La psychanalyse-exil

1 mai 2009

Assemblée du comité local de Bordeaux « l’Appel des appels » .

La psychanalyse est fille de la science, bien qu’elle s’en émancipe, la prenant à rebours et s’intéressant à ses rebuts. La science vise objectivité, universalité et généralisation qui effacent les particularités au profit de catégories et lois générales ; et par un mimétisme avec la méthode scientifique, la psychiatrie biologique a établi des protocoles de diagnostic des pathologies mentales tels le DSM 4 (qui n’a de scientifique que sa prétention à l’être). Le patient qui consulte devra répondre aux items de tel ou tel questionnaire, items formulés comme s’il prenait la parole, mais c’est l’Autre du laboratoire qui la prend à sa place en anticipant et suggérant des réponses à cocher, réduisant le patient du même coup au silence. Quant aux neurosciences leurs remarquables apports restent cependant d’ordre purement quantitatif voire statistique et n’apportent aucun savoir sur le domaine subjectif. Ainsi la vie sexuelle humaine est comme pour tous les mammifères soumise à un certain nombre d’hormones, mais les hormones ne nous apprennent rien sur le choix amoureux.

La psychanalyse va prendre très au sérieux ce qui passe entre les mailles du filet de la science comme les rêves, les actes manqués, les mots d’esprit, les lapsus, ce 1% non identifiable. Pour cela elle invite le sujet qui souffre et s’adresse à elle, à prendre la parole et s’attache à son énonciation singulière. La visée étant de ne pas supprimer le symptôme mais de le déchiffrer comme un rébus, afin que le sujet puisse en désamorcer la pente aliénante tout en préservant cette part intime logée au cœur de son symptôme qui est sa marque singulière. Car un symptôme en fin de cure se transcendera en quelque chose de radicalement innovant qui ne sera pas sans conséquence pour le sujet apaisé dans son lien à l’autre et qui sera du même coup un gain pour la communauté.

Eh bien, ce que l’idéologie scientiste qui accompagne le discours capitaliste tente d’éradiquer, c’est cette part la plus intime du sujet. Comment s’y prend-elle ? En le pliant ce sujet à ses exigences, c’est-à-dire en le rendant conforme pour répondre à la loi du marché, lui faisant croire que son manque existentiel qui est de structure du fait qu’il est un être de langage, pourrait être comblé par les produits scintillants et clinquants de la technoscience. « Rendre conforme », c’est ici réduire les anomalies du comportement dès le plus jeune age (enfant hyperactif et Ritaline), c’est quadriller les populations en croisant les nouvelles données neurobiologiques, économiques et génétiques. C’est empêcher de pouvoir imaginer et penser vivre autrement.

La chasse au sujet de l’inconscient est ouverte et la psychanalyse qui parie sur l’avènement de celui-ci est fort mal traitée. Ainsi, à l’Université, lieu de la transmission des savoirs, les textes fondamentaux de la psychanalyse (S.Freud, J. Lacan, D. W.Winnicott, M. Klein…) sont très accessoires ou carrément bannis. La place faite à la psychanalyse disparaît, comme celle de la psychologie clinique. Les axes de recherche des laboratoires de psychologie sont pour l’essentiel neuro-comportementalistes et non psychologiques. Les références y sont cognitives, comportementales et les approches expérimentales et différentielles. Questionnaires, grilles d’évaluation sont traités statistiquement par des chercheurs qui ont la prétention d’interroger l’intime du patient, objet de leur investigation, sans jamais même rencontrer ces patients. Ici règnent le pragmatisme et l’efficacité chiffrables. Chasse au sujet, chasse à la parole singulière, chasse à la clinique du sujet, les étudiants s’exilent de ces Universités à l’esprit étroit et réactionnaire. Ceux qui, faute de moyens, y restent, souffrent en silence ou parfois témoignent de leur désarroi sur le divan de l’analyste. Trouver un stage pour eux devient très difficile, la demande universitaire est devenue antinomique avec le réel de la clinique du patient auquel le psychologue clinicien est confronté. Mais l’Université reste cynique et sourde, commandée par les exigences des neurosciences et de l’industrie pharmaceutique. Et la fin justifiant les moyens, nous avons vu circuler un appel d’offre pour « une veille de l’opinion »1 avec détection des leaders dans les domaines de l’éducation, de l’enseignement supérieur et de la recherche, offre du ministère de l’Éducation nationale qu’il faut qualifier d’appel à la délation. Enfin je m’arrêterai sur l’amendement du 5 mars 2009 qui invite les psychanalystes à s’inscrire sous le titre de psychothérapeute.

La psychanalyse n’a pas à être réglementée par un texte de loi, il n’y a pas de psychanalyse d’État. De plus, la psychanalyse n’a pas à être assimilée à la psychothérapie, parce qu’elle ne subordonne pas son action à la suggestion et si elle a des effets thérapeutiques, ce n’est pas sa visée. Cet amendement invite les psychanalystes à trahir leur éthique en s’inscrivant comme psychothérapeutes. Les psychanalystes ne doivent pas céder sur leur éthique, qui est une éthique du désir et de la singularité du sujet objectant à tout savoir pré-établi. Ce n’est qu’à cette condition que la pratique de l’analyste maintiendra ouvert un espace, où pourra advenir le sujet de l’inconscient, terreau d’un nouveau sujet désaliéné et acteur de sa vie dans son lien aux autres.

1. CCP n° 2008/57 du 15 octobre 2008 – page 2/8

Le dispositif de veille en question vise, en particulier sur Internet, à : Identifier les thèmes stratégiques (pérennes, prévisibles ou émergents)

Identifier et analyser les sources stratégiques ou structurant l’opinion

Repérer les leaders d’opinion, les lanceurs d’alerte et analyser leur potentiel d’influence et leur capacité à se constituer en réseau

Décrypter les sources des débats et leurs modes de propagation

Repérer les informations signifiantes (en particulier les signaux faibles)

Suivre les informations signifiantes dans le temps

Relever des indicateurs quantitatifs (volume des contributions, nombre de commentaires, audience, etc.)

Rapprocher ces informations et les interpréter

Anticiper et évaluer les risques de contagion et de crise

Alerter et préconiser en conséquence les informations signifiantes pertinentes sont celles qui préfigurent un débat, un « risque opinion » potentiel, une crise ou tout temps fort à venir dans lesquels les ministères se trouveraient impliqués.