tensions et les conflits internes. Que les occupants vivent leur vie (le ça) mais que la loi soit respectée (le sur-moi). Le moi est entre deux portes, fort de la fonction et satisfait de l’occuper, faible de n’être ni dedans ni dehors. Sa condition est celle de « l’extra-territorialité », « une porte frontière à occupation mixte » nous dit Freud, c’est un porteur de symptôme qui l’identifie par rapport au ça et au sur-moi.