Séminaire Alençon: en corps …qu’est-ce qu’une mère
novembre 2009
« La mort, c’est une saloperie ». De cette façon singulière qui était la sienne, sans faux- fuyant, c’est ainsi, que Michel Lapeyre avait conclu un commentaire qu’il faisait à partir d’une intervention de l’un d’ entre nous à Bordeaux, il n’y a pas si longtemps.
Cette saloperie a frappé Michel le 28 octobre.
Cet amoureux du vivant qu’il était ne sera plus présent avec le vivant de son corps parmi nous. Sa famille, ses amis aujourd’hui pleurent sa disparition. Il était « une part essentielle de l’âme de l’apjl » rappelaient les représentants de notre association lors de ses obsèques, et ses membres sont en deuil de cet homme que nous aimions, que nous ne pourrons plus voir, avec qui nous ne pourrons plus parler, que nous ne pourrons plus écouter.
Transmettre, Michel, jusqu’ au bout s’est attelé à cette tâche, et comme je vous le disais la dernière fois, il nous a fait don, ces derniers mois, de trois magnifiques textes pour la préparation des assises sur le savoir du psychanalyste auxquelles il savait peut-être déjà, qu’il ne serait pas.
Testament adressé aux psychanalystes et à tous les vivants dont il nous reste à nous montrer digne de l’avoir reçu. Transmettre ses dires, c’est la seule façon avec laquelle je peux, quant à moi, lui rendre hommage et le faire toujours vivant parmi nous. Voici donc trois très courts extraits de ses derniers textes. Le premier est l’ouverture du dernier séminaire qu’il a tenu à Albi l’an dernier : « Chaque individu est un prolétaire », qui est une citation de Lacan, les deux autres sont extraits des textes pour les assises : « Ce qui reste », formule empruntée à un titre connu : Ce qui reste après Auschwitz. Ce qui reste maintenant que les dieux et Dieu ont, apparemment, à peu près disparu, alors que les grands hommes sont, manifestement, devenus invisibles, et tandis que les êtres humains sont toujours plus égarés. Ce qui reste à une époque et dans un monde où le système capitaliste domine et écrase, où le DC (le discours capitaliste) envahit et pollue tout. Ce qui reste donc tandis que ce qui est d’ores et déjà en péril, c’est l’humanité, comme substance et comme espèce, comme genre à part et salut du vivant.
Sans doute pensera-t-on que ce que je vais dire est trivial, voire « cucu », mais tant pis. Savoir d’un non-savoir : l’analyste, qui n’est pas un homme de valeur(s) ni d’idéal (d’idéaux), encore moins d’idole(s) ou de dieu(x), qui est plutôt un homme de goût(s) et de saveur(s), (qui a un goût gai pour le savoir), l’analyste donc, connaît le prix (inestimable, incalculable, impayable) des choses, des êtres et des gens.
Au passage, dit-il après le développement qui précède, on peut ainsi comprendre pourquoi la confrontation des différentes civilisations avec la psychanalyse – plutôt que le choc des civilisations entre elle – est décisive et révolutionnaire. Plutôt vivre ensemble que s’entretuer en commun !
Voilà. Je dois dire qu’il n’est pas facile de poursuivre, et qu’il m’a été difficile de me remettre devant mon clavier pour tenter de vous présenter ce soir un texte un tant soit peu articulé, vous le prendrez donc comme il vient. Je l’ai adressé à Michel avec qui je ne pourrai pas en débattre et dont rien ne m’assure qu’il m’aurait suivie dans ce que j’avance sinon dans le risque que je prends à le faire.
Je me suis donc attelée, d’une façon bien modeste, n’étant ni savante ni théologienne, à tenter de cerner à la lumière de la psychanalyse la structure de cette religion qu’est l’Islam dont est issue une nouvelle civilisation depuis quelque 1500 ans. Toute civilisation je vous le rappelais l’an dernier est fondée, que l’on soit croyant ou non sur une certaine idée de la transcendance, de Dieu, que construit l’homme pour rendre compte de sa précarité d’être au monde et de sa question du pourquoi il y est, et dont le langage est impuissant à rendre compte.
Une civilisation définit un certain mode de jouir, qu’elle cadre. Le problème, on ne le sait que trop c’est, comme le disait Michel, que les hommes s’entretuent au nom des différentes civilisations qui sont pourtant sensées permettre le maintient et la transmission de la vie.
Quant au système capitaliste, rouleau compresseur de l’humain, qui fait loi mondialement à l’heure actuelle, il a plutôt une nette tendance à déciviliser les hommes, à les déshumaniser. En sortir, aussi bien des religions que du système capitaliste, c’est la voie qu’ouvre la psychanalyse car elle remet à l’ordre du jour, sur un nouveau mode, débarrassé du religieux, l’humilité et la bienveillance, pour rendre humains les rapports des humains que nous sommes.
La dernière fois je vous ai reparlé de l’Islam et je vais continuer aujourd’hui car c’est le meilleur exemple que je connaisse pour cerner ce que je veux vous dire car c’est, me semble-t-il, de l’échec de la fonction maternelle pour Mahomet qu’il s’origine. Ce que j’ai avancé au sujet du Dieu que cette religion met en jeu, au risque de faire hurler dans les chaumières et dans les petites maisons dans la prairie, c’est qu’il est le Vrai Dieu. Ce qui, soit dit en passant, ne présume en rien de son existence. Le silence de ce Dieu renvoie celui-ci du côté de ce que Lacan appelle la Chose, la Chose maternelle dans L’éthique de la psychanalyse où Lacan reprenant Freud pose La Chose en question comme étant l’objet perdu qui n’a jamais existé.
Il y a avec ce signifiant d’« objet perdu » une ambigüité totale car c’est un signifiant freudien et non lacanien. Dans l’éthique, Lacan parle encore freudien, même s’il a déjà commencé à se forger sa propre langue psychanalytique pour tenter d’éclaircir le flou des concepts du sujet Freud qui, mort, nous les a laissés en héritage et qui n’est donc plus là pour nous en dire plus. Et c’est bien comme héritier de Freud que Lacan se situe. Mais la langue de Lacan, le lacanien, est une langue vivante, celle du sujet Lacan vivant qui parle ;elle évolue d’un séminaire à l’autre, au fur et à mesure de ses avancées et il y a parfois des glissements de sens à partir d’une même signification articulée à un signifiant donné, le mot objet est exemplaire à ce sujet, ce qui pose parfois des problèmes d’interprétation.
Lacan n’est plus là pour nous dire le sens qu’il donnait à tel ou tel mot quand lui-même ne l’a pas dit et personne ne peut dire à sa place ce qu’il a voulu dire, à moins de savoir parler avec les morts , ce qui n’est pas donné à tout le monde ! Comme ce n’est pas mon cas, la seule chose que je peux dire c’est : « moi j’interprète ceci comme cela ». L’idéal serait bien sûr une langue où ces glissements ne soient pas opérable et où un mot aurait immuablement le même sens pour tous.
Ce serait une langue idéale, c’est à dire une langue désubjectivée, mais qui serait de ce fait une langue morte. Donc il y a dans les séminaires de Lacan pendant un certain temps un mixte de deux langues, du freudien et du lacanien. Dans le séminaire Encore, c’est sûr, c’est du lacanien comme dans les séminaires qui précédent quant à ceux qui suivent pas de problèmes. Mais où est le virage ? Ce n’est pas particulièrement facile à dire et je laisse à des spécialistes le soin de le faire. Mais quand Freud, par exemple, parle de la mère comme étant le premier objet d’amour pour l’enfant, en lacanien je traduirai qu’il s’agit du premier Autre de l’amour, il ne s’agit pas là de ce que Lacan introduira petit à petit comme étant l’objet (a). Sauf et c’est là encore une autre ambigüité, assez freudienne, si aimer et désirer sont confondus. Si dire « je t’aime » veux dire « je te désire » c’est sûr que l’on ne s’y retrouve pas. Les femmes, il faut le dire, sont assez pointues sur le sujet, pour faire la différence, les hommes quant à eux, en général, ne préfèrent pas trop questionner ça de trop près. Question ouverte. ..à laquelle Lacan donne des réponses. (Par exemple dans : La signification du phallus dans les Ecrits)
Donc La Chose comme objet perdu qui n’a jamais existé, je traduirai en lacanien qu’il s’agit là de L’Autre perdu qui n’a jamais existé, où dès ce séminaire, Lacan avance en parlant de La Chose qu’il n’y a pas d’Autre de l’Autre. Mais il y a aussi l’objet venant de La chose qui peut lui aussi être dit une chose. Je laisse de côté pour l’instant mais c’est peut-être là que le fameux objet a pourra ou non prendre sa place.
Donc dans l’Islam, Dieu étant muet, cela le renvoie dans ce champ de La Chose, dont j’ai tenté de vous dessiner les contours la dernière fois comme étant celui du vrai réel, que j’ai donc nommé le non- réel, faisant de ce Dieu là un non-Autre , dont il est indécidable de dire s’il existe ou pas. Pour vous refixer les idées, tel que je vous ai présenté les choses, le réel on peut le rencontrer, le non- réel on ne peut pas le rencontrer, c’est ce qui manque au réel, ce qui fait le vrai trou dans le réel et viendrait le complémenter s’il existait .Ce qui veut dire en clair que ce non-Autre vous ne risquez pas de l’entendre puisqu’il est muet, qu’il ne parle pas. Dans le champ de tout ce que le sujet a entendu, entend, ou entendra il y a des paroles qui manqueront toujours, on peut aussi le saisir comme çà.
L’Islam pose que ce non-Autre existe et il le fait exister à minima en le désignant avec ces quatre lettres qui constituent le signifiant Allah : A.L.L.Ah (alif, lam, lam, hah).On peut y voir ici quelque chose, à priori, de paradoxal. Si Lacan dit : « le mot c’est le meurtre de la chose », ici c’est le mot qui fait exister La Chose. La Chose-Dieu. Mais là encore nous sommes piégés par le signifiant et en fait il n’y a peut-être pas du tout de paradoxe si dans la formulation « le mot c’est le meurtre de la chose », la chose dans cette formulation est un objet et non pas l’Autre.
Nous pouvons aussi dire que le mot, ici, fait surgir un nouvel objet conceptuel auquel ne se rattache dans le réel aucun objet qui risque de nous tomber sur la tête, comme la pomme de Newton que j’ évoquai la dernière fois. Ce qui ici est loin d’être faux. En effet d’une façon général le signifiant Dieu ou Allah mettent en jeu un objet conceptuel que comme vivants, et là toutes les religions s’accordent sur ce point, nous ne rencontrerons pas puisqu’il faut être morts pour rencontrer Dieu, mais Dieu comme objet conceptuel on en disserte beaucoup, sauf quand on est croyant .Cependant il y a des exceptions dans les deux autres religions monothéistes, celle où Dieu se manifestant à ses prophètes se fait entendre et /ou se donne à voir, où les objets voix et regard sont en jeu , rien de tel dans l‘Islam . Rien de tel pour Mahomet en ce qui concerne la révélation elle-même dont Le Coran est le texte.
Mais il y a quand même ce qu’il est convenu d’appeler son ascension au ciel où une nuit, voire l’espace d’un éclair, il y a plusieurs versions, il voit Dieu et parle avec lui mais sur un mode bien différent de celui des deux autres religions monothéistes puisqu’il s’agit d’un vrai dialogue. Cette ascension fait l’objet d’un récit homérique, avec luxe de détails dans ce qu’il est raconté de la vie du prophète et dont Mahomet aurait fait lui-même le récit. Elle a fait beaucoup couler d’encre et il est difficile de dire de quoi elle relève. Visions, rêve, expérience mystique ?
L’orthodoxie dit qu’il faut y croire comme étant quelque chose qui lui est réellement arrivé avec son corps et pas seulement dans sa tête. Elle se situe de façon remarquable après la mort de Khadîdja, sa femme-mère, l’année du chagrin. Dans ce récit époustouflant devant lequel les récits merveilleux de mon enfance font bien pâle figure, deux choses m’ont frappée : la première c’est la prégnance du chiffre 7 : 7 ciels, 70 000 anges, 70000 voiles, de ténèbres, de feu, d’eau, de neige, de vide, etc.…Je ne sais s’il serait abusif de faire une correspondance entre ce chiffre 7 et l’âge de 7ans qu’il a l’année qui suit la mort de sa mère. Quoiqu’il en soit ce chiffre 7, évoqué 24 fois dans Le Coran, à une valeur ésotérique, magique, importante en Islam qui, disons le rapidement, correspond à ce qui relève d’une initiation parfaite du côté des différentes mystiques. La deuxième est quand, après nombre de péripéties où il est accompagné par l’ange Gabriel, son fidèle compagnon qui ne le quitte pas d’une semelle, il se trouve en présence de Dieu. Mahomet lui demande de faire pour lui ce qu’il a fait pour les autres prophètes. Dieu lui répond que ce qu’il peut faire de mieux pour lui c’est de lui assurer qu’il est « son bien-aimé ce qui est bien au dessus que d’être son ami comme il l’a été pour les autres prophètes ».
Etre le bien aimé, de façon unique ! Là il y a un point fondamental de sa structure qui est une revendication de ce dont il est le moins assuré, voire qui pour lui ne peut pas s’inscrire comme telle dans son histoire et que Dieu lui assure. S’il y a un point de vérité dans ce récit absolument incroyable, qui dit quelque chose du sujet Mahomet, il est là.
Ceci dit, que vous garderez en mémoire, Le Coran qui est le seul texte sacré donné par Dieu par l’intermédiaire de l’ange, fait-il ou non allusion à cette rencontre de Mahomet avec Dieu ? La sourate 17 dit : le voyage nocturne, dont les premiers versets sont interprétés par certains comme en témoignant, dit ce que l’on veut mais pas qu’il ait rencontré Dieu en face à face et que celui-ci lui ait parlé. En voilà deux versions, la première est celle que j’ai trouvée sur internet, dont le nom du traducteur n’est pas donné et l’autre est la traduction de Chouraqui. Vous pourrez encore mesurer, comme je vous le faisais remarquer l’an dernier, le décalage des traductions : « Gloire à Celui qui fit aller de nuit son serviteur du sanctuaire sacré au sanctuaire le plus éloigné dont nous avons béni les alentours, afin de lui montrer (certains) de nos signes. Il est celui qui entend et sait tout ! » Louange à celui qui a transporté son serviteur, de nuit, de la Mosquée interdite à la mosquée d’Al-Aqsâ(Jérusalem). Le voici, Lui, l’Entendeur, le Voyant. Dieu se contente dans la première version de lui montrer des signes de Lui, ce que ne dit pas la deuxième mais la suite de la sourate est une énumération des signes que Dieu a donnés à l’homme. Quand je vous disais l’an dernier l’extrême transcendance du Dieu de l’Islam, on la touche encore ici du doigt.
Après ce détour, revenons à ce signifiant Allah dont j’ai avancé qu’il a valeur de lettre, ce que je crois, les grands penseurs de l’Islam ne me contesteront pas, bien qu’ils soient morts, puisque c’est chez eux que je suis allée le chercher. C’est vrai dans le registre où elle situe l’homme face à un non-savoir qui est le savoir de Dieu qui, muet, ne lui donne pas les clés de son existence, un non-savoir impossible à savoir. Est-ce que c’est sur ce versant que pourra s’inscrire le mysticisme ? C’est peut-être la question que l’on se posera avec nos collègues syriens à Damas, en avril, lors d’un colloque intitulé « Le féminin et l’expérience mystique ».
Allah donc signifiant ayant valeur de lettre.
Mais le signifiant lettre a plusieurs sens qui ont été d’ une façon où d’ une autre déclinés par Lacan :
1)il y a la lettre, celle de l’alphabet, qui est un signe que l’on peut lire et qui permet d’écrire, mais qui en elle-même ne dit rien, qui est vide de tout contenu en terme de savoir et ne fait signe d’ aucun Autre, d’ aucun sujet
2) il y a la lettre qui nomme cette chose qu’amène le facteur qui est le signe que quelqu’un nous a écrit ,qui est le signe qu’il y a de l’ Autre , un sujet , que l’ on pourra ou non identifié si on peut lui donner un nom mais qui ne présume en rien que la lettre en question ait un contenu , car la lettre peut être vide
3) il y a le contenu de la lettre, qui est aussi la lettre ,qui relève aussi de l’écrit et dont la lecture du contenu ,qui est une signification, aura un sens et pas un autre si on sait qui l’a écrit, si au quelqu’un on peut donner un nom .On peut par exemple imaginer une même lettre, qui nous fixe un rendez vous, écrite par notre banquier et par notre amoureux. Que ce soit l’un ou l’autre fera que l’on ne l’interprétera pas de la même façon.
Ici quand je dis Allah, c’est une lettre, c’est d’abord du registre de l’alphabet dont il s’agit, elle désigne juste le non-réel, « le vrai réel » qu’est Dieu comme non-Autre et ne révèle aucun savoir sur lui. On pourrait juste dire qu’Allah désigne l’ensemble qui contient le non- savoir impossible à savoir par les hommes, qui est le lieu du non-Autre qu’est Dieu, elle désigne pour nous un être sans être, sur lequel nous n’avons aucun savoir.
Allah ce n’est pas un nom du père, NDP, d’un père mort qui se ferait comme Autre représenté par ce signifiant, ce n’est pas un père symbolique. Comme Autre potentiel il n’est pas représenté par ce signifiant- lettre. De même ce Dieu ne délègue à personne le pouvoir de parler en son nom, comme il est sensé l’avoir fait avec les autres prophètes des deux autres religions monothéistes, il délègue juste l’ange Gabriel pour lire ce qu’il a écrit. Cet ange Gabriel, comme messager de Dieu, n’ a pas la même fonction que celui de l’évangile qui comme messager de Dieu parle en son nom à la vierge Marie, ici l’ ange ne parle pas au nom de Dieu à Mahomet, il lit ce que Dieu a écrit, c’ est juste un lecteur qui n’est pas sensé subjectiver le message de Dieu, c’est à dire l’interpréter d’une certaine façon suivant les mots qu’il va utiliser, voire les ajouts ou les oublis qu’il peut faire en le transmettant.
La seule façon où l’ ange apparaît avec quelque chose qui pourrait mettre en jeu sa subjectivité, on pourrait dire que c’est comme acteur, c’ est dans la façon dont il procède pour remplir sa mission et il apparaît, du moins au début de la révélation comme n’étant pas un tendre, il secoue Mahomet en le prenant par le bras et lui ordonne de lire, pour ensuite lire à sa place puisque Mahomet ne sait pas lire et lui fait répéter pour s’assurer qu’il a bien retenu le texte du message , non pas qu’il en a compris la teneur, et il plonge Mahomet dans l’effroi.
Nous ne sommes donc pas là dans une religion qui relèverait de celle qui met Dieu en scène comme père s’adressant à son « fils adoptif », le prophète, puisque, je vous le rappelais la dernière fois dans l’Islam Dieu n’est pas un père et n’a donc pas de fils, adoptif ou non, ce qui est un peu difficile à intégrer pour les méninges conditionnées par le judéo-christianisme, où dans le christianisme on peut dire que le fils vient sauver un Dieu père mis en échec dans le judaïsme . Reste donc la dimension de l’Esprit mais avec cette différence fondamentale c’est que celui-ci est déconnecté de la version père en ce qui concerne le judaïsme, et de la version père et fils en ce qui concerne le christianisme.
Mais Allah, de ce lieu où il est muet, se manifeste aux hommes par des signes. Le Coran donné à Mahomet par l’ange est un signe de Dieu, c’est une lettre venant de Dieu, il y a là inclusion de quelque chose d’imaginaire dans le réel des hommes, de réellement imaginaire. Cette lettre venant d’Allah fait signe que quelqu’un l’a écrite, donc Dieu est quelqu’un.
On pourrait donc dire que la lettre Allah représente quelqu’un, le non- Autre, La Chose-Dieu auprès d’un autre signifiant qu’est Le Coran qui est une lettre écrite par ce non-Autre, une chose. Mais qui est-il ?
Pour le savoir il faudrait pouvoir le nommer. En notre absence c’est le nom qui est le nôtre, notre nom propre, qui nous représente, qui fait que comme quelqu’un, nous existons, qui fait que nous sommes présents bien qu’absents, et de savoir le nom de la personne qui nous écrit déterminera le sens que nous donnerons au contenu de la lettre. Allah est-il nommable ? Si vous vous en souvenez ,ce que soutient l’Islam, d’une façon très symbolique, c’est que s’il y a 99 façons de nommer Dieu, qui sont en fait 99 qualificatifs pour dire Dieu et qui, de façon remarquable, sont utilisés le plus souvent pour prénommer les hommes, mais il manque un nom qui serait le vrai nom de Dieu que seuls certains savants, les initiés, connaissent et gardent secret, mais dont on ignore qui ils sont, et qui par ailleurs s’ils existaient n’auraient aucune preuve pour soutenir que le nom qui manque, qu’ils avancent, est le bon.
Allah n’a pas de nom pour le représenter vraiment en son absence sinon un nom secret. Et la lettre qu’est le Coran est en définitive une lettre anonyme ou signée de 99 pseudonymes que sont les 99 noms que l’on peut donner à Dieu parce que ce sont les noms avec lesquels lui-même se nomme dans le Coran mais qui ne sont pas son vrai nom.
Mais Le Coran contient en tant que signe un savoir, c’est une lettre qui a un contenu, une suite de significations pourrait-on dire, mais ce savoir est fondamentalement ininterprétable au dire de Mahomet lui-même ou interprétable à l’infini. Ce qui relève de la logique de la lettre dont on ignore qui l’a écrite, on peut l’interpréter d’une multitude de façon suivant l’auteur présumé de celle–ci. On peut le dire autrement, ce qui serait plus juste, seul l’auteur de la lettre pourrait dire son vrai sens, il pourrait s’en expliquer mais à condition qu’on sache qui il est, qu’il parle et qu’on puisse le rencontrer ou, autre possibilité, qu’il délègue à quelqu’un le pouvoir de le faire. Ce qui relève, en ce qui concerne le Dieu de l’Islam, d’un radicalement impossible. Le langage des hommes, en ce qui concerne une interprétation vraie du Coran, c’est à dire la compréhension sans risque d’erreur du contenu de la lettre, prouve là son inconsistance pour le faire sinon à être dans la certitude paranoïaque d’être celui qui sait ce que les signes veulent dire, ce qui relève d’une interprétation imaginaire, ce dont un Schreber, pour ne citer que lui, nous donne un exemple grandiose lors de sa décompensation. Mahomet n’est pas dans la certitude paranoïaque face au savoir mais plutôt dans la certitude de l’incertitude mélancolique face à ce même savoir. Ceci est très repérable au niveau clinique avec ces sujets où une interprétation n’est jamais certaine mais en cache toujours une autre possible, et ce à l’infini. Ce qui signe que la castration symbolique, celle dont le père réel est l’agent, n’a pas fait son œuvre. C’est elle qui permet au sujet de consentir à ne pas vouloir tout comprendre parce qu’il y a une impuissance à ce faire ou pour le dire autrement aucune interprétation ne peut dire la vérité en son entier.
Donc en lien avec le non-réel désigné par les quatre lettres qui composent le « signifiant » Allah qui donnent globalement à ce signifiant valeur de lettre, est mis en jeu l’imaginaire du signe de Dieu qu’est Le Coran. Sans le Coran, signe d’Allah, l’Islam n’existerait pas. Le Coran est construit, lui, à partir d’un ensemble de signifiants, chaque sourate ou chaque verset, pouvant en être un qui se récite sans que celui-ci ait le moindre sens pour le récitant, c’est un savoir sans sens. Nous avons tous connu çà quand, enfants nous récitions une prière ou une récitation ou ânonnions une lecture dont le sens nous échappait complètement, voire quand nous récitions les fameuses tables de multiplication sans en comprendre le sens.
Ce qui donne ici au savoir une parfaite inutilité puisqu’il est hors sens. De ce fait on peut dire que le Coran n’entre pas dans l’ordre symbolique car ininterprétable, il ne fait pas sens si ce n’est pour les initiés qui ne peuvent pas prouver qu’ils le sont, sinon à s’auto nommer et à être crus par ceux qui veulent bien les croire. Vous voyez donc la complexité de l’affaire où mon idée était aussi de vous faire mesurer comment l’usage du signifiant, voire d’un même signifiant varie suivant l’usage que l’on en fait, suivant le contexte dans lequel il est pris.
Nous retrouvons là, me semble-t-il, quelque chose qui a été avancé par Pierre Bruno lors de la dernière plénière de l’APJL du 12 septembre 2009 et qui demande réflexion, celle d’un « ordre signifiant » différent de l’ordre symbolique celui du sens. Ici on pourrait le lire comme cela : Le « signifiant »Allah, qui ici a valeur de lettre, désigne un Dieu sans nom qui ne donne pas un sens à l’existence puisque lui seul le sait et en garde le secret.
Le Coran lui, est un texte, un écrit, qui fait signe de l’existence de Dieu, fait de signifiants qui délivrent un savoir qui ne fait pas sens puisqu’on ne sait pas le nom de celui qui l’a écrit. Il faudrait alors dire que l’ordre signifiant est celui qui contient des signifiants qui, s’articulant l’un à l’autre, font signe mais qui ne font pas sens, c’est, me semble-t-il, ce que Lacan appelle la signification alors que l’ordre symbolique est celui qui contient des signifiants qui s’articulant l’un à l’autre font sens.
Je dois dire que cela a fait l’objet entre Emmanuel, Jacques et moi d’une discussion internautique où chacun disait d’une certaine façon sa difficulté avec la langue lacanienne. Entre : signifiant, signifié, signification, sens, qui sont utilisés facilement par tout un chacun dans notre jargon lacanien, ce que recouvre chacun de ces mots n’est pas aussi lumineux que cela.
Voici mes lumières !! Le signifiant est donc un phonème, mot ou groupe de mot, le signifié est l’image mentale que l’énoncé de ce signifiant provoque, il peut n’en provoquer aucune. Dans le dictionnaire le mot signification est défini comme étant le sens et inversement. Pour Lacan il n’en va pas de même, en ce qui me concerne, ce que j’ai compris, c’est que la signification est vide de sens, c’est à dire qu’elle n’implique pas le sujet alors que le sens implique une interprétation subjective, on pourrait dire que c’est une signification propre au sujet qui ne sera pas la même pour un autre. Cela renvoie, me semble-t-il, à ce que Lacan appelle dans le rapport de Rome la parole vide en ce qui concerne la signification et à la parole pleine en ce qui concerne le sens. Donc deux ordres qui définissent l’usage du signifiant, un ordre signifiant et un ordre symbolique. Mais c’est bâtard si l’on dissocie ces deux ordres car le savoir doit faire partie de ces deux ordres, il doit être d’une part appris et d’autre part avoir un sens pour avoir une utilité.
Or ce que montre l’Islam que, me semble-t-il, voilent les deux autres religions monothéistes, c’est là où est le défaut fondamental dans la structure, le bâtard de la chose, il est là où manque le nom de Dieu, comme non- Autre, le signifiant qui viendrait le nommer.
Si on pouvait nommer ce non -Autre cela aurait plusieurs conséquence, d’ une part il pourrait être présent en son absence, d’autre part on saurait qui détient le savoir qui nous manque et que l’on ne saura jamais, celui qui fonde notre existence et enfin son savoir, c’est à dire le contenu de son message, son dire, ferait d’ une part signe de son existence et d’ autre part ferait sens, c’ est à dire permettrait d’interpréter son dire, ce qui, il faut le dire, est une autre paire de manches car cela suppose que le langage le permette.
Mon hypothèse est donc que ce non-Autre,( A avec une barre au dessus), en ce qui concerne le sujet que nous sommes, est celui qui nous a « pondus », c’est la Chose dite maternelle qui nous a mis au monde, « cet objet perdu qui n’a jamais existé », qui occupe la place de là où l’Islam met Dieu comme créateur de tous les objets humains que nous sommes. En effet ce n’est que comme sujet que nous pouvons rencontrer quelqu’un ; or, en tant que tel, nous n’existions pas dans ce qui a présidé au fait que nous existons et comme, quand nous pensons cela c’est que nous existons, c’est donc fichu, nous ne pourrons pas refaire les choses, nous ne pouvons pas annuler les conditions de notre existence pour la refaire sur un mode qui nous conviendrait mieux. Nous ne pouvons pas, comme le dit la chanson, dire à notre mère qu’elle nous refasse car, à supposer qu’elle puisse le faire, ce ne serait plus nous.
Cela paraît évident ce que je suis en train de vous dire et pourtant combien de fois entendons nous dire « je veux repartir à zéro ». Si l’on peut, d’une certaine façon, se désabonner de l’inconscient, remettre de ce côté-là le compteur à zéro, on ne peut pas se désabonner du fait d’être ce vivant-là, « ce qui reste » disait Michel. Ce qui reste, le sujet y est abonné définitivement, en tout cas c’est cet abonnement là, définitif possible, qui nous maintient comme vivant, sans doute ce qui a manqué à Mahomet.
Ce non-Autre, c’est le lieu du refoulement d’un savoir originaire, du refoulement originaire tel que le nomme Freud, savoir qui ne pourra jamais se savoir, lieu du non- savoir qui n’est pas du sujet mais qui cependant est à l’ origine de l’existence du sujet, contrairement au savoir inconscient refoulé qui est du sujet. Et ce que j’ ai tenté de vous montrer l’an dernier mais sur quoi je reviendrai d’une façon ou d’une autre, parce que c’était plus à lire entre les lignes qu’explicite, c’ est que si l’ Islam a vu le jour, c’ est faute que La chose maternelle pour Mahomet ait pu être symbolisée, être nommée. Avec cette nomination, elle peut venir ensuite occuper la place d’Autre de l’Autre, être celle qui occupe la place de La femme incarnée dans le corps d’une femme en étant symbolisée par ce signifiant qui la nomme.
Le signifiant « maman », de façon générique, est ce signifiant mais qui peut tout aussi bien s’énoncer sous une autre forme. « Folcoche » la nomme Hervé Bazin. Avec Claudine Casanova on pourra se demander si Médée peut aussi être ce nom. Avec ce signifiant le sujet peut dire d’une femme « c’est celle-ci et pas une autre qui fut une mère pour moi », parce que c’est celle-ci qui lui aura permis d’écrire, ce que j’ai appelé l’an dernier, le discours de l’amour.
Il n’y a pas eu pour le sujet Mahomet de maman de l’amour, l’ange Gabriel faisant fonction pour lui de prothèse délirante de cette maman-là, de ce premier Autre qui parle et dont les dires font loi pour tout enfant même s’il n’en comprend pas le sens .Ce que l’on voit ici c’est une réelle division entre celui qui parle, l’ange, et celui dont sont censés venir les dires qui reste muet.
Allah d’ un côté et l’ange Gabriel de l’autre, un dédoublement réel de la fonction maternelle et c’est finalement, me semble-t-il, ce dédoublement, qui nous est montré là, qui permet peut-être de saisir commet cela fonctionne quand celui-ci n’est pas à l’œuvre.
Ce signifiant « maman », on pourrait le dire comme cela, pourra permettre ou pas suivant la valeur qui sera donnée à ce signifiant, d’unifier dans un seul corps, d’ une part celle qui ne dit pas tout, qui garde un secret qu’elle-même ne connaît pas, comme non- Autre, et d’ autre part celle qui parle, celle dont les dires comptent et sont sensés être la vérité absolue, comme Autre, comme Autre de l’Autre.
Comment rendre compte de cette division mise en jeu dans la fonction maternelle ? Pour l’ instant, je propose de l’écrire S (non-A, A) où S est le signifiant qui unifie cette fonction, c’est celui, me semble il, de la primordiale symbolisation de la Mère et ce n’est qu’ensuite que A sera barré. Car il y a encore du chemin à parcourir, qui passe par le père, pour que la question du sens du discours de l’amour de la mère trouve une issue qui ne soit pas mortifère pour le sujet.
Pour Mahomet avant cette nomination avec le signifiant « ange Gabriel », on peut dire que ça lui parle de partout, de façon affolante pour lui, jusqu’ à ce qu’il identifie qui lui parle, qu’il lui donne un nom et dont je vous ai fait repérer que ce n’est pas lui qui le trouve, mais qu’il lui arrive par l’intermédiaire de Khadîdja qui est allée le chercher chez son cousin chrétien Waraqua, ce qui a bien sûr toute son importance. Ceci pointe que la crédibilité de la nomination pour lui passe par un tiers, un homme qui a la confiance de Khadîdja, la femme que Mahomet aime.
Mon hypothèse est donc que ce qui est à l’ origine de la psychose de Mahomet et de l’ Islam c’est « l’ absence de la symbolisation de la Mère comme étant primordiale » , je reprends ici un dire de Lacan où il majuscule le signifiant mère ( p. 571 des Ecrits « question préliminaire à tout traitement de la psychose ») qui passe par sa nomination , c’est à dire qui va la représenter par un signifiant.
Dans la question préliminaire, en ce qui concerne Schreber, Lacan pose comme hypothèse que cette « absence de symbolisation de la Mère comme étant primordiale » a pour lui des conséquences au second degré, sa débâcle imaginaire dont je faisais état plus haut et où de façon remarquable on peut repérer un dédoublement de tous les personnages qu’il met en scène dans son délire, dont Dieu lui-même en tout premier lieu.
Il y a là ce qu’on appelle une forclusion d’un signifiant en psychanalyse où, dit Lacan, ce qui n’a pas était symbolisé fait retour dans le réel. Ici ce qui n’a pas été symbolisé ce n’est pas le père. D’une certaine façon Mahomet n’a de père que symbolique puisque son père, celui-ci dont on lui dira qu’il est de sa lignée dans laquelle il ne se reconnaîtra pas, qu’il reniera en reniant son grand-père, ce père est mort avant qu’il naisse.
L’on peut dire que pour lui c’est bien un père mort depuis toujours, tel que Lacan définit le NDP dans L’éthique de la psychanalyse, que du côté du père se présente la question pour lui. Il n’a de père au départ que symbolique. Ce qui est un autre versant de la question, et si l’on tente de lire la psychose telle qu’elle se présente chez ce sujet comme étant le résultat de la forclusion du NDP, on ne peut s’en sortir qu’avec des pirouettes qui font preuve, à mon humble avis, de quelque chose de limite au niveau de l’honnêteté intellectuelle. Cela se dit ou s’écrit par certains sur le mode de : on voit bien qu’ici le NDP est forclos. Ah bon !
Moi je dois dire que le « on voit bien » ne me fait rien voir du tout et j’en demande un peu plus. Et il y a quelqu’un pour qui l’honnêteté intellectuelle est au rendez vous c’est Marie-Claude Lambotte qui fait depuis nombre d’année un travail remarquable sur la mélancolie et se questionne sur le statut de cette structure. Ni névrose, ni psychose dit-elle au regard de cette forclusion du NDP telle qu’elle se présente dans la paranoïa, ce avec quoi je suis d’accord avec elle. Mais, c’est là mon désaccord avec elle, qu’elle connaît, et dont je suis loin d’être la seule à le soutenir, c’est que la mélancolie est bien une psychose mais pour le soutenir il faut peut-être prendre les choses par un autre bout que celui avec lequel on lit la paranoïa à la mode d’un Schreber, autre bout qui par ailleurs peut aussi donner un nouvel éclairage à la psychose de Schreber. Et il y a aussi les avancées de Pierre Bruno, dont l’honnêteté intellectuelle ne fait pas non plus de doute pour moi, qui m’ont aussi beaucoup aidée dans mon travail. Il dit, je le traduis à ma façon en y mettant du mien, que le NDP, le père symbolique, n’est pas l’agent de la castration ; pour que le NDP puisse fonctionner, il faut d’ abord en passer par un père vivant, celui qui occupe la place du père réel qui, lui, est agent de la castration, sinon le NDP est inopérant, ce avec quoi je suis particulièrement d’ accord. Sinon cela renvoie à ce que Lacan appelle « une forclusion de fait du NDP » pour Joyce me semble-t-il.
Mais il manque un maillon à la chaîne, me semble-t-il, pour rendre compte de ceci, cet autre bout c’est ce que j’essaie d’introduire et c’est aussi sur les travaux de Pierre Bruno sur la mère que j’ai trouvé un appui pour ce faire même si par ailleurs je n’ai pas du tout la certitude qu’il se rallie à ma thèse.
Pour que le vivant qui occupe la place du père réel soit opérant il faut une mère vivante pour le mettre en cette place et pour qu’une mère vivante soit opérante il faut un père vivant pour la mettre en place où les signifiants père et mère ne sont pas ici à entendre comme géniteur biologique mais du côté où « çà parle », disons le rapidement comme cela pour l’ instant, mais où s’ ajoute du côté de la mère le fait que ce soit une femme qui pendant neuf mois porte l’ enfant et dont la conséquence est que les fonctions maternelle et paternelle sont « deux fonctions totalement différentes » ( cf. Réponse de Jacques Lacan à une question de Marcel Ritter le 26 janvier 1975).
Il ne peut y avoir de fonction paternelle opérante sans fonction maternelle et il ne peut y avoir de fonction maternelle opérante sans fonction paternelle, et il y faut deux vivants, un homme et une femme, à des places différentes.
« Deux, l’amour » s’intitule le séminaire qu’ont fait l’an dernier et continuent cette année sous ce titre à Toulouse Pierre Bruno et Marie-Jean Sauret, ce n’est pas le même angle que le mien pour aborder le deux mais d’une certaine façon cela met en jeu les même questions. Ce sont des fonctions différentes mais interdépendantes sauf peut-être du côté de la perversion, j’ouvre la question pendant que j’y suis. Tant qu’à être hérétique, ne lésinons pas.
L’autre bout que je propose, en ce qui concerne le sujet Mahomet, est celui de la forclusion d’un autre signifiant que le NDP, celui qui permet la symbolisation de la mère. Cette forclusion aura comme conséquence en second degré, que le NDP sera éjecté du symbolique par le sujet, sinon à se dire « père du père » comme Althusser et aussi sur un autre mode par Joyce. Mahomet n’est pas loin à sa façon d’une solution joycienne, pour ceux à qui cela dit quelque chose, puisque je vous le rappelle Abd Allah (serviteur d’Allah) était le nom de son père et que d’appeler Dieu, Allah, c’est quand même aussi pour lui une façon de rester enraciné à son père, comme le dit Lacan pour Joyce, d’être réellement comme son père serviteur d’Allah, mais où celui-ci a radicalement failli comme modèle pour lui, a été « radicalement carrent » comme père. (Le sinthome)
Donc en ce qui concerne Mahomet, ce qui lui manque dans le symbolique c’est un signifiant unique qui nommerait à la fois le non – Autre et l’Autre de l’Autre dont une femme occupe la place et qui lui permettrait de dire comme le dit Lacan dans la réponse qu’ il fait à Marcel Ritter le 26 Janvier 1975 « qu’il est né de ce ventre là et pas d’ailleurs » et j’ajouterai, en ouverture, même si ce ventre là ne l’a pas réellement porté.
C’est un signifiant qui permet de représenter la mère absente, comme non-Autre, celle qui ne parle pas, muette, versant symbolisation de La Chose et la mère présente comme Autre de l’Autre qui parle versant symbolisation de La femme. Je reviendrai sur ce versant là, la prochaine fois. Mais disons que ce signifiant permet au sujet d’identifier le lieu d’ où çà parle de lui et pour lui comme étant unique . Ce lieu est celui d’ où il s’origine comme sujet, sur fond d’absence, en lien avec la mutité de la mère, et de sa présence en lien avec ses paroles. Ce lieu est » ce ventre là « et pas n’ importe quel autre. Ce signifiant nomme ce lieu là ; il est le nom donné à la femme, sa mère, une femme particulière. Une et pas multiple voire inexistante.
Il y a là un échec, chez Mahomet, de la fonction maternelle comme je vous le disais plus haut, faute de cette symbolisation de La Mère qui l’oblige à sa façon à dédoubler la fonction maternelle. A sa façon, car dans l’affaire le sexe de l’ange reste indéterminé. Alors que c’est l’échec de la fonction paternelle qui a donné le jour au judaïsme et dans sa foulée sur un autre mode plutôt pervers, au christianisme. Bien sûr, cette dimension de La Chose-Dieu est présente dans les deux autres monothéismes avec le mythe du paradis terrestre et le fameux arbre de la connaissance qui y gît mais est voilée, pour ne pas dire forclose de fait, parce que Dieu prend une dimension de père qui parle à ses prophètes en instituant une loi la même pour tous. De cette « forclusion de fait de La chose » peut témoigner justement ce fameux arbre de la connaissance, lieu d’un savoir interdit qui est le savoir de Dieu. L’arbre de la connaissance c’est une façon de faire revenir dans le réel La Chose-Dieu, le non Autre, sans la nommer.
Alors il y a deux possibilités, disons deux hypothèses, celle que soutient Jacques Alain Miller et ce que je vous raconte, qui déterminent deux positions antinomiques.
Ce qu’a soutenu Jacques Alain Miller, sous une certaine forme, il y a déjà un certain nombre d’années, et dont tout son enseignement porte la trace, ce qui est logique, c’est que le nom de La femme est forclos de la structure pour tout sujet, ce que je traduis par : il n’ y a pas de symbolisation de La Chose maternelle, pas de signifiant qui la nomme qui permette à une femme particulière d’occuper la place de La femme sous ce nom, ce qui a comme conséquence, tout aussi logique, c’est que fondamentalement nous sommes tous fous , ce qui revient au même que de dire, comme l’ a fait Mélanie Klein, qu’il y a un noyau psychotique chez chaque sujet.
Ceci est loin d’être sans conséquence sur la façon de mener une cure car l’idée est quand même de comment faire pour ne pas rendre fou le sujet analysant s’il a un potentiel à l’être, si l’analyse menée à son terme risque de le faire tomber sur ce fameux noyau psychotique, identifié ici me semble-t-il au refoulement originaire. La réponse : lui donner un maître incarné pour le protéger de sa supposée présomption à la folie.
Ce avec quoi un certain nombre d’analystes dont je fais partie ne sont pas d’ accord . On compte parmi eux Pierre Bruno qui a soutenu lors de l’assemblée de Paris un discours allant dans ce sens et dont le travail est retranscrit dans la revue PSYCHANALYSE et sans aucun doute Lacan le tout premier qui affirmait : « ne devient pas fou qui veut ».
Faire une analyse ne rend pas fou celui qui n’a pas déjà ce potentiel à l’être et il me semble qu’il vaut mieux savoir où est ce potentiel pour autant que faire se peut , ne pas jouer aux apprentis sorciers quand on est en position d’ analyste ; par ailleurs il ne dépend pas toujours de l’ analyste que la mauvaise rencontre ait lieu .
Donc la deuxième possibilité est celle que je tente de soutenir, c’ est que ce fameux noyau psychotique n’ existe pas chez le névrosé et que cela passe par la nomination de la femme qui sera dite une mère, c’est-à-dire la symbolisation de la Mère , qui permet à une femme particulière incarnée, c’est à dire vivante et non morte depuis toujours comme peut l’être celle d’ un grand paranoïaque comme Rousseau qui, à ce sujet est exemplaire, et d’être identifiée comment le lieu du refoulement originaire pour le sujet et d’occuper sous ce nom la place de La femme.
