25 février 2014
Séminaire le Mans : de la jouissance à la pulsion
Avant de commencer je voudrais rectifier un dire que j’ ai attribué à Van Gogh et qui est en fait l’ effet de ma propre subjectivation à partir de son dire .Je lui ai donc fait dire que la Hollande était le pays des grands peintres alors qu’il a écrit que la Hollande était le pays des tableaux . Ce qui n’ est pas pareil ! D’un côté l’ objet ( les tableaux …Le tableau ) de l’ autre l’ Autre et les signifiants qui le nomme ( les noms des grands peintres …le nom du Peintre ).
Je me suis aperçu de ce glissement très fautif de ma part en lisant une des biographies de Van Gogh , la dernière ,qui vient s’ ajouter aux trois autres que j’ avais déjà en ma possession et que le père noël qui a de grandes oreilles ,a mis dans mes petits souliers. C’ est un livre très bien fait , extrêmement bien documenté ,ayant forme d’une belle bible de plus de 1200 pages ( j’ en demandais pas tant! ) , la qualité du papier lui même ,d’une extrême finesse, est celui que l’on rencontre pour les belles éditions , en particulier donc celle de la bible . Clin d’ œil des auteurs à VG sans doute mais .. En la lisant je n’ ai même pas osé y faire des surlignages! Pour vous dire ! Disons plus prosaïquement que mes gribouillages habituels auraient détérioré le papier .
Cette dernière biographie est donc l’ œuvre de deux américains Stefen Naifeh et Grégory White Smith paru en 2011 aux USA et en version française en Nov 2013. Lors de la sortie de ce livre en anglais , le monde entier s’ en est saisi ,semble-t-il, ce qui a à l’ époque m’ a complètement échappé ,mais ce dont témoignent tous les articles dans la presse que l’ on retrouve sur internet.En effet ce qui est argumenté à la fin du livre d’une façon qui tient bien la route et permet le doute , je dirai judiciairement parlant ,mais on s’ en doute sans nouvelles preuves objectives, c’ est que Van Gogh ne se serait pas suicidé, victime donc d’ un accident voire d’ un assassinat . Par contre l’ argument sur lequel s’appuie la justification de la réouverture du dossier est particulièrement douteux , il est le suivant :« Pourquoi aurait-il juste à ce moment-là mis fin à ses jours? Il ne traversait pas la période la plus difficile », « Pourquoi quelqu’un irait-il peindre alors qu’il prévoit de se suicider? Cela ne tient pas tout simplement » disent-ils . C’ est quand même mal connaître ce qu’il en est du suicide mélancolique qui survient le plus souvent quand le sujet est dit aller mieux et qui est la mise en acte de la pulsion de mort , pas orchestré d’ avance dans le temps, même s’ il est parfois préparé . Ajoutons aussi que tous les suicides ne signent pas forcément un mode d’ assujettissement mélancolique tel que nous l’ entendons . Par ailleurs ce qui se lit sans peine, même pas entre les lignes ,c’ est comment les troubles liés à l’ organicité , vrais ou supposés , épilepsie, syphilis , sont mis au devant de la scène pour expliquer ce que VG appelle ses crises lors de sa psychiatrisation à Arles ( ce seraient des crises d’épilepsie qui s’ignorent comme telles . ) et auparavant sa libido mis au service de la peinture plutôt que des femmes ( syphilis qui le rendrait réellement impuissant . Pas très cohérent avec le programme que fait VG à Gaugin quand il l’attend à Arles , dans lequel figure le bordel une fois par quinzaine . ) , avec en toile de fond son surmenage associé à son absorption d’ alcool , absinthe en particulier , et ,tenez vous bien, car c’ est la première fois que je le rencontre dans une biographie, son tabagisme . Difficile de lui enlever sa pipe pour le faire plus clean . Et pourtant il en a fait à sa manière du jogging , ce grand marcheur devant l’ éternel . Du politiquement correct à tous les niveaux , non . Air de notre temps où la dite maladie mentale serait un trouble où la subjectivité n’ a pas sa place et où seule l’ organicité l’ a . Quoiqu’il en soit tous les journaux français ,du Monde à Libération en passant par le Nouvel obs ,concluent à l’ époque à peu prés de la même façon que Le figaro :
Sans entrer dans la polémique, le commissaire priseur du Musée Van Gogh à Amsterdam, Leo Jansen, juge l’œuvre de Naifeh et Smith comme «la biographie de référence de Van Gogh pour des décennies à venir».
Le figaro , en l’ occurrence, ne s’ était pas très bien renseigné , ce qui n’ est pas le cas des autres journaux , car Léo Jansen était et est encore le conservateur de ce musée et il a écrit à ce jour plusieurs livres sur VG !
«Biographie de référence » , pas faite par des farfelus non crédibles comme on en a pu voir ( comme la thèse de l’ oreille coupée par Gauguin avec son sabre ) , lauréats du prestigieux prix Puliterz en 1991 pour la biographie du peintre Jackson Pollock , c’ est sans doute ce qui a déterminé le père noël à m’ en faire cadeau .Il a du entendre ma plainte de n’ avoir pas de biographie de Van Gogh qui ne soit pas en fait un ouvrage plus ou moins romancé , quand ce n’ est pas carrément un roman voire tellement interprétatif qu’il devient douteux . Ces biographies font ,elles , de VG la victime d’un meurtre social , un suicidé de la société comme disait de lui Artaud ,ce que reprend le peintre Jacques Busse en 1990 pour conclure sa préface enflammée du livre de Franco Vedovello, Van Gogh , préface qu’il a intitulé Suicide ou crime ? Le crime en question est celui perpétré par une société qui n’ a pas voulu le reconnaître . La subjectivité de l’ époque a changé depuis , idéologie aujourd’hui d’une vie saine dans un corps sain ( c’ est pas nouveau mais ici la science vient en renfort ) qui nous protégerait d’un nous même qui n’ existerait pas , plus question non plus de lutte de classe ou, pire encore , de psychanalyse . Je dirai quant à moi que , chacun à leur manière, ils tentent de soutenir que VG ne serait pas l’ auteur de son suicide .
Donc ces auteurs ne tombent pas dans le roman , ni dans une psychologisation psychanalytique propre aussi à nombre de biographies, américaines en particulier , de l’ époque précédente , qui avaient le don de m’ énerver et où le complexe d’ oedipe est manipulé à toutes les sauces . Mais sur un autre mode ils en font finalement une victime celle d’ une science médicale qui n’ a pas encore les outils qu’il faut pour traiter son cas où donc la seule organicité serait en cause quand il s’ agit de sa décompensation , là où sa subjectivité pourrait être engagée serait son hygiène de vie déplorable , on pourrait dire alors en lien avec un surmoi qui n’ aurait pas été assez féroce , ce qui serait un comble ! Alors , question sans réponse ,les bons médocs n’ auraient-ils pas suicidé Van Gogh à leur façon ? Son médoc à Van Gogh c’ est la peinture , ce n’ est pas parce qu’il est fou qu’il peint , comme on a pu aussi le dire , mais c’ est parce qu’il peint ou quand il peint qu’il ne l’ est pas , c’ est mon orientation . Nouvelle bible donc pour les décennies à venir que cette biographie . Mais ce qui est très intéressant, sans être lourd, c’ est que Van Gogh est replacé dans la subjectivité de son époque mais où pour introduire celle ci les auteurs , prenant des gants, disent souvent « à ce moment il a peut-être pensé que … » ou des choses du genre confondant sans le savoir la subjectivité de l’ époque , l’ air du temps , et le sujet ,son mode d’ assujettissement au langage qui lui ne dépend pas de l’ air du temps . Mais c’ est vrai la subjectivité de l’ époque de VG n’ est pas la même que la notre ,ce qui décale certaine interprétation que l’ on peut faire si on n’ en tient pas compte .Et le grand mérite de ce livre est que son œuvre est au centre de cet ouvrage , c’ est sa vibration . Les auteurs aiment l’ œuvre de Van Gogh ,au delà du bonhomme lui même, et savent faire partager avec délicatesse leur amour , dans ce sens c’ est une réussite . Ce qui en fait donc en final un très bel ouvrage.
Je vais vous dire encore ce qui m’ est vraiment apparu en lisant ce livre , ce qui n’ est pas un scoop mais qui là s’ affiche , c’est que la subjectivité de tout auteur qui fait une biographie, aussi objective soit elle , est toujours engagée et dépend en somme de la thèse qu’il veut soutenir , aussi ténue soit elle et même s’ il ne veut en soutenir aucune ,ce qui serait le propre d’ une vraie biographie , si une vraie biographie était possible! Comment le serait-elle ? Ce qui est remarquable c’ est que dans chacune des biographies de VG que j’ ai pu lire chaque auteur extrait des citations des lettres de VG qui ne sont pas les mêmes d’une biographie à l’ autre voire d’un essai à l’ autre sur son cas . Je confesse que pour ma part que je n’ ai lu que la version allégée de son imposante correspondance et donc vous voyez ce qui se profile dans mon horizon comme lecture . Quoiqu’il en soit cette biographie a eu l’ avantage de me faire requestionner sur le cas de VG . En effet du côté du diagnostic tout a été envisagé pour lui ,du plausible au radicalement farfelu , sauf un diagnostic , la paranoïa , du moins comme mode d’ assujettissement , ce qu’il ne faut pas confondre avec les différents modes de persécution dont le sujet psychotique se dit être la victime l’ une pouvant mettre en avant l’ objet et l’ autre le signifiant . Telle qu’ elle est faite cette biographie ouvre nettement cette perspective, ce qui n’ est sans aucun doute pas la visée de ces auteurs . Mais ce que voile d’ autres biographies en le passant sous silence et ici mis en lumière et ce qui est mis en lumière dans d’ autres est plus ou moins voilé ici , dont le versant mélancolique qui est celui dont se soutiennent nombre d’ auteurs pour parler de son cas , qu’ils le disent ou pas . Que la dite mélancolie traverse plus d’ une fois sa route c’ est un fait et je ne sais si quelqu’un a fait le compte du nombre de fois où ce mot apparaît sous sa plume et c’ est quand même difficile de ne pas en tenir compte mais par ailleurs le terme de mélancolie n’ a sans doute pas la même signification du temps de VG et du notre , Freud est passé par là pour lui donner un cadre . Donc mélancolie , oui mais : est-ce que pour autant cela signe un mode d’ assujettissement à la structure qui le soit ? En effet la façon dont il traite la chose , qui m’ avait déjà beaucoup questionné avant cette lecture, méritera qu’ on s’y arrête ce que je comptais par ailleurs faire …donc merci le père Noël aux grandes oreilles ! Mais « Si j’ aurai su j’ aurai pas venu » c’est un peu ce que je me suis dit un moment au regard d’une certaine perplexité dans laquelle me plongeait cette lecture . Mais bon j’y suis j’ y reste et d’ une certaine façon ce n’ est pas fait pour me déplaire . En effet la question du sinthome étant au cœur de mon questionnement cela me permettra peut être d’ étayer ma thèse un peu mieux . Car cela montrerait en somme que l’ art comme sinthome suivant le mode d’ assujettissement à la structure , ici chez des sujets psychotiques , Joyce et Van Gogh, ne s’ articulent pas de la même façon , et éclairera peut être ce qu’il en est du sinthome dans la névrose qui ne s’ articule peut être pas de la même façon pour tous les névrosés , ce dont j’ avais déjà l’ idée sinon je ne me serai pas lancer dans cette entreprise de fada .Elle s’ avère de longue halène et il vous faudra un peu de patience comme il m’ en faudra à moi même , bien que ce ne soit pas parait-il un des traits caractéristiques de ma dite personnalité . Et il n’ y a aucune chance qu’ en deux ou trois séances j’ en vienne à bout.
Je vais donc attaquer mon sujet aujourd’hui comme j’ avais prévu de le faire avant cette lecture , un peu par la bande , à partir de la question, que je dirai d’ une façon générique , celle de la fraternité et de son lien avec la question de la mère et du père. C’ est souvent une question qui émerge ,de diverses façons ,en début d’ analyse avant d’ aller plus loin . Ici la fraternité en jeu s’articule entre des sujets qui ont les mêmes géniteurs . Mais avoir les même géniteurs est-ce avoir le même père ou la même mère ? Non et peut être, je l’ espère, que je vous le ferai toucher du doigt . Donc ce qui se joue ici de façon particulière entre des frères , dit de sang car ayant les mêmes géniteurs , peut se jouer de la même façon entre deux humains , quelque soit leur différence d’ âge mais aussi de sexe et qui n’ ont aucun lien de parenté génétique .
Ici je mettrai en avant deux choses qui m’ ont frappées quand il s’ agit de Joyce et de Van Gogh et dont il est beaucoup fait état quand il s’ agit de traiter du cas de Van Gogh et jamais quand il s’ agit de celui Joyce .Il s’agit d’une part du frère premier- né mort pour Van Gogh comme pour Joyce et d’autre part celle du frère cadet :Théodore dit Théo ,qui se prénomme comme le père, pour VG et Stanislaus qui se prénomme en fait John Stanislaus comme le père , pour James Joyce . Elles permettent d’ouvrir la question de l’ objet et celle de l’ Autre sur un mode où les choses sont quasiment inversées chez VG et JJ malgré toutes les similitudes que l’ ont peut retrouver chez l’un et chez l’ autre .
Bien sûr il y a le fait que chacun , à sa façon ,fut un artiste mais avec cette différence c’est que VG se dit être un artiste, un parmi d’ autres ,tentant de s’inscrire dans une fraternité d’ artistes voire à un moment donné d’ y inscrire son frère qui s’y refuse alors que Joyce récuse le fait qu’il est un artiste il se dira être l’ Artiste , le seul , s’ excluant de toute fraternité possible avec d’ autres dans ce registre et en particulier son frère .
Au regard de ce frère il y a aussi le fait, pas banal ,que l’ un comme l’ autre , disons le un peu brutalement pour l’ heure , fut « entretenu » financièrement par ce frère cadet , pendant une bonne douzaine d’années pour Joyce et un peu moins pour VG et pour cause puisqu’il meurt à 37 ans . Ce terme «entretenu » est ici à prendre avec des pincettes , il aurait sans doute offensé VG dans sa dignité virile et fait rire Joyce qui dans ce registre n’ en avait aucune .En effet pour ces deux sujets , ce soutien financier venant du frère ne s’ inscrit pas du tout dans la même logique , de même que la logique mis en jeu par le frère donateur n’ est pas la même . Mais c’ est quand même remarquable cette «générosité» – à prendre aussi avec des pincettes – de ces deux frères pour leurs frères et qui les met l’ un et l’ autre dans un certain dénuement, si ce n’ est dans un dénuement certain, et laisse assez perplexe le commun des mortels , dont je fais parti. Cela permettra de repérer peut être que le même geste ne s’ origine pas toujours de la même cause et remet en question la générosité même qui semble à l’ œuvre .
On pourrait dire que l’ argent accepté à son corps défendant dans un premier temps puis revendiqué par VG à son frère Théo , dont il ne manque pas de lui dire qu’il lui remboursera quand ses tableaux se vendront ,donnant à ceux ci une valeur phallique d’ échange et de ce fait à l’ argent lui même , cet argent est mis au service d’ une cause signifiante , disons celle de l’ Autre de la création artistique , ici la peinture quand il décidera d’ en faire sa cause , sur fond idéologique donc . Quand son père est déchu de cette place , l’ Autre en question ici a souvent pour nom Millet, c’ est du moins ce que j’ ai pu pour l’ heure repérer , même s’il en fait défiler pas mal d’ autres avant de faire ce choix .Il extrait des dires de ce peintre des phrases ayant quasiment valeur de slogan qu’il scande dans les lettres à Théo pour se soutenir dans sa mission et enrôler son frère dans celle ci . De même l’ argent donné par Stanislaus à James est au service de ce que j’ appellerai volontiers la cause Joycienne quand il décidera de prendre pour cause l’Autre de l’ écriture ,l’ Écrivain, cet Autre s’incarnant pour lui dés sa tendre enfance dans son frère James Joyce , Jim le génie , son idole ( génie est de la plume même de Stanislaus ) .Ceci se dira par lui , après la mort de Joyce ,sur le mode de la chanson « tout est bon chez lui , y a rien à jeter ..» quand il s’ agit de l’ homme et bien avant sa mort de ses écrits dont il sauve certains du feu. C’est assez fabuleux, de Joyce il conserve tout , on pourrait dire de façon à peine métaphorique jusqu’au ticket de métro, tout ce qu’il conserve a pour lui valeur phallique d’échange. On peut dire que l’ objet phallique , ici objet de prix , qu’il l’a dans sa poche ; à défaut de ses propres notes, sa poche pouvant être en l’ occasion sa mémoire dont il pense qu’ elle est sans faille : il se souvient de tout dit-il et s’il se fait un nom , ce sera un nom dans l’ ombre du nom de son frère , en échange de ses souvenirs ,de son savoir sur Joyce , en particulier dans la biographie d’ Ellmann . Je dis ici un nom mais comme on le verra par la suite c’ est plutôt un prénom qu’il se fait. De façon remarquable pour moi , quand j’ ai relu ce que j’ avais écrit je dis souvent Joyce pour parler de James Joyce en sachant que tout le monde saura de quel frère je parle, alors que pour parler de lui c’ est son prénom , celui qu’il c’est choisi , Stanislaus , qu’il faut dire .Alors que si je dis Jim , tel que Stanislaus le nomme toujours , il faut que je précise que c’ est de Joyce dont je parle . Je vous dirai tout à l’ heure d’où je sors tout ça .
Pour James et Théo l’argent a une autre fonction qui n’ est pas de soutenir une cause signifiante ,la cause de l’ Autre et de ses signifiants , il vient prendre la place de l’ objet a qui manque à cet Autre et dont il doit toujours être manquant , ils se font l’un et l’ autre celui qui soutient ,d’une façon qui n’ est pas fantasmatique , le désir de l’ Autre afin de ne pas occuper , ou ne le pouvant , cette place d’objet a cause du désir de l’ Autre . Alors de manquer d’ argent on peut dire que Joyce s’ en occupe, c’ est endémique chez les Joyce ,Jim et Nora , dont le moins que l’ on puisse dire c’est que l’ économie domestique n’ était pas leur fort . Joyce en veut de l’ argent pour en jouir et non pas parce que cela lui donnerait une brillance phallique mais il s’arrange toujours pour en manquer alors il en tape , sans aucune perspective de le rendre , en particulier à son frère qui paye sans broncher les dettes que son frère lui présente , et lui dépense l’ argent sans vergogne mais sur un mode marqué du sceau de la déchéance de l’ objet qui perd là toute sa brillance phallique puisqu’il s’ en sert ,comme le dirait Stanislaus , pour la débauche . Alors que pour Stanislaus s’il donne à Joyce de l’ argent on pourrait dire que c’ est pour redorer le blason de son frère et par lui le nom des Joyce , pour qu’il ne devienne pas un déchet . Pour Joyce , la jouissance de l’ Autre par le biais de l’ objet a , objet merdique ici qu’ est l’ argent , n’ est jamais satisfaite ,comme il n’ est jamais satisfait de ses écrits qu’il corrige et fignole à longueur de temps et rallonge encore alors qu’ils sont déjà quasiment sous presse ,rendant fou ses éditeurs . Il fait aussi Stanislaus dépositaire de ces déchets que sont ses bouts d’écrits non publiables pour lui car jugés mauvais mais aussi de ses lettres , celle à Nora en particulier . Pour Théo les choses se jouent à peine différemment par l’ intermédiaire de l’ argent dont il manque en le donnant , à Vincent bien sûr ,mais aussi au reste de la famille , mais il est aussi dépositaire des tableaux de Vincent dont on peut dire qu’il est le seul à en jouir sur le mode où ils sont pour lui objet de mé-prix pour ne pas dire d’ un mépris certain au départ et si vers la fin de l’ existence de son frére il est bouleversé par certains tableaux de son frére il dit alors son incapacité à les vendre , il veut les garder pour lui .Donc d’une façon ou d’une autre les tableaux de Vincent sont toujours jugés invendable par Théo , il lui manque toujours celui qui le sera , qui aurait un prix . Objet a , objet plus de jouir que ces tableaux que Théo a lui dans sa poche . Alors que pour Vincent ils ont une valeur d’ échange ,une valeur phallique , il peut payer en tableau, mais leur valeur bien sûr il l’ ignore , il lui faudrait pour ça la certitude d’ une référence qu’il n’ a pas . Et choisir d’être peintre c’est effectivement consentir à manquer de référence sinon à se faire copiste , ce sera tout le dilemme dans lequel il sera pris . On retrouve la même chose entre James et Stanislaus et les écrits de Stanislaus . James a du mépris pour les écrits de ce dernier mais quand il y trouve une perle il se la garde pour en jouir. Alors que les écrits de James ont pour Stanislaus une valeur phallique , il prédit de Joyce qu’il sera le Rousseau irlandais mais sans que lui ait besoin de se justifier comme Rousseau le fit , où la référence ici se dérobe .Je tenterai d’ éclairer ceci .
Mais je peux vous dire déjà que pour ces deux sujets ,son frère est la moitié voire la surmoitié qui lui manque pour que s’opère la division du sujet, ( la moité de poulet de Lacan ) la division ici s’opère grâce à la présence indispensable de l’ autre frère ou de son absence tout aussi indispensable où sans lui cela ne serait pas possible , ce que VG mettra sous le signe du faire Un avec Théo et Joyce sous le signe de la gémellité dans Finegans wake .Ceci renvoie à la question de l’ aliénation et de la séparation mais qui se joue ici sur le mode d’un réel collage ou décollage des deux frères pour reprendre les signifiants lacaniens . Il y a un collage , un effet de colle dirait Lacan , en lien avec l’ image de lui que lui renvoie l’ autre qui est pour chacun rejetée dans le champ du frère car relevant de l’ impossible du fait du discours de l’ Autre dans lequel chacun est pris et quoiqu’on en dise ce collage n’ est pas le signe de l’ amour loin s’ en faut mais où la haine voire le mépris à toute sa place . Il en va de même mais à l’ inverse pour le décollage -qui ici n’ est pas d’ école – où ce n’ est que dans la réelle séparation que l’ amour peut avoir sa place mais marqué du sceau de l’ admiration si ce n’ est de l’ adoration .Ceci signe bien la division de l’ Autre , mais ici dans le réel par l’ intermédiaire du frère .
Pour ces deux fois deux moitiés de sujets cela se joue sous le signe des ténèbres et de la lumière , signifiants que l’ on retrouve chez les deux couples de frères , signifiants issu du discours de la religion chrétienne qu’elle soit catholique ou protestante . Au départ l’homme des ténèbres est Vincent -,Stanislaus .L’homme de la lumière , James – Théo . A l’ arrivée celui qui se fera un nom à travers son oeuvre sera dans un cas celui des ténèbres , Vincent et dans l’ autre celui de la lumière , James . Mais le lieu où ils se font un nom est-ce le même ? Ne pourrait-on pas dire que l’ homme des ténèbres ,Vincent, se fera un nom posthume dans le lieu de la lumière et l’ homme de la lumière , James , se fera un nom, tout aussi posthume, dans le lieu des ténèbres où d’une façon métaphorique le musée et l’université représenteraient ces deux lieux ? Plus fondamentalement ceci convoque deux lieux pour l’ Autre celui de l’ amour , lieu de la lumière , et celui du désir ,lieu des ténèbres et la jouissance afférentes à chacun de ces lieux .Cette jouissance serait celle mise en jeu d’une part par un savoir qui ne manquerait pas dans le lieu de la lumière à celui qui s’y fait un nom , celui de l’ amour, et d’ autre part celle mis en jeu par un objet a qui ne manquerait pas dans le lieu des ténèbres ,celui du désir ,pour celui qui s’y fait un nom . Mais où ces deux lieux sont disjoints pour chaque frère de la paire de frères , c’ est sans doute ce qui impose leur bricolage à deux qui tente de masquer cette disjonction . Ici on ne peut pas dire comme Lacan l’ avance dans la scéance du 13 mars 1963 du séminaire l’ angoisse que pour un sujet donné : seul l’amour permet à la jouissance de condescendre au désir .Ici l’ amour , revendiqué chez l’ Autre , met de côté les choses du désir où on peut dire que cette mise de côté est une forclusion ( Vincent -Stanislaus ) et le désir revendiqué chez l’ Autre met de côté les choses de l’ amour , ici aussi sur le mode d’ une forclusion (Théo-James ) convoquant la passion sans sortie possible par les voies de la castration propre à la névrose ni de son déni propre à la perversion ce dont,à sa manière, Emmanuel nous a entretenu , faute donc d’un signifiant , le NDP . Je n’ irai pas plus loin ce soir sur le versant, disons , théorique pour rentrer dans le vif de la clinique des frères Joyce , en faisant de temps en temps des petites remarques du côté de VG dont je tenterai de traiter du cas ultérieurement à la lumière de ce que l’ on aura extrait ici.
Chacun ,qui c’ est un peu intéressé à VG né le 30 mars1853 à Groot-Zundert aux Pays-Bas – mort le 29 juillet1890 à Auvers-sur-Oise en France, agé donc de 37ans , sait que le premier-né de la famille dont il est issu est mort , mort -né ou à trois jours , il y a deux versions . En effet ,mort -né ,à l’ époque il n’ aurait pas pu être prénommé ni avoir de tombe. La biographie dont je viens de faire état retient la version de mort-né et la détermination qu’il aurait fallu aux parents pour qu’il soit prénommé et ait une tombe, il n’ y a en effet qu’une date sur sa tombe . Ce premier -né porte les mêmes prénoms et nom que VG et a la même date de naissance à un an prés . Impossible de ne pas le savoir puisque la majorité des biographies de lui commencent par cette information et c’ est la pierre angulaire de toute l’argumentation psy . Mais qui a retenu ,voire sait, que James Joyce n’ était pas le premier -né de sa famille ? Et personne , à ma connaissance , n’ a jamais émis l’ hypothèse qu’il pourrait se trouver , dans ce registre, dans le même cas de figure que VG . Mais disons le tout de suite se retrouver dans le même cas de figure n’ induit pas les mêmes conséquences d’un sujet à l’ autre, il en faut un peu plus .
Allons donc voir pour l’ heure du côté de James Augustine Joyce (2février 1882 à Dublin – 13janvier 1941 à Zurich) et de ce premier- né mort . La source de cette information se trouve d’une part dans la biographie d’ Ellmann ( écrite en 1956 et révisée en 1982 ) . Alors Juste une petite remarque au passage , en lien avec ce que je vous disais plus haut, au sujet de celle ci dont ma lecture est encore assez fraîche . J’ ai été frappé dans l’ après coup de sa lecture de la quasi absence de Nora dans celle ci . Bien sûr elle y est mais je ne suis pas sûre que son nom figure plus d’une dizaine de fois et je n’ ai pas le courage de la refaire pour le vérifier . Mais le poids qu’elle a eu dans la vie de JJ n’ apparaît que fort peu .Cela m’ a frappé car il se trouve que j’ ai abordé la biographie de JJ, il y a déjà longtemps , toujours dans les années 1990 , d’une façon pas très catholique puisque c’ est avec un livre dont j’ ai fait état l’ an dernier celui de Brenda Maddox :Nora , La vérité sur les rapports de Nora et James Joyce ( 1988 au USA et 1990 en France ) .Elle raconte que la première fois où elle a parlé avec Ellman de son projet de faire un livre sur Nora:Il se montra sceptique .Il n’ existait guère de lettres, me dit-il ,Joyce et Nora n’ ayant pratiquement jamais été séparés , et leurs amis étaient morts, il n’ ‘y avait même pas de quoi faire un traité féministe , pour revenir juste avant sa mort sur sa position . Subjectivité de l’ auteur , d’un côté comme de l’ autre ! Celle d’ Ellmann qui se cache derrière ce qui serait supposé objectif et celle de Maddox qui elle met au contraire en avant d’ entrée de jeu la sienne .Elle veut savoir qui est Nora . Qui était cette femme qui a survécu à 37 ans de vie commune avec Joyce dont le moins que l’ on puisse dire c’est qu’il n’ était pas un homme facile à vivre et avec qui il était impossible d’ entretenir des liens durables?
Donc Ellmann écrit : Le premier enfant , né en 1881, ne vécut pas .«Avec lui ma vie a été enterrée » dit le père ( (interview d’Eva Joyce 1953 ,elle est la huitième des enfants vivants des Joyce, née 26 oct 1891 ,elle a 11 ans de différence avec JJ) mais il se consola avec une seconde naissance ajoute Ellmann .
La source de cette information se trouve d’ autre part dans un autre livre dont je vous ai dit que je vous parlerai la dernière fois et dont est issu , entre autre, ce que je disais plus haut : Le gardien de mon frère ( en anglais My brother’s keeper ) paru en 1958 en anglais et en 1966 en français ,préfacé par T S Elliot et introduit par Ellmann , il est de Stanilaus Joyce (17 décembre 1884 – 16 juin 1955) , donc le frère cadet de James Joyce âgé de trois ans de moins que lui dont personne ne fait jamais état , me semble-t-il ,quand il s’ agit de s’ attaquer cliniquement au cas de Joyce . J’ ai donc décidé d’y aller voir d’un peu plus prêt .
Ce livre Stanislaus l’ a commencé peu après la mort de Joyce en 1941 ,sortant avec sa rédaction de l’ effondrement que cette mort provoque . C’ est «l’histoire» de leur famille et de leur jeunesse . Il est paru après la mort de son auteur qui a rendu l’âme ou plutôt le cœur – mais peut-être est-ce la même chose- avant son achèvement , ce un 16 juin, jour anniversaire du premier rendez vous de Joyce et de Nora , jour d’ Ulysse . Il s’ arrête de façon remarquable juste avant la mort de la mère . D’une façon tout aussi remarquable c’ est lors d’ un voyage où il remet les pieds en terre de langue anglaise- dont il tient à préciser dans ce livre que c’ est la langue maternelle de son frère et non l’ irlandais -ce pour la première fois depuis son départ de Dublin ( c.a.d depuis 49 ans) et où de Londres il doit peut être se rendre à Dublin pour faire un conférence sur son frère, c’ est donc en cet occasion que cet homme en bonne santé fait un malaise cardiaque qui fait qu’il ne va pas en Irlande . Maladie de cœur dont il mourra un an plus tard d’une façon qui ici n’a rien de métaphorique .
J’ai eu la chance de pouvoir me procurer ce livre a un prix raisonnable ,il est dans le catalogue des librairies mais n’ est plus édité ,me semble-t-il , et est donc dit indisponible .Ma première investigation en mars -avril l’ an dernier m’ avait fait reculé devant le prix du seul exemplaire disponible ( 283 E!! ) . En septembre, retentant ma chance, j’ en ai trouvé un à 50 . Je n’ ai pas regretté mon achat .
Probable que Lacan l’ ait lu. .Je succombe à la tentation de vous faire cette citation , qui n’ est pas sans rapport avec ma question et ne sera pas pas sans écho pour vous quant à la réponse qu’y fait, à sa manière, Lacan , en dehors de ce qu’elle peut laisser entendre de l’ homme lui même et de sa maladie de cœur , ici métaphoriquement parlant : L’amour entre un homme et un autre est impossible , parce qu’il ne doit pas y avoir de rapports sexuels, et l’ amitié entre un homme et une femme est impossible , car il doit y en avoir »(174) .
Éclairée par un autre livre dont je vais vous parler tout de suite , les deux hommes en question pour qui l’ amour serait en jeu mais dit ici impossible c’ est bien sûr son frère et lui et dans ce dernier il affirme haut et fort qu’il n’ aime pas Jim alors qu’il passe son temps à dire à sa façon le contraire et qu’il reviendra sur ce dire quand séparé de lui ( Joyce a quitté l’ Irlande avec Nora ) il dira qu’il l’ aime c.a.d, précise -t-il, qu’il l’ admire . Admiration qu’il dira être sans limite dans GDF( Gardien de mon frère ). Alors bien sûr en suivant Freud on pourrait parler chez lui d’ homosexualité latente or ce n’ est pas du tout de cela dont il s’agit et là il faut suivre Lacan dans l’ éclairage qu’il a donné à la question à partir du cas Shreber ,qui récuse Freud . Quant à la deuxième partie de la phrase , le mot amitié vient se substituer au mot amour mais c’ est d’amour dont il s’agit – mot qu’il n’ ose même pas écrire voire qu’il lui est impossible d’ écrire quand il s’ agit du lien entre un homme et une femme . Ceci questionne bien sûr l’ amour de la première femme d’un humain , sa mère , l’ amour qu’elle donne à son enfant et qu’en retour l’ enfant lui donne mais aussi le lien qu’elle peut avoir avec un homme , le père bien sûr qu’il ravale purement et simplement à une affaire de besoin physiologique et en lien avec la seule procréation . Il se mariera ,Joyce vivant (1927 , un 13 août , jour de la mort de leur mère ! )quand s’ affiche que celui ci n’ a plus besoin de lui , et aura un enfant après sa mort ( 1943) qu’il nommera , vous vous en doutez peut-être , James . Un James Joyce dont je n’ ai trouvé nulle part la trace . Mais en attendant , comme VG , c’ est vraiment très frappant , passé le temps de sa position moralisatrice où il reproche à son frère, dans le livre qui va suivre , sa fréquentation des putains , vivant lui dans une chaste abstinence jusqu’à l’ âge de 24 ans , c’ est au bordel qu’il ira satisfaire ses « besoins » . Et il affirme dans GDF que contrairement à Jim cela n’ éveillera en lui aucun état d’ âme . Il exclue de la sorte le sexuel de l’ amour visant un amour absolu désexualisé, coupé du sexe . Et ajoutons une chose aussi repérable par ailleurs , c’ est que ce sont ces types de sujets qui se font les théoriciens de l’ amour – Saint Paul dans ce registre n’ est pas mauvais , dont l’ épître sur l’ amour est lu à chaque mariage catholique – comme si une théorie pouvait répondre de l’ amour ,dans son entièreté . Le vrai amour , disons au plus juste le réel de l’ amour , se situe justement là où aucune théorie ne peut en rendre compte et signe que c’est bien d’ amour dont il s’ agit, lieu où les mots manquent qui permettraient de le comprendre , qui pourraient faire savoir . Comprendre l’ amour , Stanislaus cherche quelque chose comme ça dans le livre qui va suivre , très embarrassé par le mot amour , qui recouvre des choses très différentes . Là il faut dire qu’il n’ est pas le seul !
Donc je viens aussi de me procurer il y a deux semaines Le journal de Dublin (JD) du même Stanislaus Joyce ( 1962 en anglais , sept 1967 en français ) que je me suis empressée de lire .Je pensais qu’il allait faire doublure avec GDF ce qui n’ est pas du tout le cas . Sa lecture , associée à la lecture de GDF , m’a détourné de ce que je voulais vous dire de ce premier -né mort , mais ce n’ est que partie remise. Et finalement je vous parle aujourd’hui plus de Stanislaus que de James mais l’ un ne va pas sans l’ autre et cette lecture étaye ce que je vous disais précédemment et n’ est pas sans dire quelque chose de VG . Ce qui est particulièrement intéressant ici c’ est que cela montre chez un sujet jeune , qui n’ est pas délirant , sur quelles bases se fonde sa paranoïa et d’une façon générale la paranoïa . Délirant je ne sais s’il le fut jamais , même s’il a des petits moments dans ce livre où on se le demande , ce après le départ à Trieste de James avec Nora justement , soit un an après la mort de leur mère . Il ira le rejoindre ,à la demande de James ,un an plus tard quittant définitivement l’ Irlande où il ne remettra jamais les pieds , ce qui n’ est pas le cas de Joyce .De celui ci il radicalisera toutes les positions comme on le verra voire fera des interprétions des écrits de Joyce très surprenantes .
Paranoïaque , c’ était ma déduction après la lecture de GDMF, mais sur des éléments discrets , enfin discrets seulement quand on ne veut pas les voir car s’ affichait là pour moi une paranoïa bien structurée , une réussite dans le genre . Donc dans ce petit livre , l’ on voit que la position de Stanislaus par rapport au frère de son enfance, Jim , est en train de chanceler au regard du comportement de celui ci . On peut dire que là, pour reprendre la formule de la chansonnette de tout à l’ heure , du côté de son frère il ne peut pas dire tout est bon chez lui , y a rien à jeter aussi bien de l’ homme que de son œuvre , ce qui décale un temps soit peu de l’image qu’il renvoie de lui-même et de son frère dans Gardien de mon frère .C’est ce qui rend particulièrement intéressant le couplage de ces deux lectures . Il y a une cinquantaine d’ année entre l’ écriture de ces deux livres . Quand il commence GDMF déjà sur Joyce coule de l’ encre qui n’ est pas la sienne alors que quand il écrit le contenu de Journal de Dublin il n’ y a que lui qui en fait couler . Ce dernier est écrit alors qu’il a un peu plus de 19 ans .Ce sont en fait les notes d’un penseur en herbe plutôt qu’un journal .Elles n’ avaient pas pour vocation d’ être publiées et je pense qu’il a du se retourner dans sa tombe quand elles le furent . Elles sont écrites juste après la mort de la mère et courent sur deux années , elles s’ arrêtent peu avant le moment où il part rejoindre Joyce à Trieste , alors que GDMF s’arrête juste avant la mort de la mère et est écrit après la mort de James mais il y parle aussi de l’œuvre publiée de son frère . Leur mère vient de mourir dans les jours qui précédent et le livre commence par cette phrase :Le caractère de Jim est instable …il est rentré soûl ..chante , danse , rit , il se laisse entraîner dans une vie de débauche par des amis qui ne lui veulent pas du bien , puis il continue sur plusieurs pages parlant de son immense talent littéraire , de son génie qui n’ est pas littéraire etc . C’ est assez surprenant qu’à ce moment là ce soit pour lui , le seul comportement de son frère et ce qu’il est pour lui qui l’ intéresse et l’ inquiète , ce qui occupe une grande partie du livre.
Il y a donc un blanc, pour nous dans ce qui nous est donné à lire par lui , aussi bien dans GDMF , en ce qui concerne la mort de la mère elle même . ( Ce qui n’ est pas le cas de Joyce dans Ulysse ) On est saisi , je dirai à contrario , dans ce journal par la radicale absence d’ affect concernant cette mort et vis à vis de sa mère elle même; pour reprendre un des signifiants qu’il s’ adresse , d’ absence radicale de cœur chez lui . Le cœur est pour tout un chacun un organe vital , quelque soit son sexe , s’il bat on est en vie s’il s’ arrête on est mort , il est pour tout un chacun , sous forme métaphorique , ce qui permet le vivant ou l’ absence de vivant chez un sujet par le bais de l’ amour qui est ce qui le fait battre , son âme , (Meurtre d’ âme dira Schreber dans son délire) mais faut-il encore en avoir un de cœur à sa disposition . ( Je vous recommande vivement la lecture de l’ article de Catherine Bruno dans la dernière revue PSYCHANALYSE n 29 qui vient juste de paraître et qu’ elle a intitulé Au menu du cannibale et auquel vous devez quelques rajouts et certaines formulations dans ce qui va suivre et plus .. ).
Le 26 septembre 1903 – la mère est morte le 13 août – Stanislaus fait un portrait de sa mère .Il dit de celle ci que son énergie tenace à tout supportait pour eux ( les enfants ) remplaçait l’ amour …C’ est la compréhension et non l’ amour qui rend la confiance entre mère et enfants si naturelle …. c’ est la compréhension qui rend l’ amour si durable où l’ on voit dans son hésitation que sa théorie de l’ amour d’ une mère pour son enfant et d’un enfant pour sa mère n’ est pas encore très au point mais que c’ est dans le seul registre de la compréhension , c’ est à dire du savoir , qu’il peut le faire rentrer mais en versant ce savoir du côté du naturel. On pourrait dire si on le suit qu’une mère et son enfant aurait un savoir inscrit dans leur gènes, un instinct , qui ferait qu’ils s’ aiment , dégageant là radicalement le sujet de la question . (Pour Emmanuel : Stanislaus se pose la question de savoir s’il est un scientifique ou un littéraire et c’ est du côté d’une certaine forme de scientisme qu’il se pose , un scientisme littéraire .Le discours de la science masque le sujet d’où ma remarque )
Or un peu avant il a parlé de sa sœur aînée , Margaret toujours surnommée Poppie dans ce livre , qui a 10 mois de plus que lui , intercalé donc entre Jim et lui comme il y a une sœur intercalé entre Vincent et Théo, drôle de coïncidence dont pour l’ heure je ne sais quelle place lui donner et si elle en a une, même si j’ ai une petite idée que je dois vérifier . Il en a parlé pour dire l’injustice de sa mère vis à vis d’ elle , de son irritabilité à son égard alors qu’il l’a dite par ailleurs très douce . Il attribue ceci au fait que son père avait ce comportement avec sa sœur et donc que sa mère copiait le comportement du père en le renforçant , ne lui attribuant donc aucun comportement qui lui serait propre . Mais voilà il est lui aussi victime de l’ injustice de son père et disons le , il souffre du fait qu’il n’ est pas aimé et de son désir de l’ être , ce qui le mettrait donc dans la même position que sa sœur, de ne pas être aimé par sa mère parce que son père ne l’ aime pas . Donc il faut que l’ amour d’une mère pour son enfant soit naturel mais il faut alors traduire enfant par garçon. Sinon pourquoi n’ aimerait-elle pas sa sœur ? Et tous ses écrits cogitatoires sont en fait un huis clos entre hommes . Les jeunes femmes dont ses sœurs n’ y ont pas leur place , elles sont pour la plupart qualifiées d’ inintelligentes au mieux jolies , gracieuses , dans GDMF de ses 6 sœurs – quand même ! – il n’ en parle même pas !
Arrêtons nous sur ce dire redoutable vis à vis de sa mère dans ce passage .Il la range dit -il dans la catégorie de ces femmes fondues dans le néant . En ce qui me concerne je n’ ai jamais vu dit avec autant de violente justesse la façon dont un paranoïaque voit sa mère et par extension toutes les femmes quand il s’agit de faire «couple » avec elle , un être fondu dans le néant ! Là c’ est sûr on n’ a pas affaire à James Joyce qui ne voit pas les mères de cette façon pas plus que Nora même si il en est « embarrassé.», embarras que Stanislaus radicalise aussi à sa façon . La seule chose qu’il pourra dire qui serait un temps soit peu positif vis à vis de sa mère c’ est qu’avec sa disparition le semblant de cohérence qu’elle donnait au foyer est en train de voler en éclat mais , c’ est là où le bât blesse et j’ en rajoute à peine , sur le mode qu’il n’ y a même plus moyen de se faire servir par ses sœurs quand il les siffle – siffler est de lui – ça le met hors de lui . Les petites mains en prennent quand même trop à leur aise depuis que la petite main en chef a disparu ! ça c’ est de moi !
La question qui se pose face à cette absence radicale de sentiment , de cœur , vis à vis de sa mère est de savoir d’où elle s’ origine ? En cette mère génitrice Stanislaus a-t-il eut réellement une maman ? Il semble bien que non et il en fait la démonstration par cette mutité sentimentale , qui là n’ est pas de pudeur . On peut dire qu’ en la perdant il ne perd rien . Peut-on perdre ce qui relève du néant ? Pour reprendre les formulations que j’ ai avancé les années passées on peut dire que pour lui Il n’ y a jamais eu de maman de l’ amour , pas aimé par elle de façon inconditionnelle , à entendre donc en dehors du fait même qu’il soit un garçon ou une fille dans d’ autre cas , en retour il ne l’ aime pas de façon inconditionnelle et il éprouve pour elle ce que j’ appellerai le pire des sentiments ..pitié légère et évidente pour maman dit-il a la fin du livre .Si la pitié relève d’ un sentiment , c’ est un sentiment qui exclue aussi bien la haine que l’ amour , c’ est bien pour cela que c’ est le pire et en fait plutôt un non sentiment . Il ne donne à l’ Autre de l’ Autre , La femme , aucune supposée existence , par le biais d’une femme particulière qui pour lui aurait occupé cette place , alors que, nous dit Lacan, , pour tout sujet c’ est une nécessite . J’ ai pas mal déblatéré la dessus l’ an dernier . Cette nécessité lui s’ en passe mais il n’ a pas le choix de s’ en passer ou non , pour lui c’ est un fait . Pour reprendre à ma façon ce qu’ avance Catherine Bruno on pourrait dire de façon métaphorique que pour Stanislaus sa maman ne lui a pas donné son cœur à manger et de se fait il ne peut ni le garder ni ne lui rendre par le biais de l’ amour ou de la haine , n’ ayant réellement pas de cœur . Il ne lui rendra que par le bais de l’ organe alors qu’il s’ apprête à faire retour en Irlande , le « berceau » hait de son enfance où à défaut de même pouvoir haïr sa mère , c’ est l’ Irlande qu’il hait ,mais sur un mode où il raye l’ Irlande de la carte de son monde radicalisant ici encore la position de son frère et qui fondamentalement n’ est pas vraiment la sienne car James à sa façon aime l’ Irlande mais sur le mode d’aimer l’ enfer , d’aimer ce qui est haïssable. On peut dire qu’il brûle son berceau à défaut de pouvoir aimer ou haïr l’enfant qu’il fut, qui y aurait dormi .N’ ayant été ni aimé ni hait par sa mère , juste élevé par elle , ce berceau est vide de lui même , de son être de vivant . (Ce qui n’ est pas sans évoquer pour ceux qui connaisse un peu VG son amour de nids , lui il aime réellement son nid à défaut de l’oiseau qui y manque .Théo ,son frère, aime la Hollande et aussi le foyer de ses parents ) .
Alors qu’ est que ça veut dire manger le cœur de sa maman , symboliquement parlant ici on s’ en doute ? C’ est ingurgité , faire sien , parmi tous les signifiants qu’elle donne à son enfant en lui parlant celui qui pour lui sera signe de son amour , c’ est ce signifiant qui a donc valeur de pré-nom pour un sujet donné , qui est celui qui fonde son âme .
Il n’ est pas, loin s’ en faut , le prénom de son état civil ,de même que son Nom , qui renvoie à ce que Lacan appelle le NDP, n’est pas à proprement parlé le nom de famille . Mais l’ état civil permet de mettre en évidence qu’il faut bien un prénom et un nom pour s’ avancer parmi les autres . Et si prénom et nom sont des noms propres ils n’ ont pas la même fonction , l’ un étant rattaché à la fonction maternelle et l’ autre à la fonction paternelle , fonctions qui a priori ,du moins pour le névrosé, ne sont pas disjointes . Qui que ce soit qui occupe ces fonctions . Par les temps qui courent il faut mieux le redire encore ! Si le Nom dit à quelle lignée symbolique nous consentons à appartenir en la faisant notre , le prénom nous fait unique , dans une fratrie bien sûr et par extension dans le cercle intime de nos petits autres , nos frères et sœurs d’ adoption , ceux que nous aimons et qui nous aiment pour la singularité qui est la leur et la notre . «Parce que c’ était lui , parce que c’ était moi » disait Montaigne de son lien amoureux à La Boétie si mes souvenirs sont bons, sans autres justifications possibles ; (Quand j’ ai appris ça on me parlait d’amitié et non d’ amour , fallait pas confondre les genres ! ) en dehors donc de ce que l’ on pourrait mettre sous le signe de la ressemblance, en dehors aussi de l’appartenance à une lignée symbolique . Celle ci peut être ou pas la même que la notre. Quand elle l’ est cela permet le lien social marqué aussi du sceau de la fraternité mais qui n’ est pas de la même nature que la précédente puisque ce qui est en jeu ce sont les mêmes valeurs , alors que le pré-nom ne met en jeu aucune valeur , disons morales pour situer les choses, c’ est à dire relevant d’ une transmission , ce que j’ appelais tout à l’ heure les slogans pour VG , on peut dire aussi les mots d’ordre qui nous font marcher dans le rang .
Et le sujet peut jouer de différentes façons avec le prénom de son état civil à défaut d’ avoir pu ingurgiter le cœur de sa maman , à défaut d’une maman qui lui a fait don de son cœur en lui parlant amoureusement et lui aurait permis de se pré-nommer . « Discours » donc ici qui ne contient aucun mot d’ ordre pour l’ enfant c’ est ce que je j’ avançais l’ an dernier sous la forme de parler pour ne rien lui dire , parlotte qui n’ est que le signe de l’ amour et qui en fait n’ est pas de l’ ordre d’un discours tel que l’ entend Lacan . Il en ira de même du côté du père mais où là ce n’ est pas le cœur de la maman qu’il y aura à manger mais le phallus du père et les mots d’ ordre qui vont avec via donc le NDP , là on rentre à proprement parler dans le registre du discours . Vous m’ excuserez de rabâcher un peu mais …
Donc pour Stanislaus en ce qui concerne le lien à sa mère et à la fonction maternelle elle même, on est bien dans le registre d’ une forclusion où pour reprendre la formule avec laquelle Lacan définit celle ci : ce qui n’ a pas été symbolisé fait retour dans le réel . N’ ayant pas pu manger le cœur de sa maman , c’ est une formule que j’ aime beaucoup , n’ ayant pas pu se pré-nommer grâce au don de son cœur qu’elle lui aurait fait , il se trouve littéralement d’origine sans pré-nom qui le ferait sujet vivant , lui permettrait de vivre sans raison parce qu’il aurait du cœur pour lui même grâce à ce pré-nom . Il n’ a donc venant d’ elle que son corps physiologique avec lequel il peut jouer pour lui rendre le quelque chose qu’elle lui aurait donné, ici son cœur organique quand il s’ agit pour lui de remettre les pieds sur sa terre natale . Il n’ a rien de symbolique à rendre à celle qu’il désigne du nom de maman .
On n’ est pas sans penser bien sûr aux tortionnaires nazis et Kerm rouge dont nous a parlé Emmanuel et Véronique Sidoit , qui ,d’une certaine façon, reconnaissant métaphoriquement leur manque de cœur ont le cœur organique qui arrête de battre, n’ ayant pas de pré-nom qui les rendrait digne de rester vivant , même en prison où une place les attend .
C’est l’ inverse qui se produit dans ce que raconte Catherine à travers des légendes , même si le résultat est le même , la mort . Mort pour cette femme à qui son mari trompé pour se venger d’ elle lui fait manger réellement le cœur de son amant qu’il a tué et qui l’ apprenant se laisse mourir (ou se suicide ) . On pourrait dire que privée d’une pré-nomination qu’elle aurait pu prendre dans le discours amoureux de son amant , qui la faisait unique pour lui , elle n’ a plus de lien au vivant que cela lui donnait , à son vivant de sujet , elle décroche alors réellement de la vie , elle lui rend réellement l’ âme qu’il lui avait donné et que son mari voulait lui faire ingurgiter, en mourant comme lui . L’ on peut dire qu’ ici amant consonne avec maman et n’ a pas grand chose à voir avec ses prouesses au lit- si ce n’ était que ça elle en aurait pris un autre d’ amant pour faire la nique à son mari voire aurait tué celui ci- or son amant est bien marqué du sceau de l’ unique pour elle , il est irremplaçable et j’ ajouterai comme chute comme est unique et irremplaçable une maman pour son enfant et un enfant pour une maman ; Ce qui m’ amène par ce chemin détourné par Catherine , que je remercie de ce détournement en espérant ne pas trop détourner l’ esprit de son texte , à dire aussi que cette pré-nomination grâce à une maman de l’ amour peut aussi avoir valeur de prison où le sujet se trouve enfermer et qui empêche le sujet de vivre hors de cette prison . Là c’ est le problème de Joyce , car cette amour inconditionnel ouvre au tout possible, au sans limite qui mène aussi à la mort et de la mère et de l’ enfant si un père ne vient pas y mettre des limites . C’est , à sa façon , ce que soutient Catherine dans la suite de son article et ce avec quoi je suis bien d’ accord . Joyce lui en a un prè-nom . Est ce Jim? c’ est une question .Ce qu’on peut dire c’est qu’il «choisira »( à mettre entre guillemet ) de forclore son pré- nom en rompant avec sa mère , je reprends ici le terme de Stanislaus qui parle dans GDMF de la rupture de Joyce avec sa mère, mettant cette rupture en acte quand il part pour la première fois à Paris pour y faire de soit disant études de médecine , pour vivre libre dit-il à la fin du Portrait . Il veut vivre , vivre libre loin de cet enfermement où l’ amour sans conditions dont il est l’ objet le tient enfermé , rejetant tout ce qui vient de sa mère , lui rendant en quelque sorte le cœur qu’elle lui a donné .Mais brisant de la sorte le cœur de sa mère il brise aussi le sien. Cette forclusion qui se joue par le rejet de tout ce qui vient de sa mère si on peut dire qu’elle est de son choix c’ est que le sujet le vit comme tel , qu’il est accompagné pour lui de remord , il se dira responsable de la mort de sa mère , dans Ulysse , si Stanislaus lui en accuse son père . ça ne peut pas effectivement être de sa faute puisqu’on peut dire qu’il y a pour lui une forclusion de fait de son pré-nom ne devant subjectivement rien à sa mère, ni amour ni haine . Remarquablement pour les deux frères la subjectivité de la mère n’ est pas engagé ni dans sa son choix de vie ni dans sa mort , elle est juste une victime de tout ce qui lui arrive . Mais Joyce reprochera à sa mère cette position alors que Stanislaus pas.
Voilà j’ arrête pour ce soir et je reprendrai sur Stanislaus la prochaine fois et Jim bien sûr sera présent puisque Jim est l’ âme de Stanislaus ,l’ âme qu’il n’ a pas.
