En corps…qu’est-ce qu’une mère ?

21octobre 2009

Séminaire Alençon ; qu’est-ce qu’une mère ?

21octobre 2009

La science maternelle

J’ouvre donc, pour une nouvelle saison, ce séminaire commencé l’an dernier à partir de cette question : qu’est-ce qu’une mère ? Cette année il se fera avec la collaboration de deux de mes collègues et amis, Claudine Casanova de Bordeaux et d’Emmanuel Lehoux du Mans. Ils m’ont assuré par avance de leur travail dans celui-ci, ce qu’Emmanuel avait déjà fait l’an passé à l’arraché de ma demande.

Nous avons hésité à utiliser ce signifiant de collaboration, au regard de la mauvaise presse qu’il a pu avoir. Mais nous nous sommes cependant autorisés à nous le réapproprier. La collaboration c’est l’acte de travailler avec. (Co : avec, Labor : travail). Je vous le rappelais l’an dernier, la visée de la psychanalyse énoncée par Freud et commentée par Lacan c’est de permettre à un sujet « d’aimer et de travailler avec d’autres à une œuvre humaine. » La psychanalyse et son avancée est une œuvre humaine qui aujourd’hui plus que jamais est une œuvre de salut public, elle est la seule qui permette de sortir du discours capitaliste et de sa mise en acte, c’est la seule voie de sortie qui ne s’appuie pas sur la haine, la science ou l’amour passionnel qui excluent le reste du monde hors d’un entre soi. C’est elle qui permet de rétablir entre sujets un lien social humanisé.

Si la collaboration du temps de la seconde guerre mondiale mettait en œuvre un travailler avec d’autres à une œuvre de déshumanisation, la psychanalyse promeut, elle, un travailler avec d’autres à une œuvre humaine. Nous avons à l’apjl, pour nous le rappeler, les magnifiques textes dont Michel Lapeyre nous a généreusement fait don pour la préparation des « assises du savoir du psychanalyste », qui auront lieu en février. Emmanuel et Claudine vont donc collaborer avec moi cette année au travail d’élaboration autour de la question qui fait l’objet de ce séminaire de psychanalyse. Ils ne sont pas les seuls car il y en a d’autres avec qui je discute de ce travail, je citerai Jacques Podlejski dont les remarques me sont très précieuses et tous les collègues de l’association de psychanalyse à laquelle j’appartiens et ceux hors de cette association dont j’alimente mon travail du leur. Si je ne les cite pas toujours, je tente cependant chaque fois que je le peux de rendre à César ce qui appartient à César quand ce n’est pas de mon césar à moi que cela me vient. Donc Emmanuel interviendra deux fois sous le titre : « C’était la faute de ma mère ! » Un imparfait qui fait contrepoint au présent du « c’est la faute de ma mère » qui nous fait sourire à l’entendre mais nous fait grincer des dents à le croire si ce n’est d’en avoir la certitude. Claudine interviendra une fois, elle interrogera le cas de cette héroïne d’une pièce d’Euripide, meurtrière de ses enfants, et dont Lacan dit d’elle que c’est une vraie femme, elle a intitulé son intervention : Médée …une mère ? Donc une polyphonie de voix auxquelles, j’espère, les vôtres s’ajouteront aux nôtres lors du débat.

En ce qui concerne ce que je vous ai raconté l’an dernier, une amie, qui a pris le temps de lire mon travail pendant ses vacances, m’a dit qu’elle était restée sur sa faim quant à la réponse que j’avais tenté d’apporter à la question posée. « Rester sur sa faim », quand la mère est en question, j’ai trouvé que la formulation était particulièrement bien venue. Peut-on qualifier d’être une mère la femme qui comble la faim du sujet, voire le gave au-delà de sa faim ou qui le laisse en proie à une faim qu’elle ne veut ou ne peut totalement assouvir, voire le laisse mourir de faim. Gavante, comblante, frustrante, affamante. Où est celle dont l’on pourra dire qu’elle est une mère ?

La mère de rêve, imaginaire donc, ne serait-elle pas celle qui serait comblante, ni dans le trop ou le pas assez ou le pas du tout ? Elle ne le serait pas en répondant juste comme il faut à tous les besoins vitaux du morceau de chair vivante qu’est le corps de l’enfant, issu de son corps, dont l’alimentation est le premier besoin. Notre clinique nous fait toucher du doigt au quotidien qu’un enfant en bonne santé physique qui, comme on dit, ne manque de rien, pour lequel on répond à tous ses besoins, peut aller très mal et aller jusqu’à se laisser mourir de faim. A l’inverse, l’histoire nous a appris, de façon obscène, que réellement affamés certains sujets s’en sortent, puisant quasiment hors de leur corps physique les ressources pour ce faire. Ceci bien sûr a des limites que je ne voudrai pas ici gommer d’un revers de main. On sait encore qu’aujourd’hui 24 000 personnes quotidiennement meurent réellement de faim dans un monde qui a largement de quoi nourrir l’ensemble de sa population et que par ailleurs des fortunes sont dépensées pour que les gavés de nourriture n’en meurent pas. On devrait en mourir de honte. Mais voilà, de la honte l’humain ne meurt pas car il s’abrite derrière son inhumanité, qui ne va pas sans son humanité.

Cette inhumanité est son refuge qui lui fait supporter l’insupportable en le noyant dans l’oubli d’un « n’en rien vouloir savoir », si ce n’est quand même un sursaut de culpabilité qui le ré-humanise de temps en temps mais le laisse affublé de son impuissance. On n’y peut rien ! Comment çà, on n’y peut rien ? On peut renflouer les banques monétaires que la crise actuelle du capitalisme met en péril mais pas les banques alimentaires ? Cynisme d’un système inhumain, qui d’avoir trop tiré sur la corde, met en péril l’humain. Il faut continuer à se le dire pour ne pas l’oublier et la culpabilité qui peut en découler n’est pas le pire de ce qui peut nous arriver. Sans la culpabilité la psychanalyse n’existerait pas. Mais, disons le tout de suite, contrairement à la psychothérapie, elle n’ a pas pour objectif de déculpabiliser le sujet mais de traiter son impuissance en l’éveillant au désir, à une autre désir que celui de dormir tranquillement sur ses deux oreilles, comblé au jeu de l’ ignorance, désir de se mettre au travail pour que l’ humain de l’ homme ne soit pas tué par l’ inhumain de l’ homme .Quand les affamés se regroupent en meutes se déchaînant contre les gavés retranchés dans leurs prisons dorées, l’humanité de l’homme est réduite à rien d’un côté comme de l’autre. Ceci dit et je tenais à le dire quand même dans un contexte où la faim, celle qui affame réellement, pas celle sur laquelle on reste sur le mode « d’ encore une petite faim », n’ est pas pour tous une métaphore, dans le contexte de ce travail c’est comme métaphore que ce « rester sur sa faim » est utilisé.

Donc la mère comblant la faim ici évoquée, n’est pas celle qui donnerait la juste quantité de lait qu’il faut, ceci à la limite, la technologie scientifique pourrait bien nous fabriquer un de ces jours une machine qui pourrait le faire, elle sait en fait déjà le faire, ravalant la demande au besoin. Elle est celle qui saurait répondre juste comme il faut à toutes les demandes de la substance humaine, pour reprendre cette expression de Michel Lapeyre, celle d’un corps vivant, d’un petit animal vivant, qu’elle a humanisé. Elle l’a humanisé sur un certain mode, par un maternage où son regard, sa voix, ses gestes soutiennent la lalangue qui est sienne, qui l’accompagne. Mais de ce fait s’inscrit dans l’homme un potentiel à la déshumanisation si ce qui l’humanise vient à manquer.

Cette humanisation par la mère peut être supportable car pas trop jouissive ou insupportable car trop jouissive, la jouissance en jeu pouvant aussi bien s’exercer en positif qu’en négatif. Disons pour illustrer cela, qu’être gavé autant qu’être affamé est, à plus ou moins longue échéance, mortel. En ce qui concerne l’humain seront en jeu l’objet dont le sein de la mère sera le support emblématique, dit objet a par Lacan et ses paroles faites d’injonctions diverses et variées dont le surmoi se régalera faisant preuve « d’une gourmandise » qui peut-être sans limite, même si la nature de la mort subjective n’est pas la même. Cette humanisation peut aussi ne pas avoir eu lieu. Celle appelée mère n’est donc pas pour rien dans le supportable et l’insupportable de l’humanisation de la substance vivante dont se soutient l’humain.

Le père de l’enfant, un homme, dont elle est ou non la femme, n’est pas étranger, lui non plus, par sa présence ou son absence au supportable ou insupportable, au pas trop jouissif ou non de l’humanisation de la substance vivante dont la mère est l’initiatrice. N’est-il pas celui qui donne ou non un sens au manque de jouissance en la frappant d’interdit faisant basculer la demande au désir ? Mais peut-il répondre par le langage qui fait entrer le sujet dans la communauté humaine de l’entière « déjouissance » de la substance humaine ? N’y a-t-il pas une part de la jouissance du vivant qui lui échappe, qui échappe au langage ? Mitraillage en vrac de questions dont la liste est loin d’être exhaustive. Vous y retrouvez quelques-uns des signifiants repris à Lacan que j’ai utilisés l’an dernier en particulier : lalangue, le langage, la jouissance où ceux de demande et de désir font leur entrée. Quoiqu’il en soit vous laissant sur votre faim, si j’en crois cette amie, je ne fus pas une mère de rêve, une mère qui aurait répondu à cette question, qui de mienne est devenue vôtre, et dont votre demande aurait été que j’y réponde. Je n’ai pas entièrement répondu à votre demande, je vous ai laissés sur votre faim, mes dires ne vous ont pas comblés, plutôt frustrante donc. Je dirai que c’est un bon début ! Si je ne vous avais pas laissés sur votre faim, si mon dire vous avait comblés, je ne vous aurais pas donné l’envie de revenir, j’aurais mis fin à votre demande et je vous aurais armés de la certitude de savoir ce qu’est une mère. Le pire que j’aurai pu faire sans doute.

Pour ceux qui ont disparu au cours de l’année, j’ai, sans doute, versé pour eux dans le registre de l’affamement ! Je n’ai pas répondu du tout à leur demande, ce qui laisserait supposer que cela soit possible ailleurs, voire impossible. Peut-être ai-je aussi été, pour les disparus, gavante, les dégoûtant peut-être par l’abondance de mes dires et parfois leurs difficultés, comme celle des concepts mis en jeu. C’est vrai cela demande pour me suivre un certain effort, ce n’est pas du « tout cuit », ce n’est pas du « tout cuit »pour moi non plus, cette question. Mais mettons fin à la métaphore nourricière avec laquelle j’ai ouvert mon propos orienté par le : rester sur sa faim, de ma lectrice très bienveillante par ailleurs.

Avec les rescapés de l’an passé et ceux qui se risquent ici pour la première fois à m’offrir leur présence, je vais donc continuer ce travail d’élaboration autour de cette question : qu’est-ce qu’une mère ? Dans le petit argument, très sobre, que j’ai écrit pour annoncer la reprise de ce séminaire, j’ai parlé du travail de l’an passé comme étant du débroussaillage de ce champ immense où demeure une mère. Ce signifiant champ est utilisé par Lacan dès ses premières interventions avant même qu’il commence son séminaire public et figure dans ce qu’il est convenu d’appeler le rapport de Rome (26, 27 sept 1953) il a pour titre : « Fonction et champ de la parole et du langage en psychanalyse », pour la petite histoire il me semble qu’il a été perdu et que Lacan l’a réécrit. Il figure sous ce titre dans le seul livre qu’il ait consenti à publier et qui rassemble des textes de lui qu’il a sélectionnés pour y figurer, sous le nom d’Ecrits Ce signifiant champ traverse tout l’enseignement de Lacan qu’il utilise en diverses occurrences. D’une façon générale, un champ désigne un lieu où s’exerce une action qu’elle soit humaine ou non et lui donne des propriétés en lien avec celle-ci. Ici le champ où demeure une mère sera ce lieu où une femme travaille, se repose, voire s’absente, seule et pas seule à la fois, c’est aussi le lieu où l’enfant fera sa demeure, toute et pas toute à la fois, C’est un lieu dont il sera exclu mais où sa condition d’homme le fera revenir pour mourir et ne pas mourir à la fois. Ce champ tout en contraste est immense car il fait appel à nombre de concepts psychanalytiques pour le définir, si ce n’est à tous.

L’an dernier nous avons commencé à l’explorer au risque de nous y perdre, à le débroussailler, ai-je écrit. Il met donc en jeu une multitude de questions et j’ai tenté d’en attraper quelques-unes mais comment poursuivre à partir de « la fin abrupte » où je vous ai laissés, toujours au dire de cette amie, ce avec quoi je suis d’accord. Le « comment poursuive ce travail » a commencé à prendre forme quand, discutant avec Emmanuel de ce travail, d’un titre à l’autre, j’ai lancé celui-ci : En corps… qu’est-ce qu’une mère ?

En corps …qu’est-ce qu’une mère ? A l’entendre, ce titre joue de l’homophonie avec le signifiant : encore. J’avais d’ailleurs pensé un moment intituler ce séminaire : Encore …qu’est-ce qu’une mère ? Encore, c’est le titre que Lacan a donné à l’un de ses séminaires, le vingtième, l’un de mes séminaires préférés avec L’Ethique de la psychanalyse, le septième, qu’il évoque dès la première phrase d’Encore. Il est une charnière dans l’élaboration de Lacan qui, me semble-t-il, fait, à nouveaux frais une lecture du champ de la psychanalyse, non plus avec les signifiants freudiens, mais avec les siens les mettant d’une certaine façon à mal en les interrogeant. Piquer comme çà à Lacan l’encore de son Encore pour faire un titre ronflant lacanien, toute modestie mise à part, cela ne me convenait pas.

Pourtant dans ce séminaire les questions qu’il aborde, qui sont celles de La femme, dont il soutient qu’elle n’existe pas, et de la jouissance féminine, qu’il pose comme supplémentaire à la jouissance phallique et non complémentaire, étaient au centre des questions que je voulais continuer à travailler en tentant de cerner leurs articulations avec ma question. En effet, si vous vous en souvenez, dès ma première intervention l’an dernier, j’avais avancé une réponse. A la question qu’est-ce qu’une mère ? J’avais répondu : Pour un sujet humain, une mère c’est la femme qui en lui donnant la vie lui donne aussi la mort. Elle est à l’origine des passions de son être que sont l’amour, la haine, l’ignorance et la science c’est à dire ce dont il jouit. Y figure donc ce signifiant la femme.

 » La nécessité de l’espèce humaine étant qu’il y ait un Autre de l’Autre, c’est celui-là qu’on appelle généralement Dieu, mais dont l’analyse dévoile que c’est tout simplement La femme. » ; peut-être vous souvenez-vous de ce petit bout de citation extraite du séminaire de Lacan, Le sinthome, dont j’avais fait état lors de la dernière séance de juin. L’Autre dit Lacan dans le passage qui précède celui-ci, c’est ce avec quoi le sujet fait l’amour c’est à dire son inconscient, c’est cela son partenaire, il n’en a pas d’autre.

Je trouve que c’est une belle formule pour dire ce qu’est l’inconscient, où le faire l’amour peut aussi bien s’entendre au sens propre que figuré. L’Autre c’est le « je » de l’inconscient, le sujet de l’inconscient. Le je de l’inconscient, l’Autre, c’est celui qui met en scène les lapsus, les actes manqués, les rêves mais aussi les symptômes, dont on se plaint tant mais dont on ne se sépare pas si facilement, c’est celui qui parle. Se révèle là que, quelque chose nous gouverne dont la maîtrise nous échappe, échappe à notre conscient. Mais si le « je » de l’inconscient est mon partenaire où est le « je » du sujet jouissant que je suis ? Celui qui le fait parler. Voilà la question. Faut-il alors aller le chercher du côté de L’Autre de l’Autre ? Il serait alors celui qui est responsable, créateur de cet inconscient, le « je » qui en jouirait avec lequel je ne ferais qu’un, qui supposerait que quelque chose est écrit par avance par cet Autre de l’Autre, que de notre inconscient nous n’en sommes pas responsables.

J’ai une analysante très croyante qui me dit cela très bien « si j’ai un inconscient où est ma liberté puisque je n’en suis pas maître », elle a par ailleurs beaucoup de mal à se défaire de l’idée que les choses sont écrites d’avance, ce qui est un peu paradoxal puisque la liberté qu’elle revendique d’une part elle l’annule de l’autre. Il ne lui reste donc qu’à remettre sa vie entre les mains de Dieu mais, à ce faire, elle y perdrait sa jouissance, celle dont se soutient son existence, une haine féroce qu’elle ne veut pas perdre. Cela elle le dit très bien aussi. Il y a là un dilemme avec lequel elle se débat. Alors un prêtre ou un analyste ? Ah si les deux pouvaient opérer de concert ! C’est son rêve, ce avec quoi, vous vous en doutez, je n’adhère pas mais je ne la décourage pas pour autant du côté du prêtre. Mais pas de doute que ce rêve réalisé serait un vrai cauchemar, ce dont elle a quand même une petite idée.

Donc cet Autre de l’Autre dont il y a nécessité pour l’espèce humaine qu’il existe, qu’on appelle Dieu, se révèle par la psychanalyse être La femme, dit Lacan. Ce « La femme » qu’il majuscule, c’est dans ce séminaire Encore qu’il avance qu’elle n’existe pas et il l’écrit La barré. Dans le séminaire sur Joyce qui est donc Le sinthome, trois ans après, il conclue ceci « la seule chose qui permette de supposer la femme c’est que comme Dieu elle soit pondeuse. Seulement, c’est là le progrès que l’analyse fait faire, c’est de nous apercevoir qu’encore que le mythe la fasse toute sortir d’une seule mère, à savoir d’Êve, eh bien il n’y a que des pondeuses particulières et c’est en quoi j’ai rappelé dans le séminaire Encore, paraît-il, ce que voulait dire cette lettre compliquée, à savoir le signifiant de ceci qu’il n’y a pas d’Autre de l’Autre.(S de A barré). Je ne sais si vous sentez toutes les questions que cela pose, en tout cas cela m’ en pose quelques-unes qui font un peu brouillard, je les laisse ouvertes en attendant que le brouillard se lève.

Posons-nous d’abord une première question : le « la femme » de ma formulation, qui dit qu’une mère c’est la femme, est-il le « La femme » de Lacan .Si oui on en conclut qu’une mère c’est Dieu ? Or une mère ce n’est pas Dieu, on le sait bien. Mais est-ce si évident ? Fallacieuse évidence, c’est de cette façon que j’avais titré ma première intervention de l’an passé. Et j’ai soutenu mon discours d’un exemple, à la fois le plus complexe et le plus épuré, celui de l’Islam et de son prophète Mahomet pour tenter de faire se lever la brume, que j’y sois arrivée, je suis sûre que non, même s’il y a eu quelques petites éclaircies.

C’est un exemple qui est en fait un contre exemple puisque c’est dans le ratage de la fonction maternelle qu’il met en lumière, qu’il est exemplaire. Disons pour éclairer à l’avance un peu les choses, dans cet exemple la fonction maternelle n’est pas soutenue par une femme qui serait la femme d’un homme. Je peux dans cette formulation même faire grincer quelques dents puisqu’une certaine doxa avance qu’il y a une fonction paternelle mais pas de fonction maternelle.

Si Lacan a formalisé ce qu’il en est de la fonction paternelle, il parle plusieurs fois de fonction maternelle mais ne la formalise pas.Mais quoi qu’il en soit, elle n’est pas symétrique de la fonction paternelle, on en a quand même une petite idée puisque la maternité engage le corps d’une femme. Je vous le rappelais l’an dernier où j’ai commencé à commenter ce dire qui est mien : depuis la nuit des temps jusqu’ à la fin des temps, tout enfant a été, est ou sera porté pendant neuf mois dans le ventre d’ une femme avant de naître. Le problème est de savoir ce que « ventre d’ une femme » veut dire. Pour la psychanalyse, contrairement à la science, la biologie n’est pas la référence, même si le réel du corps d’une femme y est engagé.

L’exemple de Mahomet va dans le sens de démontrer qu’une mère ce n’est pas Dieu puisque pour lui c’est l’ange de Dieu, l’ange Gabriel, qui fait pour lui prothèse délirante de la « une mère » qu’il n’a pas eu. Mais, reste entière la question du sexe de l’ange qui ne peut se dire dans le langage des hommes puisqu’il n’est ni un homme ni une femme, qui sont les deux seuls sexes que l’on connaisse, et laisse en suspens la question de sa propre sexuation pour ce sujet.

La suite de l’histoire, sur laquelle je ne me suis pas attardée, on la connaît, c’est qu’être un homme pour lui se résumera, après la mort de Khadîdja, à avoir beaucoup de femmes, disons-le crûment, à toujours réellement bander et à entreprendre des conquêtes de territoires pour répandre sa nouvelle doctrine par de sanglantes guerres. Il n’est pas le seul à l’avoir fait, c’est vrai, mais le pire des uns n’excuse pas le pire des autres. Une forclusion de la castration est à l’œuvre chez ce sujet, ai-je avancé, faute d’un homme qui veuille bien pour lui, occuper la place de père voire, c’est une question, il refuse d’en mettre un à cette place.

Vu sous cet angle, celui où c’est le sujet qui refuse de mettre un homme en place de père, ceci pose la question de ce que Lacan appellera « l’insondable décision de l’être » (177 les Ecrits) dans la psychose. Mais cette « décision de l’être » n’est-elle pas conditionnée justement par le rapport que la femme qui est dite mère a avec un homme dit père, quand celle-ci n’est pas un ange incarné mais un être sexué, ce qui est quand même le lot de toutes les femmes à ce jour ? Les femmes ne sont pas des anges, j’en entends quelques-uns répondre en écho « on ne vous le fait pas dire » ! L’inverse est tout aussi vrai, le refus d’un sujet qu’une femme soit une mère n’est-t-il pas conditionné par le rapport que l’homme dit père a avec la femme dite mère, l’homme ne pouvant pas être un mort, ce qui est aussi le plus courant ?

Quant aux vierges devenant mère, on nous dit qu’il y en eut et n’y en aura qu’une, La vierge Marie. S’ouvre ici en abyme la question des grossesses par insémination du sperme d’un homme après sa mort comme l’actualité récente nous en étale les dédales. Les progrès de la science, que rien n’arrête, nous confrontent à des questions éthiques qui n’existaient pas il y a peu de temps encore et il y en aura d’autres. Je tente ici de vous résumer brièvement mon travail de l’an dernier mais aussi de l’éclairer.

Cet exemple celui de l’Islam et de son prophète Mahomet, pas pris au hasard, vous vous en doutez bien, en dehors du fait qu’il peut donner quelque éclairage sur une religion dont on parle beaucoup sans en connaître les moindres fondements, toujours au dire de mon amie, ce qui ne serait déjà pas si mal comme bénéfice secondaire, tente aussi de soutenir autre chose qui est loin d’ être sans rapport avec mon sujet. Elle tente de soutenir que Dieu est peut-être autre chose que La femme, non pas Autre de l’Autre mais non- Autre, le vrai Dieu. (Je vous rappelle que dans la théorie des ensembles si A est un ensemble qui contient un certain nombre d’éléments, l’ensemble non- A, qui s’ écrit avec une barre au dessus du A comme dans le non-phi de x, est l’ensemble complémentaire de l’ ensemble A tel qu’il contient les éléments qui manquent à A). Ce qui lacaniennement parlant semble plutôt hérétique, ce qui me ferait appartenir, paradoxalement, à la famille de Lacan puisque héritier de Freud c’est comme hérétique qu’il se situe par rapport à lui .

Mais pour être lacanienne il faut pour cela que j’arrive « à être hérétique de la bonne façon » c’est à dire soumettre mes dires à confirmation (Le sinthome ). Là, je dois dire, qu’il m’arrive encore de rêver d’être complètement débile, ce serait un peu moins fatigant ! Mais ayant comme tout un chacun ma part de débilité j’arrive quand même à me reposer !

Donc le vrai Dieu, c’est le Dieu de l’Islam ai-je soutenu. Ce non- Autre, le « Tout sachant », serait détenteur d’un savoir qui viendrait complémenter celui qui manque aux hommes, ce qui est donc le propre du non-savoir. Mais ce non- Autre est muet et le savoir supposé à ce Dieu s’inscrit fondamentalement pour l’homme comme un non-savoir impossible à savoir, « le vrai secret » ou encore « la vraie vérité ». Dieu dans l’Islam ne parle pas à Mahomet, c’est l’ange qui parle, non pas en son nom, mais en lisant à Mahomet la lettre de Dieu dont il est le messager, contrairement aux deux autres religions monothéistes où Dieu parle directement à ses prophètes voire par la voix de son fils.

Cette mutité de ce non-Autre qu’est ici Dieu pose un indécidable sur son existence le renvoyant du côté du Réel, du vrai réel, on peut avancer ici, pour être en cohérence avec ce qui précède, qu’il s’agit ici du non-réel. Dieu est renvoyé dans le champ de ce que Lacan nomme La Chose, la Chose maternelle, dans l’Ethique de la psychanalyse justement, où Lacan reprenant Freud, pose La Chose comme étant l’objet perdu qui n’a jamais existé. D’où l‘idée qui est mienne qu’il s’agit là de non-réel.

Voilà rapidement quelques petites explications pour soutenir cela. Je m’appuierai pour ce faire sur le statut du savoir au regard de la science puisque comme nous le rappelaient Pierre Bruno et Marie-Jean Sauret lors de la préparation des assises du savoir du psychanalyste, la visée freudienne était de faire de la psychanalyse une science. Dans l’article des Ecrits « La science et la vérité » (p 863), Lacan écrit : « Le savoir sur l’objet a serait la science de la psychanalyse. » Il ajoute « c’est très précisément ce qu’il faut éviter ».

Donc, on peut dire que la science a deux versants différents. En premier lieu il y a celui qui oriente la science que l’on va dire classique. Elle s’intéresse à des objets qui existent et où le désir des scientifiques est d’avoir le savoir sur l’objet. L’exemple mythique est celui de Newton dormant sous un arbre qui est réveillé par une pomme qui lui tombe sur le nez. On peut dire qu’il y a un réel qui le réveille et Newton va donc se questionner sur : pourquoi une pomme tombe ? Y aurait-il un savoir dans la pomme elle-même qui la ferait tomber plutôt que voler. Est exclu le fait que la pomme ait une mauvaise intention ce jour-là qui serait de l’empêcher de dormir…en résulte la loi de la pesanteur, le P= mg que vous connaissez sans doute. Cette formule va se complexifier au cours des temps, pour tenter de rendre compte de la gravitation universelle où une multitude de facteurs viennent s’ajouter à la formule très approximative, et non pas fausse, de Newton pour tenter d’approcher le réel mis en jeu. Mais comme on ne sait jamais, au fur et à mesure des avancées de la science, si un nouveau facteur ignoré ne va pas surgir et mettre à mal la savante formule, celle-ci aussi complexe soit-elle devenue, reste incertaine.

Le réel n’est jamais atteint, il y a une impuissance à avoir un savoir qui peut se formaliser dans une formule sans incertitude sur l’objet d’étude, il y a toujours un facteur ignoré probable qui fait l’objet de l’incertitude mais il reste pensable qu’un jour tous les facteurs auront été intégrés dans la formule, il n’y aura plus d’incertitude, on aura la vraie formule. C’est ce type de réel qui est mis en jeu dans la psychanalyse quand il s’agit de cerner l’objet, dit objet a par Lacan, celui que l’on est pour l’Autre, tel qu’il se présente dans le fantasme que nous avons construit en interprétant ses dires, en leur donnant un sens. On pourrait dire que cet objet c’ est celui que l’ on se sait être au niveau de son inconscient. Avoir une formule sans incertitude qui rend compte de ce savoir, c’est-à-dire une interprétation vraie, savoir sur l’objet que nous sommes pour l’Autre nous donnerait la possibilité d’être l’objet parfait qui le satisferait entièrement. On suppose que cela donnerait un sens à notre existence qui est plutôt désorientée, voire bloquée quand on vient voir un analyste.

En écrivant ceci, d’une certaine façon, je me suis battue avec ce signifiant « savoir » qui suivant la phrase où je l’utilise ne prend pas le même sens et peut induire beaucoup d’ambiguïté dans mon dire.

L’inconscient on le sait depuis Freud, c’est un savoir que le sujet sait mais refoule ne voulant pas le savoir, il y a un savoir non su qui peut se savoir. Ce que sait le sujet c’est l’objet qu’il est ou celui qu’il voudrait être, pour l’avoir rencontré, je vais me contenter de le dire comme cela maintenant, pour ce faire, il a donc interprété des dires, c’est ce qui fait son savoir mais sur lequel il a une incertitude et chez l’analyste il vient chercher une certitude. Donc sur ce versant là c’est la science dans sa dimension freudienne, classique, qui est à l’œuvre. Je la qualifierai de science paternelle. Non seulement parce que Freud est le père de la psychanalyse mais parce que c’est de ce côté-là que le père a fait ou non son œuvre.

Le deuxième versant de la science est très différent de ce premier versant évoqué, le classique. En effet sur ce deuxième versant c’est à partir de calculs de la logique mathématique, détachés de tout objet d’étude que va surgir dans le réel de nouveau l’ objet qui n’y était pas avant. La bombe atomique en est un exemple, c’est à partir des calculs mathématiques d’Einstein qu’a surgi ce nouvel objet dont la maîtrise n’est pas par ailleurs assurée, dont on ne sait pas tout. Nous avons là un objet impensable avant, qui fait son entrée dans notre vie et dont on doit dire qu’il n’est pas sans provoquer une réelle angoisse. A partir de là on peut donc dire que le réel tel qu’il était avant avait un trou, qu’il y avait quelque chose qui lui manquait pour être complet ; ce qui lui manquait c’est ce qui peut donc être appelé du non-réel qui viendrait le complémenter, qui ferait un réel sans trou.

Ce non-réel met en scène des objets qui n’ont jamais existé dans la pensée même de l’homme. Si Newton en se reposant sous un pommier pouvait penser qu’une pomme pourrait lui tomber sur la tête, même si l’imprudent ne l’a pas fait, il ne pouvait pas penser qu’une bombe atomique pourrait lui tomber dessus, pour la bonne raison que cet objet n’existait pas de son temps. Maintenant ce trou dans le réel est bouché, pour le pire ici, mais il y a d’autres objets qui n’existaient pas avant qui ont bouché des trous dans le réel et dont on peut penser que c’est pour le meilleur et il y en aura bien d’autres sans aucun doute dont nous n’avons, et pour cause pas la moindre idée. « Le pire et le meilleur » ce sont des interprétations subjectives dans l’après coup car on ne peut jamais prévoir à l’ avance de quel côté la balance va pencher.

La difficulté quand on parle de réel, c’est qu’on englobe sans les différencier les deux types d’objets, disons les objets pensables puisqu’ils nous réveillent en nous tombant sur la tête et dont le savoir sur eux est l’une des visées de la science classique et les objets impensables qui ouvrent une béance dans le savoir à mettre en œuvre pour les faire surgir et faire un réel parfait sans trou, sans manque, dans lequel il ne manquerait aucun objet. Si on avait ce savoir, il viendrait complémenter l’autre savoir ce qui lui donne le statut de non-savoir. La somme de ce non-savoir et de l’autre savoir, devenu parfait à pouvoir se formaliser sans incertitude, ce serait le savoir absolu.

Donc dans le savoir, je pense que cela commence à se dessiner pour vous, il y a deux trous de nature différente, celui mis en jeu dans l’espace d’incertitude dans le savoir constitué sur l’objet existant et avec lequel s’ articulera ce que la psychanalyse appelle la castration et un autre trou mis en jeu par l’ objet inexistant dont on ne sait quelle invention de savoir va le faire surgir.

Si j’ ai appelé science paternelle, la science qui s’occupe de la première forme d’ objet, c’ était pour me réserver d’ appeler science maternelle l’ autre, qui dit, comme je viens de vous présenter les choses, qu’elle n’ a rien à voir avec celle du père même si dans l’après coup de l’ introduction d’un nouvel objet dans le monde la science paternelle va se pencher dessus pour en extraire tout le savoir.

Alors, me direz vous la pomme de Newton a-t-elle toujours existé ? Bonne question où il y a beaucoup de chances, à défaut d’une réponse satisfaisante, que Dieu fasse ici son entrée comme étant le créateur de ladite pomme, comme étant celui qui a pondu l’objet pour reprendre les signifiants lacanien. Si je m’appesantis là-dessus ce n’est pas sans raison car cela permet de saisir, du moins je le souhaite, que nous avons là deux types d’objets qui sont fondamentalement différents et que ces deux types d’objets sont en jeu, disons, dans la psyché humaine l’un va intervenir sous la forme de ce que Lacan appellera l’objet a versant Un père et l’autre comme objet venant de la mère versant La Chose. Alors peut-on dire, comme l’affirme Jacques Alain Miller, que « la Chose, il (Lacan) la rendra opératoire, maniable, en tant qu’objet petit a. » ? ( TEN LINE NEWS n ° 447 – nouvelle série, en date du lundi 9 mars 2009, Numéro Extraordinaire, Edité sur UQBAR par Luis SOLANO) .

C’ est une jolie formule sans doute mais qui court-circuite, me semble-t-il, sans en avoir l’ air ce que je viens d’ appeler la science maternelle. Car, c’est du moins mon idée, la Chose en tant que telle ne peut pas être rendue opératoire, ni maniable sous quelle que forme que ce soit. Il y a fondamentalement dans la science maternelle quelque chose pour le sujet qu’il ne saura jamais, et que le père lui-même ignore. Ce qu’il ne saura jamais c’est « la formule » mise en œuvre par celle qui l’a fait, lui, nouvel objet surgissant dans le monde, ce parce que la mère elle-même l’ignore. On pourrait dire d’une façon métaphorique que la mère a oublié à tout jamais la formule magique qui lui a permis la fabrication de ce nouvel objet qu’ elle a mis au monde. Et si cette formule magique existe c’ est dans son inconscient à elle qu’elle réside et nulle part ailleurs. A moins que, du côté de la mère, on ne lui suppose aucun savoir si ce n’est celui de la biologie ou, que le dit père ait le même inconscient que celui de la femme-mère ce qui serait une lecture paranoïaque de l’affaire. C’est un peu ce que l’on voit à l’œuvre chez un Schreber dont j’ai dit un petit quelque chose l’an dernier. A son dire ses parents s’aimaient d’un amour parfait. S’ aimer d’un amour parfait c’est avoir le même inconscient ou un inconscient pour deux .C’ est une version de l’amour qui ne peut appeler que du ratage en retour. Et nos chers parents, quand ils ne sont pas ceux d’un Schreber, du côté de l’amour parfait entre eux, quand même, çà laisse un peu à désirer. Et heureusement que çà laissait à désirer. Mais de formule magique il y en a une, ne vous découragez pas, c’est sur ce chemin là que je vous emmène, avec cette petite nuance pour mettre un bémol à vos espoirs, car comme je vous le faisais remarquer l’an dernier, le propre de la magie quand elle ne relève pas des sciences occultes, c’est de faire sortir du chapeau le lapin qui y est déjà.