20 avril 2011
Il y a des certitudes qui ne sont pas délirantes, enfin il me semble. Celle que j’ai depuis quelque temps c’est que je ne viendrai pas au bout de ma question et ce soir en particulier de ma question dans ma question qui était celle de la pré-nomination dont j’ai en somme dit très peu de chose. En effet c’est la dernière fois que j’interviens dans ce séminaire, du moins pour cette saison ; pour la suite ?? La prochaine fois Patricia Léon et Laure Thibaudeau se déplaceront de Paris pour partager avec nous leurs élaborations issues du groupe de travail qu’elles animent : Le risque de l’enfance. Par ailleurs, malgré les deux mois dont je disposais j’ai eu et pris assez peu de temps pour ficeler un texte qui aurait une relative cohérence, disons démonstrative .Je l’ai écrit en plusieurs fois au gré de ce qui faisait l’objet de ma préoccupation du moment voire de mon inspiration et c’est comme tel que je vous le livre en espérant que vous y trouverez quelques petites choses à vous mettre sous la dent.
La dernière fois j’ai donc conclu rapidement que le « ne pas avoir de mère » qui s’affirme dans ce dire de Médée « je n’ai ni mère ni frère …pour m’offrir un havre dans le désastre qui m’attend » ne relève ni d’une dénégation névrotique ni d’un déni pervers mais d’une forclusion psychotique. C’est donc là dessus que je vous ai laissé, différenciant dans un premier temps le « ne plus avoir » d’avec le « ne pas avoir ». La négation qui apparait dans les deux formulations, introduit le manque mais sur des modes différents. Je vais vous en dire un peu plus là dessus ce soir et introduirai ensuite un tout petit peu la question de la forclusion.
Le « ne plus avoir » est associé à la perte d’un « objet », disons d’une certaine « chose » bien déterminée, pour éviter la confusion avec le fameux objet (a) lacanien. Dans le registre qui nous occupe, la chose perdue a comme support un humain vivant que l’on nommera, en suivant Lacan, la Chose maternelle. Lacan majuscule la Chose en question lui donnant ses lettres de noblesse du fait que de l’humain est engagé dans l’affaire mais de l’humain ayant un rapport avec le divin. On met une majuscule à Dieu pour indiquer la transcendance de l’être en question engagé sous ce signifiant. Mais ce que, d’une certaine façon, apprend la psychanalyse c’est que ce qui transcende l’humain est une part de l’humain lui-même. Petite remarque en réponse à Allouch (« L’amour Lacan ») qui dit son agacement de ce « majusculage » de la Chose faite par Lacan, que je trouve pour ma part très pertinent. Ce qui nous intéresse donc c’est le passage pour un sujet donné de la Chose maternelle, chose indéterminée dans sa détermination même à une Chose déterminée via une Mère particulière qui est celle à laquelle un sujet donné à affaire, qui est la sienne et pas celle d’un autre, avec laquelle il doit faire, celle du « ventre » duquel il s’origine. Elle est le dit « premier objet d’amour » de l’enfant par Freud. On peut alors la qualifier d’ Autre maternel bien que dans l’ Ethique Lacan dise d’ une façon indifférenciée la Chose maternelle et l’ Autre maternel posant cet Autre –Chose maternelle comme Autre de l’ Autre .Ici le passage que je vise est celui vers ce premier Autre dont les dires comptent ,le passage de l’ Autre-Chose muet à l’ Autre qui parle , passage pour un sujet de la préhistoire à l’ histoire où l’ on pourrait dire qu’il n’ y a pas d’histoire possible sans une préparation préalable à ce qui permettra d’ écrire l’ histoire , sans préhistoire dont il reste des traces signifiantes .Il me semble ,mais je ne l’ ai pas vérifié, que je vous ai fait un couplet là-dessus l’ an dernier : ce que Freud nomme « objet d’ amour » dans ce cas renvoie à ce que Lacan appellera l’ Autre où un humain vient occuper cette place laissée vide par ce dit Autre de l’ Autre dont il dit qu’il n’ y en a pas.Il est celui qui d’ une certaine façon incarne cet Autre-Chose, lui prête sa chair .Il n’ est pas ce que Lacan appellera pour sa part l’ objet a si par ailleurs cet objet on peut dire qu’il le recèle.
Du côté de la perte .Un objet-chose perdu on l’a eu, on ne l’a plus et de ce fait il peut venir à manquer voire manque .Mais il est possible d’envisager ses retrouvailles , de l’ avoir encore, puisqu’on en connait personnellement , subjectivement , les coordonnées qui permettent de l’ identifier .Les coordonnées en question c’ est ce qui permettrait dans un premier temps de lancer un avis de recherche( un wanted .. ») où imaginaire et symbolique sont là en fonction .Mais ce n’ est que face à l’ objet réellement retrouvé qu’un « c’ est ça » pourrait s’ énoncer .En effet l’imaginaire et le symbolique cela peut se truquer même si ce n’ est qu’ avec ces deux dimensions que l’ on peut partir à la recherche d’un objet perdu, sans elles aucune recherche n’ est envisageable et les retrouvailles ne sont alors que l’ effet du hasard , la contingence d’ une rencontre qui fait surprise. En effet il manque une troisième dimension qui est le réel de la jouissance qu’il nous a procuré et dont sa perte nous prive et dont le symbolique et l’imaginaire sont impuissants à rendre compte en vérité, dans sa vérité absolue. Si on peut en parler, si on peut en rêver, ce qui est déjà en soi une jouissance mais seulement substitutive, on ne peut plus réellement en jouir. Et lors des retrouvailles il faudra s’assurer que la jouissance qu’il nous procure est la même, que l’objet-chose n’est pas un faux.
Le « n’avoir pas », lui, est associé au manque d’un objet-chose que l’on n’a jamais eu. Pour cet objet le manque n’est donc pas associé à la perte mais à ce qu’on peut appeler la non- perte qui met le sujet face à un impossible à envisager des retrouvailles. L’objet qui manque est là sans coordonnées imaginaire et symbolique pour partir à sa recherche et il est impossible de dire « c’est ça » quand un objet de jouissance se présente ou à l’inverse il est possible de dire « c’est ça » pour n’ importe quel objet qui se présente, l’un pouvant remplacer l’autre dans une métonymie sans fin. Rien ne permet de s’assurer de ce qui ferait la différence entre un « c’est ça » ou « ce n’est pas ça » sinon à se fier à un Autre qui ne serait pas trompeur qui nous donnerait la garantie que c’est bien celui là et pas un autre. Sans lui la notion de vrai et de faux s’efface, nous sommes dans un « no man’s land » en ce qui concerne la vérité.
Donc le champ du manque se divise en deux parties l’un en lien avec le n’avoir plus de la perte et l’autre en lien avec le n’avoir pas de la non-perte qui s’affiche donc comme complémentaire à la perte. Si on additionne ce qu’on n’a plus et ce qu’on n’a pas on détermine le champ du manque .Mais si on peut comptabiliser ce qu’on n’a plus comment comptabiliser ce qu’on n’a pas ? Il y a là un infini du manque qui se présente et fait du champ du manque, de ce côté-là, un champ ouvert à une comptabilisation sans fin.
Avec la perte se profile la douleur dans lequel celle-ci nous plonge, en particulier bien sûr, et c’ est ici ce qui nous intéresse , quand il s’agit de la disparition d’un humain que nous aimons, que ce soit par sa mort ou par une séparation sans retour même s’ il est encore vivant, ce qui est équivalent au niveau imaginaire à sa mort . C’est donc ce qu’on appelle être en deuil. Si cette douleur vient à disparaitre cela voudrait-il dire que l’on ait retrouvé réellement le disparu, à moins de délirer, on le sait, cela n’est pas possible même si, par ailleurs, on peut croire, comme la religion nous l’enseigne, à la résurrection des morts à la fin du monde. Mais dans le temps du deuil cette croyance ne tamponne pas la douleur de la perte. Cela voudrait donc dire que les retrouvailles ne peuvent s’opérer que sur un mode imaginaire et /ou symbolique qui permettent comme on le dit de faire le deuil, de ne pas rester effondré sous le poids de la douleur, de ne pas en mourir, de retrouver le goût de vivre. Mais du côté du réel, de l’impossible retrouvaille qui nous laisse irrémédiablement seul, il y a un reste à la perte où s’inscrit « le plus jamais » qui fait trou .Ce qui reste c’est un réel trou, un vrai trou où, au-delà de la douleur, c’est la détresse qui est convoquée sur les bords de ce trou. La fonction de l’imaginaire et du symbolique est justement de permettre d’éviter la détresse, de border le trou réel de la perte, sa radicale cruauté pour reprendre le signifiant avancé par Thérèse Charrier (son témoignage de passe lors de la plénière du 30 janvier 2011). La cruauté en jeu ici est en fait celle de celui qui fait disparaitre un quelque chose de lui qu’il recélait, ce qui faisait de lui « l’objet-chose » de notre amour .Ce qu’il recelait c’est l’objet (a) qui était cause de notre désir, objet qui lui donnait son prix, qui faisait la valeur, disons attractive, de la chose. Il fait par sa disparition, par sa mort, devenir (re-devenir) cet objet un objet réel, un objet impossible puisqu’il l’emmène, pourrait-on dire, avec lui dans sa tombe, rendant le désir vain. Remarquons que « Le cruel » lui n’est pas dans la douleur .Peut-on lui attribuer un sentiment ??? On peut ici encore se référer à Médée, la cruelle par excellence, qui fait disparaitre cette part d’elle-même que Jason aimait et qu’elle aimait comme elle-même, ses enfants, ces objets a qu’étaient ses enfants .Elle le fait parce qu’elle n’est plus, l’objet de son désir, son phallus, celle qu’il nommait sa femme. Elle se soustrait alors radicalement comme « objet d’amour » pour Jason par le meurtre de ses enfants.
Pour tenter de suivre Thérèse dans ses avancés, à ce signifiant cruauté aucun signifiant ne s’ oppose ,du moins il me semble pour en avoir discuter avec elle , que c’ est sous cette forme qu’elle utilise ce signifiant ,ce qui a mon sens est une invention langagière , une vraie trouvaille .Si au signifiant jour s’ oppose le signifiant nuit, faisant du jour le contraire de la nuit , au signifiant cruauté ,tel qu’il est engagé ici, rien ne vient répondre qui pourrait dire le contraire pour un sujet parlant, pour dire Médée . On pourrait dire que Médée incarne par son acte la cruauté et que pour elle on ne peut pas en opposer un autre pour la dire. Cette « cruauté » est articulée au fait que par cet acte elle annule réellement sa maternité. Pour ces enfants là elle ne sera jamais une mère en leur reprenant la vie qu’elle leur avait donnée leur refusant de la sorte la possibilité d’en jouir. Cet acte ne fait pas d’elle une mauvaise mère, il fait d’elle une non- mère, autre chose qu’une mère, un être détestable comme la qualifie Jason. Mais remarquons que d’être détestable pour Jason ça ne fait pas souffrir Médée. Cruelle elle jouit de la douleur qu’elle lui impose. Mais peut-on en dire autant des morts, des disparus, de ceux qui se retirent de cette place « d’objet d’amour », de l’Autre de l’amour ? Si Médée existait, elle serait une incarnation de la Chose sur le versant cruauté, son image réelle .Le fait que cette pièce soit une fiction, que Médée n’existe pas en vrai, qu’elle ne soit qu’un personnage de « roman », nous permet quant à nous d’imaginariser la Chose sur un mode virtuel en l’ayant symbolisée avec le signifiant qui la nomme. Pour ses enfants comme ils sont morts cela est impossible ou alors il faudrait être un « mort-vivant », signifiant qui court très souvent dans les dires de certains sujets psychotiques.
Parmi les synonymes de cruauté, il y a barbarie. Vous vous en doutez c’est à celui là que je me suis arrêtée, en référence à la « barbare » Médée. Si à barbare s’oppose civilisé, il y a du « barbare » auquel aucun « civilisé » ne répond, du non- civilisable et non du pas encore civilisé .On trouve aussi inhumain qui dit sous cette forme est l’opposé d’humain. Mais on peut dire aussi qu’il y a du non-humain qui n’est pas le contraire de l’humain qui n’est pas de l’inhumain. C’est sans doute là qu’une part de ce qui transcende l’ humain dans l’ humain est en jeu et avec elle s’ ouvre la question de ce que j’ai appelé la forme négative du mysticisme quand je vous ai entretenu de Kertesz .C ‘est aussi l’un des lieu où la jouissance féminine pourra se loger . Donc si la cruauté est le fait de celui qu’on aime, disons de façon absolue, qui nous impose le réel de sa perte, nous sommes là dans un ailleurs que le lieu de l’Autre, celui du langage. Nous sommes dans un lieu radicalement autre, celui de l’Autre de l’Autre du langage. Un non-Autre où se profile l’émergence possible de la Chose dans sa radicale cruauté qui vient reprendre ce qu’elle nous avait donné, ce qu’on appelle la vie, sans trace même de celle-ci de façon signifiante, faute d’ un prénom qu’elle nous aurait donné en cadeau. Je vous rappelle que dans la pièce les enfants de Médée ne sont pas prénommés.
Mais c’est aussi à la suite de cette discussion avec Thérèse ,où il y avait quelque chose qu’elle avançait qui me semblait juste, que je me suis dit qu’il y avait aussi quelque chose d’autre, qui du moins pour moi ,ne se disait pas avec ce seul signifiant cruauté ,qui ne recouvrait pas l’entièreté de ce qui est en jeu dans la perte, quand elle est sans retour, sinon à croire à la résurrection des morts. Mais, disons le, la résurrection des morts la plupart d’ entre nous y croyons. Les morts on les ressuscite par l’imaginaire et le symbolique, ils sont par nous retrouvables, au réel près de la jouissance qui les fait présents sur fond d’une radicale absence. (Je renvoie ceux qui étaient présents à l’intervention sur l’homme aux rats de Pierre Bruno lors de l’assemblée de Paris, s’agissant dans ce cas du père). Donc, si comme je le disais plus haut, avec la perte se profile la douleur, la gaité ne peut-elle pas être ce qui, avec la perte, est au rendez vous ? La gaité n’est pas ici ce qui viendrait s’opposer à l’absence de la douleur. C’est sans aucun doute ce qui se passe quand disparait quelqu’un que nous haïssons, quand nous en sommes définitivement séparés voire débarrassés, quand celui-ci a l’extrême « bonté » de s’extraire à jamais de notre vie. Ici pas de deuil mais la fête. Cette radicale bonté est le fait de celui qui fait disparaitre, en disparaissant lui-même, un quelque chose de lui dont on peut dire aussi que d’une certaine façon il le recèle, qui faisait de lui l’objet-chose de notre haine. C’est là que je suis un peu gênée aux entournures car peut-on là parler de ce quelque chose qu’il emmène avec lui dans sa disparition comme étant l’objet a, sachant que celui-ci est défini comme objet cause du désir ? Je m’avancerai à dire oui mais où l’objet(a) ici est en position de provoquer la répulsion, l’horreur, appelant le désir sous une forme négativée .L’ on peut dire en suivant cette logique que « ne pas désirer » est aussi dans l’absolu un désir .L’objet a que recèle la chose en fait une chose de prix dans l’amour et lui donne sa valeur attractive, agalmatique ; une chose de mépris dans la haine et lui donne sa valeur répulsive, de détestation , d’horreur , celui que l’ on dit ne pas désirer .Quand le haï a la bonté de disparaitre, il rend vain le fait de « ne pas désirer ». S’ouvre alors la question de savoir si n’avoir plus à « ne pas désirer » c’est désirer, puisqu’ici le désir en question ne s’articule à aucun objet qui lui, a réellement disparu avec le disparu . Peut-on lire cette forme particulière de désir comme étant « le désir sans objet » auquel Isabelle Morin articule la fin de l’analyse ? On pourrait alors se poser la même question inversée dans la séquence de la perte d’un être aimé .Quand le « désir devient vain » est-ce équivalent à « ne pas désirer » sur le mode mis en jeu dans la haine ? La fin de l’analyse ne serait-elle pas alors aussi à articuler à un « ne pas désirer sans objet » ? Pour le dire autrement la fin de l’analyse ne met-elle pas en jeu un désir débarrassé d’un objet a ayant soit une valence positive ou négative pour reprendre des termes de la physique-chimie ou attractive ou répulsive pour reprendre des termes où sont engagées les passions qui s’énoncent sur le mode d’un « j’adore ou je déteste » qui met en jeu la jouissance, celle dont souffre le sujet dans la passion, son pathos. Les objets a sont là dans la course et suivant le mode assujettissement du parlêtre font l’ objet d’une attractivité pour certains sujets et de répulsion pour d’ autres, objets de goût ou de dégoût .Ce sont donc des objets qui sont convoqués pour disparaitre pour que naisse ce qu’on pourrait alors appeler le désir de l’ analyste .Je ne m’embarque pas plus loin sur la question pour revenir à la perte d’ un être haï . C’est donc ici le signifiant bonté que j’introduirai pour ma part comme n’ayant pas d’opposé, en marchant dans les pas de Thérèse, pour parler de la disparition de l’être haï. L’allégement radical qui s’en suit pour le sujet peut aller jusqu’ à l’euphorie. Il suffit dans les temps que nous vivons de penser à la foule en liesse quand le tyran se fait la malle, que ce soit de son fait ou pas . Ce qui tempère la fête c’est sans aucun doute l’idée d’un possible retour. Si ce n’est celui là ce pourrait être un autre qui lui ressemble, presque le même mais pas réellement le même. Le possible réellement pire d’un autre qui va se présenter peut être la crainte qui, d’une certaine façon, s’oppose au changement.
Freud déjà signalait ces manifestations qui semblent particulièrement déplacées lors de la veille d’un mort. Je l’ai pour ma part entendu raconter par une femme, ce qui ne fut pas sans choquer la toute une chacune que je suis, à défaut de vraiment la surprendre. Elle me dit le fou rire incontrôlable, d’elle et de sa fratrie qui veillaient leur mère morte. Cette femme dont le rire était loin d’être ce qui la caractérisait, renvoyait plutôt l’image d’un au-delà insondable de la douleur. Elle me dit : « Jamais nous n’avions autant ri, dés qu’on se retrouvait prêt de son corps le fou rire nous reprenait et l’on était obligé de sortir pour se calmer ». Il fallait en effet qu’ils se calment car de rire ils auraient pu en mourir .Ce qui les calmait c’était sans doute les retrouvailles symboliques et/ou imaginaires avec cette mère dont la dangerosité notoire avait pesé sur leur vie, dont celle de l’inceste n’était pas la moindre. Ces retrouvailles venaient borner le réel de la perte qui les entrainait dans une gaité sans limite. Finalement cette mère en disparaissant leur laissait la vie qu’elle leur avait donnée, les laissant seuls et bien heureux de l’être, sans que la mort ne rode plus comme une menace permanente du fait de sa présence vivante.
On peut ici penser à Calamity Jane sur laquelle Isabelle Morin a écrit dans la revue PSYCHANALYSE numéro 1, texte que j’ai lu et relu, comme le texte des lettres adressées à sa fille, Jean McCornick , dénommée Janey Hickok dans ces lettres .Mais quelque chose me laissait questionnante vis-à-vis de cette mère et du portrait que l’ auteur en faisait un peu trop « positif » à mon goût à ce moment là .Isabelle dans la dernière revue ( numéro 20 ) requestionne ce cas à partir de faits qui permettraient de contester la véracité des lettres qui ne seraient que des faux écrits par Jean McCornick .Elle se serait attribuée Calamity Jane comme « vraie » mère. Celle-ci l’aurait confié, disent les lettres, à une famille pour laquelle elle avait de l’estime (qui n’est pas la famille dont serait réellement originaire Jean et dont on ignore qui elle est). Calamity aurait choisi de disparaitre de la vie de sa fille se sentant mère dangereuse pour son enfant .Elle le fait au moment où elle-même aurait été abandonnée par son homme(Hickok) pour une autre femme, moment où celui ci devenant père la laisse seule avec l’enfant. Ce qui est remarquable, c’est que nous serions alors dans la même conjoncture que pour Médée, l’abandon d’une femme par son homme, père de l’enfant. Après cette séparation choisie d’avec sa fille, Calamity aurait écrit des lettres à remettre à celle-ci après sa mort, une chaque année à la date anniversaire de sa naissance, les gardant à l’ abri sous la selle de son cheval. On remarquera qu’elle prénomme, dans ses lettres posthumes, sa fille (voire sa fille s’auto prénomme) d’un autre prénom que celui de son état civil, prénom qui est donc ignoré par sa fille du vivant de sa mère. Jean devient Janey fille de Jane, anagramme de Jean où seule la lettre J reste, à sa place. Que l’histoire soit vraie ou non peu importe, je suis bien d’ accord avec Isabelle, Calamity Jane utilisée de cette façon par cette femme, pourrait être l’exemple de mère dont il s’agit ici, celle qui se fait morte pour que son enfant vive, refusant de ce fait de faire de son enfant son objet de jouissance (refus du discours de l’ignorance). Ce genre d’amour mis en jeu par cette mère Isabelle le nomme « un amour au-delà de l’objet ».Cela renvoie-t-il à ce que j’appelle le discours de l’amour où l’objet a est « masqué » ? J’opterai volontiers pour cette solution. Mais ceci se fait à partir d’une construction géniale mais délirante par le sujet en question puisque, c’est du moins la lecture que je propose, Jean se situait au départ dans le hors discours de la haine où le S2 est éjecté et où le prénom Jean ne lui venait de personne, pas d’une mère, je vais y revenir tout suite.
Cherchant donc quel exemple de mère dans la littérature je pourrai trouver pour soutenir mon propos, c’est à Calamity Jane que j’ai pensé ( celle de la revue numéro 1,qui vivante se sépare de sa fille, qui se fait la morte pour elle pour lui donner une chance de vivre, acceptant que s’ efface même le prénom qu’ elle lui avait donné ) .Ce choix je l’ ai fait d’ autant plus volontiers que la mère réellement morte dans l’histoire de la femme évoquée plus haut avait des ressemblances particulièrement frappantes avec « ce personnage historique, devenu légendaire ». Mais à une différence près, elle ne s’était pas retirée de son vivant de sa place de mère dangereuse et avait été pour cette femme et sa fratrie une véritable calamité. Et au bord du trou du réel de sa perte, du plus jamais, c’était l’allégresse qui était au rendez vous lors de sa mort qui était le fait de son âge avancé. Elle n’avait pas, quant à elle, laissé de lettre, ne sachant pas écrire, ce qui semblait aussi être le cas de Calamity, de ce côté-là il n’y avait rien à chercher voire à retrouver qui signerait l’existence de l’Autre de l’amour, pas de message posthume. Vous pouvez aussi bien sûr aussi entendre que rien dans l’inconscient de ce sujet ne s’était écrit pour dire l’amour de sa mère pour elle, pas de S2 que seraient ici les lettres de « la maman de l’amour » et qui s’avèrent finalement n’être que des « fausses-vraies lettres ». (Pas d’écriture possible pour elle du discours de l’amour avant).
C’est me semble-t-il la place que va venir occuper ce S2, les fausses-vraies lettres, dans le discours de l’analyste à la place de la vérité. Dans le discours de l’ amour XXXX le S2 a la même valeur que les lettres laissées par « la maman de l’ amour », qui n’ a jamais existé de son vivant pour la prétendue fille de Calamity Jane ,qui ne se met à exister comme telle qu’une fois morte au travers de ses lettres , excluant de ce fait tout rapport incestueux comme possible .Mais ici, si la mère est exclue radicalement comme objet incestueux ce n’ est pas le fait du père qui se barre à sa naissance ,qui se pose en père jouisseur et non désirant de la mère . Il n’occupera pas pour elle la place du père réel comme agent de la castration, il reste un père imaginaire, agent de la privation sans doute mais pas de la castration .En partant il est celui qui provoque la séparation de la mère et de la fille créant un manque réel du phallus symbolique mais pas un manque symbolique du phallus imaginaire. Ceci signerait la présence d’un « trognon d’Oedipe » pour reprendre une expression de Lacan, mais juste un trognon, sans qu’elle puisse aller au delà. En faisant mourir ce père, dans l’histoire racontée dans les lettres, après ses retrouvailles avec sa mère ,ce qui aurait empêché que le couple la récupère chez les parents adoptifs, elle signe me semble-t-il le fait que pour elle aucun vivant ne peut faire fonction d’agent de la castration symbolique, le père réel est réellement réel pour elle pourrions-nous dire .C’est sans doute sur ce point que je serai peut-être( ?) en désaccord avec Isabelle, il ne fait pas « office de père réel », puisqu’il est mort cet office il ne peut pas le remplir . Il n’y a donc pas passage possible au discours de l’analyste, elle ne peut pas faire semblant d’objet a, d’objet symbolique. Mais par cette affabulation cette femme peut quitter me semble-t-il le hors discours psychotique, celui de la haine où le savoir est éjecté, qui la faisait réellement objet de mépris, d’horreur et où le signifiant qui la prénommait, Jean, ne lui venait d’aucune mère aimable à laquelle elle aurait pu s’identifier.
