30 novembre 2011
Alors voilà : c’est aujourd’hui, la troisième fois que je viens de Marseille parler aux Apprentis Philosophes. A partir de trois, on entre dans la répétition, cette répétition que Lacan a élevée au rang de concept fondamental de la psychanalyse aux côtés de l’inconscient, du transfert et de la pulsion. Pourtant le même, à se répéter, diffère, et, de fait, plusieurs points distinguent notablement cette occurrence des précédentes.
Je vais commencer par vous situer la conjoncture particulière qui fait que je suis là aujourd’hui, ce qui m’amènera à parler de clinique, comme cela m’a été recommandé, pour vous inviter à une sorte de promenade autour de quelques concepts essentiels de la théorie psychanalytique. Je ne développerai pas en revanche aujourd’hui un cas tiré de ma pratique pour évoquer plutôt la clinique qui se trouve mise en jeu, ici, ce soir, et tenter de situer ce qu’il en est de certains aspects de la clinique du sujet dans la modernité contemporaine. Vous savez tous que dans une cure analytique c’est plutôt le patient, l’analysant, qui parle. L’analyste lui, ce n’est pas qu’il ne parle pas, mais c’est tout de même moins fréquent. Ce soir, je vous parle. De ce fait, à bien des égards, c’est donc moi qui me retrouve ici en position d’analysant. Je crois tout à fait important de le souligner.
Au cours de la soirée qui a suivi ma précédente intervention, en juin dernier, une organisatrice de ces conférences, Jacqueline Ferret, m’a mis sous les yeux un avant projet de programme, encore très embryonnaire, pour la session 2011-2012. A le parcourir, mon attention s’est tout de suite arrêtée sur le titre de l’une d’entre-elles qui mentionnait le nom de Gilgamesh. Elle a été présentée à Valence le 5 octobre et je regrette beaucoup de n’avoir pas pu y assister. Peut-être certains d’entre vous ont-ils eu cette chance ? Je me suis arrêté sur le nom de cette épopée, à la fois parce qu’elle a marqué mes rêves d’enfant, mais surtout parce que je la trouve d’une étonnante actualité. Je la trouve d’une étonnante actualité parce qu’elle interroge dans le parcours croisé des deux héros, Gilgamesh et Enkidu, ce qui est sans doute une des questions majeures de la réflexion philosophique. Qu’est-ce qu’être un homme ? Qu’est-ce qui garantit mon humanité ?
C’est une question qui se dédouble. D’un côté il est question de ce qui fonde la différence entre un homme et un animal. De l’autre, se profile une interrogation sur ce qui marque l’écart entre l’humanité de l’homme et autre chose que je trouve très difficile à qualifier tant les mots à notre disposition semblent pipés.
On pourrait dire barbarie, qui pourrait convenir, du moins au sens où on a parlé de la barbarie nazie. Mais l’origine et l’acception antique du terme m’embarrasse. Pour les grecs, pour les romains, pour la chrétienté, le barbare, c’est l’étranger, celui qui parle une autre langue, celui qui se réfère à une autre culture ou à un autre système de croyances. Cette acception perdure d’ailleurs encore de nos jours dans le mot barbarisme qui désigne une faute dans l’usage de la langue. Le barbare, on ne lui dénie pas la qualité d’être un homme, mais il est nécessairement d’une culture inférieure, c’est tout de même le mal civilisé, c’est-à-dire qu’il se trouve en quelque sorte rabaissé sur une supposée échelle de valeur de la dite humanité. Cette échelle des cultures renvoie immanquablement à une échelle des hommes qui s’y rattachent, considération que l’on trouve au fondement de tous les racismes.
On pourrait aussi dire sauvagerie, ce qui introduit une autre nuance puisque la sauvagerie, mot qui dérive de silva, la forêt, c’est le propre de l’animal qui vit dans la nature, l’animal qui n’appartient pas à l’expérience familière de l’homme, dit le Petit Robert, et désigne plus généralement ce qui est à l’état de nature, ce qui n’a pas été modifié par l’action de l’homme. Le sauvage se trouve donc dans une opposition exclusive avec l’humain. La fortune de ce mot, appliqué à l’homme dans la sphère occidentale, date de l’époque qui a suivi les progrès de la navigation et la découverte de nouveaux continents, époque qui a mis en contact les européens avec des civilisations qui leur étaient absolument étrangères. Remarquons que de ce point de vue, barbare comme sauvage présentent tous deux l’autre en tant qu’autre, l’altérité comme telle, mais avec la même insistante connotation d’infériorité. Mais relevons cette nuance qui marque l’écart entre le barbare antique et le sauvage moderne. Pour le sauvage, pour cet être apparu lors de la découverte de nouveaux mondes, la question de son humanité ne s’est pas posée dans les mêmes termes. Ce n’est pas seulement une question de niveau, de degré d’humanité ou de civilisation, mais bien l’humanité même du sauvage qui a été mise en cause, mise en cause qui a servi de justification à toutes sortes d’exactions, très civilisées, elles, depuis l’acculturation forcée aux normes occidentales, en passant par l’asservissement esclavagiste jusqu’à l’extermination pure et simple. On peut rappeler à cet égard la controverse de Valladolid vue par Jean-Claude Carrière dont il ne faut pas croire qu’elle est dépassée. J’ai encore en mémoire les minutes d’un procès qui avait défrayé la chronique dans la deuxième moitié du XX° siècle. Il s’était tenu au Brésil et le latifondiaire mis en cause, qui pratiquait la chasse à l’indien comme on pratique un sport, s’était défendu en avançant ce simple argument : il ne savait pas que c’était interdit.
Peu après ce choc qu’a été la rencontre de nouveaux mondes, la question de l’humanité du sauvage s’est trouvée relancée par les progrès conjoints de la géologie et de l’archéologie. Ceux-ci ont en effet permis d’identifier et de dater des objets qui étaient jusqu’alors conservés dans ce que l’on appelait des cabinets de curiosité. En dépit de puissantes résistances, ces objets ont peu à peu été admis comme étant crées de la main d’êtres doués d’habiletés et de savoir faire finalement assez proches de ceux des populations contemporaines que l’on dit sauvages. Les vestiges mis à jour témoignent même d’un art rupestre très élaboré et de pratiques funéraires. Mais ces créatures étaient-elles humaines ? Les questions portant sur l’humanité, celle du sauvage et celle du primitif se sont alors rejointes au point que les deux termes en sont venus à se confondre, engendrant des controverses d’autant plus vives que les avancées de l’anthropologie et les travaux de Darwin apportèrent une contradiction, pénible pour beaucoup, au dogme chrétien de la genèse qui fait de l’homme une exception dans le règne animal. Cela reste d’ailleurs très actuel, vous savez qu’aux Etats-Unis, les tenants du créationnisme ont obtenu que leurs thèses, éventuellement relookées en intelligent design, soient enseignées dans les écoles.
J’ai soupesé aussi le mot bestialité. Il pourrait convenir mais seulement avec la précision que la bestialité soit considéré comme un trait spécifiquement humain. Qu’on ne puisse parler de bestialité dans le règne animal qu’à propos de l’homme. Après tout, les bêtes ne peuvent être dites bestiales, ce sont des bêtes, et la bestialité de l’homme n’a dans son fond aucun correspondant dans le comportement animal sauvage, ainsi que le révèlent les éthologistes.
En forçant le trait, la confrontation à la question de la nature humaine, une fois extraite de tout contexte religieux, tend à partir de la considération que l’humain, c’est moi, ou plutôt nous, le nous du groupe auquel j’appartiens. Quant au barbare, au sauvage, au bestial c’est toujours l’autre, dans un mouvement qui vise l’expulsion hors de moi de ce qui, en moi, contrevient à mes idéaux. Cet Autre, je le rabaisse, je le ravale, je le considère comme inférieur, dans sa culture tout comme dans son être, voire via un glissement radical toujours latent, jusqu’à lui dénier toute humanité.
Cette thèse, celle d’une gradation des progrès de l’humanité, d’une échelle des valeurs des cultures et civilisations, qui est une thèse que l’on retrouve dans l’analyse marxiste de l’histoire, ne repose sur rien, elle a conduit l’Europe au désastre et pourtant, elle perdure. Pour ma part, je ne crois pas possible de soutenir que la culture des populations dites primitives, actuelles ou passées, soit inférieure à la notre (on pourrait tout aussi bien soutenir le contraire) ni qu’un déterminisme quelconque, autre que notre propre violence, devrait les amener à converger vers elle. A bien des égards, l’ethnologie démontre la richesse et la robustesse de l’appareil symbolique dont disposent les dits primitifs, en contraste avec l’appauvrissement dont on observe les effets délétères dans les sociétés dites développées. Je ne crois pas non plus, que les membres qui composent ces sociétés nous soient inférieurs. Je me plais au contraire à tirer les conséquences de ce que constatent les généticiens : il n’y a pas de différence significative entre les patrimoines génétiques d’un européen, un « homme de race caucasienne » comme le disent les autorités américaines, et ceux d’un africain, d’un aborigène australien, ou même d’un homme de Cro-Magnon.
La question de l’humanité a fait l’objet de réflexions diversement élaborées. On peut, par exemple, évoquer les conceptions opposées de Hobbes et celles de Rousseau. Pour le premier, plutôt lucide – donc pessimiste – l’état de nature est foncièrement mauvais, la crainte et la guerre de chacun contre chacun le caractérise, et, écrit cet auteur en 1650, « c’est ce que l’on peut observer chez les sauvages d’Amérique qui vivent en ce moment même à la manière d’animaux ». Les hommes ne peuvent donc vivre ensemble sans la soumission forcée à un despote, un Léviathan tout puissant qui impose la loi sans y être lui-même soumis, conférant ainsi aux hommes qu’il gouverne la garantie de ne pas s’entretuer.
A l’inverse, les conceptions de Rousseau sont, elles, teintées d’idéalisme – donc plutôt optimistes. L’homme est naturellement bon mais la culture le corrompt et, du coup, le portrait que fait Rousseau du civilisé ressemble beaucoup à l’état de nature dépeint par Hobbes. Pour Rousseau, la souveraineté du peuple, composé d’hommes naturellement bons, ne peut que conduire à une société idéale, dotée de lois et d’institutions justes garantissant le bonheur de chacun.
Mais revenons à nos deux héros. Aux débuts de l’épopée, Gilgamesh est le roi de la cité d’Uruk. C’est un héros magnifique, mais il opprime son peuple – « il ne laisse pas un fils à son père, pas une jeune fille à sa mère, fut-elle fille d’un preux ou déjà promise ». C’est un tyran que rien ne freine dans sa quête de jouissance. Il occupe la position du Léviathan promue par Hobbes. Mais il correspond tout aussi bien à l’état de nature, selon cet auteur, qui avait omis de considérer que d’occuper cette place, un homme n’en est pas moins un homme, c’est-à-dire l’être fondamentalement mauvais qu’il dépeint.
C’est en réponse aux plaintes et aux prières des habitants d’Uruk que les dieux lui façonnèrent un rival, Enkidu. « Mis au monde dans la solitude, il ne connaît ni peuple, ni patrie. Il vit parmi les animaux qui le reconnaissent comme un des leurs ». Il déjoue en leur faveur les pièges des chasseurs. Informé de cela, Gilgamesh invente un stratagème. Il dépêche une courtisane, la Joyeuse. Au point d’eau, elle dévoilera ses charmes, il s’approchera pour la posséder et sa harde, élevée avec lui, lui deviendra hostile. Et le piège fonctionne. Si par et pour l’amour de la Joyeuse, Enkidu acquiert l’entendement, c’est-à-dire la parole, il perd dans le même temps sa relation immédiate aux animaux qui désormais le fuient. Ce que dit donc ce fragment d’un conte vieux de près de 4000 ans, c’est que c’est par et pour l’amour d’une femme que l’homme se fraye un accès à sa condition d’homme via l’apprentissage du maniement de la langue et qu’il perd, du même coup et définitivement son animalité primitive supposée.
Donc, au cours de l’épopée, Enkidu s’humanise en apprenant à parler. Gilgamesh, lui, s’humanise aussi, mais en sens inverse, pourrait-on dire. Ce n’est pas qu’il apprenne à parler, mais qu’il quitte une position surhumaine, celle qu’il tirait de ses origines divines, qui est aussi bien une position inhumaine. Confronté successivement à l’amitié pour Enkidu, à la mort de son compagnon et à la vanité de sa quête de l’immortalité, Gilgamesh accepte enfin que la mort soit son lot. Il accomplit les rites funéraires, il n’est plus cet être insatiable dont se plaignaient ses sujets. Un déplacement s’est opéré. Lequel ? Après Freud, on pourrait dire que le consentement à la perte l’a mis sur la voie de satisfactions pulsionnelles moins coûteuses, pour son peuple comme pour lui.
En effet, Freud est plus est proche du point de départ de Hobbes que de celui de Rousseau. Pour lui, « l’homme est tenté de satisfaire son besoin d’agression aux dépens de son prochain, d’exploiter son travail sans dédommagements, de l’utiliser sexuellement sans son consentement, de s’approprier ses biens, de l’humilier, de lui infliger des souffrances, de le martyriser et de le tuer ». Mais avec sa théorie des pulsions, il fournit les ressources épistémologiques permettant de situer la nature et les voies des renoncements que requiert la vie sociale et d’interroger ainsi l’avenir : « le progrès de la civilisation saura-t-il, et dans quelle mesure, dominer les perturbations apportées à la vie en commun par les pulsions d’agression et d’autodestruction ? »
Ce n’est donc pas assuré, mais ce n’est pas non plus exclu. Si l’épopée, tout comme l’Histoire, montrent que rien ne vient garantir la tempérance d’un Léviathan exonéré des contraintes de la loi, Freud décrit les conditions de possibilité pour que d’autres voies que celle de la contrainte du tyran puissent contenir l’homme dans son humanité.
Revenons à l’histoire d’Enkidu. La légende contient une vérité première, pas d’humanité sans langage. Mais insistons sur ceci : hors les mythes ou les personnages de fiction, comme Tarzan ou Mowgli, il n’y a pas une animalité primitive dont dériverait la condition humaine. C’est pourtant une croyance qui insiste. Elle s’est déployée concomitamment au déclin de la religiosité et à l’essor de la science. Elle a notamment passionné l’opinion publique depuis la fin du 18° siècle, lorsqu’a été découvert Victor, l’enfant sauvage de l’Aveyron, jusqu’à nos jours avec la fiction de Truffaut par exemple. Mais il faut bien se rendre à l’évidence : en dépit des efforts du Docteur Itard, Victor n’a jamais appris à parler.
Disons d’abord qu’il n’y a pas d’animalité primitive de l’homme, parce que le langage en tant que consubstantiel à l’espèce est toujours déjà là. Le petit d’homme est issu de géniteurs eux-mêmes pris dans le langage, il est parlé, c’est-à-dire qu’on parle de lui avant même sa naissance. Notons ensuite qu’un défaut survenu dans l’acquisition de la langue, ne produit pas du tout un animal doué d’instinct, c’est-à-dire capable sans apprentissage de pourvoir à ses besoins. Mais notons le également, le bain langagier dans lequel il est plongé d’emblée est toujours traumatique et l’apprentissage auquel tout petit d’homme est convié, l’apprentissage de cette langue que l’on dit justement maternelle, n’est pas automatique. Il y a un temps pour cela. Si le coche est raté, ce n’est que difficilement rattrapable, et les enfants sauvages, c’est-à-dire ceux que l’on appelle de nos jours des autistes le démontrent. On s’humanise en apprenant peu ou prou, chacun à sa façon, à se faire à cette greffe de la langue sur le vivant qui caractérise notre espèce. Parfois la greffe prend mal, un achoppement se produit dans l’accès à l’ordre de la demande. C’est ce qui se produit pour le sujet dit autiste qui se maintient sur le seuil de la parole, mais qui n’est pas pour autant exempt de l’empreinte du langage. Et s’il se met à parler, ce qui peut arriver, son rapport au monde reste marqué de ce refus primitif d’entrer dans l’ordre de la demande.
Arrivé en ce point, je vais situer en quoi mon intervention de ce jour se distingue des précédentes. Cela me permettra d’introduire peu à peu ce qu’il en est de la pulsion dans ce qui la distingue de l’instinct.
Lorsque je suis venu au Péage de Roussillon, pour traiter de la passion actuelle pour la normalité, comme lorsque je suis venu parler ici même, à Valence, de la clinique de la séparation, c’était à chaque fois en réponse à une invitation de Noël Rugliano. Je dis invitation, je pourrais tout aussi bien dire proposition, tous deux sont des termes très policés, très politiquement corrects. Mais je crois qu’il serait plus juste de parler de demande. Je peux donc dire que suis venu ces deux premières fois à la demande de Noël. Bien que ne figurant pas, pour Lacan, parmi les concepts fondamentaux de la psychanalyse, la demande relève d’une dimension essentielle de l’expérience humaine et prend une place considérable dans son enseignement. C’est une dimension essentielle en raison du fait que la confrontation du petit d’homme avec la demande est constitutive de son accès au symbolique, de ce qui fait que l’on n’est pas des bêtes, que l’on est pas, ou si peu, soumis à l’instinct mais le siège de pulsions.
La notion de demande entretient un rapport étroit à la pulsion qui peut être définie comme rapport singulier du sujet à la demande. L’expression d’une demande implique quatre termes. Il faut tout d’abord qu’il y ait un langage, un code, qui puisse servir de véhicule à son expression. Ensuite il faut que ce code soit admis en partage par les deux pôles de la demande, celui qui demande et celui à qui elle est adressée. Disons qu’il faut qu’il y ait un sujet de la demande et un Autre auquel cette demande s’adresse. Il faut enfin qu’un objet soit impliqué dans la demande.
Prenons comme illustration la situation précoce du petit d’homme, celui qu’on appelle à bon droit le nourrisson. Il est encore bien loin d’avoir réalisé son unité corporelle, il n’est pas en mesure de faire la part des choses entre les excitations qui lui viennent de l’intérieur et celles qui lui viennent du dehors, comme une épingle de nourrice qui le blesse, par exemple. Il est le siège d’excitations somatiques. Parmi les plus marquantes, il y a tout ce qui tourne autour de la nécessité biologique d’entretenir les fonctions vitales, c’est à dire au premier chef le besoin, celui de nourriture, avec tous les incidents de tuyauterie, petits et grands, qui s’y rattachent, les reflux, coliques et autres diarrhées. Confronté à ces excitations, il va se manifester, il va pleurer, il va crier. Au départ, ce n’est qu’un cri, ce n’est pas une demande ce n’est peut-être même pas un appel. Cela ne va devenir une demande que par l’intervention de la mère. C’est en effet la mère qui va interpréter les cris comme l’expression d’un appel à l’aide sous tendu par une demande qui lui est adressée. Elle les interprète par la réponse qu’elle va leur apporter. Elle les interprète en donnant le sein ou le biberon. Elle les interprète en apportant des soins. Elle les interprète surtout par sa parole. Ce faisant elle introduit son enfant à l’ordre signifiant en se constituant comme Autre primordial, c’est à dire comme lieu d’adresse où la manifestation du besoin, du fait de l’accusé de réception qui y répond, vire à la demande. C’est dans ce virage, et à la suite de premières expériences de satisfaction, que va s’introduire au cœur de la demande, une exigence qui excède la satisfaction du besoin. Là se situe le point d’émergence du sujet au désir dans la quête de ce que la psychanalyse repère comme jouissance pulsionnelle. En effet, quiconque a élevé un enfant sait bien que la satiété physiologique n’apaise pas toujours sa demande et qu’il se nourrit tout aussi nécessairement des mots et de l’attention maternels, que la demande en son fond recèle toujours une demande d’amour. Cet Autre, cet Autre sans lequel je ne saurais faire la distinction entre intérieur et extérieur, entre moi et non moi, cet Autre que je rencontre dans le déploiement de ma demande qu’est-ce qui le détermine ? Pour le nourrisson, confronté à l’alternance de sa présence et de son absence, c’est une énigme. Que me veut-il ? Veut-il mon bien ou ma perte ? Est-il aimable ou haïssable ? L’objet en cause dans la demande, ici dans la demande orale, c’est le sein. Ce que montre la clinique, c’est que cet objet n’est pas primitivement reconnu comme étant de la mère mais comme une partie intégrante du nourrisson plaquée sur le corps maternel. Cet objet, il ne l’a pas donc pas à sa disposition, y accéder dépend du bon vouloir de l’Autre maternel qui peut le donner ou le refuser. Cet objet, qui se constitue lors des déploiements de la demande, ici celui de la pulsion orale, est donc d’emblée marqué du sceau d’une perte. C’est une conséquence directe du langage en tant que l’homme en est affecté. Rien de tout cela ne peut être observé chez les animaux, c’est spécifique à l’homme. La constitution de l’objet de la pulsion, née de la confrontation à l’Autre au point d’émergence de la demande, creuse un manque dont va procéder le désir. Notez qu’il s’établit toujours une réversibilité des positions, que la demande à l’Autre peut se retourner en demande de l’Autre. C’est patent lorsque se trouve mis en jeu un autre objet pulsionnel, l’objet de la pulsion anale, qui se constitue d’emblée dans la rencontre avec la demande de l’Autre. Mais ce retournement est déjà présent au niveau de la pulsion orale, le refus anorexique du nourrisson conduisant à une demande maternelle, angoissée à l’occasion : je te demande de me laisser te nourrir.
Contrairement aux occurrences précédentes, je ne suis pas ici parce que cela m’a été demandé. Si je suis ici aujourd’hui, c’est, ainsi que je le disais, parce que j’ai proposé à Jacqueline Ferret de revenir.
Je suis donc ici non pas en réponse à l’invitation de Noël, d’un homme donc, mais à la suite d’une demande adressée à une dame. Ce n’est pas une mince différence et c’est ce qui fait que je n’ai pas aujourd’hui à remercier les organisateurs de m’avoir invité mais au contraire d’avoir accepté que je vienne parler ici.
Si je m’attarde sur ce point, c’est pour introduire cette invention de Lacan, cet Autre qu’il écrit avec un grand A. Cet Autre, il le définit de différentes façons, mais il le situe d’emblée comme lieu du signifiant. C’est l’Autre du langage auprès duquel le sujet tentera sans fin de se faire reconnaître. Ce n’est pas une personne déterminée, bien que dans sa mise en fonction, il trouve à s’incarner. Avec l’illustration que je vous ai donnée du nourrisson, j’ai voulu présenter la figure primordiale que prend cet Autre, celui que présentifie le personnage maternel, dans ce qui se trouve mis en jeu dans la demande et la pulsion orale. J’y insiste parce que je crois que cette dialectique de la demande qui s’instaure entre le sujet et son Autre constitue un moment décisif du processus d’humanisation. Je ne veux pas dire par là que tout du rapport de l’homme au symbolique se situe dans ce moment, il y en a assurément bien d’autres et notamment l’entrée en fonction du père qui est tout à fait déterminante mais que je n’aborderai pas ici. Si j’insiste sur ce moment de première symbolisation c’est justement parce qu’il est premier, à la fois logiquement et chronologiquement, et qu’il détermine tout ce qui s’ensuivra.
Articuler une demande, c’est s’avancer comme sujet désirant c’est prendre un risque. Articuler une demande suppose l’anticipation d’un possible refus, c’est à dire de consentir à l’éventualité du renoncement à la satisfaction pulsionnelle qui porte ce désir. Pour un nourrisson, dont le rapport au symbolique est encore peu assuré, se voir refuser la satisfaction n’est pas une petite affaire et cela peut le mettre dans des états de rage destructrice épouvantables. De la même façon, le Gilgamesh du début de l’histoire ne diffère aucune satisfaction, s’il veut une jeune fille, il la prend, dit le texte. On peut aussi trouver des illustrations dans l’actualité. On peut par exemple lire, dans leur écart dans le rapport à la demande, une différence fondamentale entre les révolutions arabes et certaines émeutes urbaines que l’on a vu éclater récemment en Europe. Dans un cas, s’énonce une demande, tenace et patiente, celle que parte le tyran, dans l’autre, le pillage témoigne de l’exigence immédiate d’une satisfaction pulsionnelle consumériste.
Lors de mes deux premières interventions, je l’ai dit, je suis intervenu à la demande de Noël Rugliano. Mais il faut remarquer qu’il se situait alors, dans sa fonction d’organisateur d’une offre de conférence, le médiateur de l’Autre de la demande que vous constituez. C’est à dire qu’au delà de la réponse à la demande de Noël, c’est bien à l’auditoire que vous constituez par votre rassemblement que je m’adressais, et ce, dès la préparation de mes interventions. Car c’est tout à fait clair, il est inconcevable de dire quoi que ce soit sans que ce dire ne se constitue dans un rapport à un Autre auquel il s’adresse. Et sans doute est-ce de vous avoir déjà rencontré effectivement, au delà des représentations nécessairement teintées d’imaginaire que je pouvais m’en faire, d’avoir pu mesurer la qualité de votre écoute, d’avoir entendu vos remarques et vos questions, que j’ai pu vous constituer comme Autre symbolique auquel adresser un travail. C’est assurément ce qui m’a permis de prendre la liberté de demander à mon tour, de demander de revenir vous parler. Je dis la liberté de demander, je pourrais aussi bien dire le risque, parce que si précédemment, je suis venu traiter une question, construite par Noël et s’inscrivant dans un ensemble parfaitement conçu et ordonné, ce n’est pas le cas aujourd’hui où j’interviens en quelque sorte à mes risques et périls. Je parle donc sans cadre prédéfini et sans être ni guidé ni contraint par le titre donné dans la hâte à mon intervention.
J’ai donc demandé à venir parler ici. Mais pourquoi le faire, me direz-vous ? C’est une question tout à fait légitime. Je pourrais égrener toutes sortes de raisons.
Je pourrais avancer que la psychanalyse et son inventeur font l’objet d’attaques qui visent à sa disparition. Vous avez tous vu ça, la psychanalyse ce n’est pas efficace, c’est ringard, Freud est un imposteur, etc. Comme je considère que faire une psychanalyse reste l’un des derniers refuges, sinon le dernier, où il est encore possible de se confronter à ce qu’il en est de la condition humaine qui est notre lot, je ne trouve pas cette visée très réjouissante. J’ai retenu, pour illustrer ces attaques un petit bijou de commentaire fait lors de l’annonce du décès du peintre anglais Lucian Freud : « Il était le petit fils de Sigmund Freud, un obscur médecin dévoyé, auteur d’une méthode psychologique sans efficacité qu’il décrivait de façon scatologique ». Un collègue de l’APJL a relevé ça sur le site d’un journal quotidien en ligne, Contrepoints. J’aurais pu choisir mille autres exemples de cette sorte. J’ai retenu celui-ci pour son outrance mais aussi parce que le journal dont il est tiré est la publication d’une association qui a pignon sur rue, qui regroupe d’éminentes personnalités de la politique, des affaires et des medias, ce qui permet de situer d’où viennent les coups et ce qu’ils servent. Libéraux, est le nom de cette association. Dans cette même presse, j’ai relevé la tonalité désolée de cette dépêche : « Le tristement célèbre Indignez-Vous ! De Stéphane Hessel va être publié en Chine ». Venir ici, je peux dire que c’est la forme prise par mon effort de dépassement de l’indignation pour tenter de transmettre quelques gouttes d’antidote au poison crétinisant de l’idéologie néo libérale.
Mais, vous devez bien vous en douter puisque j’ai mis l’accent sur la demande, il y a une autre raison à ma présence ici. Elle est plus directement liée au thème qui nous intéresse ce soir, celui de la pulsion. Mais avant de l’expliciter il me faut avancer encore un peu.
L’introduction du terme de pulsion dans le champ de l’expérience humaine est le fait de Freud. Dans le Littré de 1956 dont j’ai hérité, seul figure le sens originel de poussée avec comme illustration la dilatation des métaux sous l’action de la chaleur. En revanche, le sens proposé par Freud apparaît, mentionné comme tel, dans tous les dictionnaires actuels.
La pulsion, comme concept freudien, c’est hybride, c’est complexe, c’est mouvant, c’est controversé. A certains égards, c’est peut-être le plus controversé des concepts freudiens. Lacan considère que c’est une fiction, un montage, qu’il compare à un collage surréaliste. C’est sans doute trop pour une époque qui rejette la complexité au point d’avoir adopté le néologisme oxymorique de simplexité. Ainsi, on lit ça un peu partout sous la plume de divers intellectuels contemporains, il faut simplexifier les problèmes ! Ce qui en pratique veut dire simplifier jusqu’à l’outrance, mais en connaissance de cause et avec bonne conscience. Je ne saurais quant à moi simplexifier le concept de pulsion, c’est-à-dire que je ne vais pas tenter de faire l’histoire de son élaboration ni d’en cerner tous les aspects pour me centrer sur cette seule visée : montrer en quoi il n’a rien à voir avec l’instinct.
Freud nous avertit que son concept de pulsion apparaît comme un concept limite, au joint entre psychique et somatique, que c’est le représentant psychique des excitations issues de l’intérieur du corps. Le terme de représentant à ici tout son poids, la pulsion ce n’est pas du biologique, c’est sa représentation dans le psychisme. Freud distingue quatre termes hétérogènes pour caractériser la pulsion. La poussée, le but, l’objet et la source. Déjà, avec cette énumération, on voit que la pulsion ne peut se résumer à une poussée biologique. Le but, c’est toujours la satisfaction, c’est-à-dire la suppression de l’état d’excitation. Mais les voies pour y parvenir sont multiples et variées, j’y reviendrai. L’objet de la pulsion, ce par quoi elle peut atteindre son but est, souligne Freud, éminemment variable, c’est un objet choisi en raison de son aptitude à permettre la satisfaction. Nous avons évoqué tout à l’heure l’objet dans la pulsion orale, la série se complète des objets impliqués dans les autres pulsions partielles que sont les pulsions anale, scopique et invocante. Quant à la source, il s’agit de l’organe où se trouve représenté, dans la vie psychique, l’excitation à l’origine de la pulsion. On retrouve là cette formulation de représentation psychique.
Comme il distingue quatre éléments de la pulsion, Freud en décrit quatre destins, quatre vicissitudes. Les deux premières sont le renversement dans le contraire et le retournement sur la personne propre. Ces deux vicissitudes sont liées et correspondent précisément à des opérations langagières, grammaticales, le passage de la voie active à la voie passive d’une part, à la voie moyenne d’autre part. Cela correspond par exemple au niveau scopique aux transitions qui font passer la pulsion de regarder à celle d’être regardé et à celle de se faire voir. Ou encore, si l’on considère le destin de la pulsion de mort, elle peut, dans son issue la plus radicale trouver à se satisfaire par la voie active : tuer, la voie passive : être tué ou la voie moyenne : se faire tuer.
Une troisième vicissitude porte un nom qui est passé dans le langage courant, c’est le refoulement. Mais, ce n’est pas la pulsion qui est refoulée, ce sont les représentations, c’est-à-dire les signifiants, qui lui sont attachées. La pulsion, soumise à une poussée constante ne saurait être refoulée. Que son représentant soit refoulé ne la contient pas, mais la conduit sur la voie de satisfactions parfois si coûteuses qu’elles conduisent à s’engager dans une analyse. La levée du refoulement dans une analyse ne vise pas la libération, le déchaînement de la pulsion dont atteste le personnage de Gilgamesh, mais l’aménagement ou l’invention de modalités de satisfaction plus acceptables.
Enfin, la dernière vicissitude, c’est la sublimation. C’est une satisfaction pleine et entière de la pulsion alors même qu’elle est inhibée quant à son but, qu’elle ne l’atteint pas. C’est ce qui est en cause dans la deuxième raison de ma présence ici, que j’évoquais tout à l’heure et dont je disais qu’elle a à voir avec la pulsion. Lacan, qui ne mâchait pas ses mots dans son séminaire dit une fois à son propos : « pour l’instant, je ne baise pas, eh bien ! je peux avoir exactement la même satisfaction que si je baisais. »
J’espère vous avoir rendu sensible, avec ces quelques bribes de la théorie des pulsions, en quoi celle-ci se trouve en quelque sorte intrinsèquement liée au langage, à ce langage qui est le propre de l’homme et qui le distingue de l’animal.
Mais il y a encore un autre aspect, essentiel, dont je voudrais dire quelques mots. C’est un point sur lequel Freud insiste jusqu’à la fin de sa vie, sur lequel il n’a jamais cédé, c’est le dualisme des pulsions. Il en donne plusieurs versions et c’est en 1920, après les horreurs de la grande guerre, qu’il en donne la forme la plus aboutie dans la lutte, l’opposition, entre éros et thanatos. Pour introduire la notion d’instinct de mort Freud va se référer à la biologie en postulant la tendance fondamentale de tout être vivant à retourner à l’état antérieur, anorganique, et l’illustrer d’exemples tirés de l’observation animale. Cela contribuera beaucoup à entretenir la confusion entre instinct et pulsion. Parce que dans le même mouvement, il s’emploie à caractériser ce qu’il en est de cet instinct pour l’homme, comment il prend forme pulsionnelle. En posant le concept de pulsion de mort, il ne part pas d’un point de vue purement spéculatif, d’une réflexion personnelle sur le monde et les hommes, il part de la clinique et des conséquences à tirer du constat répété de ce qu’il va appeler réaction thérapeutique négative. Certains patients, au fur et à mesure de leur travail analytique et de leurs avancées ne voient pas un allègement de leurs symptômes. Au contraire, il y en a qui vont de plus en plus mal, contrevenant ainsi au principe de plaisir sensé orienter le sujet. Freud va alors s’efforcer d’intégrer ce fait clinique dans un cadre théorique renouvelé. Cela va l’amener à formuler diverses hypothèses, toutes aussi scandaleuses les unes que les autres, comme celle d’un masochisme primordial, celle de l’existence d’un sentiment de culpabilité inconscient, et celle, enfin, d’une pulsion de mort. Elle peut être dissociée de son antagoniste, la pulsion de vie, et trouver son mode d’expression dans l’autodestruction ou par changement d’objet, se tourner vers l’extérieur en agressivité destructrice. Elle peut aussi, et c’est là que se situe l’enjeu crucial, se conjuguer à la pulsion de vie pour mettre la poussée dont elle procède au service de réalisations culturelles. Lacan ira encore plus loin dans ce sens en extrayant la pulsion de mort d’une catégorie purement négative pour la mettre au principe de toute sublimation créatrice.
Dans un de ses derniers textes, Freud appuie son dualisme des pulsions sur la théorie du philosophe présocratique Empédocle d’Agrigente. Selon Empédocle, quatre éléments, eau, terre, feu et air sont au principe de toutes chose et se trouvent soit unis par l’amour soit séparés par la haine. Cette représentation convient bien à Freud qui voit dans cette opposition entre amour et haine une anticipation de son opposition entre pulsion de vie et pulsion de mort. Cette élaboration freudienne, c’est un euphémisme de le dire, n’est pas bien passée auprès de ses élèves. L’évolution théorique qu’il a proposée a rencontré des résistances tenaces chez ceux que l’on appelle les post freudiens, ceux qui se considèrent comme freudiens orthodoxes, qui ne l’ont jamais vraiment intégré dans leur corpus théorique. C’est un des points essentiels qui les séparent des lacaniens. Il faut dire que le rejet de la pulsion de mort, son rejet en tant que nous pourrions être concernés par elle est tout de même quelque chose de bien commode. Comme ce qui est rejeté hors de la conscience n’est pour autant pas éliminé, et bien on l’attribue à l’Autre, le juif, l’arabe, l’homosexuel, celui de la cité d’à côté, n’importe, celui qui, c’est à n’en pas douter, à de mauvais instincts. Après cette entourloupe, on peut en toute bonne conscience mener sans ménagements une guerre totale contre l’axe du mal.
Lacan insiste pour exclure toute interprétation biologisante de la pulsion de mort en convenant que, si l’homme fait indubitablement partie du règne animal, il s’en écarte justement du fait d’une pulsion de mort distincte de l’instinct de mort qui marque tout être vivant. L’homme est un être qui se suicide, qui peut sacrifier sa vie pour une cause qui lui parait en valoir la peine ou pour passer à la postérité. C’est d’ailleurs le sort qui est attribué par la légende à Empédocle qui se serait jeté dans l’Etna. L’homme est aussi le seul à s’interroger sur le sens de la vie, qui est indissolublement lié à celle du sens de la mort et la condition d’un tel questionnement, c’est le langage. Ce questionnement c’est bien celui qui se trouve au cœur de l’épopée de Gilgamesh et qui déterminera l’accès plein et entier du héros à la condition humaine. Ce questionnement c’est celui qui tend à être exclu de notre modernité contemporaine. Le consentement à la mort et l’hommage rendu aux défunts est l’aboutissement du processus d’humanisation de Gilgamesh, à l’issue de sa vaine quête de l’immortalité et de l’éternelle jeunesse. La promotion de la jeunesse, le déclin des rites funéraires et le refus de la mort avec l’espoir que la science parvienne à en repousser sans cesse l’échéance constituent en sens inverse l’horizon de l’homme contemporain.
J’ai noté, tout au long de mon propos, la persistance de la confusion entre instinct et pulsion. J’ai noté aussi le rejet du concept de pulsion de mort. Les deux participent d’un même mouvement. Les deux ont partie liée parce que toutes deux sont les manifestations d’un même rejet tant de la pulsion en général que de la pulsion de mort en particulier, en tant qu’elles se distinguent de l’instinct, en tant qu’elles peuvent être comptées parmi les conséquences essentielles de la greffe sur le vivant que constitue cette intrusion, unique dans le règne animal, cette intrusion qui est comme une mutilation, cette intrusion qui est au fondement de la douleur d’exister, cette intrusion qui est celle du champ symbolique dans l’expérience humaine.
La psychanalyse, les concepts sur lesquels elle fonde sa théorie et sa pratique sont par nature subversifs. Cela n’avait pas échappé à Freud lui-même qui aurait confié à Jung, en arrivant à New-York où il venait faire une tournée de conférences : ils ne savent pas que nous leur apportons la peste. L’histoire, pourtant récente de la psychanalyse le démontre amplement ; elle est incompatible avec toute forme totalitaire d’exercice du pouvoir. On a pu le constater avec les fascismes européens ou latino américains du siècle dernier, mais aussi avec les régimes staliniens et on le voit encore avec les théocraties et autres dictatures actuelles. Ces régimes ont exercé ou exercent contre sa pratique une répression brutale qui a l’avantage de la clarté. Mais il est des manières beaucoup plus insidieuses, beaucoup plus politiquement correctes de l’attaquer. C’est celles auxquelles je me référais pour rendre raison de ma présence parmi vous et que je vais maintenant tenter d’aborder plus en détail.
Ce qui est remarquable, c’est que les formes de résistance suscitées par la psychanalyse, les critiques qui lui sont adressées, sont entièrement déterminées par l’esprit de leur époque, elles sont formulées au nom des valeurs idéales comme des interdits qui y sont promus. Freud a inventé la psychanalyse dans un siècle qui était dominé par la puissance économique et politique anglaise sous le règne de la reine Victoria. Eh bien c’est au nom de la morale victorienne et de la défense des bonnes mœurs que les résistances à son expansion ont été les plus acharnées. Dans l’après-coup, ce constat est facile à faire ou à admettre. Mais qu’en est-il actuellement ? Quelles sont les résistances sous jacentes aux attaques dont la psychanalyse fait l’objet ? Faute du recul nécessaire, c’est beaucoup moins simple à cerner, mais on peut néanmoins tenter d’en repérer quelques lignes de force.
Restons un instant sur ce constat d’une antipathie du pouvoir comme tel pour la psychanalyse. A quoi cela tient-il ? Si je devais condenser en quelques mots ce qu’est une psychanalyse, je dirais que c’est une expérience par laquelle on apprend à se faire à l’usage de la langue, à assumer les conséquences qui résultent du fait que l’on soit des animaux parlants et, notamment, à devoir composer avec l’Autre qui se trouve toujours impliqué du fait que l’on parle. Vous remarquerez que c’est précisément la thématique traitée dans l’épopée de Gilgamesh. On a à la fois l’apprentissage de la parole dans la trajectoire d’Enkidu et le consentement aux conséquences que cela emporte dans celle de Gilgamesh. Le problème que cela pose, celui qui embarrasse toute forme de pouvoir, c’est que ces conséquences, bien que l’on puisse en tirer quelques traits structurels communs aux êtres parlants, la façon que chacun d’entre eux a de faire avec ne peut être que singulière. C’est ce que l’on nomme, dans la théorie analytique, le symptôme. Pas quelque chose à éradiquer, donc, ce qui reviendrait à supprimer l’humanité même de l’homme, mais quelque chose à aménager, au cas par cas, en fonction des dispositions propres à chacun, dans son rapport à l’altérité. Cet aménagement du symptôme auquel conduit une psychanalyse s’accompagne d’une mutation du rapport à l’Autre, cet Autre que je vous ai illustré de la figure archaïque de la mère primitive. Cet Autre perd dans l’opération la toute puissance, bonne ou mauvaise qui lui était prêtée. Voilà ce qui embête le pouvoir, lequel tend, toujours, à ne vouloir avoir affaire qu’à une foule de semblables disjoints, à refuser toute singularité. Il perd beaucoup de ses moyens de coercition ou de séduction, du fait de l’opération analytique. Après une cure, non seulement on sait que le roi est nu, mais on sait aussi que cela ne conduit à rien de le crier sur les toits. Dits en termes lacaniens, on sait que l’Autre est barré, on consent à s’en faire la dupe, mais de la bonne façon, on a acquis un savoir faire nouveau avec les semblants.
Alors qu’est-ce donc, ce qui suscite la résistance dans la période actuelle ? Une bonne méthode serait de partir de la lettre même des critiques qui sont formulées. Parmi les plus insistantes, il y a celles qui, se revendiquant de démarches scientifiques, décrètent que la psychanalyse n’est ni efficace, ni rentable. Mais qu’est ce que l’efficacité, qu’est-ce que la rentabilité pour ces détracteurs ? Dans quel discours, porté par quelle idéologie ces concepts se situent-ils ?
Pour aborder cette question, je vous propose de faire un petit détour par le cours donné par Michel Foucault au collège de France, sous le titre Naissance de la biopolitique. Dans ce cours, il définit le néolibéralisme américain théorisé à la fin des années 70, il en décrit quelques exemples et fait un inventaire des conséquences qui en résultent. Foucault caractérise cette forme de libéralisme par sa visée assumée d’une généralisation illimitée de la forme du marché et de son application à l’ensemble des rapports sociaux. Ainsi, l’homme est le détenteur d’un capital humain dont il se révèle l’entrepreneur plus ou moins averti, auquel peuvent être rapportés tous ses comportements. Je vais, pour situer les choses, vous lire un passage édifiant de la leçon du 21 mars 1979.
« La relation mère – enfant, caractérisée concrètement par le temps que la mère passe avec son enfant, la qualité des soins qu’elle lui donne, l’affection qu’elle lui témoigne, la vigilance avec laquelle elle suit son développement, son éducation, ses progrès non seulement scolaires mais physiques, la manière non seulement dont elle l’alimente, mais dont elle stylise l’alimentation et le rapport alimentaire qu’elle a avec lui, tout cela constitue, pour les néolibéraux un investissement, un investissement qui est mesurable en temps, un investissement qui va constituer quoi ? Un capital humain, le capital humain de l’enfant, lequel capital produira du revenu. Ce revenu sera quoi ? Le salaire de l’enfant quand il sera devenu adulte. Et pour la mère, elle, qui a investi, quel revenu ? Eh bien, disent les néolibéraux, un revenu psychique. Il y aura la satisfaction que la mère prend à donner les soins à l’enfant et à voir que les soins ont en effet réussi. On peut donc analyser en termes d’investissement, de coût de capital, de profit du capital investi, de profit économique et de profit psychologique, tout ce qu’on peut appeler, si vous voulez, le rapport formatif ou le rapport éducationnel, au sens très large du terme, entre la mère et l’enfant. »
Alors vous devez bien vous en douter, rabattre les relations mère-enfant sur de strictes stratégies de capital investi et de rentabilité, réduire le don de la parole et de son amour de la mère à son enfant au rang d’un investissement spéculatif de capital humain, cela ne peut pas ne pas avoir de multiples conséquences. Celle sur laquelle j’ai aujourd’hui voulu mettre l’accent, c’est son effet dirimant sur l’ordre de la demande. La demande, en tant que demande adressée à l’Autre, se trouve remise en cause et c’est, au fond, ce que je voulais illustrer en opposant les émeutes occidentales aux révolutions arabes. Dans le même mouvement, le marché propose à profusion toutes sortes d’objets pulsionnels standardisés, qui sont censés leurrer le désir en venant saturer ce qui dans la demande excède le besoin. Comme ils finissent tous à la poubelle, le mécanisme se relance sans cesse et c’est la visée même de l’affaire : fabriquer un consommateur idéal. Ce n’est donc pas un incident de parcours, un effet collatéral que cet ordre infernal ruine le lien social. Finalement, ce à quoi aboutit cette logique, qui est aussi bien ce dont elle fait la promotion, c’est l’addiction. Le consommateur idéal, c’est le consommateur dépendant. Point besoin de parler, point besoin de faire un détour par l’Autre, par la demande à l’Autre, la jouissance du consommateur idéal est autiste. Et il est insatiable. Alors sur le plan clinique, ça se traduit par l’explosion tant des formes addictives que du nombre de personnes affectées d’addiction. Il ne s’agit plus seulement d’addiction à un produit, mais d’addictions à pratiquement n’importe quoi, le travail, le sexe, les jeux vidéo, les jeux d’argents, il suffit que cela soutienne un business. On a inventé récemment une nouvelle forme d’addiction, c’est la bigorexie. Le mot est formé de l’anglais big et du grec orexie, un beau barbarisme, donc. Il désigne l’addiction au sport et aux exercices de musculation. J’ai découvert ça en lisant une dépêche où il était question d’une dame qui a couru le marathon de Chicago alors qu’elle était au terme de sa grossesse. Elle a d’ailleurs accouché à peine franchie la ligne d’arrivée. Interrogée sur ses motivations elle a indiqué qu’elle avait une vraie raison : elle avait réglé ses droits d’inscription à la course avant de savoir qu’elle était enceinte.
Une société qui réduit l’expérience humaine à la gestion par chacun de son capital humain, une société qui érige en principe la lutte de tous contre tous, c’est une société qui à la fois rend raison à Rousseau, c’est aussi une société qui fait, de ce que dénonçait Hobbes, vertu. Performance et compétition sont devenus les maîtres mots de notre temps. Ils dévalorisent toute démarche collective visant à s’associer dans une œuvre commune et ringardisent ces valeurs désuètes qui animent encore les peuples qu’on dit avec mépris primitifs, comme le souci de la réciprocité des échanges, le sens de l’honneur ou le respect dû à la parole donnée. Comment pourrait-il en être autrement alors que la téléréalité scénarise la compétition la plus acharnée, la plus cruelle, en invitant le public à évaluer les participants pour « éliminer le maillon faible » ?
Foucault donne divers autres exemples de cette application systématique de la logique économique aux rapports sociaux. J’ai retenu celui-ci pour vous rendre sensible l’extrême réduction auquel procède le néolibéralisme de ce qui est au fondement de l’expérience humaine, de ce qui fonde l’humanité de l’homme et dont l’épopée de Gilgamesh, comme la psychanalyse tentent de rendre compte.
Il y a un autre aspect du néolibéralisme qui est analysé par Foucault dans ce même cours dont je voudrais aussi dire quelques mots. C’est l’application de la grille économique à l’action gouvernementale « pour jauger sa validité, pour objecter à l’activité de la puissance publique, ses abus, ses excès, ses inutilités, ses dépense pléthoriques. Il s’agit donc, pour les néolibéraux, de constituer, par rapport à la gouvernementalité effectivement exercée, une critique qui ne soit pas simplement politique, qui ne soit pas simplement juridique, mais qui soit une critique marchande ».
Ce capitalisme néolibéral, que dans les années 70-80 Foucault qualifiait d’américain, s’est depuis propagé à la planète dans ce mouvement que l’on appelle la mondialisation. L’analyse foucaldienne donne des clés de lecture fortes utiles à l’appréhension des enjeux de notre époque et à la nécessaire résistance aux effets de suggestion auxquels nous sommes exposés. Notez qu’il est patent que la visée néolibérale ne fait pas vraiment débat, ni ligne de partage, dans l’espace politique. Ainsi, par exemple, c’est sous un gouvernement de gauche qu’a été mise en place la LOLF, la loi organique relative aux lois de finances, qui est une procédure comptable d’évaluation systématique des rapports coûts bénéfice des politiques publiques.
Cette construction néolibérale repose, notons-le, sur la mesure, sur la quantification chiffrée, sur l’évaluation de la totalité de ce qui constitue l’expérience humaine. Elle part donc du postulat que tout est évaluable, que tout peut faire l’objet d’une évaluation comptable. Ce postulat étant admis, cette évaluation étant supposée possible, il faut la faire et la mettre au service de la minoration des coûts dans la perspective d’une maximisation des rapports entre le capital investi et le bénéfice retiré. Je crois que dans le cadre des conférences qui se sont tenues ici, il a été question des dégâts de cette fureur évaluative, dans des domaines aussi variés que l’éducation, la santé, la recherche, la justice, les services publics en général ou les entreprises. Ce qui ne peut être chiffré, ce qui ne peut faire l’objet d’une évaluation en termes de coût/bénéfice, cela ne compte pas, comme on dit, cela n’existe pas ou ne doit pas exister. Alors même que c’est l’essentiel. Ce qui ne peut être comptabilisé, ce qui n’existe pas, ce qui est rejeté par le capitalisme néolibéral, c’est ce qui unit, c’est l’éros, ce sont les choses de l’amour. Et c’est, à certains égards, comique de voir que les économistes les mieux intentionnés, ceux qui par exemple s’élèvent contre les ravages du capitalisme mondialisé, se trouvent assujettis, consciemment ou non, à l’idéologie de l’évaluation comptable. En tentant de substituer le BNB au PNB, le bonheur national brut au produit national brut, ils pensent faire œuvre novatrice et salutaire. Mais en développant leurs batteries d’indicateurs standardisés censés mesurer le bonheur, censés permettre des comparaisons entre peuples et territoires, ils perpétuent à la fois les procédures évaluatives, leur postulat de départ et la compétition qu’elles promeuvent : qui se trouvera donc le meilleur pour le bonheur ainsi mesuré ?
Pour situer le degré d’objectivation de l’humain auquel ils en sont rendus, j’ai retenu cet extrait tiré d’une publication de 2011 de l’OCDE intitulée « Mesurer le bien-être et le progrès » : « Le bien-être durable est directement lié à l’évolution de l’ensemble des ressources d’un pays, notamment celles qui ne se négocient pas sur le marché, comme le capital humain (c’est-à-dire le stock de compétences, de connaissances et de qualifications accumulé par les personnes). L’OCDE travaille à l’établissement d’estimations monétaires du capital humain, afin de compléter les indicateurs existants qui sont fondés sur le nombre d’années d’études ou les niveaux de compétence. Des estimations monétaires du stock de capital humain sont utiles car elles sont facilement comparables aux estimations des stocks de capital physique. »
La psychanalyse, donc, dûment évaluée par les statistiques de l’INSERM, il est avéré que ce n’est pas efficace, que ce n’est pas rentable. La rigueur mathématique des travaux statistiques n’est pas en cause, elle est irréprochable. Ce qui est contestable, ce qui fait problème, c’est le postulat de départ, celui qui est pris comme une évidence, qui n’est jamais ré interrogée : le postulat de la mesurabilité de toute chose. A ce postulat, la psychanalyse objecte avec insistance et c’est au fond cette objection qui détermine, dans le monde contemporain, les attaques qui la visent.
Fort heureusement, la mécanique néolibérale a des ratés, ce qui laisse de l’espoir. Ces ratés sont ce que l’on appelle des symptômes. Il y a les symptômes qui affectent les sociétés humaines dans leur ensemble, les crises financières, sociales, énergétiques ou environnementales dont on voit bien désormais qu’elles ne pourront pas se résoudre dans le cadre de la logique qui les a engendrées.
Et puis il y a les symptômes des personnes. A bien des égards, ces symptômes sont des formes d’objection, voire d’insurrection contre l’ordre néolibéral. A ne pas viser leur suppression, à donner au contraire aux sujets qui en sont le siège la liberté de les aménager à leur guise, la psychanalyse, forcément, dérange. Au sortir d’une analyse, c’est avéré, l’attrait pour le dernier gadget électronique ou le dernier modèle de 4X4 est tout de même devenu moins irrésistible.
En alternative à la conception de l’humain dont part la psychanalyse, on voit se développer des thérapies d’une toute autre nature et dont est vanté l’excellent rapport qualité/prix. Elles reposent sur d’autres présupposés, elles écartent a priori toute réflexion sur la cause des symptômes et ne sont jamais bien loin de ce qui est mis en scène dans Orange mécanique. En préparant cette intervention j’ai repéré quelques perles. Mon choix est évidemment tendancieux.
Le Centre d’analyse stratégique, organe de réflexion prospective placé auprès du premier ministre s’intéresse aux ventres des jeunes filles et considère que « la sexualité des jeunes est un enjeu majeur de politique publique ». Il développe cela dans sa note d’analyse du 26 juin 2011 où j’ai relevé la promotion faite d’un programme mis en place par l’Université de Caroline du Nord pour prévenir les grossesses précoces. L’originalité de ce programme, ce qui fait son intérêt pour le CAS, c’est que pour le conditionnement comportemental des intéressées, au-delà des classiques cours d’information sexuelle, qui sont plutôt axés sur le mode aversif, les jeunes filles qui y participent se voient aussi soutenues par un mode de renforcement : un dollar par jour où elles ne tombent pas enceintes leur est versé.
Autre exemple, le 20 juillet 2011, la secrétaire d’Etat à la santé présente les grandes lignes du programme national nutrition santé, qui comprend un nouvel axe, un plan obésité. Deux jours plus tard, alors que sont dénoncées les concentrations abusives de sucre dans les aliments industriels distribués dans les Antilles, son ministre de tutelle en visite à Fort de France déclare qu’il est favorable à des discussions sur le problème de l’obésité outre mer comme à de nouvelles campagnes de sensibilisation mais hostile au recours à la loi pour contraindre les entreprises à plus de modération. Fort heureusement, il a pu se faire présenter l’appareil IRM flambant neuf du CHU qui permet d’accueillir des patients obèses jusqu’à 200 kg.
Vous voyez bien, dans cet exemple, la visée de la biopolitique dont Foucault prédit l’avènement. Il s’agit de libérer un marché supposé régulateur de toutes choses et de faire porter la responsabilité des désordres qu’il engendre sur les personnes auxquelles incombe, dans cette affaire, la bonne gestion de leur « capital santé ».
Dans la visée de réduire l’expérience humaine à la forme marchande, c’est bien thanatos, ce qui sépare, ce qui désunit, qui assure une domination sans partage. Deux économistes, keynésiens je précise, en dressent le constat sans fard. Gilles Dostaler et Bernard Maris ont publié en 2009 un petit livre intitulé « Capitalisme et pulsion de mort ». Dans cet ouvrage, ils font la démonstration que « le désir d’équilibre, toujours présent, mais toujours repoussé dans la croissance, n’est autre qu’une pulsion de mort, que détruire puis se détruire et mourir constitue aussi l’esprit du capitalisme et que le marché, cet adjuvant du capitalisme, est un incroyable catalyseur de la pulsion de mort à l’œuvre dans l’accumulation ».
L’épopée de Gilgamesh, cette œuvre littéraire mésopotamienne vieille de 4000 ans est précieuse. Elle témoigne de la nécessaire réflexion sur la nature humaine et la lutte dont elle est le siège, entre l’aspiration au déchaînement pulsionnel débridé et la nécessité vitale du lien social et de l’œuvre créatrice. Elle permet d’entrevoir l’ampleur de la régression qui marque la période actuelle. La mobilisation de la pulsion de mort au service du capitalisme néolibéral, est une forme inédite de barbarie prétendant faire société en prenant appui, en faisant la promotion de cela même qui, en l’homme, s’y oppose. De sorte que l’enjeu de la période actuelle, celui dont dépendra probablement l’avenir de l’espèce, pourrait bien être celui de la réussite ou de l’échec des efforts qui sont déployés pour naturaliser la logique néolibérale, pour qu’elle soit admise comme caractéristique universelle de l’homme.
Se laissera-t-il suggestionner ou trouvera-t-il des formes de résistances à son expansion ?
La psychanalyse objecte au capitalisme néolibéral disais-je et bien j’ajoute maintenant que les apprentis philosophes y objectent également. Année après année, ses organisateurs, son public et ses intervenants soutiennent une réflexion collective qui constitue assurément une forme de résistance à sa visée hégémonique.
