15 décembre 2011
Nous vous disions, dans notre argument, que nous laissions la place à la surprise dans notre élaboration. C’est sous cet augure que cette séance va avoir lieu. Ce que je vais vous raconter n’est pas du tout ce je pensais vous dire aujourd’hui et se présente quasiment comme un impromptu de dernière minute.
C’est une formulation que j’ai avancée la dernière fois qui a mis le bazar dans mon ordonnancement et va donc faire aujourd’hui l’objet de ma réflexion. Cette formulation, telle que je l’ai avancée, je l’ai lue sous d’autres plumes que la mienne, dont au moins une dont je suis sûre, puisque c’est d’elle qu’elle me vient, l’ayant trouvée alors éclairante. N’ayant eu ni le temps ni le courage de relire les documents, plutôt volumineux, dans lesquels je l’ai lue, il y a pas mal d’année de ça, j’ai laissé tomber la vérification pour voir comment c’était articulé. C’est en feuilletant l’Envers de la psychanalyse (page 88 -89) que je suis tombée sur un passage et me suis dit que ma formulation était à revisiter. En effet la formulation en question fait briller de tout son éclat l’une des propriétés du signifiant qui dit qu’avec les mêmes mots on ne dit pas forcément la même chose, on n’y met pas forcément le même sens, ce qui a comme conséquence que le malentendu s’installe ou court-circuite purement et simplement une question. Après avoir chercher dans le grand Robert la définition des mots utilisés cela n’a rien fait pour me rassurer et le jour où j’ aurai fini de me battre avec la langue française et ses subtilités est sans doute à renvoyer aux calanques grecques et par ailleurs si on a un doute sur la labilité sémantique du signifiant il suffit de faire cette expérience.
J’ai donc dit : La jouissance, rappelons le, n’est ni le plaisir ni le déplaisir. Si elle peut être dite « substance négative » elle apparait comme ce qui s’ajoute ou se retranche au plaisir ou au déplaisir comme plus de jouir, jusqu’à ce que mort s’en suive. Par ailleurs après avoir relu ce passage de l’Envers j’ai été revoir la formulation de Pierre Bruno dans son dernier ouvrage Lacan passeur de Marx, dont je comptais vous parler aujourd’hui pour soutenir mon propos et vous encourager à le lire. Sa formulation est « La jouissance, rappelons le, n’est ni le plaisir ni la douleur » et la formule « substance négative » est extraite de cet ouvrage , ça je le savais. Il m’est donc apparu important de revisiter les termes plaisir, déplaisir, douleur ce qui m’a amené un peu plus loin que de faire un simple petit rectificatif pour m’aligner sur cette formule au détriment de l’autre.
Citons maintenant, quand même, un petit extrait de ce passage de l’Envers : La répétition, c’est une dénotation précise d’un trait…comme identique au trait unaire, d’un trait en tant qu’il commémore l’irruption de la jouissance. Voilà pourquoi il est concevable que le plaisir soit violé dans sa règle et son principe, pourquoi il cède au déplaisir .(Car) Il’ n’y a rien d’autre à dire – pas ( à) la douleur forcément, au déplaisir, qui ne veut rien dire que la jouissance ». Vérification du texte avec Emmanuel : Le (car) vient de la version de l’ ALI, pas celle de Miller et n’est pas dans la bande sonore de l’enregistrement du séminaire, mais qui est tellement mauvaise qu’il faut des oreilles super aiguisées pour bien entendre. Le (à) est dans la version de Miller pas dans celle de l’ALI et pas, nous a-t-il semblé, après plusieurs écoutes attentives à 4 oreilles, dans la bande sonore.
Le plaisir, dont Lacan soutient l’usage de ce mot comme tel dans ce passage de L’envers, est en rapport avec ce que Freud appelle le principe de plaisir. Ce que vise le dit principe de plaisir est d’obtenir le moins de jouissance possible, de la fuir, de faire chuter au plus bas la tension due à la jouissance qui fait virer le plaisir au déplaisir dans un au-delà du principe de plaisir où elle s’inscrit. Avec une ambigüité majeure que je signale ici c’est que le principe de plaisir peut aussi renvoyer, dans une certaine mesure, au principe de Nirvana, bouddhiste par exemple, et aussi, me semble-t-il, à toutes les thérapies actuelles qui, par suggestion, ont pour objectif de faire chuter la tension ,le dit stress. Freud en 1924 articule ce principe de Nirvana avec la pulsion de mort via le masochisme. Le principe de plaisir c’est donc tendre vers le Zéro de jouissance qui nous mettrait dans un état de satisfaction parfaite, la jouissance nous privant de celle-ci nous fait donc toujours insatisfait. (Le mot satisfaction est-il approprié ? Robert : forme juridique : disculpation, réparation, ça me semble pas mal). « Tendre vers » si c’est l’objectif, ce n’est pas l’atteindre si ce n’est dans un temps ramené à l’infini.
On peut évoquer ici le fameux Zéro absolu, le -273 degré Celsius. C’est la température qui permettrait une conservation sans dégradation d’un corps organique, si elle pouvait s’atteindre, ce qui est impossible, sinon à infini, même si on arrive très très prêt. Un corps organique est celui où il y a mouvement des molécules qui le composent qui sont toujours en perpétuelle agitation, qui le fait donc vivant, ça bouge. Plus la température augmente plus l’agitation des molécules est grande. En sachant que c’est le frottement de ces molécules les unes contre les autres qui font qu’elles se dégradent, un corps organique ainsi congelé, dont toutes les molécules seraient à l’arrêt à cette température, ne se dégraderait donc plus. Mais alors serait-il encore vivant ? Non bien sûr, mais vous le savez peut-être, l’objectif est, du côté de la cryogénie humaine, de le réchauffer pour lui redonner vie quand la science aura trouvé le moyen de réparer les dégradations du à sa vie antérieure.
Je trouve l’image très belle car redonner vie à la jouissance on s’y entend. Mais cela ouvre une autre question : avec une jouissance congelée, serions nous encore vivant ? J’en doute et congeler la jouissance serait une drôle de perspective pour la psychanalyse car cela consisterait à nous donner un sur-moi tout-puissant, sous la forme ici d’un traqueur de jouissance que celui ci doit faire disparaitre, ce qui ferait de nous des cons gelés, si vous m’autorisez ce jeux de mots, et, en dernier ressort, être des mélancoliques parfaits qui auraient trouvé leur vrai maitre. Quasiment un au delà du masochisme ou un masochisme sans chiqué, si vous préférez ! Où l’on peut dire que le principe de plaisir qui atteindrait son objectif virerait au principe de Nirvana. J’arrête ici pour poursuivre, mais ceci ouvre la question de la visée de la psychanalyse au regard de la jouissance.
Donc ce que vise le principe de plaisir freudien c’est, en suivant Lacan, le zéro de jouissance ce qui ne pourrait se faire que si le temps ne nous était pas compté. Or, nous dit l’Autre, nous sommes mortels, le temps sur terre nous est compté. Si on le croit cet Autre, on est assuré que ce but ne sera jamais atteint sinon à se dire que c’est dans la position de mort que ce but le serait. Cela supposerait que mort nous aurions enfin le vrai plaisir, un plaisir sans déplaisir, un plaisir sans jouissance. Mais impossible puisque le plaisir c’est pour le vivant même s’il est entaché de jouissance. Dans cette perspective le paradis sur terre a toujours un petit goût d’enfer qui le réchauffe. Doit-on ajouter fort heureusement ? Tout ceci décale donc l’usage de ces deux termes, plaisir et jouissance, qui dans le langage courant ont plus que souvent le même sens, quand il s’agit du sexuel en particulier mais pas seulement. De ce côté-là pas de problème, mais verse alors le déplaisir du côté de la jouissance, dans cet au-delà du principe de plaisir où elle s’inscrit. Dans le petit passage de l’Envers c’est en effet du côté du déplaisir que Lacan verse la jouissance et met donc out mon dire. Il utilise alors le terme de douleur où il décale douleur et déplaisir en disant que si la douleur peut venir violer, la règle du principe de plaisir ce n’est pas forcé qu’elle le fasse, ce qui la viole c’est le déplaisir, c’est à dire la jouissance. Du moins c’est ma lecture, mon interprétation de ce passage. La définition première de Robert pour déplaisir est souffrance, douleur ! C’était de cette façon que j’entendais le mot déplaisir ce qui restituerait mon dire dans une certaine justesse en remplaçant déplaisir par douleur mais …je vais y revenir. Si on va voir à « dé » mis comme préfixe, ce « dé » signe l’achèvement ou le renforcement, plutôt d’une action ajoute le dictionnaire, et ne fait pas du déplaisir l’inverse du plaisir comme il est dit dans la rubrique déplaisir (l’usage du dictionnaire peut rendre fou ou du moins, ce qui doit revenir au même, faire tourner en bourrique !) D’où le déplaisir signe que soit qu’il n’y a plus de plaisir( achèvement ) ou soit qu’il a plus de plaisir ( renforcement ). Ce qui correspond à la définition ambiguë avec laquelle joue Lacan avec l’objet a , objet plus de jouir. Et si on voulait ne pas patauger c’est à s’appuyer sur cette revisite par Lacan du principe de plaisir freudien qu’il faudrait s’en tenir mais où le mot plaisir fait quand même un peu tache. Car que faire de la douleur ?
Le mot plaisir dans notre langue est toujours connoté d’une valence positive même s’il est dit qu’il ne faut pas en abuser du dit plaisir si justement on ne veut pas éprouver de la douleur, souffrir, et épuiser prématurément cette machinerie vivante mais pas inusable, justement parce que vivante, qu’est notre organisme ,qui n’est pas un minéral, précieux ou pas. Ceci on le sait, du fait même que ce soit dit, et aussi pour en avoir fait l’expérience quoiqu’on nous ait dit ou pas dit.
Manger, boire, dormir, rire, parler, écrire, chanter, marcher, courir, nager, écouter de la musique, lire, regarder un beau paysage … on peut faire une longue énumération de ce qui fait chuter une certaine tension « déplaisante » et remet dans les rails du plaisir. Dans cette énumération j’ai évité de me lancer dans le scabreux. Renonçant à la pudeur qui est mienne j’aurai pu ajouter par exemple : déféquer, se masturber, faire l’amour, comme on le disait en rougissant il y a bien des années de ça, ou baiser comme on le disait avec impudence il y a peu de temps ou faire du sexe, comme le disent certains jeunes maintenant sans rougir et sans impudence. C’est moi qui aie fait : « oups ! Quoi ? Qu’est-ce qu’il veut dire ? », dans mon fort intérieur, quand un jeune homme m’a exposé de la sorte son problème : « je ne peux plus faire de sexe. »
Mais, déjà, la petite énumération que je viens donc de faire, pose problème parce que, pour d’aucun, certain terme de cette liste n’éveille pas du tout l’idée de plaisir, de détente mais l’inverse. Alors notons que si « le plaisir » (je mets entre guillemet), à l’origine de la vie d’un humain, est en lien avec la satisfaction des besoins de son organisme, il met toujours en jeu un ou plusieurs de ses 5 sens plus ou moins développés à ce moment là. Ceux ci lui permettent dés sa venue au monde d’être en contact avec le monde extérieur, de l’appréhender et très très rapidement d’entrée en relation avec lui, de structurer psychiquement, même de façon élémentaire, sa relation avec lui. Mais ces sens ont ce potentiel propre à l’humain d’être « conditionnés » par la proximité physique du corps de cet Autre primordial qui dans le même temps lui parle, Autre primordial dont une mère occupe la place. Notre condition de prématuré, incapable de subvenir seul à nos besoins vitaux nous met sous son entière dépendance, ce que Lacan appelle ses caprices.
Un petit aparté. Lacan verse donc dans le champ de la mère ce qui en général est mis dans le champ de l’enfant dont les caprices se liraient alors comme une réponse en miroir des agissements de la mère. Ces agissements « capricieux » de la mère sont indécodables pour l’enfant, la seule chose qu’il peut appréhender ce sont les sensations que cela lui procure et s’organiser avec. Il ne pourra leur donner un sens que par la mise en fonction d’une loi à laquelle la mère a affaire et qui sera alors aussi la sienne, disons de façon générique celle du père, la loi du père, celle par laquelle s’inscrit la castration. A partir de là peut-on dire qu’il y aurait une loi de la mère qui pourrait être autre que celle du père. Cela me semble très contestable car ces agissements d’une mère avec son enfant dépendent de cette loi, c’est à dire qu’elle y est intégrée même si pas tout de ses agissements en réponde. Mais justement le pas tout en jeu ne relève pas de la loi. La seule loi est celle de l’Autre du langage, la seule loi pour tous les parlêtres que sont les humains et les distinguent donc du reste du règne animal. Et ce pas tout de ses agissement non soumis à la loi, n’est pas à verser dans le registre du caprice .Le caprice lui est de l’ordre d’un ne pas vouloir se soumettre à la loi, d’un rien vouloir en savoir de la loi, mais qui, comme telle, existe (elle est pour les autres pas pour moi). Ce qui relève du dit caprice de la mère je le lirai comme la mise en fonction de son fantasme inconscient où l’ enfant va venir occuper la place de son objet fantasmatique. Mais l’enfant va s’en décaler. Le vivant qu’il est ne colle pas avec l’objet fantasmatique de sa mère qui le ferait, pour elle, entièrement conforme à l’objet de son fantasme. Ne sachant pas quel objet il devrait être pour ce faire, il en fera sa propre lecture, arrangée à sa sauce à partir des dires qui lui sont adressés. Interrogeant le désir de l’Autre, ce premier Autre parlant qu’est sa mère, celle qui revendique cette place et où il pourra la mettre, il construira sa propre réponse faute de savoir réellement l’objet qu’il devrait être. Il s’agit ici de l’objet a lacanien. Du côté de la mère on peut dire exactement la même chose puisqu’elle elle-même fut enfant. Son fantasme dépend de la lecture qu’elle même a faite de sa propre histoire au NDP (quand elle est névrosée). Il est sa façon de résoudre son rapport à la castration où le fantasme justement permet de détourner la loi mais, comme son nom l’indique, de façon fantasmatique mais pas réellement. Le problème que pose la clinique sur un certain versant de la psychose, que la mère soit psychotique ou non, c’est celui où un enfant – par ce qu’il est, les circonstances de sa conception, de sa naissance et des tas d’autres facteurs variant d’un cas à l’ autre – révèle à la mère de façon sauvage son fantasme et lui permet de le mettre en acte avec son enfant. Ceci suppose que l’enfant consente à être réellement l’objet du fantasme de sa mère ce dont il n’a pas vraiment le choix pour vivre. Mais le choix de vivre ou non est dans le champ de l’enfant. L’insondable décision de l’être, avancé par Lacan, renvoie pour moi à ce que j’appelle ici le choix de vivre. Il suppose de la part de l’enfant un aménageant psychique, qui est donc de son fait, des conditions qui lui sont offertes pour maintenir son choix. Ceci est par ailleurs vrai pour tous mais il y a des aménagements plus difficiles à faire que d’autre et qui rendent la vie plus ou moins rose en dehors du fait même d’être un vivant. Ce sont ces aménagements que la psychanalyse interroge et qui peuvent permettre au sujet, alors qu’il est devenu parlant, de renouveler son choix initial sans ne plus être encombré par eux, on pourrait le dire comme ça. Cette conjoncture qui met l’enfant en position d’être réellement l’objet a de sa mère, rend impossible pour l’enfant l’inscription de la castration de la mère comme être parlant, puisque l’ayant, lui l’enfant, elle est réellement comblée. Cela ne permet pas que soit interrogée la fonction du père dans sa mise en fonction symbolique du phallus, ce qui suppose que le père de l’enfant s’y prête, plus ou moins selon les cas. Ce versant est celui que l’on rencontre en grande majorité dans les institutions pour enfants, du moins en ce qui concerne mon expérience. Il y a un autre versant de la psychose que j’ai rencontré plus rarement en institution pour enfants mais beaucoup plus chez les adultes où l’on peut dire le contraire. Je le résumerai ainsi sans plus de commentaires : la mère n’a aucun caprice, seule la position du père déterminera les aménagements du sujet. Alors le pas tout des agissements de la mère qui ne relève pas de son caprice, qui lui est commandé par la fonction phallique, qu’en dire ? Je n’irai pas plus loin que dire qu’ils mettent en jeu la femme qui cohabite avec la mère chez une femme et qui reste la part d’énigme indéchiffrable du désir d’une mère, par son enfant et par elle-même. Ce n’est en aucun cas de là qu’elle ferait ou pourrait faire la loi. Dans ce registre on pourrait penser que c’est plutôt l’enfant qui ferait la loi à la mère pour voiler cette part énigmatique qui lui échappe chez sa mère et donne une autre version des caprices de l’enfant. Reste une solution du côté de l’enfant : faire de sa mère « un ange », un être asexué (a- sexué dit Lacan de l’objet a dans Encore). Ni un homme, ni une femme qui eux sont sous le régime de la castration chacun à leur manière, fiction d’un troisième sexe en somme que cet être a-sexué. Il s’inscrit dans l’imaginaire sous la forme de l’ange (bon ou mauvais) que serait une mère pour l’enfant mais aussi un enfant pour sa mère, une femme pour un homme mais aussi position de l’analyste mais qui lui est un être sexué, homme ou femme, ce qui est souvent déterminant dans le choix qu’on en fait, même si l’on peut parfois tomber sur un os. Je vous ai longuement, les années passées, parler de Médée pour qui l’on peut dire que le a-sexué ne lui convient pas du tout, sans doute parce qu’elle a la certitude qu’il existe ce troisième sexe à quoi on voudrait la réduire. Dans un bref résumé, je dirai que ne pouvant plus être celle qui fait la loi à son homme et à ses enfants, ce qui la verse du côté homme et non du côté femme de la sexuation, elle tue ceux-ci, refaisant de la sorte, de façon radicale, la loi à son homme en l’anéantissant, et faisant, par ce geste, de ses enfants réellement des anges. Dans cette position elle incarne le phallus, elle est réellement Médée. Elle se réduit réellement au signifiant qui la nomme. Pour les enfants, au moment où elle va les tuer, elle se situe du côté de la Chose, le crocodile à la gueule ouverte où le phallus du père n’empêche pas que sa gueule se referme sur eux, pour reprendre l’image de Lacan. A l’« au secours » des enfants personne ne répond. Donc deux perspectives différentes suivant que l’on se situe du côté de Médée ou du côté des enfants. Ici aucune énigme interrogeant le pas tout phallique de la jouissance féminine, la jouissance supplémentaire, puisque c’est de ça dont il s’agit. Mon hypothèse est que cette part est aussi engagée dans la maternité au-delà de la part phallique avec toutes les questions que cela ouvrent du côté de la psychose. Tout ceci que je viens d’avancer d’une façon condensée, en résumant quelques uns des points que j’ai mis au travail les années passées, refera sans doute l’objet de divers développements dans ce séminaire. Mais c’ est à l’ occasion d’ une conversation avec un ami que le dire maintenant s’est imposé à moi car l’ enjeu en est, ni plus ni moins, la direction qu’un analyste donne à une cure, en particulier quand il s’agit de sa conclusion mais qui est inscrite dés l’entrée. En effet s’il y a une dite loi de la mère différente de la loi du père je ne vois pas comment conclure la chose autrement que d’une façon Kleinienne. Ce qui reviendrait à dire qu’un noyau psychotique girait au cœur de chaque humain et où la jouissance féminine de la mère serait en dernier ressort la cause de la psychose qui nous attendrait tous en fin de cure, situant alors cette jouissance féminine dans un deçà de la jouissance phallique et non dans un au-delà et renverrait alors à une jouissance primaire qui ne serait pas phallique. Ne resterait alors qu’une seule solution celle de s’identifier à son analyste, d’en faire son symptôme, pour ne pas la rencontrer.
Donc revenons aux sens, les cinq dont l’humain est gratifié, il y en a même 3 de plus ajoutés aujourd’hui à la liste : sens kinesthésique (articulaire et musculaire), sens spatial cutané (sens du lieu la peau ???), sens chromatique (vision des couleurs). Je vous disais que ceux-ci sont soumis à un certain conditionnement qui fait que l’enfant s’en servira de façon particulière voire pas. Ceci est du à la proximité physique du corps de sa mère pour l’enfant, disons plus justement du corps à corps de l’enfant avec de sa mère dont sa survie dépend ; premier Autre qui lui parle, qui le plonge dans un bain de langage, celui dans lequel elle-même patauge à sa façon, ce dés son entrée dans l’existence. Ceci a comme conséquence que la satisfaction des besoins vitaux de notre organisme ne relève pas de l’instinct mais varie du « plaisir » au déplaisir : arrêt du plaisir vers plus de plaisir suivant la façon particulière dont nous sommes maternés, en lien donc avec les caprices de la mère, du fait de son inconscient.
Un exemple basique sur lequel on peut brodé à l’infini et faire de multiples variantes. Je me suis amusée à en écrire une, décalée du monde de la petite enfance mais où les traces de celle-ci vont resurgir. (Commémoration de l’irruption de la jouissance).
Soit donc la portion alimentaire calculée de façon telle qu’elle soit exactement, ni plus ni moins, ce dont notre organisme a besoin pour qu’il éprouve du dit plaisir, c’est à dire que cette tension désagréable qu’est la faim ne le dérange plus. Si tant est que ce calcul soit possible à faire, ce que le discours scientifique ne recule pas à dire qu’il peut le faire, ce qui par ailleurs est aussi un effet du langage. Comment faire autrement ? Quoiqu’on dise quoiqu’on fasse nous n’appartiendrons jamais au monde animal géré par l’instinct puisque, prématuré et dépendant de l’Autre qui nous parle, nous n’en avons pas les moyens. Ceci verse le savoir, en jeu dans le dit calcul, du champ qui met en jeu ce j’ai appelé la science maternelle vers le champ d’une connaissance innée, la science infuse. Mais passons, le test parfait c’est pour demain.
Le test consiste ici à dire la méthode que vous choisissez pour avoir accès à votre portion alimentaire. L’agence de notation à laquelle j’ai fait appel – il faut vivre avec son temps – m’a imposée deux notations : 0 et 1 au regard du principe de plaisir que votre conduite aura respecté ou pas. 0 mauvaise conduite, 1 bonne conduite.
Voici les choix :
Portion alimentaire sus dite :
1) Servie dans une belle assiette par la personne (dont le sexe n’est pas précisé) qui fait l’objet de votre convoitise, accompagné de ses gestes tendres, de ses mots d’amour dit d’une voix enchanteresse, de son sourire éblouissant et où l’effluve de son parfum enivrant vous entoure, comme l’odeur délicieusement parfumée du mets aux couleurs chatoyantes qui git dans l’assiette et dont le goût délicieux chatouille déjà vos papilles. (Là je le reconnais j’ai mis la dose)
2) Balancée comme une poignée de sottise devant vous dans une assiette en carton, accompagné de bourrades, d’insultes et du regard révolver de la personne répugnante qui vous sert et dont l’odeur de cheval pollue votre atmosphère (bonne dose aussi)
3) contenue dans une barquette prise par vos soins dans votre congélateur et passée au micro onde.
4) contenue dans une assiette que vous avez remplie sur le présentoir d’un self.
5) présentée sous forme d’une pilule sans couleur, sans saveur, sans odeur, sans nom, posée sur la table.
Question subsidiaire à laquelle vous répondrez par oui ou par non. Son l’objectif est d’ orienter les prises de décision budgétaire de l’état :
Êtes vous favorable pour que l’état verse des subventions aux laboratoires pharmaceutiques pour entreprendre la recherche qui suit, dont l’objectif est d’assurer un contrôle sanitaire de la population , ce qui a très brève à échéance ferait faire des économies colossales à la sécurité sociale et réglerait nombre de problèmes adjacents aux problèmes de la nourriture du genre humain : recherche sur un implant à introduire dans le corps des hommes et qui permettrait de nourrir automatiquement chaque humanoïde comme il convient et selon les besoins de son organisme.
Note de l’évaluateur selon vos choix :
0 de conduite : si vous avez choisi 1) ou 2). La jouissance y est omni présente et dans tous ses états. Que du déplaisir dans votre horizon.
Pas de note : si vous avez choisi 3) ou 4) trop de facteurs d’incertitude qui n’entre pas dans nos grilles d’évaluation. Ne vous découragez pas vous avez encore toutes vos chances pour trouver la bonne voie.
1 de conduite : si vous avez choisi 5) ; Bravo ! Que du plaisir dans votre horizon.
Quoi ! Personne n’a choisi la pilule du meilleur des mondes celle où la jouissance tomberait en déconfiture. Ah ! Si !! un courageux là bas dans le coin. Faut-il l’avertir que son humanité risque de faire de même, tomber en déconfiture et que bien que vivant il est déjà mort, du moins subjectivement. Et alors oserons nous lui poser la question qui convient : Dites nous, n’auriez vous donc pas eu de mère pour faire ce choix ?
Quant à la question subsidiaire : est-ce la prise en considération de la dette de l’état, qui vous ferez penser que celui-ci ne doit plus distribuer de subventions à des organismes privés, qui fait que le non est massif ?
Après ce petit intermède récréatif, abordons maintenant la question de la douleur. D’une façon ou d’une autre, elle fait partie du lot de tout humain qu’il soit ascète ou bon vivant. Contrairement au plaisir, la douleur est toujours connotée d’une valence négative mais on sait aussi que sans elle l’humain peut être en danger de mort puisqu’elle est un signal ; signal qu’un humain peut débrancher. La fréquentation de certains services psychiatriques pour enfants ou adultes est dans ce registre particulièrement enseignant, voire horrifiant, en ce qui concerne la douleur physique mais aussi, sur un autre mode, en ce qui concerne la douleur morale dont certains sujets semblent complètement dépourvue, renvoyant une froideur inhumaine qui nous glace. Donc, qu’elle soit physique ou morale, la douleur est toujours source de tensions. Faut-il alors la faire entrer dans le champ du déplaisir, de la jouissance. Pas forcément. Mais faut-il pour autant l’exclure de ce champ ? Y aurait-il alors un champ propre à la douleur qui peut se connecter ou se déconnecter du champ de la jouissance, ce qui pourrait alors se dire de la même façon pour le plaisir ? (deux ensembles – plaisir, douleur – et – jouissance – où la nature de la conjonction des deux ensembles serait à interroger). C’est cette direction que je serai tentée de prendre. On pourrait alors la soumettre à la loi du principe de plaisir, c’est à dire faire de telle sorte que la tension qu’elle provoque soit la plus petite possible mais en sachant que l’objectif zéro n’est pas possible même en se faisant mort-vivant si ce n’est à croire la science. Ajoutons donc, quelque soit la mère que l’on ait eu, sinon à l’accuser de tous nos maux, du fait même de nous avoir mis au monde. Argument imparable et d’une logique implacable qui dit « mieux aurait fallu ne jamais être né » dont ne se privent pas certains sujets psychotiques et qui versent donc la douleur, celle d’exister en particulier, entièrement dans le champ de la jouissance. A l’inverse on rencontre aussi ceux qui se font volontairement souffrir ce qui les assure d’être vivants.
Si trop de plaisir peut être source de douleur, de souffrance, est-ce que l’inverse est vrai ? Ceci voudrait dire que trop de douleur pourrait être source de plaisir, ce que l’on pourrait être en droit de mettre en doute. Où l’on voit que l’on ne s’en sort pas sans le concept de jouissance et comment le terme de plaisir utilisé pour dire le principe qui maintient la tension à son niveau le plus bas fait tâche comme je l’avançais tout à l’heure.
Quoiqu’il en soit, on le sait, et ce n’est pas la clinique qui le démentira, que la douleur qu’elle soit physique ou morale est plus ou moins supportable suivant le poids de jouissance que le sujet y ajoute et il peut en rajouter beaucoup.
Je prendrai tout à l’heure un exemple dans le registre de la douleur physique, ce que l’on pourrait tout aussi bien articuler, quasiment de la même façon, du côté de la douleur morale. Il y a bien sûr une variante de taille qui fait la différence, c’est que la douleur physique peut avoir une cause physiologique objectivable par la science. Mais le sujet hystérique peut mettre en échec la science, lui ,qui a des douleurs dont celle-ci ne trouve pas la cause mais qui pour autant ne renonce pas de la trouver un jour. Voire qui renvoie ce sujet avec le pire des verdicts : « mais vous n’avez rien », ce qui le déprime de se l’entendre dire, et le fait donc finir sous anti dépresseur quand il ne s’oriente pas vers un psychanalyste. La douleur morale, elle n’a pas de cause objectivable scientifiquement du côté du physiologique, même si elle peut avoir des conséquences sur l’organisme (ne plus manger, ne plus dormir…etc.) Elle peut avoir une cause non-physiologique identifiable ou ne pas en avoir, comme c’est le cas dans la mélancolie le plus souvent. Elle peut aussi avoir une origine physiologique qui fait s’effondrer le sujet qui ne supporte pas de ne pas être inatteignable dans son corps et qu’un simple lumbago peut emmener à l’HP comme j’ai pu le voir. Non pas à cause du lumbago dont l’homme en question fut soulagé rapidement mais parce que son image d’homme toujours en bonne santé avec laquelle il paradait, qui le faisait de bon droit se ranger du côté des hommes viriles, s’était effondrée. Lui qui jamais n’avait loupé une journée de travail en trente ans de carrière se retrouvait dans le camp des gens méprisables, celui où il rangeait ceux qui prenaient des arrêts de travail ; les femmes, ces mauviettes, étant bien sûr en première ligne dans son collimateur. Du côté de la cause non-physiologique, il s’agit de la douleur mise en jeu dans la perte, celle d’un être cher, comme c’est le cas pour la perte d’un enfant, par exemple, comme se fut le cas de Freud. Celui ci revient alors sur ce qu’il a pu dire du deuil, dans « deuil et mélancolie », après la perte pour lui d’une de ces filles. Il dit alors qu’il y a du non résorbable dans la douleur par le travail du deuil, qui était sensé, dans son article, devoir la faire disparaitre et ce, même si la vie continue et qu’elle peut être encore source de plaisir. Pour le dire autrement, ce qui avait été investi sur cet être ne peut pas être entièrement investi sur un autre, il y a un reste à la perte, en lien avec la singularité de cet être, qui n’est pas retrouvable chez un autre, du fait qu’il fut unique. Ce non résorbable on peut l’appeler, me semble-t-il, le réel de la douleur sur lequel le travail de deuil n’a pas de prise. Le deuil se joue dans un premier temps du côté du même. On se même dans l’autre quand on l’aime, pour reprendre une formulation de Lacan, mais aussi on se est dans l’autre quand on le hait. (Encore) Ici l’autre est investi comme identique à soi même, comme semblable. Dans ce registre symbolique et imaginaire se donnent la main. Le réel de la jouissance tente de s’évacuer dans ces registres de la passion mais au prix de la torture. Ce dont je vous ai un peu parlé l’an dernier. Car ce qui resurgit, avec la perte d’un être cher, c’est le réel de la jouissance qu’un mode de fonctionnement passionnel ne peut pas résoudre si ce n’est à réemprunter les chemins du fantasme qui signe la fin du deuil. Le deuil en lui-même est une commémoration du traumatisme initial et fait donc resurgir cette part de jouissance réelle, celui mis en jeu lors de la première perte, celle de cet Autre primordial dont une mère occupe la place et qui signe l’intrusion de la jouissance dans la vie du sujet. La difficulté c’est quand le disparu est investi comme réellement identique à soi même (aliénation sans séparation). Le perdre revient alors à se perdre infinitisant le temps du deuil ou à l’inverse le court-circuitant. Dans ce cas le réel de la douleur n’a pas sa place et verse alors le réel de douleur dans le champ du réel de jouissance voire les pose comme identiques.
Voici donc maintenant un exemple, dans le registre de la douleur physique que je vais prendre. Ce n’est pas un exemple limite, où il convient de garder la pudeur qui s’impose face au réel de l’insupportable de la douleur qui peut toucher l’organisme d’un humain. C’est un exemple pris dans la banale clinique du quotidien : le mal de dos, pour ne citer qu’un des maux dont certains peuvent souffrir, dont la nature peut les avoir gratifiés à l’occasion d’une malformation physiologique plus ou moins grave, qui fait que de façon récurrente la douleur physique, toujours discrètement présente, peut se réveiller de façon violente et invalidante. Quand cela se produit pour l’humain en question, il peste, s’énerve, enrage, envoie promener tout le monde, se lamente sur son triste sort qui fait qu’il n’ est plus bon à rien et sur le pas de chance qu’il a par rapport aux autres, il aligne tout ce dont cela est supposé le priver par rapport à ce qu’il pourrait faire sans cette douleur, que par ailleurs il ne ferait peut-être pas sans elle, mais à ce moment là bien sûr ce n’est ce qu’il se dit. Il peut s’en déclarer coupable pour avoir fait ou ne pas avoir fait ce qu’il convenait de faire ou ne pas faire pour qu’elle ne se déclenche pas. Il se projette dans un avenir bien sombre en sa compagnie et qui pourrait être si radieux sans elle. Je n’allonge pas la liste. Nous sommes là dans un autre champ que celui de la douleur physique elle même, dans le champ de la jouissance. Il met en jeu un plus de jouir fantasmatique que l’on peut dire douloureux qui s’inscrit ici comme un plus de jouir négativé où s’inscrit une perte qui fantasmatiquement fait du sujet un objet de mépris pour lui-même voire pour les autres et non réellement bien sûr comme ce fut le cas de cet homme. Cette jouissance fantasmatique vient s’ajouter au réel de la douleur, ce réel impossible à dire et donc impossible à partager. Jouissance donc qui en rajoute, qui rend la douleur encore plus insupportable voire rend le sujet insupportable. Mais elle peut aussi avoir des dits bénéfices secondaires car cela le met aussi en position d’être objet d’attention, de prévenance par ceux qui se projettent dans sa douleur l’assimilant à une des leurs, comme s’il était possible qu’elle fut la même, ou qui tout simplement l’aime. A l’inverse, quand l’amour n’est pas au rendez vous, elle peut faire de lui l’objet d’une maltraitance par ceux qui n’en tiennent pas compte, ne pouvant pas s’y projeter ou refusant de le faire et le renvoie, par leurs discours, sur le versant de la culpabilité « tu l’as bien cherché, fallait faire attention, tu sais bien que tu ne dois pas ..etc. ». Il y a ceux aussi pour qui la solution est simplement de se « secouer, de ne pas en tenir compte ». Comme si c’était possible, passé un certain seuil ! Il y a ceux qui lui disent « pas besoin d’en faire un plat, y a pire, ce n’est pas mortel » ;médecins qui prennent ça par-dessus la jambe et que son cas n’intéresse pas – y a quand même plus sérieux à s’occuper – ou encore verdict suprême « c’est comme ça faut vous y faire » .Ok, quand la douleur extrême n’est pas là ,il s’y fait, mais quand elle est là, il a quand même une pente à ne pas s’y faire. Ce « il faut vous y faire » relève d’un mode de résignation qu’il lui est demandé, teintée des couleurs de l’impuissante où est dénié par le médecin le réel du vivant sur lequel il n’a pas tout pouvoir.
La jouissance fantasmatique, elle, peut faire l’objet de discours en attendant que la douleur passe, parce que le sujet sait qu’elle va passer, comme fait de sa propre expérience. L’expérience des autres, qui souvent à ce moment s’aligne, c’est déjà une autre paire de manche et a plutôt un effet pompe l’air comme si justement la jouissance en jeu pouvait toute se partager. Il y a justement le réel de la jouissance qui ne se partage pas qui fait que les mêmes maux physiques, ayant exactement les mêmes causes organiquement détectables n’entrainent pas les mêmes dégâts subjectifs. Car il ne faut pas oublier, quand même, dans ma petite liste le dire de l’Autre auquel on croit, qui peut s’incarner dans quelqu’un de notre entourage, dire qui peut être rassurant ou au contraire inquiétant. En dernier recourt on peut mettre Dieu en place d’Autre et lui faire appel, pourquoi pas. A Lourdes il parait que par les voies de la Vierge il y a des miracles. Mais, on le sait, c’est quand même toujours pour les autres les miracles. Enfin on ne sait jamais ! A moins qu’à cet Autre on lui offre sa souffrance en rachat de ses fautes ou celles des autres ou faute suprême, on peut cet Autre le maudire. Faute suprême, dont nos enfants paieront la conséquence (Kierkegaard).
La jouissance en jeu peut aussi entrainer des acting out divers et variés qui se soutiennent d’un autre types de discours. Comme, dans l’exemple que je viens de prendre, se livrer pieds et poing liés au discours de la science pour une hypothétique opération au risque mutilant, ou pire, ou encore insulter le médecin qui ne veut pas se déplacer ou injurier celui dont la prescription ne vous a pas soulagé sur l’heure voire lui envoyer une déclaration enflammée parce que celle-ci vous a rapidement soulagé ou encore refuser tous médicaments qui pourraient soulager ou s’en gaver à outrance. Cela peut se solder aussi par des passages à l’acte quand l’Autre est posé comme n’étant plus ou n’étant pas un recours, allant d’un retrait quasiment autistique, que l’ on peut rencontrer en particulier chez certains enfants ou adultes aux corps très douloureux, ou à l’extrême violence sur soi ou sur les autres. C’est vrai qu’avec le mal de dos invalidant, évoqué comme exemple, la violence extrême, qui supposerait de tuer l’autre qui en serait désigné responsable, ou de se supprimer, trouve ses limites, du moins sur l’heure, mais peut être différée dans le temps, comme l’homme dont je vous parlais tout à l’heure. Donc jouissance qui engage ici le fantasme, l’acting out et le passage à l’acte où la disparition du réel de la jouissance mis en jeu par la douleur se solderait par une réussite assurée par le passage à l’acte suicidaire, supprimant de ce fait le réel de la douleur elle-même. Mais mon objectif n’était pas ici pour un simple mal au dos d’en venir à ces extrémités car j’ai mis en scène un sujet qui se sait sachant qu’il va passer, du moins il le croit mais sans pour autant en avoir la certitude absolue, c’est ce qui le met quand même dans tous ses états et vient en rajouter au réel de la douleur.
Vous voyez, je pense, comment on peut décliner les mêmes choses avec la douleur morale où le réel de la douleur, lié à la perte, et le réel de la jouissance peuvent se confondre quand il n’y a pas d’appel possible à l’Autre ou quand cet appel est refusé doublant de ce fait la douleur de jouissance.
Ce que j’essaie d’avancer ici, vous l’avez sans doute compris, c’est qu’il y a deux réels en jeu qui l’un et l’autre relèvent d’un impossible à dire mais qu’ils ne sont pas de même nature.
Je peux prendre un autre exemple, issu de ce que l’on pourrait appeler « un laboratoire expérimental » en ce qui concerne la douleur. Il vient de mon expérience, du temps où dans une maternité à l’étage des accouchements je faisais un stage pour mes études de psycho. La péridural n’avait pas encore fait son entrée pour les accouchements dans cette maternité « d’avant-garde » mais dans un autre registre que celui du médical. Îlot de résistance des années « peace and love » post 68. Ce fut l’une de mes expériences professionnelles et humaines les plus fortes, marquées par le bonheur des uns, la douleur des autres, les drames de certains, mais aussi par la détresse de certaines femmes face à leur absolue solitude où seul l’accrochage à mon regard, à mon souffle, à ma voix, à ma main, les empêchait de sombrer. « Sans toi, m’a dit l’une de ces femmes, je n’y serai jamais arrivé ». On le sait, sauf cas pathologiques rares (organiques), ce qui n’était pas le cas de cette femme, toutes les femmes y arrivent mais…
Donc dans cette maternité où une grande place est laissée à la parole, la présence d’une psycho à l’étage de l’accouchement en témoigne, une sage femme, qui n’a pas eu d’enfant, revient excéder en salle de garde et me dit « j’ en ai marre de les entendre dire toujours la même chose : j’ ai mal, j’ ai mal. Elles ne pourraient pas dire autre chose, il y a quand même bien autre chose à dire quand on accouche ». J’avais à l’époque déjà eu mes enfants et j’étais scandalisée. Quand on dépasse un certain seuil de douleur, comment dire autre chose, quand encore on peut le faire et où, parfois, seul le cri est ce qui reste pour faire signe de l’impossible à dire, avant le silence. Comment imaginer qu’à ce moment là on puisse faire de la littérature pour ne pas mettre sur les nerfs la sage femme. C’est un premier point. Mais ce qui était particulièrement repérable, c’est que pour certaines femmes ce seuil limite était parfois quasiment atteint dés les premières contractions, le travail à peine commencé. Ce temps, qui sans être d’un grand confort, reste dans la limite du supportable, du moins pour nombre de femmes, qui peuvent vaquer à diverses occupations, quand elles ne sont pas monitorées d’office. Petite vignette clinique surprise : Dans le feu de la discussion avec Emmanuel, avec qui je discutais de tout ça, je lui explique : « tu vois, ce moment là c’est pareil que quand on a des règles douloureuses », « Non je ne vois pas » m’a-t-il répondu en se marrant. Son imaginaire était complètement en panne, on s’en doute et mon dire ne faisait pas sens pour lui. Tout ne se partage pas d’une expérience avec tous les humains, même au niveau imaginaire ! Retournons à la mater. Ce qui était tout aussi repérable, c’est que plus l’accompagnement était chaleureux, enveloppant, plus le seuil de la douleur insupportable était élevé et la récupération rapide entre deux violentes contractions. Et je pense qu’il est à peine besoin de dire qu’au réel de la douleur qui est bien là , s’ajoute toute la fantasmagorie et le réel de la jouissance en jeu dans cette expérience qu’est celle de mettre un enfant au monde et fait varier le seuil supportable de la douleur. La douleur de l’accouchement c’est « le mal joli qui s’oublie quand c’est fini » c’est l’adage populaire. Il est remarquablement vrai, du moins en partie, et fait que l’on peut s’interroger sur la nature de l’oubli en question, qui n’en est peut-être pas un. En effet si l’on peut raconter son accouchement ce n’est jamais en son entier, il y a toujours un blanc où le sujet n’est réellement pas là, du moins dans le temps d’avant la péridural. Et encore, il faut voir. Mais ce qui ne s’oublie pas c’est ce qui s’est joué sur une autre scène, celle où git un savoir qui ne se sait pas celui de l’inconscient et qui, plus que souvent, fait retour à ce moment là de façon intempestive et où un débranchement d’avec lui peut s’opérer, convoquant alors réellement le registre pulsionnel.
Je pense que du côté du plaisir, même s’il faudrait l’argumenter un peu plus, on peut dire la même chose .Il y a dans l’essence même du plaisir un impossible à dire à partager, un réel en lien avec le vivant humain. Quand au plus qui s’y ajoute du côté de la jouissance si on en retranche le versant fantasmatique ou passionnel qui l’un et l’autre passent par des discours, il y a un reste de jouissance aussi impossible à dire qui renvoie à un réel pulsionnel. (Réponse à Marcel Ritter le 26 Janvier 1975).
Qu’en conclure au niveau de la douleur et du plaisir ? Que le réel de la douleur et du plaisir nous rattacheraient au monde animal ? Surement pas. Si nous pouvons dire « mon corps est douloureux ou a du plaisir, j’ai mal ou je suis bien » c’est parce que nous sommes parlant, c’est ce qui fait exister, pour nous humain, la douleur et le plaisir. Sans ce dire la douleur et le plaisir n’existerait pas. Une analysante psychotique, dont le métier était d’être assistante ménagère et ,sans pouvoir le vérifier mais quand même sans trop de risque de me tromper, dont je pense qu’elle n’avait jamais lu Lacan, pas plus que Freud, m’avait dit un jour ceci, qui m’avait stupéfaite : « Le sexe et la mort si on n’en parle pas, ça n’ existe pas ». Ce dont ,par ailleurs, je ne lui demandais pas de me parler ! On peut dire, en s’appuyant sur ce dire aux accents lacaniens, que ce qui fait exister la douleur et le plaisir ce sont les signifiants « douleur et plaisir » et le fait, qu’avec eux, on en parle, et que l’une comme l’autre n’appartiennent qu’au monde des humains parlants. Mais d’en parler trouve aussi ces limites du fait du réel qui y est engagé, que les mots sont impuissants à dire. Ma question est alors la suivante : ne faut-il pas situer la douleur et le plaisir dans un au-delà de la jouissance, dans un au-delà de l’ « au-delà du principe de plaisir » freudien et non pas dans un en de ça ?
Quant au principe de plaisir qu’ici j’interroge qu’en faire ? Le renvoyer du côté du mythe ? On trouve dans le séminaire Encore (page 78) cette indication : « Le Lustprinzip, en effet, ne se fonde que de la coalescence du a avec le S (A barré)…Si de ce S de A barré je ne désigne rien d’autre que la jouissance de la femme, c’est assurément parce que c’est là que je pointe que Dieu n’a pas encore fait son exit »…à suivre
Tout ceci étant dit, quelle formule retenir pour dire ce que la jouissance n’est pas. Celle énoncée par Pierre Bruno : La jouissance n’est ni le plaisir ni la douleur me semble de loin la plus adéquate même s’il faut continuer à élaborer pour la soutenir.