Colloque Ajaccio.
A lire le titre énigmatique de ce colloque, chacun pourra sans doute y reconnaître une référence au « pas-tout » de la jouissance féminine avancé par Lacan.
A simplement le dire, le tiret entre le « pas » et le « toutes » reste muet, et le titre de résonner alors comme un interdit à valeur œdipienne en référence à Freud. Or, chacun sait que celui-ci a reculé devant l’énigme que sont en partie, pour chacun et pour elles-mêmes, les femmes en ce qui concerne le désir et la jouissance.
Nous tenterons de poursuivre quant à nous l’aventure qui consisteà aborder ce « continent noir » et à l’explorer.L’aventure a commencé au bord d’un océan, à Biarritz, lors d’un précédent colloque intitulé Le féminin peut-il renouveler le lien social ? Des questions touchant l’antisocial féminin, la sublimation, l’expérience du féminin, l’amour,la radicalité du désir, l’infanticide y avaient été débattues. Elle se poursuit sur le rivage d’une autre mer, à Ajaccio.
Rappelons après Lacan que l’homme et la femme sont des signifiants qui ne présument en rien du sexe biologique du sujet parlant. Même si ce sexe n’est pas étranger au destin du sujet, il ne le détermine pas tout, contrairement à ce qu’affirme Freud. Chacun s’en aarange à sa façon suivant son mode d’assujettissement au langage. Si l’homme a un signifiant pour le représenter dans le monde, le signifiant phallique, la femme, elle, n’en a pas. La conséquence est que « La femme n’existe pas » … Pourtant, les femmes existent bien, mais une par une. Contrairement aux hommes que l’on peut rassembler dans le grand tout unifiant de la fonction phallique, les femmes ne peuvent pas être rassemblées par une fonction unifiante. Marqués du sceau de la castration qui les loge tous à la même enseigne, les hommes font tous partie d’un ensemble fermé par une exception qui confirme la règle, celle du non-castré qu’est un père réel. Pour les femmes, il n’y a pas de règle à infirmer ou à confirmer, et si elles se rassemblent, c’est dans un ensemble ouvert sur l’infini de leurs différences. Si tout homme peut être exceptionnel dans son genre à l’instar du père réel, toute femme est de fait unique en son genre. Cela offre donc deux modalités possibles pour le sujet humain de jouir et de désirer selon qu’il se range dans la catégorie symbolique du tout ou dans celle du pas-tout. Si l’une ne va pas sans l’autre, elles ne se complémentent donc pas pour autant, le pas-tout n’étant que supplémentaire. Aujourd’hui, face au discours de la science qui vient renforcer le discours capitaliste en mettant le tout biologique sur le devant de la scène, ne resterait pour le sujet parlant que la catégorie du pas-tout. À ce titre, le monde des femmes ne serait-il pas le seul qui pourrait lui permettre encore de « faire objection » ? Consentir au féminin, ne serait-ce pas ce qui pourrait permettre un autre mode de vivre ensemble, d’aimer et de désirer mais aussi de dire et d’écrire, ce dont un certain art poétique témoigne ? Les visées de la cure analytique quand elle est menée à son terme, au-delà de la passe, ne sont-elles pas d’aboutir à un consentement à vivre ensemble sans se comprendre, sans pour autant s’entre-tuer ? N’est-ce pas le défi que nous avons à relever pour donner encore sa chance à l’humanité : celle de remettre à l’honneur la pulsion de vie dont sont porteuses les femmes et avec elles le féminin de tout sujet qui y consent ?
Table des matières
- Liminaire
Claudine Casanova, Jacques Marblé, Marie-Claire Terrier
- Ouverture
Claudine Casanova
- Pas toutes les femmes veulent ne pas ressembler à leur mère
Patricia Leon-Lopez
- Du ravage aux rivages : essai sur le masochisme féminin
Pascale Duhamel
- Héloise ou l’amour d’obéissance
Ramon Menéndez
- Jouissance de la Chose, jouissance de l’objet
Pascale Macary
- Pallas, Athénée, Marianne et quelques autres
Jean-Pierre Rumen
- Une adolescente actuelle et la jouissance féminine
Matilde Pelegri
- La femme artificielle
Catherine Bruno
- Fin de cure et jouissance Autre
Honorine Fourchon
- Une f emme en fin de cure. Symptôme et sexuation
Élisabeth Rigal
- Polyphonies féminines autour de la passe
Présentation, Jacqueline Ferret Témoignage, Françoise Vergnes Passe et lien social, Bernadette Etcheverry
- Conclusion
Michel Lapeyre