1er avril 2009
De la stérilité féminine
De la mère des garçons dans leur rapport à leur propre mort
De la mort des mères dans la vie des filles
C’est avec intérêt et plaisir que j’ai accepté la proposition de Marie Claire Terrier de travailler sur l’histoire de Sarah et d’Agar. A travers cette lecture, je suis reparti de ce que m’ont dit des femmes, mères d’enfants qui m’étaient adressés, et de ce que m’ont dit des femmes parlant du désir d’enfant.
Dum pendebat filius. Tel est mon titre. C’est un ver issu du stabat matter dolorosa. J’y viendrai à travers les dires d’un analysant découvrant ce qu’il avait concédé à sa mère y trouvant son propre bien. C’est aussi, au présent de l’indicatif le titre d’un livre de Christian Prijent « Dum pendet filius » où l’on peut lire ce que peut être une mère pour un sujet. La traduction est « alors que le fils pendait/pend. »
Commençons par Sarah et Agar. Plus précisément par Saraï et Agar.
Quelques éléments chronologiques :
Saraï est la femme d’Abram. Agar est l’esclave de Sarah. Dieu a promis à Abram une grande descendance. Mais sa femme Saraï est stérile. Elle lui propose alors sa servante pour femme pour qu’elle lui enfante un fils.
Saraï est une belle femme, aimée d’Abram et convoitée par d’autres hommes. Elle est objet du désir des hommes. Elle se fera enlevée deux fois : par pharaon et par un roi. Elle sera à chaque fois rendue à Abram.
Agar est la servante de Saraï. Agar donnera un fils à Abram : Ismaël. Elle est la mère d’Ismaël. Elle n’est pas aimée d’Abram.
Agar n’est pas une mère porteuse comme on le dit parfois. Elle est la mère de l’enfant et le restera. Sara, en tant qu’épouse aura donné un fils à son aimé en lui donnant cette femme.
Plus tard Dieu passera un pacte avec Abram. Il le nommera à ce moment Abraham et Saraï deviendra Sara. Saraï signifie « ma princesse » et Sara signifie « princesse ».
Alors qu’ils sont vieux tous les deux, que « la voie des femmes est passée pour elle »(SIC), qu’elle se dit fanée, Sara enfante Isaac. C’est au moment où Sara n’est plus que femme du désir de l’homme et qu’elle est nommée Sara qu’elle enfante.
Sarah est le sugetum de dieu comme Agar avait été le sien avant. Le sugetum dans certains codes civils anciens est une femme donnée à un homme par son épouse pour qu’elle lui donne un enfant.
Dans la bible il n’est question des femmes que comme objet de désir des hommes, comme épouse et mère. Les femmes doivent donner un fils à leur mari. Ce qui est important c’est la transmission de la lignée du père. Il n’est que très peu question de la relation des mères avec leur enfant si ce n’est au moment de le perdre (Agar dans le désert avec son fils, le jugement de Salomom ou encore Marie au pied de la croix) ou , comme pour Sara, dans la crainte que son fils ne soit déshérité.
Sara donnera un fils à Abraham. L’amour qu’elle portera à Isaac et sa peur qu’il perde son héritage montre aussi comment un fils l’intéresse de par le phallus qu’elle récupère au passage. Comme une patiente me disait : « les garçons sont des rois et ils vous le rendent bien ». Dieu confirmera cela en disant qu’il la fera mère de rois. Il n’est pas là question de l’enfant objet de la pulsion pour une femme mais d’objet phallique.
Mais pourquoi diable Saraï est elle stérile ? Des femmes que j’ai pu entendre et qui venaient notamment par rapport à une question de stérilité, certaines ont vu disparaître l’aménorrhée au moment où elles se questionnaient sur leur désir d’avoir un enfant avec cet homme là, celui avec lequel elle vivait. C’est-à-dire que leur inconscient n’avait plus à retenir la machine maintenant qu’elles questionnaient cela. Qui est Abram pour Saraï ? Comment se présente t il à elle ? Qu’attend il d’elle ? Qui est elle pour lui ? Dans les contrées où ils arrivent, Abram demande à Sara de se présenter comme sa sœur (ce qu’elle est par leur père mais pas par leur mère). Il lui demande cela car ne connaissant pas les peuples où ils arrivent, il craint qu’ils ne soient assez Barbares pour le tuer afin de voler sa femme, sa femme qui est si belle, si désirable. Si elle est sa femme, il pourrait en mourir. Pour mieux comprendre cela, une indication nous est donnée par l’histoire de son fils Isaac, dont la femme est stérile comme pour son père et pour son propre fils Jacob ensuite. Dans la bible, il est dit :
Is’hac la fait venir dans la tente de Sara, sa mère. Il prend Ribca ; elle est à lui pour femme. Il l’aime. Is’hac se réconforte après sa mère. (Bible de Chouraqui)
Une femme à la place de sa mère. Cela peut être lu aussi pour Abram dans ce qu’il dit et répète : « C’est ma sœur par mon père mais pas par ma mère ». Sara peut elle être encore désirable si elle est mère ?
Saraï s’offre alors comme objet a d’Abram et offre Agar comme mère pour son enfant. Saraï dit aussi d’Agar : « je serai batie d’elle ». C’est-à-dire que par Agar elle sera bien femme d’Abram car elle lui donnera un enfant, et surtout un fils. Symboliquement, elle sera femme d’un homme car elle lui donnera un enfant. Une patiente me disait qu’être la femme de l’homme avec qui elle vivait, c’était être la mère de ses enfants. Allez faire bander un homme avec ça. Il n’y a pas de rapport sexuel si ce n’est incestueux ou meurtrier rappelle Lacan. Ne pas donner d’enfant à Abram, ne pas porter cet enfant, permet à Sara de ne pas être en place de la mère d’Abram. Saraï est un symptôme pour Abram. Saraï lui dit : je ne suis pas ta mère !!!
Quand Dieu renomme Saraï en Sara, il y a substitution d’un signifiant à un autre signifiant. De même pour Abram qui devient Abraham. Les noms donnés par leurs parents sont refoulés avec tout le signifié qui allait avec. Ils ne sont plus frère et sœur mais homme et femme, père et mère de grandes nations et de rois. Ils vont transmettre le phallus.
Si Saraï concède à Abram par amour d’être son symptôme en étant stérile, c’est aussi qu’elle y est intéressée quelque part.
Lorsque Abram demande à Saraï de dire qu’elle est sa sœur, il lui demande de se nier comme sa femme, c’est-à-dire celle qui lui donnera descendance mais il continue à en jouir. Saraï peut se demander si il la désirera toujours une fois père. Ou pour elle : sera-t-elle toujours désirable une fois mère. Ne se résumerait elle pas qu’à n’être mère ? Bien qu’elle lui a donné un fils par Agar, Abram aime et désire toujours Saraï. Bien qu’ayant donné un enfant à son époux, elle désire toujours lui en donner un.
Qu’elle désire toujours lui en donner un est la seule façon de comprendre pourquoi Dieu annonce un autre enfant à abraham. Il aurait pu donner son pacte à Ismaël, fils d’Abram. Mais le désir d’une femme d’avoir un enfant n’est pas porté que par la question d’en donner un ou d’en recevoir un du père. Cela se confirme dans la haine qui naît entre Saraï et Agar. Saraï jalouse Agar et Agar méprise Sara. C’est une histoire de femme. Saraï veut être mère.
J’avance l’idée que Dieu est l’inconscient de ses personnages. Ils sont sujets de cet inconscient. Quand Dieu parle, ça parle. C’est l’inconscient de Sara qui parle quand il annonce à Abram qu’il aura un autre fils qu’Ismaël. D’ailleurs à ce moment là, Abram pense d’abord que Dieu parle d’Ismaël. Dieu est obligé de lui dire qu’il pense à un autre enfant, à un enfant de Sara. Ce désir inconscient de Sara ici énoncé est un désir d’enfant cadré par le nom du père car c’est pour la descendance. Mais ça pousse d’ailleurs. Etre symboliquement la mère des enfants d’Abram ne suffit pas à Saraï. Elle veut être réellement mère.
Le fait qu’Abram ait pu être père d’Ismaël tout en continuant à désirer Sara, c’est-à-dire qu’il reste un homme en étant père a son importance. Mais serait elle toujours désirable si elle-même devenait mère ? C’était à dire que dans la stérilité se jouent deux choses pour une femme : son homme restera t il un homme une fois père ? Est-ce un homme qui n’attend que des enfants d’elle ? Et aussi restera-t-elle désirable ? Restera-t-elle sa femme une fois mère ? Ou ira-t-il voir ailleurs comme cela se voit régulièrement ? On le retrouve dans certaines questions : « mon homme est il hommo ? » ou encore « je me demande s’il n’a pas une maîtresse ».
Donc Abram désire Saraï même s’il est père. Peu après que Dieu les ait renommés, Sara se fait enlever par Abimelek, le roi du coin. Dieu intervient avant que le roi ne consomme l’objet de son rapt. Il lui apprend que Sara est déjà la femme d’un homme. Le roi lui dit qu’il n’en savait rien. Dieu lui dit qu’il reconnaît la pureté de son cœur (voyez au passage comment la femme est objet) et c’est pour cela qu’il intervient avant qu’il ne commette la faute mortelle. En punition, il ne fait que fermer les matrices de toutes les femmes de son royaume. Les femmes sont stériles par la faute du roi. Cela sera levé si Abraham prie Dieu à la demande D’Abimelek. Abraham revient donc chercher sa femme et doit s’expliquer auprès du roi du pourquoi il lui a fait courir un tel risque en lui disant que c’était sa sœur et pas sa femme. Abraham reconnaît donc sa faute et sa femme. Il libère Sara car il l’aime au grand jour. A la suite de cela Sara est enceinte. Elle n’avait plus à être stérile par amour en protégeant Abraham de son angoisse incestueuse. Lui a reconnu sa faute et l’assume. C’est l’inconscient d’Abraham qui parle. L’histoire de l’enlèvement par le roi aurait pu être un rêve d’Abraham. Son mensonge le conduit à cela : que sa femme soit enlevée et que Dieu intervienne. Cette histoire lui révèle ce qu’il en est de son amour pour Sara : c’est la femme d’un autre.
Temps 1 comme un rêve : Dieu empêche Abimelek de commettre le péché avec une femme mariée à un autre et le punit de son désir (inconscient) par la stérilité des femmes. Dieu est agent de la castration pour Abimelek qui désire coucher avec la femme d’un autre. Maintenant qu’il le sait, il doit rendre la femme sinon, Dieu le prévient, ce sera la mort pour lui et son royaume. Cela ne peut faire qu’écho à Abraham.
Temps 2 : Abraham doit s’expliquer de son mensonge au roi. Et révèle la vérité que recèle son mensonge : Sara est sa soeur mais pas par sa mère. Ce serait incestueux. Il révèle par là la place de Sara dans son amour, celle de sa mère. Avoir un enfant serait donc équivalent à faire un enfant à sa mère. Cet énoncé à quoi l’a conduit son mensonge produit un effet analytique sur Abraham libérant alors Sara. C’est parce qu’Abraham ne voulait pas se confronter à son amour incestueux que Sara est stérile s’assurant de sa position dans le désir d’Abraham.
Une mère est donc une femme donnant un enfant à son homme et restant objet du désir d’un homme, celui-là ou un autre. La stérilité questionne le désir de la femme pour l’homme et celui de l’homme pour la femme. C’est aussi la rencontre de deux inconscients. Quand pour un homme la question de son amour et son désir pour une femme est trop proche du fantasme incestueux et quand pour une femme son rapport à sa féminité dans son rapport aux hommes et à sa mère est particulier, la stérilité peut advenir.
Agar nous montre une autre facette de la mère. Celle soucieuse de la vie de son fils au point de ne pas vouloir le voir mourir alors qu’ils sont assoiffés dans le désert après qu’Abraham les ait chassés à la demande de Sara. Elle le pose loin d’elle pour ne pas le voir mourir. Elle lui a donné la vie, elle ne veut pas le voir mourir. De même, lors du jugement de Salomon. L’histoire est qu’une femme vole à une autre son enfant car le sien est mort dans la nuit. Afin de savoir laquelle est la mère, Salomon demande à ce que l’on coupe l’enfant en deux pour donner un morceau à chacune. Le texte dit qu’à l’annonce du jugement, la vraie mère sentit ses entrailles la brûler. Elle préférait abandonner son fils plutôt que de le voir mourir. Salomon sut qu’elle était la vraie mère. L’autre femme préférait voir cet enfant partagé et mort plutôt que de voir l’autre femme avec un enfant et elle sans. Il y a quelque chose du fond des entrailles des femmes, en dehors du phallique et du penisneid, qui fait le désir d’enfant.
Il y a de l’amour entre Abram et Saraï. Il n’y a pas que du désir. Et cela doit avoir son importance. Je pense à ces femmes qui ne peuvent penser et vivre leur vie, quitter le domicile des parents et s’arrêter de s’occuper d’eux que lorsqu’elle rencontre un homme. Ou encore et surtout à celles qui vivent leur vie que lorsque leur parents ne sont plus là. Leur désir est suspendu tant qu’elles s’occupent de leurs parents et surtout de leur mère. Le désir d’enfant est donc aussi suspendu. C’est quand elles ont abordé la haine qu’elles ont pour leur mère qu’elles peuvent rencontrer un homme et de là aborder leur amour pour leur mère. Avant cela pas de question à ce sujet. Il y a aussi la question de la transmission de la féminité qui se pose avec souvent une plainte à ce sujet. La féminité étant questionnée du coté de ce qui plait à un homme et parfois plus précisément, qu’est-ce qui plait à leur père. Vivre sa vie de femme et donc être mère, ne se pose pour elle qu’avec la question de leur relation à leur mère, c’est-à-dire en deçà de la question du père qui devra tout de même arriver.
Quand je parle aussi que dieu est l’inconscient, je pense à ces fois où il nomme les enfants. Dieu dira à Agar, Sarah et Abraham comment les enfant s’appelleront : Ismaël et Isaac.
Pour Ismaël :
11. Le messager de IHVH-Adonaï lui dit : « Te voilà enceinte. Tu enfantes un fils et tu cries son nom : Ishma‘él. Oui, IHVH-Adonaï a entendu ta misère. Puis :
15. Agar enfante à Abrâm un fils. Abrâm crie le nom de son fils qu’a enfanté Agar : Ishma‘él Él entendra. (Dieu entendra)
Pour Isaac :
A l’annonce de la naissance d’Isaac :
12. Sara rit en son sein pour dire : « Après m’être fanée, aurai-je la volupté ? Et mon Adôn est si vieux ! »
13. IHVH-Adonaï dit à Abrahâm : « Pourquoi cela ? Sara a ri pour dire : ‹ Alors, en vérité, enfanterai-je moi qui ai vieilli ? ›
14. Une parole est-elle singulière pour IHVH-Adonaï ? Au rendez-vous, je retournerai vers toi, et comme en ce temps vivant, un fils à Sara ! »
15. Sara nie pour dire : « Je n’ai pas ri. » Oui, elle avait frémi. Il dit : « Non, car tu as ri ! »
19. Elohîms dit : « Mais Sara, ta femme, enfante pour toi un fils. Crie son nom : Is’hac ‹ il rira ›.
Dieu nomme l’enfant et donne la signification du nom. Dieu a entendu la misère d’Agar et son fils s’appellera Dieu entendra. Pour Isaac, il rira. Il y a ce rire de Sarah à l’annonce de sa grossesse. Chaque prénom renvoie à une histoire touchant la mère. Dans notre pratique auprès des enfants, il est parfois intéressant de questionner l’origine et le choix des prénoms qui ne sont jamais pris totalement au hasard. La subjectivité des parents y est impliquée. Dieu nommant l’enfant renvoie à cette question d’être l’inconscient.
Poursuivons sur les mères et leurs enfants et les enfants et leur mère.
Les fois passées, Marie Claire Terrier nous a parlé de Marie. Je voudrais parler du Stabat Mater à travers les dires d’un analysant. Ce Stabat Mater est une séquence de la liturgie composée au treizième siècle. Le texte évoque la souffrance de Marie lors de la crucifixion de Jésus-Christ. Lors d’une séance, dans les associations de cet analysant, arrive le texte de cette prière et notamment ceci : « Qu’elle est belle cette mère pleurant la mort de son fils au pied de la croix ». Quelle ne fut pas sa surprise quand plus tard il s’aperçut que dans le texte il n’y avait pas ce « qu’elle est belle », s’apercevant par la même de sa position dans ce qu’il en était de la jouissance de sa mère à laquelle il consentait jusque là. L’accroche à ce texte était facilitée de porter le prénom du Christ. Nous pouvons aussi ajouter un autre vers de cette prière qui résonnait particulièrement pour lui :
La strophe en entier :
Debout, la Mère des douleurs,
Près de la croix était en larmes,
Quand son fils pendait au bois.
« Quand son Fils pendait au bois. » voilà l’autre bout qui lui parlait. Etre dans cette position d’objet suspendu à l’Autre maternel. Etre mourrant, voilà ce qu’il déclinait sous diverses formes dont la fatigue, l’épuisement ou encore l’inhibition, se réduisant alors à cet objet non mort, pas encore mort, voulant vivre. Mais le voulait il ainsi ?
La mort, la mort personnifiée, voici encore une figure qui se présente à lui. Comme forme imaginarisée en rêve. Mais pas sous la forme de la mère, ce à quoi il s’attendait. Car point important, il était trop facile, comme souvent auparavant, de pouvoir conclure par : « c’est encore de la faute de ma mère ». S’il y avait bien un problème maternel, c’est que l’amour d’une mère pour son fils est encombrant. En ayant reconnu l’amour comme le fondement de ce qui animait la mère, les agissements de cette dernière n’étaient plus insupportables, le sujet put entrevoir autre chose.
Je parlais de forme imaginarisée de la mort. Je précise : la mort comme forme imaginarisée de la Chose. Quand la place de la chose est libérée de la mère, quand le sujet en a enlevé la mère, il se trouve confronté à ce qu’il en est du plus intime pour lui. La Chose est là à attendre. Le sujet peut ne pas s’identifier à son objet pour s’offrir à la Chose. Il ferme la porte. La chose reste au dehors de la maison. Il reconnaît alors là, que si désir de mort à son égard il y a, c’est le sien. Non pas dans une forme suicidaire, mais dans une forme de se tuer lui-même par un doublement nécessaire de sa propre personne. Ce qui n’est possible qu’en rêve. Ou encore dans le miroir dans l’expérience du double. Cette mort, cette fin de tout, ne peut être qu’à la fin… de sa vie. Or il a sa vie à vivre. Avant de retrouver cette Chose, il a des choses à faire.
Continuons avec cette question de la mort avec l’histoire d’un enfant. Cet enfant, un garçon, est instable, il court partout. Dès qu’il a su marcher à quatre pattes, il n’a cessé de se mettre en danger en allant dans l’escalier, en montant sur les étagères. Il épuisait ses parents et tout son entourage. Personne n’en venait à bout. Il fut mis en nourrice très rapidement la journée. Plus tard, lors de l’acquisition de la propreté, il voulait bien faire dans le pot mais dehors, dans le jardin. Aujourd’hui à 9 ans, bien qu’il puisse être charmant, jouer tranquillement ou avoir des discussions intéressantes, être brillant à l’école, il met la pagaille à la maison, met le désordre à l’école en faisant rire les autres. Il épuise toujours les adultes. Il n’y a pas une journée où il ne se fait pas punir.
A un moment est abordé le temps de la grossesse. Celle-ci n’était pas envisagée d’autant plus que la première avait été médicalement assistée. Pas d’autre grossesse possible d’après le corps médical. Pendant la grossesse, la crainte d’un handicap conduit les médecins à des examens. L’attente des résultas dure plus d’un mois avec pour les parents la décision d’un avortement au cas où l’enfant serait handicapé. C’est dans une séance suivante, alors que ces troubles épuisants pour les autres avaient miraculeusement disparus, qu’il me dit : « j’ai quand même failli être handicapé ». Ca calme, pourrait on ajouter. Il n’a pas dit, j’ai failli être mort mais j’ai failli être handicapé. De ce mois d’attente, les parents n’étaient pas sortis indemnes. Ce qui les tracassait encore était cette idée d’avoir voulu le tuer. Par ces comportements cet enfant se défendait de ne pas être l’objet de ce fantasme. Objet du fantasme annoncé par le corps médical. Cette annonce avait fait surgir pour la mère l’objet de son fantasme et l’angoisse qui allait avec.
Pour ce garçon, ce qu’il y a avait d’énigmatique dans sa mère, se retrouve dans un échange entre eux deux. Dans une séance, après que les symptômes ont disparu, voilà la mère lui disant, répétant : « tu n’as pas intérêt à recommencer !! ». Injonction dite paradoxale. Et ce garçon, de lui répondre : « mais arrête, ça fait plus d’une semaine que tu ne m’as pas rouspété !! ». « C’est vrai » dit elle, surprise. Alors qu’il ne s’expliquait pas avant sur ces comportements, qu’il ne pouvait rien en dire, le voilà désormais capable de dire, et de rendre à caesar ce qui est à caesar. Il courrait pour rester en vie, fuyant une angoisse de mort. C’est-à-dire qu’il fuyait la proximité de la Chose. L’angoisse de castration a désormais remplacé l’angoisse de mort.
La question de la mort du fils pour la mère se retrouve dans les histoires des hommes Comme pour ces deux sujets dont nous venons de parler mais pour d’autres aussi comme ce patient ayant gardé le souvenir de la réaction de sa mère à l’annonce du décès d’un enfant du voisinage. Réaction qu’il trouve encore aujourd’hui énigmatique mais dont il a bien gardé le souvenir.
Je voudrai vous citer un passage de « Dum pendet filius » de Christian Prijent, écrivain manceau. Ce livre est composé de parties se rapportant à des scènes de vie. (Scène de la vie de toilette, scène de la vie de plage, etc…). Il est sans ponctuation. Il joue sur les équivoques. Il permet à chacun d’y entendre des choses. Il parle à la subjectivité. On s’y retrouve. Je trouve que ces scènes, ces bouts de récits parlent en désordre (comment pourrait il en être autrement ?) de ce qui est perçu de l’Autre primordiale, approchant parfois ce qu’il en est de la Chose. Telle est ma lecture. Voici le passage s’inscrivant dans ce que je dis de la mort :
« Ma mère je suis le sel de ses ictères
Elle m’aime malade
Elle m’aime les yeux blancs retournés bêlant
Pipi pas séché
[…]
elle hue mon caca elle aime
quand je pète en douce car ce doux
fume le temps la terre
où en rêve elle m’enterre »
Lacan dit que « c’est de l’imaginaire de la mère que va dépendre la structure subjective de l’enfant… ». Le sujet y construira sa place, en incorporera des bouts et fera sa tambouille. Une patiente me parlait d’un de ces rêves. Elle avait écrit des choses qu’elle voulait dire. A un moment elle voit au dos des feuilles qu’elle utilise quelque chose d’écrit. Elle reconnaît l’écriture de sa mère. C’est un poème écrit par sa mère qui lui était inconnu. Elle retrouve dedans des mots qu’elle a elle-même écrits. Elle dit alors : « j’ai en bouche les mots de ma mère mais j’en ai fait ma tambouille… »
Je m’arrête là ce soir.
