juillet 2011
Psychanalyse, psychothérapie : quelles différences ? tel est le titre d’un ouvrage de Pierre Marie paru aux Éditions Aubier en avril 2004, au moment où, en France, à l’Assemblée nationale on voudrait assimiler la psychanalyse à une forme de psychothérapie et en réglementer la pratique.
Avec ce nouveau livre, Pierre Marie poursuit une réflexion engagée depuis déjà longtemps. En effet, l’auteur n’est pas à son premier ouvrage, en 1992, dansQu’est-ce que la psychanalyse ?, il démontrait de façon tout à fait pertinente que la méthode analytique, imposée à Freud par ses patients, allait d’une certaine manière à l’encontre de la doctrine analytique. Il dénonçait alors une forme de fétichisation de la discipline qui avait conduit de nombreux analystes à user de la méthode analytique à des fins psychothérapiques. Il proposait donc de prendre la méthode freudienne à la lettre : c’est-à-dire que l’on soit analysant ou analyste, ce que l’inconscient nous enseigne, c’est qu’il faut un certain temps pour qu’il soit entendu, car son destin est justement de rester in-entendu, mais au combien accessible au travers de ses formations (les rêves, les lapsus, les mots d’esprit, les acte manqués et bien entendu les symptômes).
Selon Pierre Marie, la psychanalyse est à prendre au mot. Je partage avec lui cette conception et vous laisse jouir de l’équivoque, car c’est toujours par cela que commence une analyse, par les maux, par quelque chose qui ne va pas et qui amène un sujet à formuler une demande auprès d’un analyste. Pierre Marie ne va pas remettre en cause les psychothérapies mais il va montrer les différences radicales entre les psychothérapies et la psychanalyse. Pour cela, il va mettre au clair ces différences sur le plan de leurs origines, de leurs théories et de leurs pratiques.
Il consacre donc le premier chapitre aux psychothérapies, le deuxième au langage et le troisième à la psychanalyse. Cette construction est très importante car, le fait d’intercaler un chapitre sur le langage entre celui sur les psychothérapies et la psychanalyse est une façon de poser quelque chose de fondamental. En effet, le langage, que l’on appelle aussi la structure symbolique, est justement ce qui noue le sujet au signifiant et ce qui est à même de créer le lien social. Et, cette division que provoque en nous l’accès au langage, cette division est justement celle dont nous ne cessons de souffrir de façon plus ou moins consciente. Souffrance qui amène un sujet à s’adresser à un thérapeute dans une quête toujours éperdue de sens et de fait, certains thérapeutes vont s’empresser de répondre à cette quête de sens. Alors que l’enjeu est peut-être, à un moment donné, de suspendre cette recherche illusoire de sens qui ne cesse de nous aliéner. Et cela, afin d’entendre enfin quelque chose du désir inconscient. C’est ce que l’expérience analytique propose et si elle y parvient, c’est bien comme l’auteur le propose par une « ruse de la raison ». Selon Lacan : « L’art de l’analyse est de suspendre les certitudes du sujet, jusqu’à ce que se consument les derniers mirages . »
Commençons par la question des psychothérapies : Depuis la nuit des temps, dans toutes les cultures, il y a toujours eu des psychothérapies. Étymologiquement, ce terme signifie « l’accompagnement de l’âme ». L’ambiguïté que recèle le terme de psychothérapie n’est jamais à l’abri des visées normatives. Et, si le mot est récent, la pratique elle, est ancienne. Les Grecs utilisaient le terme de psychagogia, la conduite de l’âme, et les Pères de l’Église inventèrent celui de direction de conscience. En effet, si cette pratique a d’abord eu une référence religieuse, très vite, elle a eu aussi une référence médicale chez les Grecs (Hippocrate, Antiphon) comme chez nous à partir du XVIIIe siècle avec Mesmer, Pinel, Déjerine et Charcot.
Mais que la pratique des psychothérapies ait une référence religieuse ou scientifique ne change rien à ses motifs, car pour le psychothérapeute, il s’agit d’inscrire le symptôme exposé par le patient dans une grille de lecture afin de lui proposer une signification puisée dans une certaine représentation du monde, qu’elle soit religieuse ou non. Il est donc question d’une causalité objectivable dont la correction implique certaines techniques de rémission : rite magique, sacrement de pénitence, exorcisme scientifique tel le fameux baquet mesmérien auquel fait écho la psychothérapie nommée « Le cri primal » ou bien d’autres encore comme le Rebirth, etc. Ici, le symptôme est en quelque sorte le signe d’un excès qui rejaillit sur l’ordre du monde. Et cet excès est susceptible d’être défini et amendé par le psychothérapeute qui est bien sûr convaincu de disposer du savoir nécessaire à cette opération. Vous comprenez pourquoi l’évolution des techniques psychothérapiques est conditionnée par celles des représentations du monde. Chaque époque possède ses psychothérapies : par exemple, le traitement moral de la folie cher à Pinel est associé à l’avènement de la bourgeoisie au début du XIXe siècle ; comme la suggestion hypnotique de Charcot répond au succès du scientisme propre à la fin de ce même siècle.
Nous pouvons donc clairement poser l’existence d’un parallèle entre l’évolution des symptômes exposés par les patients et celle des pratiques psychothérapiques sensées y remédier. La découverte freudienne bouleverse ce rapport. Avec la psychanalyse, le symptôme n’est plus défini comme un excès mais comme l’indice d’un refoulement. Il n’est plus référé à une représentation du monde préalable, mais à un conflit psychique interne irréductible dont le savoir n’est plus du côté de l’analyste mais du côté du patient, au cœur d’une mémoire indisponible, même si, ce dernier, et c’est là la raison et le ressort même du transfert, le situe toujours du côté de l’analyste, plus précisément du côté d’une instance susceptible de le contenir, le « sujet supposé savoir » que l’analyste représente. Avec la psychanalyse, le traitement proposé n’est plus distinct de l’acte d’énonciation du symptôme qui, n’entraînant aucune réponse du côté de l’analyste, engage le patient à déployer, à son insu, cette mémoire indisponible qui va s’actualiser dans le transfert sous les traits du fantasme organisateur de son monde, dans le cadre d’une mobilisation particulière appelée névrose ou psychose de transfert. Alors si on peut encore parler de guérison, ce n’est plus sous le rapport d’une adaptation à l’ordre du monde, mais sous celui d’une élaboration du conflit de telle manière qu’en soit suspendue la répétition pour qu’advienne une prise en compte du désir. Une manière de faire avec le symptôme. Alors « qu’il s’agisse d’un enfant ou d’un adulte, à partir de la demande initiale adressée à un analyste, chacun peut s’engager sur le chemin de la parole, des rêves et du désir, interroger son histoire afin d’aller au-delà des contingences passées, pour donner effet de sens aux nécessités à venir . »
Alors que les psychothérapies se référent toujours à une conception de l’homme à laquelle elles renvoient leurs patients en leur exigeant de s’y conformer afin de participer à l’harmonie du monde. À l’inverse, le travail analytique est là pour leur rappeler combien les scories de la conscience, symptôme, lapsus, acte manqué, rêve, angoisse, sont inhérentes à son clivage et n’ont nullement à être renvoyées à la faute, au vice ou à l’aberration comme le suggèrent certaines orientation politiques, religieuses, scientifiques ou scientistes.
C’est dire que le soulagement éventuel obtenu d’une psychothérapie ne fait que reporter ailleurs et autrement le conflit sous formes de nouveaux symptômes plus admissibles… Le savoir faire que permet un travail analytique engage à une certaine rupture avec l’ordre du monde comme affirmation d’un désir singulier d’où peut justement se renouveler le lien social. D’où l’hostilité des régimes totalitaires à son égard, comme éventuellement celles des bureaucraties de certains États ou celles des effets de la globalisation contemporaine dans leurs exigences du meilleur profit à court terme, les psychothérapies cognitivo-comportementales (TCC) en sont l’exemple le plus flagrant. Pour autant, cette opposition entre les psychothérapies et la psychanalyse n’est pas une opposition hiérarchique, mais deux modes absolument distincts de se situer par rapport au désir et à l’inconscient. Les psychothérapies sont des techniques dont la maîtrise relève d’un apprentissage passant par les chemins de la suggestion et de la persuasion tandis que la psychanalyse est une pratique qui implique pour le praticien d’en avoir fait lui-même l’expérience, modalité de la transmission qui exclut toute acquisition sur le modèle universitaire ou sur celui du compagnonnage.
Certes, pendant longtemps les psychanalystes, à commencer par Freud, ont inscrit la psychanalyse dans le champ des psychothérapies, mais ce n’était là qu’une formulation sur l’effet thérapeutique de l’acte psychanalytique et en aucun cas le signe du moindre ralliement à leurs présupposés, ce qui aurait été le comble pour l’auteur de Malaise dans la civilisation . On mesure mieux aujourd’hui, devant le souci des psychothérapies d’obtenir pignon sur rue, le danger d’une telle confusion.
Laissons les psychothérapeutes à leur quête de reconnaissance et rappelons que l’analyste ne s’autorise que de lui-même et de quelques autres autant engagés que lui dans une interrogation sur le désir qui est la condition de leur acte et qu’aucun pouvoir politique ne pourra jamais soutenir. Au fil de la lecture de cet ouvrage le lecteur est renvoyé à un impossible : il s’agit encore une fois de ne pas être dupe, sauf peut-être de l’inconscient. Au moment où l’on voudrait sécuriser la psychanalyse, et pour cela la légaliser, il est nécessaire de faire le point sur les psychothérapies et la psychanalyse.
Tant que quelque chose d’une démocratie, même toujours à venir, sera possible, les psychanalystes n’auront point le souci de leur exercice, au prix simplement de leur refus d’une soumission au politique, si par quelque aberration, ils en viennent à réclamer à leur tour une reconnaissance, la radicalité de leur pratique s’en trouvera occultée. Au cœur du débat actuel, cet ouvrage constitue une mise au point rigoureuse et lucide qui souligne une fois de plus que les psychothérapies et la psychanalyse sont avant tout des pratiques différentes « sans qu’il y ait lieu de blâmer l’une au profit de l’autre ». Il permet également de souligner que dans le souci actuel des psychothérapeutes d’obtenir un statut et une reconnaissance de l’État. C’est une différence irréductible avec le désir d’analyste qui se dévoile, désir qui est rendu possible car il récuse d’emblée toute référence mondaine et a fortiori toute référence administrative ou politique. Tel est l’intérêt de questionner à nouveau cette différence afin que soient définies d’un côté les raisons et les ambitions des psychothérapies et de l’autre les enjeux et les implications de l’acte psychanalytique.
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