Les Assises II inaugurent une suite, bien qu’elles ne décalquent pas les précédentes, qu’il faut, rétroactivement, qualifier du un. Celles-ci s’étaient donné pour tâche de poser une orientation, par rapport à laquelle il devenait possible de déterminer des pour, des contre, et des points d’interrogation. Cela a été fait et il est désormais permis de dire que le « faire école » inscrit dans le texte fondateur de notre association est en cours.
En février 2013, il s’agira de poursuivre ce mouvement, selon des modalités qui tiennent compte de l’expérience de février 2010 et du désir présent de chacun qui, de ce mouvement, participe, à savoir réaliser la mue qui à chaque instant devrait s’imposer du savoir du psychanalyste. Pour ce, et sans laisser tomber la tripartition originaire « Le savoir du psychanalyste », « La passe » et « L’association », de nouvelles dénominations ont été choisies, soit, dans l’ordre du déroulement de leur examen : « La logique collective », « De la jouissance à l’inconscient » et « Fins de cure ». De chacune de ces parties, il est loisible de s’informer du contenu projeté en lisant les trois arguments qui suivent, et dont les signataires ont à répondre puisqu’il n’existe pas de « savant collectif » qui serait le cerveau de l’apjl.
Deux autres innovations, au moins partielles, sont à indiquer.
D’une part, pour donner quelque corps à ce signifiant de « supplémentaire » dont nous avons choisi de faire enseigne, les invités, qu’ils soient d’autres associations psychanalytiques ou hors association, seront sollicités plus largement, sans tenir aucun compte, de notre côté, de ce qui pourrait faire barrière d’octroi institutionnel. Nous solliciterons aussi plus de psychanalystes étrangers et nous espérons d’ores et déjà compter sur la représentation des cinq continents.
D’autre part, il n’y a aura pas cette deuxième fois d’interventions ayant forme de rapport. Toutes les interventions, dont nous limiterons le temps pour donner sa place suffisante et donc sa chance au débat, seront choisies en éliminant, sauf exception raisonnée, les « questions de cours » ou les « monologues cliniques » et en privilégiant toute entrée dans un questionnement sur « les problèmes cruciaux » de la psychanalyse contemporaine tant dans leur dimension épistémique que dans leurs conséquences sur la pratique analytique. Osons savoir sera notre sésame, sans craindre ni, bien sûr, rechercher les inachèvements et les embrouilles éventuels, puisque le réel n’est pas conditionnable.
LA LOGIQUE COLLECTIVE. METTRE A L’EPREUVE L’INTRANSMISSIBILITE DE LA PSYCHANALYSE.
Même si l’expression « logique collective » est très peu employée par Lacan, ce dernier n’a cessé de questionner et de poser des éléments concernant la définition et la spécificité de cette logique. « Le temps logique et l’assertion de certitude…», de J. Lacan 1945, est à ce propos un texte fondateur. En 1947, Lacan interrogera également et rendra hommage à la psychiatrie anglaise dans son texte « La psychiatrie anglaise et la guerre ». À partir de la fondation de l’École freudienne de Paris en 1964, chacun des actes de Lacan, qu’ils aient été la fondation elle-même, la proposition des cartels, celle de l’enseignement par les séminaires ou la parution de Scilicet, jusques et y compris l’acte de dissolution en 1980 ( J. Lacan, « Lettre de dissolution », dans Autres écrits) rend patent le fait qu’il ait voulu proposer et transmettre autre chose que ce que Freud mettait dans sa psychologie de masse (S. Freud, « Psychologie collective et analyse du moi » ) . Enfin, l’invention de la passe n’est-elle pas elle-même la mise en œuvre exemplaire d’une telle logique ?
La psychanalyse se fonde sur l’expérience de la cure, l’enseignement et la théorie, mais elle est tout aussi bien exposée structurellement à « des déviations et des compromissions ( J. Lacan, « Acte de fondation », dans Autres écrits) . Ces glissements nécessitent une attention soutenue. De même, mettre au travail son désir de travail, c’est ouvrir et maintenir un espace de savoir qui vise la transmission.
Or, comment réussir cela si, comme le dit Lacan en 1978, la psychanalyse est « intransmissible » ( J. Lacan, « Congrès de Paris de l’efp », Lettres de l’École, XXV, juillet 1978) ? La logique collective ne serait-elle pas une réponse à cet impossible de la transmission ? Savoir ce qu’elle est et son enjeu, ce serait ouvrir la voie à des réponses essentielles : comment se réfère-t-on au savoir de l’autre et comment chacun d’entre nous fait-il en sorte que la logique collective ne soit plus marquée d’un sophisme, sachant que celle-ci pose d’emblée la nécessité de « donner au groupe les moyens de se mettre au travail sur ce qui le divise en laissant ainsi à l’analytique la possibilité de prendre le pas sur l’institutionnel ( « L’association », collectif, Psychanalyse, n° 17) ? Enfin, comment ne pas mettre à l’ordre du jour les conséquences du discours psychanalytique quant aux civilisations et quant au politique ?
Nancy Barwell et Annie Castille. Septembre 2012.
DE LA JOUISSANCE A L’INCONSCIENT
De la jouissance à l’inconscient », sous l’apparence d’un énoncé simple s’ouvre un redoutable chantier. La préposition « à » en est sans doute le terme majeur puisqu’elle indique un passage, ou mieux un « déplacement ». Ce dernier terme est de Lacan et on le trouve dans cette phrase extraite de « Radiophonie » : « Faire passer la jouissance à l’inconscient, c’est-à-dire à la comptabilité, c’est en effet un sacré déplacement ( J. Lacan, « Radiophonie », dans Autres écrits, Paris ). Une précision préliminaire s’avère indispensable. Ce passage concerne le rêve et il faudra admettre, sans plus de tergiversation, que ce qui vaut pour le rêve vaut pour la structure. Quels sont les opérateurs constituants de ce déplacement, sachant que Lacan a volontairement traduit par « déplacement » le terme Entstellung qui est ordinairement traduit par « déformation » ?
À partir de là peuvent se repenser à nouveaux frais une poignée de questions :
– y a-t-il une jouissance primaire en deçà de la jouissance phallique ?
– le Nom-du-Père est-il un cas particulier du sinthome ou faut-il tenir ferme sur la disparité des deux catégories ?
– l’identification au symptôme peut-elle être incluse dans la série des trois identifications freudiennes ?
– qu’entend Lacan par « jouissance dévalorisée » ?
On saisit l’incidence des réponses ainsi sollicitées et sur les positions actuelles concernant le traitement de la psychose et, plus généralement, sur la direction de la cure.
Pierre Bruno, Sophie Duportail et Laure Thibaudeau. septembre 2012.
FINS DE CURE : FAUT QUE ÇA SE FINISSE !
Les Assises précédentes ont permis de questionner la passe et le passage de l’analysant à l’analyste. Elles ont mis en valeur la non-superposition de la passe et de la fin de cure. De cette dernière, il en est peu question, alors qu’elle se pose pour chaque analyse, pour l’analyste et pour l’analysant. Au-delà de la singularité de chaque cure, de chaque fin de cure, que peut-on dégager ou extraire qui ne ferait pas forcément consensus, mais qui éclairerait ce qui est en jeu pour toute cure dans sa terminaison ? Ceci nous demande de mettre en tension et de faire jouer ensemble les termes mêmes qui sont utilisés – sortie, fin, conclusion – et d’affiner les différentes fins et leurs modalités (une fin avec ou sans passe, une fin déterminée ou non par l’entrée, une fin thérapeutique, une fin non conclusive (?), etc.).
La diversité des thèses concernant la fin de la cure tient pour une part à la question du transfert, qui soulève aussi la question de sa finitude ou de son infinitude. La finitude de la cure implique-t-elle celle du transfert ? N’est-ce pas interdire toute résolution du transfert et rendre l’analyse sans fin que d’accréditer l’idée d’une harmonie possible entre désir et loi, c’est-à-dire faire du père symbolique et non du père réel l’agent de la castration ? Y a-t-il de l’inconsolable lié à la fin de la cure ? Y a-t-il une modification du statut de l’objet d’amour à la fin d’une analyse ?
Par ailleurs, la pluralité des conceptions de la fin de la cure se conjugue avec les différentes occurrences de la fin de la cure avancées par Lacan tout au long de son enseignement (l’assomption de la castration, le franchissement du plan des identifications et leur chute, la destitution subjective, le fantasme : traversée et/ou retournement ?, s’identifier à son symptôme, savoir y faire avec son symptôme…). Pour autant, nous pouvons avancer que toutes ces thèses soutenues par Lacan peuvent éventuellement se contredire mais qu’elles s’articulent toutes à partir d’un réel qui fait ainsi nouage entre elles.
Nous pouvons soutenir que, pour celui qui a mené son analyse à son terme, des effets se font sentir du côté de l’intime mais aussi de sa position dans le monde, de son rapport aux autres, où singularité et altérité sont à l’œuvre. Pour éviter l’écueil de parler d’une fin idéale, ou idéalisée, nous allons devoir serrer au plus près les opérateurs et les enjeux de la cure pour arriver à approcher sa fin logique, et ses conséquences.
Claudine Casanova, Christian Cros, Véronique Sidoit . Septembre 2012.