juin 2008
Lors de ce midi -minuit , avec cinq autres auteurs, Marie Claude Lambotte a été invitée par l’Association de Psychanalyse Jacques Lacan pour un débat public autour de son livre « La mélancolie, études cliniques » paru à Paris, Economica en 2007. voir
Vous avez le mérite d’avoir patiemment élaboré la question de la mélancolie, de l’avoir abordée sous plusieurs angles, je dirais même : de tous les côtés. Votre livre rend compte de ce travail continu et de la constante remise en question de vos avancées. Il en résulte une œuvre en progression qui se poursuit, comme en témoignent vos publications dans PSYCHANALYSE n° 9 sur le narcissisme et dans ESSAIM de mai 08 sur l’exception mélancolique.
J’apprécie énormément votre façon de citer vos sources qui associe le lecteur d’emblée à la recherche. Vous revenez aux sources historiques de ce syndrome clinique décrit depuis l’Antiquité. Ainsi, j’ai eu le plaisir de retrouver ce bon vieux Freiherr Viktor von Gebsattel en bas de la page 16 !
De l’aspect phénoménologique vous avancez au discours – de l’histoire archaïque du sujet à la métapsychologie en vous appuyant sur les travaux de Sigmund Freud et de Jacques Lacan et sur votre clinique qui transparaît tout le long de l’ouvrage.
Vos avancées, sur lesquels je vous propose de revenir aujourd’hui :
I. Vous situez la mélancolie structurellement hors psychose et hors névrose, vous l’approchez plutôt de la perversion (par la cruauté sauvage du surmoi, le masochisme, du fétichisme ?) ou encore de l’addiction ( le « rien » contre la saturation symbolique ? une « a-structuration ?). Est-ce une structure autonome ? Comment pourrait-elle formulée ?
II. La figure particulière de la négativité dans la mélancolie, vous la nommez « déni d’intention ». Comment avez-vous choisi ce terme ? (Husserl ?)
III. La stabilisation clinique par l’insertion d’un objet esthétique dans le contexte de vie du mélancolique, est-ce une sorte de « greffe » imaginaire ?
Vous dîtes, et je partage pleinement ce point de vue, que le sujet mélancolique se heurte constamment au réel, aux effets de réel. La consistance imaginaire n’habille pas suffisamment le réel de l’existence. La consistance imaginaire ne tient pas bien, mais ce sujet dispose d’une symbolisation performante.
Son inscription dans le désir de l’Autre s’arrête en pleine traversée : le désir de l’Autre s’est brutalement éteint. La seule trace qui en reste est cette sensibilité pour le vide, pour l’absurde de l’existence, pour l’illusoire de toute relation (objectale) et la culpabilité de ne pas avoir su faire consister le désir de l’Autre. Le sujet mélancolique est prévenu (depuis sa naissance ?) qu’il est un reste qui va chuter sans disposer de représentations qui permettraient l’élaboration d’un fantasme. Ainsi, il renonce à la demande, qui, toujours inadéquate et partielle, relancerait le désir.
Votre élaboration situe la genèse de la mélancolie au stade du miroir : le sujet reçoit la confirmation de son entité mais sans amour, sans adresse. C’est l’enfant face à une mère perdue dans son manque à elle, l’enfant n’étant pas le phallus, n’ayant pas le phallus. Le regard de l’Autre le traverse, ne lui prête pas la consistance nécessaire pour que le sujet investisse son « moi » narcissiquement : comme un « moi » qui peut manquer à l’Autre.
Le défaut de représentation du « mal » dont souffre le mélancolique aurait donc son origine dans un défaut spéculaire. Le défaut narcissique qui en découle le ferait choisir des objets sur le mode narcissique avec la déception toujours renouvelée de ne pas rencontrer un autre suffisamment fiable et compréhensif. Ce qui renouvelle la douleur d’être écorché de toute protection imaginaire, de ne pas pouvoir se bercer, se calmer, se raconter des histoires.
Vous nous rappelez les stades de la formation du moi, du narcissisme et du sujet. L’image narcissique première allie imaginaire et réel. Cette image « réelle », i(a), s’appréhende à travers l’image spéculaire et y perd « a » sous la référence du manque. Elle s’inscrit dans le miroir et y ménage un point de fuite hors limite, d’où l’ « au-delà » du désir. L’image spéculaire nécessite la caution de l’Autre, de son regard ( pour l’imbrication du symbolique et de l’imaginaire). L’Idéal du moi est composé de traits identificatoires prenant fonction de signifiant ; à partir de ce régulateur par rapport auquel le sujet décidera de sa place et de son image se détermine le moi idéal, instance participant de la consistance imaginaire. Dans la mélancolie, l’Idéal du moi peut être déplacé vers un imaginaire inaccessible. Le danger serait alors, que le sujet mélancolique veuille rejoindre cet idéal auquel il croit et qui lui garantit encore une forme d’identification symbolique, ce qui fait confondre « a » et « I » dans l’acte suicidaire. Comment écarter le sujet de sa visée mortifère de l’absolu ? Savoir maintenir son désir (d’analyste) ?
La position d’exception mélancolique (exception négative) est encore narcissisée en comparaison à cette dimension mortifère.
Médicalement, la mélancolie est située du côté des psychoses. Je suis en accord avec vous quand vous remettez en question cette classification. Il n’en demeure, qu’en pleine crise, les mélancoliques ne mesurent plus du tout la réalité du danger qu’ils encourent, il y a comme un désinvestissement même du réel (ou une fascination par le réel ?) dans ces moments-là ( par exemple : une patiente s’apprête à sauter par la fenêtre : bien qu’elle enregistre les images et les bruits environnants, elle en est totalement détachée). Même l’angoisse ne prévient plus.
La symbolisation est bien acquise, mais y a-t-il du refoulement dans la mélancolie ? Y a –t-il un sujet de l’inconscient ? (Où part la représentation de la perte ?) Si nous revenons à la « Verneinung » de Freud, nous pouvons faire l’hypothèse d’une structure mélancolique – du modèle que nous nous faisons – où le jugement d’existence serait en place ( il n’y a pas de déni d’existence), mais où le jugement d’attribution serait touché ( le déni d’attribution d’une qualité). Le mélancolique ne saurait pas dans la même opération unir jugement d’existence et jugement d’attribution, l’opération se ferait à moitié, comme si l’enfant jetait la bobine sans jamais la récupérer. L’enfant se verrait dans le miroir, son image serait rassemblée, l’adulte serait présent et verrait l’image de l’enfant dans le miroir, mais sans qu’il y ait l’intentionnalité du « ça, c’est bien toi ! » dans le regard de l’adulte. Ce serait un regard « vide » qui ne verrait pas l’enfant comme sujet. Le Nom-du-Père ne ferait pas lien entre l’extérieur et l’intérieur, le seul lien possible serait métonymique. D’où la béance de la catastrophe toujours imminente. Tout est perte sèche. J’ai malgré tout du mal à modéliser cette absence de représentation, cette absence d’imaginaire liée au « suicide de l’objet ». Les scénarios de perte, de catastrophe, de fin du monde imminentes ne forment pas des fantasmes, sont-elles comparables au « pire » en tant que limite ?
Vous nous faîtes part de l’apaisement du sujet par l’objet esthétique : intégrer un objet particulier dans un ensemble, ouvrir une perspective, retrouver un relief, saisir quelque chose du réel qui ne serait pas menaçant. Façonner le cadre de vie, Disposer d’un objet de beauté. Ce n’est pas du fétichisme, puisqu’il s’agit d’intégrer un objet dans un ensemble ( et non de disposer d’un objet contenant un trait particulier). L’apaisement par l’harmonie des proportions, des lignes, par la beauté. Assume-t-il la fonction d’écran, la part de l’imaginaire dans la « réalité » ? Etablit-il le lien métonymique entre des éléments épars ? Est-ce un objet apte à signifier l’absolu ? La beauté des visages des statues grecques – l’objet esthétique rend-t-il compte de retrouvailles possibles mais ajournées ou de retrouvailles impossibles ? D’un objet impossible à perdre et donc éternel ? S’agit-il de la beauté exaltée par Antigone au moment de s’exclure des vivants ?
Je fais le lien avec les moments mélancoliques en fin de cure, quand l’analysant doit faire face à la chute de « a » sans l’assurance du fantasme et face à un analyste réduit à sa présence. L’objet esthétique, consacre-t-il concrètement le renoncement à la demande (pour ouvrir la voie à un désir) ?
Dans la mélancolie, le moi ne peut se séparer de son objet, le sujet ne se repère pas indépendamment de l’objet. Le sujet est certes castré ?/privé ? de l’objet, mais l’objet reste idéalisé ( l’objet ne peut être négativé ? les qualités de l’objet ne peuvent pas être négativées ?). La guérison serait alors de pouvoir trouver des insuffisances, des tares à l’objet, ou mieux : que l’objet puisse être absent, dans l’erreur, insuffisant sans que ce soit le sujet qui le rende absent, insuffisant et que le sujet puisse lâcher cette surdétermination. La catastrophe toujours projetée dans l’avenir, il n’est plus indispensable de courir vers la mort pour échapper à la catastrophe, il est possible de faire l’expérience du chemin avec ses contingences. « Il faut faire l’expérience pour vivre ce qu’apporte l’histoire. »
Je remercie Gabrielle Gimpel pour toutes ces questions , la question de la structure et la question de la fin . Je vais d’abord dire comment j’en suis arrivée à étudier cette question de la mélancolie , ne serait ce déjà qu’au niveau de l’écoute des patients . Leurs symptômes , et justement ce symptôme de la mélancolie est difficile à cerner : bien sûr il y a l’inhibition généralisée , le négativisme , et la question du passage à l’acte toujours présente .
J’insisterai plus , sur le discours faussement « sans sujet » du mélancolique , car il me semble qu’il y a un sujet , mais que je différencie de celui du discours dépressif . Cela rejoint ce que Freud évoque dans « Deuil et mélancolie » , avec le rapprochement fait avec le processus du deuil , du seul point de vue des affects , mais avec en plus la dévalorisation pour la mélancolie . Car du point de vue de la métapsychologie , Freud différencie , les 2 états . En ce qui concerne le discours mélancolique , ce que je relève , c’est l’incapacité d’élaborer une histoire , un récit : « … je viens vous voir … d’abord j’ai déjà été voir pas mal de monde .. .on m’y a poussé … … sinon je n’y serai peut-être pas venu … et de toute façon , tout ce que je pourrai dire , je le sais déjà … Ca marchera pour les autres mais pas pour moi … … et à la limite je sais déjà ce que vous allez dire … » . Cette position face à l’analyste , qui est agressive et violente , on pourrait sans doute penser à la perversion , mais ce qui ressort , c’est l’impuissance de l’analyste . A quelle place est-il ? Est il à une place de sujet-supposé-savoir ? C’est à interroger . Il se trouverait à la place de ce grand Autre inaccessible et inentamable . Viser l’impuissance de l’analyste conforte cette idée de l’inentamable , du « y’a rien à faire » . Il y a cette adresse à l’analyste , prise dans une négation , mais il y a une adresse tout de même. Et puis il y a cette impossibilité de faire le récit de son histoire : « …de toute façon j’ai toujours été comme ça … je suis sous une mauvaise étoile … » ;et là on a du mal à entrevoir quelque chose de la représentation et du fantasme .
Dans le discours dépressif , c’est artificiel et dans une représentation d’après coup .Mais le discours dépressif n’est pas le même : « …depuis qu’il est arrivé ceci , je suis comme ça… » . Pour le dépressif , y a un point d’origine , une anticipation et une adresse , du genre , « … sortez moi de là… » . Pour le mélancolique , il n’y a pas cette histoire . Les psychiatres phénoménologues allemands des années 30 avaient repéré ça :la fuite des idées ( Binswanger …) . Ils soulignaient cette suspension du temps , ce nivellement du relief et de la réalité . Le discours mélancolique est très formel . C’est plus prégnant encore que l’inhibition : « … de toute façon ça n’a pas de sens … vous n’y arriverez pas plus que les autres … » .
Pour en terminer avec les symptômes , et pour donner une autre description de la question de l’esthétique ,il semble que se répète dans le dire mélancolique une sorte de figure , quelque chose qui fait appel à la traversée du fantasme . Mais là il faut en parler autrement : cette figure , en comparaison avec le nivellement de la réalité ( « … tout objet en vaut un autre … ») , le mélancolique ne peut l’investir sur des choses marquées de la réalité .Tous les objets semblent substituables . Mais derrière les choses , derrière la réalité dépourvue de tout intérêt , il y aurait quand même bien , la vraie vérité , quelque part . Quelque part , c’est toujours derrière , ailleurs .
Dans ce rapport à l’esthétique , je donne l’exemple d’une patiente qui grattait la toile jusqu’à ce que la toile devienne quasi-transparente et qu’on en voit la trame . Et après cela , elle disait « … je mets ma toile en péril… » . Et arrivée jusqu’à la trame , elle pouvait ensuite terminer la composition de la toile , mais en disant : « … vous voyez , la lumière , comme elle vient de derrière … » . Cette question d’illuminer le tableau de derrière est assez classique , dans le 19ème siècle et dans le romantisme allemand où il fallait souvent éclairer les tableaux par derrière . Cette figure , il me semble l’avoir rencontrée avec une fonction attribuée à la réalité , c’est à dire une fonction d’écran . On voit ce qu’il en est de la position d’être du mélancolique face à l’objet , mais où il y a l’écran même de la réalité . En ce qui concerne l’esthétique , il ne s’agit pas d’un objet beau : c’est un objet qui fait lever les yeux , peu importe qu’il soit beau ou laid .
Pour la suite de la cure , la question est , à quel moment ? Le patient évoque des sortes d’activités qu’il trouve par lui-même et qui s’accompagnent d’un intérêt . Ces activités sont de composition , d’organisation , d’arrangement de l’environnement local . Par exemple , l’arrangement d’un appartement dont on ne cesse d’arranger les meubles . Qu’est ce qui se passe alors ? « … tiens j’avais oublié cet objet … il fait bien là … » comme si apparaissait dans une espèce d’épiphanie , l’objet , un angle de vue . Et on est obligé , pour voir cet objet d’en faire le tour . On a des angles de vue particuliers .C’est cela une perspective . Dans la position du sujet par rapport à l’objet , il y a un changement par rapport à ce nivellement de la réalité .La question de l’esthétique , ce n’est pas de s’attacher au beau ,c’est simplement la possibilité de s’attacher au regard . Le regard est refocalisé . C’est ce que j’appelle des objets esthétiques . Quels sont leurs statuts ? Il ne semble pas que ce soient des objets fétiches . Il y a sans doute quelque chose des objets phalliques , sans doute .
Il y a quelque chose aussi , et là j’en viens à la question de la structure , il y a quelque chose de la nécessité de ces objets , quelque chose d’une suppléance , d’une métonymie , par rapport à la question de l’esthétique artistique , là , pour le coup métaphorique , c’est à dire de passage d’objet à objet . Nous serions passés à ce moment là de la question de l’écran , à celle du contexte . Ce passage d’écran à contexte , est important . Voilà le cadre dans lequel je travail la mélancolie .
Concernant la structure , c’est la grande question , à la condition que ça ne recouvre pas la question des processus et organisations sous-jacents en mouvement et que ça n’empêche pas d’avancer . Car justement c’est en question cette structure qui est en mouvement . Plutôt que de dire , hors névrose et psychose , il me semble avoir dit , ni névrose , ni psychose . C’est vite dit car il y a quelque chose qui tient d ‘un refoulement côté névrose , mais aussi du réel , du côté de cette nostalgie d’absolu et de la nécessité de maintenir ces objets esthétiques . Il y a un travail à faire , au niveau de leur statut comme objets phalliques .
Ce à quoi l’on a à faire lorsqu’on reçoit des patients sur ce registre , c’est que , bien souvent les affects , entre dépression et mélancolie se ressemblent . Mais le discours n’est pas le même . Je penserais que la question est celle de la genèse , ou de la cause , c’est à dire , l’originaire narcissique et l’objet du, mélancolique . Je n’en parle plus là de la même manière .
Ce à quoi on a à faire c’est à quelque chose de spéculaire , du vacillement de l’image , du sujet traversé par un regard , par le regard maternel . Je parle du stade du miroir , donc de l’image spéculaire , de ce sujet qui n’est pas cerné , pas érotisé . Cela , nous l’entendons dans le discours des patients , mais ca ne prend effet mélancolique , que si antérieurement , et là il s’agit plus de l’image réelle dans des moments antérieurs au stade du miroir , de moments logiques antérieurs au miroir , avec quelque chose de l’Autre chargé d’initier au lieu même du désir . Je reprends la question de la disparition de l’Autre , du suicide de l’objet dont parle Lacan à la fin du séminaire sur le transfert . Suicide de l’objet : question difficile à interroger , qui peut prêter à plusieurs interprétations , par plusieurs bords .
On pense à l’objet phobique de « Deuil et mélancolie » , on pense à l’objet i(a) , c’est à dire à la question du petit (a) mais inséré dans l’image , et on pense à l’objet de la pulsion . Ce qui complique la question de la structure ,c’est le problème de la négation et le négativisme c’est à dire, qu’il y aurait quelque chose à la fois du refoulement et du réel . Ce qui permet de penser à quelque chose du refoulement et à quelque chose qui ressortirait du Nom du Père , c’est l’identification au rien , le « … je ne suis rien … » . Il est dans le symbolique dit Lacan , ce qui ne veut pas dire qu’il ne soit pas psychotique .
Le rien est difficile à travailler car si je ne suis rien , ce n’est pas rien . Le rien est forcément entendu par rapport à ce qui aurait pu ne pas être rien .De la négation à l’affirmation ( rien vient de res , à l’accusatif et rem , qui veut dire chose ) . Ce « … je ne suis rien … » pourrait marquer l’inscription du signifiant et du 1er signifiant , sur la trace de cette disparition de l’Autre .Mais il y a quelque chose qui absolutise ce grand Autre , avec cette disparition précoce , qui a marqué cette inscription dans le rien . Cette absolutisation du grand Autre , c’est un grand Autre inentamable qui soutient une castration absolue . Autrement dit le mélancolique ne cesse de dire et de justifier son négativisme : il ne cesse de répéter « … vous voyez bien que … ça ne tient pas… » , comme s’il n’y avait pas d’au delà de la castration , d’au-delà de l’affirmation de la castration . Voilà l’ambiguïté de la structure .
Pour répondre à la question du déni d’intention (l’expression employée pour caractériser la figure de la castration ,chez le mélancolique ) , la castration , c’est en rapport avec la question de l’intentionnalité : l’objet disparaît , quelque chose chute ( sans doute l’objet a ) , et il n’y a plus de contexte ; il n’y a que l’écran de la réalité avec l’impossibilité d’être en rapport avec l’investissement de cette réalité , d’être en résonance avec .
Il n’y a pas de déni la question de l’existence : tous les autres jouissent de la réalité , le mélancolique aussi , mais du côté d’une position d’exception : « … ça marchera pour les autres …mais pas pour moi … » . Qu’en est il du jugement d’attribution que Freud pose en 1er , et ensuite le jugement d’existence . Oui ,le jugement d’attribution a été là en fonction , mais a été ensuite dénaturé avec la question du suicide de l‘objet , avec quelque chose du type « …ce n’est plus la peine de … » . A ce moment là , il faudrait travailler l’état de déception , qu’on ne travaille pas assez pour le mélancolie . Il ne s’agit pas seulement de la perte , mais d’une déception inextinguible . Cela nous mettrait plutôt du côté d’un refoulement mais avec un réel toujours là , c’est à dire c’est à dire une castration absolue , sans dehors , avec un grand Autre inentamable . Dans les années 80 , nous étions plus à même de nous poser des questions sur la mélancolie .
Je me réfère à Eric Laurent dans son article sur la lâcheté ( évoquée par Lacan dans Télévision ) Il évoque une forclusion qui a bien eu lieu , mais ensuite avec une déception , car il y a déchéance de l’image paternelle , parce que les défauts du père , du père réel . Et ces défauts du père que le sujet pourrait s’attribuer , et donc ainsi continuer à aimer le père , il ne se les attribue pas , ces défauts , et cela cause au contraire la déception . Il faudrait travailler la fonction de la mise en défaut de cette entaille de l’Autre , soit qu’il y ait quelque chose du tout ou rien , soit que ce défaut invalide tout sens . Je mentionnerai la référence à Kierkegaard , qui a beaucoup parlé de la mélancolie , mais qui n’était peut-être pas mélancolique , et qui dit ceci à propos de son père : ce n’est pas la citation de « coupable ou non coupable « , ou « du fils qui regarde le père et voit dans son regard la mélancolie , et le père voit dans le regard du fils , sa propre mélancolie » . C’est une autre citation qui dit que , « … que le père soit un Tartuffe ou un menteur , ce n’est pas si grave …mais ce qui ne va pas , par contre c’est quand le fils voit dans le père , quelqu’un de parfait , bon serviteur de Dieu , et que malgré cela , on voit dans son regard une profonde angoisse , une profonde inquiétude… ». C’est quelque chose de cela qui est à l’œuvre chez le mélancolique .
1ère question sur le lien avec la manie .
Sous peine de travailler encore , la manie est peut-être d’un registre différent . C’est difficile à apprécier car immédiatement. On pense au délire mélancolique et à psychose maniaco-dépressive , mais je suis étonnée de voir que la psychiatrie n’est pas si claire .Car même dans le manuel de Kraeplin , il diffère la mélancolie , de la psychose maniaco-dépressive Ce n’est qu’à partir de la 8ème édition qu’il a inséré le mélancolie dans la psychose maniaco-dépressive , et encore en lui donnant 3 formes autonomes . Plus que la manie il y aurait à distinguer la mélancolie de la psychose maniaco-dépressive . Mélancolie et dépression sont aussi à distinguer . C’est pour cela que les psychonévroses narcissiques de Freud sont utiles . Le fait d’avoir tenu un « hors » névrose et psychose , me semble intéressant .
2ème question sur des corrélations possibles ( à partir du travail avec une patiente )
1)- entre identification symbolique au signifiant rien , qui permet au sujet d’affirmer la castration – et l’attitude de désirer du rien chez l’anorexique , sûre ainsi que du rien , il y en ait toujours
2)- entre l’addiction comme symptôme de la mélancolie , dans cette entrevue d’une jouissance toujours recherchée et l’objet esthétique , comme le goût des promenades ( c’est le cas de la patiente )
Réponse de Marie- Claude Lambotte
Oui exactement , tout à fait .
3ème question , de Sophie Duportail :
question critique sur un exposé qui fait perdre la catégorie clinique du sujet mélancolique , dans le sens où tout sujet , tel que vous le décrivez là , peut être potentiellement mélancolique . Je n’ai pas repéré dans cet exposé ce qui serait spécifique d’un sujet mélancolique . Car tout sujet peut être amené à dire « …je ne suis rien … » . A partir du moment où on dit « …je ne suis rien… » c’est bien du sujet dont on parle . De même pour l’objet esthétique : s’il n’y pas d’objet esthétique dans l’existence d’un sujet , ça pose problème . L’objet esthétique c’est ce qui donne consistance à l’imaginaire : qui pourrait vivre sans promenades , sans fleurs sur un balcon …etc … ? J’ai bien repéré la mélancolie , mais pas le sujet mélancolique .
4ème question De Jacques Podlejski
sur l’unicité du champ de la mélancolie . Vous avez décrit finement les traits mélancoliques mais on a du mal à saisir ce que serait la structure mélancolique . On peut faire un passage mélancolique sans manifestations cliniques , avec parfois une hypernormalité , une activité créative . Mais à un moment donné , il y a des passages à l’acte . Qu’est ce qui caractérise cette structure ? La question des objets esthétiques , où vous pointez une transition par rapport à la pente vers la mélancolisation ? Il y a une question de nivellement , d’immobilité , d’arrêt de l’écoulement du temps , et quelque chose se remettrait en mouvement avec l’objet esthétique ? A propos d’Eric Laurent : à partir du moment où la déception conduirait à la mélancolie , ça dénoterait une forclusion antérieure . Il n’y aurait pas moyen de repérer la structure mélancolique sauf à aller jusqu’à ce moment de déclenchement . Cela fait penser à une débat avec C .Verrheken , qui situe la déception au 3ème temps de l’Oedipe , au moment de la constitution de l’idéal du moi : quelque chose se serait avancé , et le sujet aurait reculé . Cet auteur en faisait la spécificité de la mélancolie par rapport à la psychose .Par contre il soutenait l’unicité de la mélancolie , ce qui est discutable aussi .
5ème question de Marie-Claire Terrier
en désaccord avec certains collègues , qui pensent que tout le monde pourrait être potentiellement mélancolique . On peut avoir des moments à accents mélancoliques, mais la mélancolie , c’est autre chose que des « moments » . Vous parlez du discours mélancolique : est ce qu’on a à faire à des sujets complètement inhibés et qui n’ont rien à dire ? ou à des sujets qui parlent beaucoup mais ne disent rien ? Ce discours , est il un discours qui fait lien social ? ou un discours de jouissance ? Ce discours tourne autour de toutes les déclinaisons du rien : « …je ne veux rien… je ne suis rien …je n’ai rien … il ne faut rien me demander … » Vous faites du « rien » quelque chose qui équivaudrait au signifiant maître dans un discours , un signifiant qui n’en appelle pas un autre . Mon idée est que ce « rien » viendrait marquer une absence de signifiant pour représenter le sujet dans l’Autre . Ce serait un sujet radicalement anonyme Du côté de l’avoir : Ne rien avoir , est ce que ce serait une façon de détourner la castration , pour la rabattre sur le privation ? Vous parlez de la pathologie de la castration : il y a-t-il là une forclusion de signifiant phallique ?, et l’objet esthétique serait-il un retour dans le réel de ce signifiant forclos ? C’est à dire que l’objet esthétique serait un objet délirant chez le mélancolique , alors que nous avons tous des objets esthétiques mais qui n’ont pas cette fonction là . Par rapport à la structure , vous n’en faites pas une psychose , puisqu’il n’y aurait pas forclusion . A supposer qu’il y ait Nom-Du-Père , le Nom-Du-Père n’est pas métaphorisable , et la conséquence , c’est que n’importe quoi peut faire Nom-Du-Père .
Réponses de Marie-Claude Lambotte
Je vais commencer par la dernière question .
Je me demande s’il est possible que pour le mélancolique , il y ait « DES » Nom-Du-Père . Je pense qu’il n’y en a qu’UN , mais pétrifié . Je pense justement que le mélancolique ne peut pas s’ouvrir à « DES » Nom-Du-Père . C’est vrai que j’attribue beaucoup de choses au « rien » . Je ne suis pas sûre que ce soit juste un signifiant conservant l’anonymat mais un signifiant qui renvoie à quelque chose qui a eu lieu et qui s’est arrêté . C’est pour cela que je lui attribue cette fonction symbolique de soutenir le discours . C’est ce qui m’oblige à parler de la mélancolie , comme , non pas la psychose maniaco-dépressive , et non pas la mélancolie romantique à quoi on a tous à faire à différents moments . Je me suis intéressée à l’énoncé du mélancolique . Un tel discours n’est pas qu’un discours , qui peut être l’énoncé d’un philosophe , comme l’énoncé d’un mélancolique . Or , le philosophe en fait un livre , mais le mélancolique en fait son symptôme . Il y a une inhibition négativiste , mais un tel discours est performatif . Ce n’est pas qu’un discours virtuel : le discours fait symptôme : il y a du réel qui anime ce discours . Il y a une compulsion qui l’anime . Bien sûr c’est un discours de jouissance , précisément dans la position d’exception revendiquée par le mélancolique . Nous ne sommes pas tous des mélancoliques .On peut dire , « …je suis … » , mais « …je suis , quand même, quelque chose… » . Ce qui distingue la mélancolie pathologique , c’est la question de l’originel , le fait de l’image réelle , là où on pourrait situer le suicide de l’objet . Mais on peut mettre des corps du côté de l’image virtuelle , c’est cela qui permet d’échapper au dérapage psychotique .
La question du « rien »de l’anorexique est intéressante . Pour le coup cela a bien à faire au symbolique . Cela voisine avec cette compulsion à aller jusqu’au bout du symbolique , du côté du rien . Le goût de la promenade , par exemple pour cette patiente , ces « arrangements » d’appartement , ces objets esthétiques , ne sont pas du tout des objets qui font « joli » . J’entends le goût de la promenade comme la composition d’un tableau . De même pour la collection ,avec l’objet manquant qui brille par son absence .
6ème question d’Isabelle Morin
sur le nivellement du relief à la fin de l’analyse , où le névrosé au moment de la traversée du fantasme s’aperçoit qu’aucun objet n’a plus de valeur qu’un autre . L’objet passe par un temps de déphallicisation . C’est donc une temporalisation en sens inverse . Quand vous parlez de l’objet esthétique ce n’est pas un objet phallicisé . C’est un objet qui permet de voir les objets du monde avec un relief .
Réponse de Marie- Claude Lambotte
c’est sûrement qqch comme un nœud , cela soutient ; oui ! c’est comme une suppléance . Ce que vous évoquez comme fin d’analyse : bien sûr ! Lacan évoque dans le séminaire sur l’angoisse . Il parle de Marguerite Duras , de son roman et du film Hiroschima mon amour . Il dit : n’importe quel japonais aurait pu faire l’affaire . Il y a ce passage du travail de deuil « …de toute façon …je ne pourrai jamais plus retrouver la personne aimée … » à , « …après tout je peux réinvestir la libido disponible sur un autre objet … » . Il y a un passage recomposé autrement . Ca ne veut pas dire que le 1er objet ne soit plus rien . au contraire . Ce qui me paraît important dans l’histoire du sujet mélancolique , c’est la question du temps avec quelque chose du trop précoce , ce que Freud évoque dans « Deuil et mélancolie » .
7ème question sur l’addiction et la mélancolie et Réponse de Marie-Claude Lambotte
J’évoque cette question , en tant que frustration de ne pas arriver non pas au fond ; certes il n’y a pas de fond , mais en avant des choses . Cette nostalgie d’un absolu et du passage à la limite , c’est ça la question des addictions . La nature même de l’objet dans les addictions est importante . Ce n’est pas la même chose l’alcoolisme et la toxicomanie . L’addiction a quelque chose à voir avec la mélancolie . La question est celle du passage de ce « …je ne suis rien… » , écrasé par l’idéal du moi , à cette libération et exaltation par l’alcool , La toxicomanie , c’est la question de la jouissance originelle de la Chose . Il faudrait travailler cette question , de la jouissance par la privation .
8ème question de Dominique Le Chevallier
sur la place du délire de Cotard que l’on ne trouve que dans la mélancolie .
Réponse de Marie-Claude Lambotte
On ne trouve pas seulement le délire de Cotard comme annonciateur et signal de la mélancolie mais comme signe d’une psychose plus générale . C’est peut-être abusif de ne l’évoquer que pour la mélancolie . Je n’ai pas beaucoup parlé du délire et syndrome de Cotard . Ce qui m’intéresse dans ce syndrome de négation d’organes , qui sont souvent des organes de passage , c’est que les sujets en font un miroir : ils s’identifient à ce qu’il voient dans le miroir , mais en 2 dimensions , pas en 3, c’est à dire qu’ils s’identifient à l’image comme surface . Autrement dit : « … je n’ai pas tout ce que je ne vois pas… » C’est ça qui m’intéresserait d’étudier dans le Cotard .
