11 décembre
Textes, Photos, films, F. Deligny avait le souci de transmettre. À partir de ce legs, nous approcherons ses travaux sur l’autisme.
C’est à partir du film intitulé « Ce gamin là » réalisé par Fernand Deligny et le cinéaste Renaud Victor (1975), et de l’ouvrage Fernand Deligny L’Arachnéen et autres textes, sortis en 2008, que je vais tenter de vous présenter l’approche de l’autisme selon F. Deligny ; en m’appuyant sur l’enseignement de Lacan j’essaierai d’en dire un peu plus, d’en proposer une lecture critique.
Ce gamin là, c’est Janmari, figure centrale de ce documentaire où sont filmés d’autres enfants autistes. Mon intervention s’appuie également sur les textes et les documents graphiques (cartes et tracés), épures du travail théorique et pratique de F. Deligny au cours des années 1970- 1980.
Son élaboration conceptuelle semble venir en ce point de tension entre une psychanalyse qui privilégierait le langage comme approche du savoir insu, l’inconscient ; et une anthropologie éthologique qui choisirait l’immuable, l’inné de l’espèce, soit une connaissance sans savoir qui ne doit pas être assimilé à la pulsion. Là, où Freud et Lacan placent l’ombilic du rêve, le réel comme conséquence du langage ; pour Deligny, le réel est pré-existant au langage, il est vestiges d’un état non langagier chez l’homme qui subsisterait en chacun de nous. Mais Deligny reconnaitra aussi qu’aucun animal n’écoute le bruit de l’eau comme cet enfant là. Pour qu’il n’y ait pas de confusion, je repréciserai en référence à l’enseignement de Lacan, que l’autiste se positionne non pas hors langage mais dans un refus de s’assujettir au langage, volonté totale de se maintenir du côté de ce que le langage rate : le réel. Pour l’autiste, il s’agit d’une forclusion qui frappe non seulement le signifiant du Nom du Père mais également tous les signifiants qui assureraient la fonction symbolique. L’autiste refuse la Bejahung primaire, le dire oui au signifiant.
Mais revenons à la thèse de F. Deligny. C’est à partir de cette instance qu’est le réel, réel existant avant le langage, que F. Deligny va penser à un nouveau dispositif d’approche de l’autiste. Le réel dans son non rapport au langage peut être rapproché avec ce que conceptualise Lacan à propos du « symbolique qui fait trou dans le réel » . Je cite ici F. Deligny : « Le langage forme un tout, qui a sa cohérence, et éclipse autre chose, qui persisterait à la frange ». « Ce reste occulté par le langage, par cette conscience qui nous incombe, persiste liminaire » ; et ce reste c’est « le réel, bel et bien morcelé de par l’effet du langage ».
Mais revenons à présent à ce gamin là, Janmari qui a été diagnostiqué par la psychiatrie « encéphalopathe profond, présentant des traits psychotiques manifestes. Étant donné son agitation et la dispersion de son attention, son quotient mental est pratiquement impossible à évaluer ».
Le documentaire dont je vais vous présenter des extraits, est le témoignage d’une approche longitudinale de cet enfant autiste. Longitudinale puisque les séquences du film sont tournées sur une période de sept ans. Janmari est qualifié d’enfant « invivable, insupportable, incurable ». Ce qui laisse deviner dans quelles circonstances l’enfant a été confié à l’équipe éducative. Équipe éducative composée de F. Deligny, pédagogue de formation et de jeunes soignants, éducateurs ou non, qualifiés ou pas, mais ayant le souhait de rompre avec ce qui se pratique en psychiatrie : l’enfermement des malades mentaux à l’asile. En outre, étant animés d’un désir, celui de tenter l’expérience initiée par Deligny : vivre avec des enfants autistes dans un lieu retiré du monde, c’est-à-dire là où « l’Arachnéen est possible ». « L’Arachnéen », c’est pour lui « le mode d’être autistique » dont les dominantes sont « la persistance de l’inné, le non-vouloir et l’absence de projet pensé ». Ce qui reste étranger à l’Arachnéen c’est : « l’utilitarisme, la volonté de vouloir, l’être conscient de soi ». Tel l’aragne – d’où s’origine le mot Arachnéen, forgé par F. Deligny – l’aragne ou araignée est entièrement livré à l’inné quand elle tisse sa toile.
Le cadre où l’action se déroule est à la fois un village dans les Cévennes, appelé « Monoblet » et un hameau tout proche « le Serré » où se trouvent les bâtiments d’une ferme et quelques bâtisses abandonnées, plus ou moins habitables, ou totalement ruinées ; enfin « un lieu sauvage » déserté, situé à quelques distances de là. L’ensemble s’étend sur sept hectares Il n’y a pas l’eau courante mais des sources, des fontaines et des réserves d’eau. L’équipe éducative va vivre sur le territoire de l’ancienne ferme et ré-exploiter les formes traditionnelles de l’agriculture locale : élevage de chèvres, de moutons, de cochons et de volailles, et production de légumes. Ils font leur pain, filent, teignent et tisse la laine, tannent les peaux et fabriquent lainages et pelisses pour l’hiver. Enfants et adultes vivront dans ce lieu, parmi les bêtes, et les choses. Les choses, comme les ustensiles de la vie quotidienne (vaisselle, seaux ) ; et celles plus élémentaires comme la pierre, les bouts de bois, l’eau, l’argile, la ficelle. Mais aussi des objets à peine plus élaborés comme une sorte de maillet en bois et son enclume de pierre à l’état brut, un énorme dé en bois aux faces nues à rouler dans un évier en pierre. Quelques instruments de musique comme des cymbales, un tambourin, un triangle grossier, un flutiau, des appeaux, une guimbarde. Dans le film, Janmari et Anne portent des objets singuliers qu’ils ont, semble-t-il, investis : Janmari s’est saisi d’une boule de terre modelée par un adulte et laissée là. Il fait usage d’un appeau autour de son cou.. Il empruntera une canne à un éducateur, il jettera un objet trouvé. Anne possède une peluche et un petit bateau avec lequel elle va approcher l’eau et jouer.
Ce qu’il faut noter c’est que tous ces objets circulent, passent des adultes aux enfants, des enfants aux adultes, sont utilisés pour la plupart à des fins diverses, et viennent contrer en quelque sorte ce qui incombe à l’objet autistique qui, lui, annule toute perte de l’objet. Arrêté, immuable, intangible, l’objet autistique se suffit à lui-même, n’appelle que lui-même. Il n’est pas substituable, et n’enclenche rien, aucun procès dynamique du langage. Ce n’est pas l’objet a cause du désir.
Est-ce que les objets qui circulent, qui sont utilisés, qui sont investis, sont tous équivalents ?
Peu d’adultes apparaissent sur ces images, et lorsqu’on les aperçoit, ils vaquent à leurs tâches journalières. « La demande, l’adresse, l’injonction, l’intention thérapeutique, éducative, occupationnelle ont disparu ». « Il ne s’agit pas d’aller vers ces enfants, ni de s’occuper d’eux, ni de s’adresser à eux ». À la place, vient un agencement de choses, leur disposition est scrupuleusement choisie. C’est dans cette aire aménagée que quelque chose va se tramer. La création d’un « commun » qui inclut les enfants autistes. Il s’agit « de les rejoindre autrement en mettant à l’écart ce qui serait du registre du moi, et de tout ce qui fait qu’un sujet se distingue par sa conscience, ses projets et son vouloir » ; pour enfin mettre en lumière l’enfant autiste et sa manière bien singulière d’être au monde.
Ce « commun-là » que l’image filmique révèle, c’est « Janmari tout envibré, comme il lui arrive de l’être du bruit d’une fontaine, du courant du torrent », Janmari tout dans « l’émoi de l’agir ». Cet émoi de l’agir, F. Deligny le compare à celui qu’il éprouva un jour lorsque, du plat de la main, il faisait des vagues sur l’eau, et de ce geste répété, « de cette main hasardée à éprouver le réel », écrit-il, « il s’y perdit ». Il s’agirait ici de l’émoi de « l’agir » et non « du faire ». C’est ce commun là, ce réel là que le dispositif expérimental révèle à notre regard.
Le projet est donc de vivre avec ces enfants, en les associant sans contrainte à toutes les activités de la vie quotidienne réalisées par les adultes. Il est important de noter que devant les enfants, les adultes ne se parlent pas, ils se laissent des messages écrits. S’ils ne parlent pas entre eux, ni aux enfants, c’est pour ne pas les enfermer derrière « la grille du langage » écrira F. Deligny. « Notre langage fait grille pour eux, qui ne sont pas dans le langage » .
Orientée par l’enseignement de Lacan, je contredirai cela et dirai qu’ils sont dans le langage mais n’en font pas usage, ils nous refusent leur énonciation ; et ce refus est à prendre comme le minimum d’énonciation. Ils sont des êtres de langage mais restent hors discours.
F. Deligny se questionne : « À quoi se fier quand le langage fait défaut ? » Voici sa réponse : « Nous nous sommes mis à tracer les mouvements, les déplacements, les trajets. » « Tracer ce que notre regard était capable de voir, de saisir et de nous rapporter ». « La main de Janmari dessine des ronds, et aujourd’hui, il en dessine encore », précise F. Deligny. « Janmari tourne sur lui-même, les mains dans le dos, soit en courant comme si quelqu’un était au centre de son manège, le tenant au bout d’une longe. Il tournait sans cesse sur lui-même. Si ce fameux lui-même est en fait vacant, absent, cet enfant là tourne autours de rien, sur rien, éperdument. C’est donc qu’il le chercherait ce lui-même, qu’il se chercherait ? Nous n’avons pas pris cette piste-là. Il tournait au delà du bien et du mal. Le bien et le mal c’est de l’ordre du langage. Janmari ne sourit pas, et il n’a jamais tendu les bras, selon sa mère. Pas l’ombre de l’autre dans son regard… C’est “Nous” qu’il cherche », affirme F. Deligny. « Et nous, nous étions là attentifs, étonnés, inquiets, émus ». « Nous, des êtres pensants, êtres de langage, de chair, de sang et de langage par-dessus tout. Mais le langage ne porte pas, il ne l’a pas ce gamin-là, il n’y entend rien. La différence est énorme, la distance infinie. »
Le « point de voir » de Janmari est différent et distant, du point de vue de tous ceux qui son initiés au symbolique » . « Pour ces enfants autistes qui nous ignorent, comment devenir cette eau qui les aimante littéralement ? » se questionne à nouveau Deligny dans Ce gamin là ? Quant aux adultes, lorsqu’ils regardent ces enfants, c’est plutôt à la dérobée, « veille discrète et attentive de “l’agir ” des enfants », que le regard du cinéaste a capté pour nous.
Désirer devenir cette eau qui les aimante, serait-ce le souhait de devenir la chose élémentaire ? Cette métaphore reste énigmatique, de quoi s’agit-il ? est-ce de l’objet, est-ce de la chose ? « Pour qui voit vivre les autistes, leurs manières d’être nous paraissent étrangement formelles, le réitéré advenant constamment » écrit F. Deligny. L’autiste n’a pas d’intention, il n’anticipe pas, et son « agir réitéré », vient faire résistance au « faire » qui serait, lui, orienté vers un projet, une finalité. Chez l’autiste, il y a une impossibilité de ce passage au faire.
Par exemple : Chaque fois que Gilles trace, c’est un trait droit ; et ceci, quelle que soit la surface, quel que soit le projet des éducateurs. Qu’il ait à peindre ou à dessiner, il ne fait que réitérer ce trait droit. L’agir reste en suspens, sans projet.
Autre exemple : deux enfants pèlent une orange. L’enfant autiste pèle l’orange méticuleusement, scrupuleusement et attend, l’orange dans la main, l’agir terminé. L’autre enfant, non autiste, se dépêche de l’engouffrer, quitte à ce que l’orange soit encore recouverte de plaques de bourre blanche. De ce geste en suspend, chez l’enfant autiste, F. Deligny dira : « c’est parce que le bonhomme n’y est pas » . Ce maillon qui manque entre l’agir d’éplucher et celui de manger l’orange, il suffira d’un geste pour y parer, comme un claquement de main, tel qu’on le verra dans une des premières séquences du film. Ce geste venant faire scansion va enclencher la suite des évènements, qui est dans cet exemple clinique de manger l’orange. Nous voyons bien la différence entre un agir fait d’une séquence dissociée et un faire qui est une série de séquences logiquement associées pour réaliser un projet. Il manque donc entre les moments d’agir des opérateurs logiques du langage tels que le « ou », le « et »… venant associer les séquences. Deligny parlera de « domestication symbolique » , c’est-à-dire une emprise du symbolique sur l’inné, début d’une hominisation. Ce geste de l’éducateur n’est-il pas la manifestation de cet Autre du langage, que l’autiste a pris en compte justement parce qu’étant dans le langage ?
Deligny étudie si des corrélations s’établissent entre les trajets coutumiers, les lieux, l’utilisation par les enfants des objets manipulés par l’adulte ; et les déplacements des enfants qu’il nommera « lignes d’erre ». L’ensemble forme un réseau, c’est-à-dire « un mode d’être » , sachant qu’un réseau se tisse et se trame comme une toile d’araignée . Ainsi les intuitions de F. Deligny lui vinrent-elles, comme il le confie par écrit, de l’araignée tissant sa toile et de sa propre expérience durant la guerre, des réseaux communistes de Résistance. Est-ce que sa pratique serait inspirée par une thèse développementaliste et marxiste dans laquelle à travers l’Histoire, la praxis vient réaliser l’humanisation des individus ? Thèse qui est le renversement matérialiste de la conception hégélienne d’un progrès de l’idée.
C’est dans « l’aire de séjour », lieu sauvage aux alentours de Monoblet que se déroulent certaines expériences. Par exemple : des paniers à pique nique sont disposés sur deux pierres ; l’éducateur porte la vaisselle dans des paniers ; entre chaque trajet, voire séquence, il percute la pierre avec un maillet en bois. Par la suite, nous voyons l’enfant reproduire la séquence de prendre l’assiette posée sur une planche en bois et aller la mettre dans le panier qui est posé sur une pierre. Il ne s’agit pas de « dressage » écrit F. Deligny, mais de « prise en compte par l’enfant autiste d’une des séquences du faire de l’adulte, un agir ». Autre exemple : Anne, proche de l’éducateur qui bricole, reprend à son compte le geste de l’adulte. Se munissant du marteau laissé là, elle tape, vocalise « taptaptap » puis, laissant le marteau, elle prend la râpe, la porte à la bouche, vocalise « nénénénéné ». La thèse de F. Deligny, quant à la position hors langage de l’autiste, ne vient-elle pas l’empêcher de prendre en compte les vocalises phonématiques qui accompagnent le jeu d’Anne ? Cette position éducative ne vient-elle pas négliger l’être de langage du sujet, désupposer l’existence d’un sujet potentiellement parlant ?
Il y a donc au début de l’expérience delignienne une mise en mouvement de ces deux « chorégraphies » qui s’ignorent tout d’abord – celle des gestes de la vie quotidienne des adultes et la chorégraphie des balancements et les errements des enfants autistes. Les trajets de ces chorégraphies vont être scrupuleusement relevées et dessinées par les adultes, permettant ainsi de constituer une véritable cartographie tout au long de la progression du réseau qui se trame. Leur lecture montre que les tracés de ces deux chorégraphies se rapprochent, cheminent ensemble, se superposent dans un espace commun. Il n’y a pas communication dans le sens d’échanges, mais entrée en résonnance des gestes et des séquences gestuelles. Parfois viennent s’inscrire des déplacements et des initiatives nouvelles. : par exemple, Janmari plante un morceau de bois avec une pierre au milieu d’une réserve d’eau ; mais je reviendrai plus tard sur cette initiative. Autre constat, les trajets finissent pas se confondre et les divagations de l’enfant – errance, balancements et tourner en rond – finissent avec le temps par presque disparaître ; ne resteront « que des graines de symptômes » dit F. Deligny, comme : ces petits mouvements stéréotypés, ces grimaces, ces cris, ces balancements abrégés et qui disparaissent aussitôt, sans parasiter, sans interrompre l’agir : quand Janmari aboie tout en rangeant les branches sciées d’un arbre.
Mais revenons, encore une fois sur ces moindres gestes des adultes, qui viennent scander les séquences. Ces gestes sont de brèves percussions corporelles : tapotement, claquement de main, percussion d’objets (bouts de bois), ou bien un sifflement. Le son d’instrument comme : guimbarde, cymbales, ou encore un rituel plus élaboré comme « la pierre à permettre » , soit un évier rustique taillé dans une large pierre sur laquelle est lancé un gros dé de bois dont les faces sont lisses, muettes ; dé que l’on replacera avec grand soin dans le vieux tronc fendu.
Ces faces nues du dé, n’est-ce pas une autre occasion perdue d’introduire la dimension symbolique ? Ces moindres gestes et ces rituels succincts, coupent, scandent, viennent relancer l’agir permettant parfois des initiatives surprenantes de la part des enfants autistes. F. Deligny raconte que « Janmari ne se fatigue pas de cette pierre heurtée ; rejaillissent alors, des initiatives surprenantes, comme celle d’aller rechercher une cafetière depuis longtemps jetée, depuis des années, par là-bas, derrière une murette pour à nouveau l’utiliser et faire le café, ceci, bien sûr, en exultant comme il se doit lors de retrouvailles. » Pour Janmari ce qu’il réitère advient du « repéré » , comme s’il avait eu accès à la présence réelle des choses. Alors que, pour celui qui dispose de la fonction symbolique, toute perception advient du « péroré », passe donc par la grille des signifiants .
Le terme « péroré » pour parler du langage, ne vient-il pas à nouveau péjorer cette instance ? À moins que F. Deligny ne fasse illusion à la parole « vide » du discours courant ? Pour l’enfant autiste, il faudra donc faire ce qu’il faut pour que le réseau se trame. Il lui faudra selon Deligny « quelques centaines d’hectares de ces Cévennes-ci, c’est-à-dire quelque chose comme la mer ». Vaste espace, autorisant la possibilité « d’un mode de vie qui laisse affleurer le réel ». ∴ Comment éclairer ce constat que Janmari réduise de façon si manifeste ses balancements, ses tournoiements sur lui-même, ses errances associant ses trajets à ceux des adultes et, dans une coopération active, participe à toutes les tâches du quotidien de la communauté ? En référence à Freud et Lacan, je proposerai l’hypothèse que ce sujet est passé de la trace au trait unaire, et que, contrairement à la thèse de Deligny, il est dans le langage.
Dans « la lettre 52 » (1896) La Naissance de la psychanalyse, Freud avance que la production de l’inconscient n’intervient qu’à la suite d’une succession de temps logiques que je résumerai ainsi : 1) perception brute ou empreinte et sensation 2) signe de perception ou 1er enregistrement 3) Trace de l’inconscient ou 2e transcription 4) 3e transcription, préconscient freudien (1896)
Si nous actualisons ce passage de la Lettre 52 avec l’enseignement de Lacan, la 2e transcription ou traduction nous renvoie au trait unaire générant structuralement le refoulement originaire, Uverdrängung, de ce trait unaire advient le signifiant qui correspond à la 3e traduction décrite par Freud.
Pour rentrer dans une phénoménologie précise illustrant ces étapes, la 1er perte du sein pour l’infans, laisse comme effet de sa disparition l’évanouissement d’un 1er « bouquet de sensations » satisfaisant. Le retour du sein lors de la 2e tétée, recouvre cette empreinte par un signe de perception ; et la répétition indéfinie de cette expérience alternée « perte-retour » établit le rapport de l’enfant à un objet perdu, et transforme le creux réel originel en intériorité symbolique. En d’autres termes, c’est l’effacement de la trace par une marque, qui barrée d’un trait permet l’émergence du signifiant. Comme dit Lacan à propos de Robinson : « s’il veut garder cette place du pied de Vendredi (l’empreinte), il fait au minimum une croix, c’est-à-dire une barre et une autre barre sur celle-ci, ceci est le signifiant spécifique. Le signifiant spécifique est quelque chose qui se présente comme pouvant être effacé lui-même et qui justement dans cette opération de l’effacement comme tel, subsiste. Une barre en tant que barrée, en tant que recouverte par une autre barre, indique que comme telle, elle est effacée. En tant qu’avec la barre j’annule ce signifiant, je le perpétue comme tel indéfiniment ».
L’autiste ne réalise pas cette opération de la pose de la double barre du fait qu’il s’exclut du système signifiant. Ce que Janmari montre c’est que la réitération des trajets avec les scansions introduites par les adultes en rapport avec les objets et la pratique du quotidien, semble l’articuler à la communauté humaine, en y inscrivant son agir. Peut-on supposer qu’il a accepté les traits sonores ou gestuels, signifiants élémentaires, proposés par les éducateurs comme venant barrer son agir ? Les séquences d’actions successives et différenciées qui s’ensuivent le rapprochent insensiblement de ceux ayant accès à la fonction symbolique à tel point que F. Deligny dira « il est devenu des nôtres ».
Je reprendrais ici l’événement à l’initiative de Janmari plantant le morceau de bois dans la réserve d’eau. À côté de la réserve d’eau, il y a la source et son flux d’eau vive, vibrante, bruyante, éclatante sous les rayons du soleil, et sur laquelle se penche Janmari fasciné. L’eau vive est captée dans un enclos de pierres formant une réserve. C’est dans ce cadre que Janmari plante son bout de bois dans l’eau calmée de la réserve. Est-ce l’inscription d’un trait unaire, une tentative d’incorporation d’un trait différentiel qui met barre sur l’enclos de la jouissance, un premier encrage, ancrage de la lettre ? J’en ferai l’hypothèse.
Ce qui me permet d’avancer que Janmari aborderait le littoral du symbolique par sa face, son versant réel, ce qui renvoie effectivement à la lettre. La lettre qui se situe entre le réel et le symbolique. Et nous savons combien certains autistes savent y faire, pour manier la lettre et le chiffre.
Pouvons-nous dire que malgré un dispositif pédagogique excluant la parole, par principe premier, Janmari – comme à l’envers de ces fausses prémices théoriques – s’orienterait vers la lettre ?
Florence Briolais 11décembre 2010
Un échange suite à l’intervention
Geneviève Parenthoën :
Ainsi : « …ils sont dans le langage, mais n’en font pas usage. » …ils sont hors discours…dans un minimum d’énonciation… » p.4 comme englués dans la matière, d’où n’émergeraient que des bouts de surfaces…polies…sculptées cf. Les esclaves de Michaël Ange
FB : Votre association est judicieuse
GP : Ne serait-ce pas à sa libération qu’il tourne ainsi, éperdument, autour de son axe ?
FB : Le fait que Janmari tourne, cela serait plutôt le signe, qu’il essaie de limiter la jouissance, n’ayant pas à disposition le symbolique qui permettrait de la limiter, de la traiter. C’est pour cela du reste qu’un autiste s’il peut accéder à la lettre, au chiffre, pourra les utiliser pour la traiter cette jouissance en la bornant par la lettre, les chiffres. Il n’y a qu’à voir les mathématiciens comme il l’attrape ce réel avec leurs formules mathématiques. Il y a aussi l’objet autistique qui est un condensateur de jouissance.
Quand Deligny dit il « Nous » cherche, ce « Nous » représente non pas « nous, les petits autres » mais « Nous, grand Autre » c’est à dire ce qui préexiste au sujet, le langage sous sa forme la plus anonyme, universelle.
GP : – Derviches, Chamans, de plain-pied avec le Réel, avec l’Au-delà… En-deçà, dans la nuit des temps …Incantations, psalmodies, rituels… Pourquoi ne pas tenter une telle approche ? )
FB : Est-ce que le réel des Chamans et le même que celui auquel est confronté l’autiste, je ne le pense pas. Le Chaman a été longuement initié par ses aînés et le rituel mis en place pour y accéder, n’est pas autre chose que du symbolique et de l’imaginaire L’autiste il y est, d’emblée et sans pallier. Le Chaman part du symbolique, de l’imaginaire pour accéder au réel ; l’autiste est dans le réel.
GP : … » Pas l’ombre de l’autre dans son regard »… Dans cet infini tournoiement de couleurs, ne s’expose-t-il pas à l’éblouissement de la lumière blanche ? La place de l’autre dans cet incendie ?… Ne s’y retrouveraient-ils pas dans … » cette eau miroitante » ?
FB : Vous feriez ici référence au stade du miroir de Lacan, mais ces enfants sont bien en deçà.
GP : N’y-a-t-il pas quelque chose comme ça dans le ravissement de Lol v.Stein : Cf. LESSANA : Entre mère et Fille : un ravage… » à la pointe extrême de l’oubli de soi »… ? » étrangeté radicale à soi-même qu’est son image de soi et le sentiment d’altérité du corps désiré… » p.286
FB : Oui, mais je pense que chez l’autiste c’est bien en deçà, il n’a pas de « à-soi », peut-être lorsqu’il arrive a investir un premier objet, aussi autistique qu’il soit ( ? )
GP : » Le maillon manquant entre l’agir et le faire » p.5 » Cet Autre du langage » Tout le travail d’engrammation* maternelle que va endosser l’éducateur dans ses moindres gestes – surtout les plus discrets ! – » entrée en résonnance »…p.6 N’y reconnaît-on pas l’oison prêt à suivre la première personne qui lui aura la nourriture ?
FB : Et surtout celle qui le supposera sujet, celle qui le prend en considération. Deligny même si sa théorie est fausse, voir folle, il n’a pas cessé de prendre en considération cet enfant là, et lui offrir un Autre qui ne jouirait pas de lui, c’est là l’intérêt sans doute de sa démarche.
GP : Que Deligny ait raté-là quelque chose d’essentiel, j’en suis convaincue ! Par contre, pourquoi ces « faces nues » pour le dé ? Quelle différence, s’il y avait eu des points ?
FB : Y mettre des points introduirait du signifiant, le chiffre, le comptage, que l’enfant autiste peut s’approprier ou pas. Ils savent y faire les autistes avec le chiffre, la lettre pour traiter le réel (je me répète). Mais le projet de Deligny viendrait à l’encontre de cela, puisque en ne parlant pas aux enfants, il croit qu’il élimine l’Autre du langage, l’Autre jouisseur. Ceci dit, même s’il ne leur parle pas il n’arrête pas de leur en donner du signifiant avec toute les dispositions qu’il prend, les installations qu’il imagine …
GP : * L’empreinte portant la patte de Lacan… J’aime vous voir jouer à …l’imprimerie…( encrage et ancrage )les 2 orthographes auraient tenu la route… FB : Oui, oui, il s’agit de cela en effet
GP : p.5… »Gilles trace un trait droit…et ceci… 1- quelle que soit la surface…= que la surface soit mince ou …épaisse… 2- quel que soit le projet …= que le projet des éducateurs soit nul…ou prodigieux… FB : L’enfant autiste peut s’emparer à sa mesure d’un projet, et Janmari l’a fait par exemple dans le pétrissage de pain. Ce qui démonte la présence d’un sujet acceptant les signifiants (le système signifiant) que proposent l’Autre du langage.
