A la recherche d’une vraie femme

Séminaire du 7 Avril 2010

Séminaire Alençon « En corps : qu’est-ce qu’une mère ? »

Je vais donc continuer après 4 mois d’interruption où j’ai été relayée par Claudine Casanova et Emmanuel Lehoux dans la tenue de ce séminaire. Je les remercie pour la richesse de leur apport et des ouvertures qu’ils nous ont offertes pour tenter de cerner la question que nous avons mise au travail. Reprendre dans ce qui serait supposée être une continuité linéaire de là où je vous ai laissés me semble difficile .Je me saisirai donc des ouvertures, qui me vont bien, celle du questionnement d’Emmanuel sur la Chose et de ce personnage que nous a présenté Claudine, celui de Médée à partir de la pièce d’Euripide. Comme Claudine le faisait remarquer la pièce est d’une extrême richesse et épuiser ce que l’on peut en dire en une seule intervention est une gageure, voire en deux ou trois .Je continuerai donc à élaborer à sa suite à partir de ce personnage. Ceci nous permettra de tenter de cerner l’une des faces du problème, pas le plus sympathique il faut le dire, celle d’un des liens de la Chose avec la mère et la question à laquelle ceci ouvre, celle de La femme et du « être une vraie femme », associé au personnage de Médée. C’est ce qui est à l’horizon de mes deux interventions d’ici la fin de cette saison, horizon que je n’atteindrai pas.

Mais avant de me saisir de La Médée d’ Euripide, ce que je ne ferai pas aujourd’hui, je ferai un long détour. Il y a quelque chose qui, dans l’après coup, m’a chatouillé désagréablement les méninges dans cette reprise que j’ai faite en présentant l’intervention de Claudine Casanova ; j’ai attribué ce dire à Lacan : Médée serait « une vraie femme ». En commençant à écrire sur Médée, j’ai donc, décidé de vérifier les sources .Ceci m’a fait faire un parcours plein de surprises que je vais vous faire partager ainsi que les réflexions qu’elles m’ont inspirées. En ce qui concerne « Médée, une vraie femme » la référence, toujours mise en exergue dans tout ce que j’ai pu lire des écrits de post lacaniens, se trouve dans un article des Ecrits « Jeunesse de Gide ou la lettre et le désir » qui date de 1958. A cette époque Lacan est encore très freudien ; il n’a pas encore introduit la Chose, n’a pas encore inventé l’objet a et n’a rien élaboré d’une jouissance qui ne serait pas soumise à la loi du phallus, celle qu’il appellera, par la suite, la jouissance féminine supplémentaire à la jouissance phallique et non complémentaire. J’ai donc été revisiter ce texte en tentant de me l’éclairer à la lumière de la suite de son enseignement.

Par ailleurs la question que je me suis posée au cours de l’élaboration de ce travail est de savoir si Lacan fait référence à la pièce d’Euripide, le grec ou de Sénèque, le romain. Elles sont fort différentes. La Médée et le Jason de ces deux pièces ne sont pas les mêmes. Si Lacan met en exergue de son texte des vers de la pièce d’Euripide, avec une citation de Gide, je trouve que la pièce de Sénèque éclaire beaucoup le texte de Lacan et il y fait explicitement référence. Mais Lacan ne le dit pas ; ce qui m’a un peu déroutée pour la relecture de « la jeunesse de Gide » car je me référai à la pièce d’Euripide. Je vous raconterai pour finir ce qui m’a fait lire Sénèque qui s’inscrivait au tableau de mon ignorance ou de mon oubli et vous dirai aujourd’hui autre chose ce que j’avais prévu. Voici des petits extraits de Sénèque qui éclairent me semble-t-il le texte de Lacan, et la suite de ce que je voulais vous dire. On ne le trouve pas du tout dans Euripide : 1-Avant que Médée ne prémédite son crime après avoir rappelé à Jason tout ce qu’elle a fait pour lui, elle lui dit : « Celui qui se rend coupable pour ton service, doit être pur à tes yeux. » Jason répond « La vie est un supplice quand on rougit de celui dont on l’a reçue ». 2-A Médée qui lui demande « …laisse-moi prendre mes enfants, pour qu’ils m’accompagnent dans mon exil, et que je puisse répandre mes larmes dans leur sein : toi, ta nouvelle épouse te donnera d’autres enfants. » Jason répond : « Je voudrais pouvoir consentir à ce que vous me demandez, je l’avoue, mais l’amour paternel me le défend ; Créon lui-même, tout roi qu’il est, et mon beau-père, n’obtiendrait jamais de moi un pareil sacrifice. Mes enfants sont les seuls liens qui m’attachent à la vie, la seule consolation de mes cuisantes peines ; je renoncerais plutôt à l’air que je respire, à mes propres membres, à la lumière du jour. » Et Médée de se dire en aparté : « Voilà donc comme il aime ses enfants ! C’est bien, il est en ma puissance, j’ai un endroit où le frapper ». 3- Il faudrait aussi citer le monologue de Médée après qu’elle ait appris que Créon et sa fille ont périt et que la ville est en feu alors qu’elle va tuer son premier fils. « Maintenant je suis Médée, et mon génie s’est fortifié dans le crime » (Médée maintenant je suis, traduction au plus prêt du latin, Robert Fournier) « C’en est trop, ô mon âme égarée ; ce forfait inouï, ce meurtre abominable, je ne veux pas le commettre. Quel est le crime de ces malheureux enfants ? Leur crime, c’est d’avoir Jason pour père, et surtout Médée pour mère. Qu’ils meurent, car ils ne sont pas à moi ; qu’ils périssent, car ils sont à moi » Elle délire ; sont de retour son père et son frère : « J’ai recouvré mon sceptre, et mon frère, et mon père. Colchos a reconquis la riche toison du bélier de Phryxus. Je reprends ma couronne et ma virginité ravie. » 4- Après le meurtre de son premier enfant, elle veut Jason témoin du meurtre du deuxième et l’interpelle : « Ingrat époux, lève tes yeux pleins de larmes : reconnais-tu Médée ? » la Médée capable de crimes horribles par « amour » pour Jason, qui ne lui en demandait pas tant, comme elle vient de l’être du plus horrible dans sa vengeance haineuse contre lui en tuant son premier enfant, Jason sans doute reconnait bien Médée celle à qui il doit la vie et qui par son crime la lui reprend. Vous voyez avec ces quelques citations la différence avec le texte d’Euripide.

Donc dans « La jeunesse de Gide » l’on trouve sous la plume de Lacan ce dire : l’acte qu’a commis Madeleine est celui d’ « une vraie femme, dans son entièreté de femme ».Madeleine est la femme d’André Gide, dont celui-ci dira à la fin de sa vie, sur un mode où l’on peut évoquer la dénégation voire le déni, qu’elle fut son unique amour .De quoi s’agit-il ? Gide, n’a jamais eu de relation sexuelle avec Madeleine, celle-ci ayant voulu un mariage blanc, et il semble s’en accommoder ayant par ailleurs des relations avec des hommes. Il avait par contre avec elle une correspondance très soutenue, comme tenant lieu, pourrait-on dire, de relations sexuelles avec cette femme. Elle venait pallier à sa « lâcheté phallique » avec sa/ les femme(s), pour reprendre le terme qu’utilisera Lacan pour Joyce dix huit plus tard . Pour Joyce ,Lacan rejette le fait qu’il soit pervers , ce sur quoi nous serions en droit de nous interroger, au regard de la crudité obscène des lettres qu’il envoyait à Nora et il se questionne sur le fait qu’il soit fou ; alors que pour Gide, le fait qu’il soit fou n’ est pas à l’ ordre du jour mais celle de la perversion, oui ; non pas parce qu’il serait homosexuel ,le problème n’ est pas là, mais celui de la perversion en terme de structure ;Lacan ne dit rien là-dessus.

« Correspondance sublime » dit Jacques Alain Miller en parlant des lettres de Gide à Madeleine ( Médée à mi-dire » la lettre mensuelle de l’ECF de sept/oct. 93, numéro 122). Faudrait-il encore les avoir lu pour pouvoir le dire. Peut-être ces lettres étaient –elles insipides ou certaines d’ entre elles étaient-elles obscènes, comme pouvaient l’être certaines lettres envoyées par leurs soupirants à leurs dames au temps de l’amour courtois (Lacan nous en montre la crudité en nous en lisant une dans l’Ethique). Mais cela semble plus que douteux, au regard de la réputation de Madeleine, femme qui sait où est le bien et le mal et a un sens rigide et conformiste de ce qu’il faut faire et ne pas faire ; on ne le saura jamais. En effet Gide ayant trompé Madeleine, avec un très jeune homme (Marc Allégret 17ans, Gide 53 ans) qu’il aime, celle ci brûle une à une toutes les lettres de cette correspondance dans un accès de fureur, de « déchainement » dit Lacan ; elle détruit « ce qu’elle a de plus précieux » mais du même pas elle détruit ce qui supporte l’être de Gide ; elle n’était pas, sans doute, sans le savoir. Ce qui n’est pas signalé explicitement c’est que si elle brûle les lettres de Gide, celles que l’on regrette, elle brûle aussi les siennes, leur correspondance faisant en soi un tout, un seul objet qu’elle détruit. C’est du moins ce que je déduis, car à ma connaissance il n’est pas fait état de lettres de Madeleine à Gide, à moins que celles si ne comptent pour rien pour personne.

Ici la tromperie pour Madeleine se joue, dans ce que souligne Lacan, du côté de l’amour et non du désir ou de la coucherie pour le dire en clair. Que celle-ci fût avec un homme ou une femme cela n’a en fait pas d’importance. Lacan d’ ailleurs ne dit pas qu’il s’agit d’un homme bien que personne ne l’ignore .Pour Madeleine il lui est insupportable que Gide aime quelqu’ un d’autre qu’elle, pas si dupe que ça de sa pente uranienne par ailleurs .Nous pourrions avancer qu’elle se fait aveugle tant que cela l’arrange, tant que l’amour n’est pas en jeu. Pouvons nous dire qu’elle aurait voulu être le seul « homme » qu’il aime et non pas la seule femme comme on aurait une pente à le conclure ? J’ouvre la question, mais c’est plutôt dans ce sens que j’irai. Mais alors qu’est-ce qu’un homme dans l’affaire ?

Pour Gide, ces lettres, « c’était le legs le plus précieux de ce qu’il destinait à la postérité » souligne Lacan (contrairement aux lettres de Joyce à Nora qui n’étaient pas destinées à la publication comme nous le rappelait lors de son intervention à l’assemblée de Paris Patricia Léon qui a pris son courage à deux mains pour nous en lire quelques petits extraits). Ce qui déjà est particulièrement curieux pour le commun des mortels où les lettres intimes, les lettres envoyées à sa femme par un homme n’ont pas comme vocation d’être rendues publiques. C’est là que nous pourrions lire que les lettres de Madeleine ne comptaient pour rien pour Gide, seules les siennes avaient de la valeur du moins à ses yeux. Et Gide d’ajouter « peut-être n’y eut-t-il jamais de plus belle correspondance ». Sur un mode quand même particulièrement pervers, il nous fait miroiter un objet irrémédiablement perdu, un objet qui devient réel, c’est à dire impossible, dont nous manquerons toujours, rendant le désir vain et nous laissant dans la jouissance de sa perte sans que nous ne lui ayons rien demandé. Madeleine brûle ce qui serait le témoin d’un « rapport sexuel » qu’il y aurait eu, sur un mode ici très particulier ; il le dénie en même temps qu’il pose son existence. Mais reste cependant le petit tas de cendre des lettres brûlées ! On pourrait dire que pour l’homme Gide son rapport avec une femme, Madeleine, avait comme objectif la production de ces lettres pour qu’en jouisse la postérité. Transposition de ce dire de Lacan dans « le savoir du psychanalyse » (4 novembre 1971) où il avance : « l’Eglise catholique affirme il y a un rapport sexuel : c’est celui qui aboutit à faire de petits enfants .C’ est une affirmation qui est tout à fait tenable, simplement elle est indémontrable ». Le rapport sexuel entre un homme et une femme s’écrirait dans le faire un enfant, soit de produire réellement l’objet a où vient se situer ici l’enfant pour la jouissance d’un dieu comblé par l’objet. Ce qui s’avère toujours mis en échec. Et ajoutons, comme me le disait un homme : « se mettre au lit avec une femme dans le seul objectif de faire un enfant ça aurait plutôt un effet débandant ». J’ajouterai, métaphoriquement parlant, que l’inverse est tout aussi vrai ! Ce n’est pas pareil d’assumer, d’une façon qui varie d’un sujet à l’autre, ou de ne pas assumer du tout, que la conséquence de la relation sexuelle, et non le rapport sexuel, entre un homme et une femme peut en être celle-ci. Ajoutons par ailleurs que l’enfant désiré, l’objet a du fantasme de la mère et / ou du père, voire de Dieu par transmutation des figures parentales, n’est jamais celui qui va débarquer, si ce n’est à mettre à mal l’enfant qui occupe cette position, comme en témoigne la clinique. Ce dont Emmanuel nous a entretenus lors de sa première intervention. Madeleine détruit « l’enfant parfait en toc » de Gide et du même pas, le sien, celui qui les satisfaisait entièrement. On peut dire que la lettre est ici le papier, la substance, qui contient l’objet a cause du désir et sur laquelle est écrite un savoir. Dans ces lettres il y met « toute son âme » dit Lacan. Les avoir donnerait un savoir sur l’objet a de Gide, mais Gide ne veut rien savoir de qui est le maitre qui lui a fait écrire les lettres. Il ne veut pas savoir qui est le maitre de son âme. Nous pouvons écrire ici ce que j’ ai appelé le discours de la science l’ an dernier – qu’il aurait été sans doute plus futé d’ appeler celui de la connaissance -( discours de l’ hystérique en inversant a et S barré , les flèches suivent le même chemin que le discours capitaliste écrit par Lacan) .Or le maître de son âme, c’est cette place qu’ occupe Madeleine, dans l’ ombre sans doute, et dont elle entend être la seule à l’ occuper. Elle avait cette certitude quand le pauvre Gide s’avise d’aimer ailleurs au grand jour .C’est ce qui provoque son déchaînement. Le maître de son âme elle va montrer à Gide qui il est, elle. Elle détruit son âme en détruisant ces lettres qui la contienne mais qui contiennent aussi son âme à elle dans cet « amour fou » qui les lie ; je vais y revenir. A l’instar de Médée, dans ce quelque chose qu’elle doit faire, ne trouvant que ça de conséquent à faire pour se venger de Gide, elle aurait pu dire « Madeleine maintenant je suis » écrivant ainsi ce que j’ai appelé le discours de la haine. (Discours de l’université en inversant S2 et S1).Dans cette destruction, la lettre se réduit à sa substance même, les cendres, substance morte, comme reste. Une substance sans jouir possible à venir, rien ne pourra plus s’écrire sur le papier de la lettre. Madeleine , dans l’après coup de son acte ,est Madeleine incarnant le S1 qui la nomme au pied duquel gît un petit tas de cendre ; elle est désarrimée de tout discours qui fait lien social , égarée .C’est dans ce S1 qu’elle incarne dans ce discours que je dirai quant à moi qu’ elle est une femme, une vraie femme .Elle quitte la maison de Gide, maison qui était son garage en quelque sorte, là où elle garait son âme . Elle n’habitera plus jamais avec lui. Mais Gide ne l’ entend pas de cette façon, cette place vide qu’elle laisse sera la chambre de Madeleine qu’il y aura dans ses maisons ; même dans la nouvelle qu’il fera construire et qu’ elle n’ occupera jamais ; il continue à l’ aimer passionnément , jouissance d’ un amour auquel il ne renonce pas pour désirer une femme, pour en faire l’ objet qui cause son désir . Et il interprète l’acte de Madeleine comme un acte rédempteur qui l’interpelle du côté du désir là où son amour pour elle le lâche. Il écrit, à sa façon, ce que Lacan nomme le discours de l’analyste. L’objet a qu’était cette correspondance devenu alors objet réel, occupe la place qu’occupe l’analyste mais lui comme semblant d’objet(a). Le savoir contenu dans ces lettres en place de vérité est bien inaccessible puisqu’il disparait et le produit est André ,en place de S1 de ce discours , castré de ce savoir , impuissant qu’il est à le récupérer .Ceci étant il peut alors devenir le Gide qu’il voulait être, celui qui combat tous les préjugés de l’époque, ce devant quoi il reculait du fait de la présence de Madeleine ; il efface à son mode tout ce qui serait de l’ordre de la castration qu’il vient par ailleurs de reconnaître. Plutôt pervers quand même où André, l’enfant, se dissocie de Gide, l’homme. D’une certaine façon il fait son « coming out » sur un mode où les combats qu’il mène, du moins littérairement, ne sont pas les valeurs dont il aurait à répondre au regard du milieu d’ où il vient. En dehors de son plaidoyer pour l’homosexualité et la pédérastie, il dénonce le colonialisme, le stalinisme, soutient Zola. Bref nous ne lui en voudrons pas, mais jamais cependant il ne s’engage. Plutôt dans le genre « belle âme », que dénonce Lacan, il regarde d’un peu haut le monde mal tourné sans se salir les mains si ce n’est du bout des doigts. J’éclairerai un peu tout ceci dans ce qui va suivre car il y faut du phallus pour cela.

Revenons à la destruction des lettres de Gide que Madeleine en furie brûle une à une devant lui, à ce qu’il me semble, et où il est impuissant à l’arrêter .A ce moment là Gide pleure. « Gémissement d’une femelle frappée au ventre » dit Lacan, Gide parlera donc de ces lettres dans l’après coup de leur perte comme étant « son enfant » ….. « Et, métaphore ou non, ce que je dis est vrai » c’est cette citation de Gide que Lacan met en exergue de son texte. L’on peut dire qu’il pose bien ces lettres comme étant son objet a mais, c’est toute l’embrouille d’un mode de fonctionnement pervers, elles ont aussi valeur phallique soit ce qui se transmet de père en fils, sa « postérité » pour Gide, les Gidiens à venir dont il se fait père sans finalement rien avoir à leur transmettre. Si ce n’est pas pervers ! Nous retrouvons ici une coalescence, qui m’a souvent frappé quand on aborde la perversion, entre objet a, objet qui cause le désir et le phallus, objet du désir, ce que, me semble-t-il, Lacan range sous le terme d’objet fétiche. La barrière entre le côté homme et femme de la sexuation, que Lacan représente par un trait dans son tableau de Encore (page 73) 15 ans plus tard, saute .C’est du moins l’objectif du pervers de la faire sauter pour l’Autre et c’est là où il nous fait tourner en bourrique. Si a et grand phi ne sont pas distinct et font un dans le même ensemble, place qu’occupe l’objet fétiche, S barré et La barré appartiennent aussi au même ensemble en faisant un, rejetant au dehors le S de A barré de la jouissance féminine .Dans la jouissance perverse , cette exclusion ou tentative d’exclusion de la jouissance féminine du champ symbolique où elle fait trou ,nous pouvons la retrouver sous différente forme : comme tentative de sortie de la psychose par la perversion, comme trait de perversion chez tous les névrosés mais seul l’assujettissement dans la structure sur le mode pervers, me semble-t-il ,réussit l’opération. Conclusion Gide n’était sans doute pas « un vrai pervers », il y a ici un ratage car l’objet fétiche en question ne sont que des lettres et pas du vivant. Voilà quelques unes de mes élaborations en gestation que je vous livre en partage.

C’est donc dans ce contexte, celui de la destruction de ses lettres par Madeleine que Lacan parlant de Gide va le comparer à Jason. La citation, que voici enfin, est celle-ci (page 761 des Ecrits) : « Pauvre Jason parti pour la conquête de la toison dorée du bonheur, il ne reconnaît pas Médée ». C’est donc une métaphore qu’utilise Lacan .Il compare Gide à Jason en l’affublant du signifiant pauvre, le dévalorisant par rapport à Jason lui-même du moins de celui de la pièce de Sénèque ; et Madeleine à Médée mais qu’il ne sait reconnaitre en Madeleine rédemptrice, ce qui n’est pas le cas de Jason pour Médée. Dans cette métaphore par ailleurs il dévalorise l’objet en jeu en disant « toison dorée » et non toison d’or (comme lui fait dire Miller quand il cite Lacan dans l’article signalé), la toison en question n’est que du toc, du plaqué or pas de l’or massif !

Alors comment interpréter dans ce dire de Lacan le lien qui unirait Jason à Médée et par comparaison Madeleine à Gide .Je lirai que la toison d’or, qui est supposée faire le bonheur de Jason, c’est ici Médée, qui fait son malheur.

Mais qu’est ce que la toison d’or ? Il me semble que la toison d’or est une métaphore pour dire l’objet phallique, l’objet du désir, qui d’être nommé ainsi en donne une représentation imaginaire, son signifié. La toison d’or se détache du corps du bélier comme le phallus du corps de l’homme et elle a dans la mythologie des propriétés magiques, un savoir lié à l’objet lui même. L’avoir pour Jason était la condition pour qu’il retrouve le trône de son père, mais cet avoir ne lui donne pas le savoir pour ce faire puisqu’ il échoue et y renonce dans la perspective de ses nouvelles épousailles ; c’est clair dans Sénèque sous cette forme. Jason est un héros fatigué qui renonce à la guerre, qui se pose comme homme privé du signifiant qui le ferait roi du trône qui lui revient dont jouit un autre, le signifiant phallique. Le savoir pour être roi héritant du trône de son père ici se perd, il ne lui succédera pas. S’ il rentre dans une famille royale cela assure son bien -être matériel et celui de ses enfants mais cela au prix d’un renoncement à son désir. Mais si Médée est cette toison d’ or , est le phallus qui manque à Jason , comme cela peut s’ entendre dans la phrase de Lacan ,son trône il pourra le récupérer en mettant en jeu un savoir qui n’ est pas de l’ ordre de celui qui est supposé se transmettre de père à fils mais sur un mode qui met en jeu un autre savoir , celui de la magicienne qu’ est Médée, un savoir ésotérique, occulte , celui qui n’ est pas pour tous , que seuls quelques initiés ont le pouvoir de partager .Il relève du savoir secret des femmes , ces magiciennes, pour le pire et le meilleur . C’est ce que propose, dans Sénèque, Médée à Jason, user encore de son savoir de magicienne auquel l’a initié la déesse Hécate sa tante ( ?), pour qu’un jour il soit le roi qu’il voulait être, qu’elle voudrait qu’il soit en l’ayant pour reine .Elle serait son spectre vivant en quelque sorte qui lui donne sa force obscure, sa puissance .Ce savoir secret, inconnu du commun des mortels ne permet pas de donner au phallus une signification , c’est à dire que cela n’ouvre pas à la possibilité d’un sens qui dirait quel est la nature de leur lien d’amour. Car la question reste ouverte. Jason aime-t-il Médée ? Nous pouvons en douter quand il dit le peu de valeur qu’a la vie quand on rougit de celle qui vous l’a donné. Et qu’elle est la nature de l’amour de Médée pour Jason ? Il fait plutôt froid dans le dos.

La toison d’or en question c’est le phallus qu’est la femme dont manque Jason, le phallus que serait donc Médée et par comparaison le phallus en toc que serait la Madeleine de Gide qui prend en quelque sorte dans son malheur une position de muse éternelle dépourvu du savoir de magicienne . En toc elle l’est de deux façons dans le regard de Gide. Si nous reprenons la métaphore du bélier à qui on enlève la toison d’ or massif ,il lui reste après l’ opération encore son corps vivant pour jouir d’ autre chose que de la toison qui lui manque , je le dirai comme ça pour l’ instant .Madeleine si vous lui enlevez la toison dorée qui la recouvre n’ a plus de corps à jouir .C’ est en quelque sorte une coquille vide, coquille fragile , pas de l’ or massif , et de plus vide . C’ est bien de la croire coquille , fragile, que Gide voyant « l’ enfant pleurer » (Madeleine qui a 16 ans ) la « disparition » de sa mère infidèle , a fait le vœux à l’ âge de 13 ans de la protéger « contre la peur , contre le mal , contre la vie » le restant de ces jours. Ici l’amour est bien une signification dans lequel Gide enferme Madeleine, la signification phallique qui conditionnera son existence à lui comme à elle. « Le contre la vie » entre autre, qui est de la plume de Gide, est en soit effrayant, lui qui après la mort de son père à l’âge de onze ans dit de l’amour de sa mère « s’être senti tout enveloppé par cet amour qui désormais se refermait sur lui » .Amour qui l’étouffe, dont il étouffe en retour Madeleine. Et d’une façon remarquable alors que Madeleine refuse de l’épouser malgré ses demandes réitérées, elle acceptera de le faire quelques mois après la mort de la mère de Gide, nous pourrions ajouter « pour le protéger contre la peur, contre le mal, contre la vie ». La toison d’or ici n’est pas , me semble-t-il , le phallus dont la femme manque, qu’ elle n’ a pas , mais le phallus qu’elle est et que n’est pas sans avoir un homme quand il a une femme pourrait-on ici ajouter , une femme qu’il aime qui est dans ce registre toujours élevée à la dignité de magicienne mais l’ inverse est tout aussi vrai, dans ce registre un homme et une femme se valent . Ils sont à situer du côté homme de la sexuation.

Et c’ est dans la réciprocité que s’ inscrit l’ amour passion entre deux humains, ,qui ne met pas en jeu le sexe biologique , que nous pourrions tout aussi bien qualifier de fou quand il n’ est pas articuler à un autre et tel qu’il pourrait s’ entendre dans ce dire de Lacan « l’ amour est toujours réciproque » qui m’ avait interrogé quand je l’ avais lu il y a déjà nombre d’ années , je ne sais plus la référence mais c’ est dans le début de son enseignement .Il ferait dire à chacun des fous amoureux : « Madeleine tu es ma toison d’or » et en écho « André tu es ma toison d’or » .Un tu sans je, sans un je de consentement. Le signifiant phallique ,ici toison d’or, s’ incarne dans un S1( Encore ) que sont André et Madeleine car c’ est là le problème : André c’ est Madeleine et Madeleine c’ est André, « pauvre enfant » .Pour imager ceci on pourrait dire que quand André se regarde dans la glace il voit Madeleine et réciproquement .Il sont les mêmes , ils se m’aiment dans l’ Autre ( l’ éthique ??) une des première définition de l’ amour de Lacan. Un S1 pour deux qui les font être un, l’amour de rêve en somme. C’est ce type d’amour qui est en jeu dans l’amour primitif d’un enfant à sa mère dont il aura à se défaire en constatant que la mère n’est pas une vraie magicienne et lui pas vrai magicien non plus en miroir de sa mère , que la toison d’ or n’ est que du toc .C’est ce genre d’amour qui est en jeu dans ce que j’ai appelé le discours de l’amour l’ an dernier où S2 est le savoir du magicien( ne). Le savoir « supposé » à l’Autre de l’amour. (Discours de l’analyste où S2 et a s’inverse) Pour Gide il me semble que Lacan pose bien Madeleine à la place de sa mère dont il serait l’enfant. Madeleine vient occuper la place qu’occupait la mère de Gide et réciproquement Madeleine est l’enfant de Gide dont il est la mère .Jeu de miroir dans lequel on se perd. Car la place qu’occupe Gide pour Madeleine est-elle celui de substitut de père dont elle serait l’enfant, place que Freud donne au mari pour une femme ? Il semblerait que non, de père elle en a un qui n’est substituable par aucun autre, un père mort .Elle reste « fixée à son amour pour son père » dit Lacan, qu’il lit dans ce dire de Madeleine « la tristesse du regret de papa ». Nous pourrions en dire tout autant pour Gide : regret de son père dont la mort a comme conséquence que sa mère l’étouffe de son amour, de l’amour qui était pour son homme dont Gide vient occuper la place. Par contre de mère Madeleine n’en a plus, pas de regret de ce côté là mais un vide .Il y a pour elle « abolition de tout regard sur la mère, après que celle –ci eut quitté le foyer » dit Lacan et il ajoute que ceci « est l’ indice garant que le désir , dont l’ enfant disgracié s’ était vu imprimer une figure d’ homme , ne ferait plus de retour du dehors » un peu difficile à éclairer sinon à dire que ce n’ est pas sur ce qui est l’ objet du désir de la mère, ici le phallus qu’ elle n’ a pas, que Madeleine peut s’ orienter pour désirer sinon à n’ être que non désirable comme le père que la mère quitte .Et c’est là où la place de la mère est vide qu’elle met Gide .Son amour pour sa mère étant aboli, elle va aimer Gide comme Gide l’aime, en miroir. Gide est réellement une mère pour elle et elle son fils (figure d’homme) ; coucher avec lui serait littéralement incestueux et il ne s’immiscera pas dans « son alcôve ». Nous repérons et c’est ce qui nous trouble qu’un homme peut se trouver en position de mère, ce que souligne Lacan quand il dit de Gide « femelle frappée au ventre » et une femme en position d’homme. C’est à lire ce passage que je me suis dit qu’ ici Lacan était lacanien avant de devenir Lacan .il est difficile en effet de ne pas entendre dans ce qu’il dit de Madeleine ce qu’il dira 18ans plus tard de Joyce sur un mode un peu différent :« Joyce enraciné dans son père » et nous pouvons continuer : Joyce qui remplace sa mère morte par Nora, dans les temps qui suivent la mort de sa mère, Joyce qui quitte sa terre natale et n’ utilise pas sa langue maternelle, Joyce une mère pour Nora etc.…Madeleine et Joyce il y a quand même quelques ressemblances dans l’ accent qu’ y met Lacan dans ce texte où le sexe biologique n’ a pas sa place . J’ouvre juste ici quelques pistes de recherche. Je vous parlais l’an dernier de « la magie de l’amour » qui suppose donc à l’autre ce type de savoir « ésotérique » qui, il faut bien le dire, s’avère plutôt décevant à brève échéance si l’amour n’a pas de base plus solide celle que met en jeu le désir et la castration via la fonction du père réel qui permettra l’ inscription dans une lignée symbolique ,ce que j’ appellerai des valeurs morales en lien avec ce signifiant que Lacan nomme le Nom du père .

En ouvrant la question de l’être ou de ne pas l’être le phallus, dans ce qu’il appelle un retour à Freud, Lacan se décale d’une lecture freudienne de l’époque qui se voulait orthodoxe et posait la question du phallus dans les seuls termes de l’avoir ou pas. Dans cette lecture c’est la femme qui au regard de l’homme n’a pas le phallus et c’est l’enfant qui vient occuper la place du phallus qui lui manque, du moins c’est la place qu’il rêverait d’occuper ou pire qui l’est ou ne l’a jamais été , mais où quelque part quand même dans l’imaginaire freudien et de façon générale chez le névrosé, la mère reste toujours un peu magicienne et l’ enfant rêve toujours d’ être magicien pour elle , si le père ne venait pas bien heureusement mettre le bazar dans le couple mère enfant. L’on retrouve ici la nostalgie d’un amour supposé idyllique entre une mère et son petit enfant, modèle de l’ amour parfait , devant lequel Freud recule à toucher et avec lui beaucoup d’ hommes en particulier ,et que Lacan met en brèche . Avec les mères Lacan n’est pas un tendre.

Je pense que vous avez encore en mémoire ce jeune adolescent psychotique dont nous a parlé Emmanuel la dernière fois et de ce dire fabuleux : « J’ai un oncle qui lit dans les lignes de la main. Moi je lis dans les yeux. Je vois les gens amoureux. Quand je regarde dans les yeux de maman, je vois papa. Quand je regarde dans les yeux de papa, je vois rien. Ca m’inquiète. Je sais pas si y a rien ou autre chose. Même quand je regarde dans les yeux d’un chien, je vois une femelle. »

Ne pourrait-on pas dire pour Madeleine ,quand Gide aime quelqu’ un d’autre qu’elle, qu’elle ne se voit plus dans les yeux de Gide pour reprendre la métaphore de ce jeune garçon qui pour lui n’en est pas une, la toison d’or qu’elle est .Elle voit « rien «  », ce qui donne au visage de Gide dit-elle « moins de noblesse », noblesse qu’il tenait d’ elle, comme Jason de Médée qui l’ a fait ce qu’il est, qui lui a donné la vie .Donner la vie s’ articule ,ici on l’ entend bien, à autre chose qu’ à une fonction physiologique de femelle en opposition au mâle , il s’ articule autour d’ un objet signifiant, le phallus qui d’ être nommé toison d’ or en fait un signifiant . Alors peut-être y voit-elle le « autre chose » sur lequel se questionne ce garçon , une image d’ elle qui la fait ressembler à Médée qui peut lui reprendre la vie qu’ elle lui a donnée, ce à quoi elle répond …la Chose telle que l’ a identifié Emmanuel pour le jeune garçon , le autre chose qui le terrorise ? Cette Chose lui a donné la vie avec ses pouvoirs magiques et lui reprend par les mêmes. Mais ici cela fait métaphore, pas pour le jeune garçon en question, il est réellement en danger de mort occupant la place des lettres. Cette « autre chose » Gide ne veut pas le voir, en se regardant dans les yeux de Madeleine il veut continuer à se voir, il ne veut pas reconnaitre la Médée qu’il est, telle sa mère, qui empêche Madeleine de vivre en l’étouffant de son amour.

C’est dans ce sens que j’irai sans aucun doute celui de la Chose et pas dans le sens de La femme, ce que j’ai mis du temps à dépatouiller ! Tout ce que je viens de vous raconter est, je crois, en cohérence avec ce que Lacan avance dans l’un des articles des Ecrits qui précède celui où la citation sur Médée est extraite, « La signification du phallus » de 1958 aussi et ce qu’il enseignera cette même année. Je condense en ce qui concerne le phallus et les femmes : faute de l’avoir par le biais de ses enfants une femme peut l’être, c’est ce que met en jeu la féminité dans la mascarade, phallus en toc, et non le féminin doit-on ajouter au regard de la suite de l’enseignement de Lacan. Ce comment l’être c’est chez « une autre femme » qu’une femme qui fait l’homme, telle l’hystérique, et bien sûr l’homme lui même va le chercher « à divers titres, soit comme vierge, soit comme prostituée ». (695). La Chose, l’objet a et le féminin manque bien sûr mais laissons le temps à Lacan de devenir Lacan. Ajoutons que Madeleine, d’une certaine façon, en brulant la correspondance redevient « vierge », tout se passe comme si elle n’avait jamais eu de relation avec Gide comme Médée se dit retrouver sa virginité en tuant ses enfants .Une façon très particulière de se poser comme étant le phallus qui ne fait pas dans la dentelle ,il faut le reconnaître .Et ajoutons que le chœur, favorable ici à Jason, dés l’ entrée de la pièce de Sénèque, la vise comme prostituée , femme illégitime de la nuit, en comparaison de Créuse qui va devenir femme légitime de Jason au grand jour ! Après le meurtre de ses enfants elle retrouve sa couronne.

J’arrête ici mes petits commentaires qui demanderaient d’être plus élaborés et que je vous ai livré un peu en vrac. Retenons que si les lettres de Gide à Madeleine sont « son enfant » cela reste métaphorique, à moins d’être vraiment fou de croire qu’une lettre brûlée c’est pareil qu’un enfant assassiné. Un petit tas de cendres de papier brûlé d’un côté, des cadavres de l’autre comme reste d’un déchaînement subjectif qui vise à faire disparaître l’âme de l’Autre (le S2), dans un retournement de l’amour en haine, cela ne se met pas en scène dans la même cour. Gide finira par en rire, comédie que tout cela, du chiqué pour reprendre un ultérieur signifiant lacanien pour dire la mise en scène du pervers et il se réconciliera avec Madeleine. L’acte de Médée exclut toute réconciliation avec Jason et ne le fait pas rire du tout puisqu’ il est condamné à en mourir comme ses enfants. J’ajouterai un petit mot encore, puisque j’ai soulevé la question de la perversion. Entre Sade, avec lequel Lacan ouvre la question de la perversion, et Gide, il y a une sacrée marge et ne parlons pas de Gilles de Rais, dont finalement Sade pourrait s’avérer être de la même lignée pathologique puisque des restes d’humains furent retrouvés dans les douves de son château mais que, protégé par son rang et sa femme, l’affaire fut étouffée. Et que dire de Landru ? Alors peut-être faut-il faire comme le fait Marie-Laure Susini dans son ouvrage « L’ auteur des crimes pervers, éd fayard »,auquel ici je me réfère, pour lequel elle fut invitée lors d’un Midi Minuit de l’ APJL , déconnecter le crime pervers de la structure de celui qui l’a commis et dire , ça c’ est moi qui le dit ,qu’ un crime pervers n’ est pas le fait d’ un pervers. Ce sur quoi Marie-Laure Susini prend le parti de ne pas se prononcer dans son livre mais elle sait, pour en avoir discuté avec elle, qu’elle ouvre la question. Nous pourrions alors dire de la Médée de Sénèque qu’elle est l’ auteur d’ un crime pervers et la Madeleine de Gide aussi , si ce n’ est dans le réel de l’ horreur du moins dans la logique de l’acte .Ce qui n’est pas le cas de la Médée d’ Euripide dont le crime ne peut pas être qualifié de pervers, à mon avis .Mais j’ avais à peine fini d’ écrire ce que je viens de vous dire que je me suis dit : mais il y a quelque chose qui ne colle pas. Je pense que vous l’avez remarqué, j’ai opéré un renversement car c’est pour Gide que j’ai ouvert la question de la perversion et le crime pervers je le mets du côté de Madeleine. En suivant cette logique Jason serait pervers et c’est Médée qui commettrait le crime pervers .Ce qui n’est pas en fait pas si stupide que cela .Dans ce genre d’amour en miroir où l’un est mis à la place de l’autre ne pourrait-on pas dire que celui qui fait le crime le fait à la place de l’Autre ? Quand Jason dit à Médée que le seul lien qui le rattache à la vie ce sont ses enfants, ne dit-il pas à Médée qu’il voudrait ne plus vivre, que ses enfants le gênent pour ce faire . Et je ne sais si cela vous frappe bien qu’il évoque son « amour paternel » c’est un accent que l’on peut qualifier de maternel que l’on entend dans son dire .En les tuant elle réalise son désir lui offrant son billet d’ entrée en enfer. Quant à Gide sa correspondance avec Madeleine ne le gênait-elle pas être reconnu tel qu’il était, amateur des « nourritures terrestres » ? Sa destruction n’est-elle pas son billet d’entrée en enfer ? Elle l’est du moins au regard de l’église catholique puisqu’il est ou était à l’index, je n’ai pas suivi, je dois le dire, où cela en est depuis l’âge de mes 16ans où une bonne sœur m’a retiré, horrifiée, « les faux monnayeurs » des mains. Alors nous savons ce télégramme d’outre- tombe que Mauriac reçu 1ou 2 jours après la mort de Gide ainsi libellé : L’enfer n’existe pas-stop-Tu peux te dissiper-stop-Préviens Claudel –Stop- Signé : André Gide .Canular sans doute, qui fait rire dont on ne sait de qui il est et que d’aucun attribue à Gide lui-même, que je trouve quant à moi du plus mauvais goût .Car si l’enfer n’est pas dans l’au-delà, peut-être est-il parfois sur terre. Ce goût d’enfer au cœur de l’être humain, le moins que l’on puisse dire, c’est que l’auteur d’un crime pervers nous en régale sans qu’on ne lui ait demandé de nous servir sur un plateau l’objet de nos rêves inavouables.

Alors pour finir je vais vous raconter comment j’en suis venue à lire la Médée de Sénèque. Ayant donc retrouvé dans son contexte la citation sur laquelle « on » s’appuie pour dire que Médée est une vraie femme alors que c’est de Madeleine que Lacan le dit, j’ ai pensé qu’il y avait peut être un autre endroit dans son séminaire où il le dirait en clair .Je suis donc partie « à la recherche d’une vraie femme », c’est ainsi que j’avais titré le mail que j’ai envoyé à mes bénévoles détectives privés, pour tâcher de le trouver sous la plume de Lacan, mes efforts ayant été vain .Emmanuel ,en fin limier qui s’ ignore ,me dit qu’il a trouvé un endroit où Lacan parle de la « vraie femme » .Il se situe dans la séance du 22 janvier 1958 dans le séminaire « Les formations de l’ inconscient » et il ajoute : Lacan y dit que Madame K est une vraie femme. L’information est fausse je vous le dis toute suite, puisque la citation en question que l’on trouve dans ce séminaire est celle-ci « une féminité, une vraie féminité a toujours un peu une dimension d’alibi. Les vraies femmes, ça a toujours quelque chose d’un peu égaré », même pas l’ombre de Madame K trainant dans les environs. Il avait lu en diagonale un article d’une collègue sur internet plein de citations et donnant des références sur « une vraie femme » et qui parlait du cas de Dora. Comment a-t-il fait pour faire ce collage, lui seul le sait, mais …. Je prends donc pour argent comptant son information me réservant d’aller revoir le contexte de la citation et me dis, devant ma tasse de thé matinale, que je vais aller revisiter pour la nième fois le cas Dora et voir de près ce que Freud dit de Madame K et de son rapport avec ses enfants. Et là je tombe interdite devant ce dire de Freud parlant des rapports de Dora avec Monsieur K (page 44 Cinq psychanalyse Puf) : « Médée était satisfaite que Créuse ait attiré à elle les deux enfants, Madame K… ne faisait certainement rien non plus pour troubler les rapports du père de ses enfants avec la jeune fille » .Pas besoin de vous dire que le sens de cette phrase m’échappe complètement, et que j’avais du sauter allégrement par-dessus auparavant. Je comprends que Freud compare Madame K à Médée (pourquoi ?) et Dora, l’hystérique, à Créuse. Mais je n’ai aucune idée de qui est Créuse, la pièce d’Euripide, dans mes souvenirs embrumés matinaux, ne faisant pas état du nom de ce personnage. Je surfe et c’est en référence à la Médée de Sénèque que Créuse est nommée comme étant la fille de Créon donc la rivale de Médée. (Ceci ne m’ éclaire pas pour autant la phrase de Freud cf. 1- bas de page).De ce pas je lis donc la Médée de Sénèque ce qui m’a fait dévier de ma route et introduire cahin caha aujourd’hui la question de la perversion dont je vous ai fait part dans les rapports d’un enfant à sa mère quand celui-ci aime un homme ,Dora elle ouvre la question du rapport d’ un enfant à sa mère quand celui-ci aime une femme .Je condenserai la question sous cette forme .Mais l’ embrouille c’ est que dans le champ du désir ,le phallus est pour les deux sexes l’ objet du désir et qu’une femme peut avoir masque d’ homme et un homme masque de femme .Alors qui est « une vraie femme » dans l’ affaire ?

Donc à la recherche de la « une vraie femme » nous n’avons pas retrouvé d’autres endroits où Lacan le dit tel quel, si ce n’est pour Madeleine et en tout cas pas pour Médée elle même. Donc stricto sensu je crois que l’on peut dire que Lacan n’a jamais dit que Médée est « une vraie femme », s’il l’a dit de Madeleine .Bon voilà où cela m’a mené quand renonçant à être un perroquet je suis retournée aux sources et où je fais amende honorable : la citation que j’ai dite être de Lacan n’en est pas une .Ouf, de soulagement finalement car je ne savais pas comment faire avec ce dire qui me laissait aussi embarrassée qu’un poisson sur une bicyclette, pour reprendre ce slogan féministe qui courrait sur nos murs dans l’après 68 pour dire à quoi ressemble une femme, où l’ on peut lire ,dans un premier temps, que ce qui cause son embarras c’est le phallus qui lui manque pour pédaler comme un homme . Alors rendons à César ce qui est à César, celui qui l’a dit est Jacques Alain Miller, sous cette forme « une vraie femme est toujours Médée » dans cet article « Médée à mi-dire » que j’ai retrouvé dans la lettre mensuelle de l’ECF de sept/oct. 93, numéro 122 où il réécrit un extrait de son cours de la section clinique de Paris, « De la nature des semblants ». Mais être comparé à Médée, est-ce l’être réellement ? Comparée à un poisson, moi qui ai plutôt l’idée que je suis une femme, le suis-je ? Je vous laisse juge mais le raccourci me semble de taille. Et tous les écrits sur Médée de l’ECF se réfèrent à ce dire de Jacques Alain Miller et concluent dans la logique que celui-ci déploie que la jouissance mise en œuvre chez Médée dans son acte, c’est ça la jouissance féminine. C’est là où le bât blesse .Car c’est oublier une chose, c’est que faute d’avoir le phallus il reste une autre solution à une femme, comme a un homme, c’est de l’être ce que Lacan articule à la féminité et non au féminin qu’il commencera à introduire à partir du mysticisme dans Encore. Je lance donc ma ligne pour attraper le poisson, celui qui est sur la bicyclette, le phallus qu’est une femme représenté dans la métaphore par le poisson, c’est le second temps de la lecture. Cela risque de me faire dire le contraire de ce qui est avancé à l’ECF c’est que Médée est réellement toute dans la jouissance phallique comme femme et pas du tout dans la jouissance féminine. Vous retrouverez ceci avancé sous une autre forme dans le rapport rédigé par Pierre Bruno et Marie-Jean Sauret pour « les assises sur le savoir du psychanalyste » (page 9 cf. 2-bas de page) et qui a fait surprise pour certain. Quant à la position de la mère qui en découle mon idée est bien que c’est du côté de la Chose qu’il faut se tourner que j’ai appelé le non-Autre et non vers La femme, l’Autre de l’Autre. Médée nous en donnerait une image, nous permettrait d’imaginariser la Chose Voilà un peu ce qui me travaille en ce moment et le contexte dans lequel se situe cette intervention.

1- J’ai demandé à Gabrielle Gimpel de me faire la traduction de cette phrase de Freud à partir du texte en allemand .Elle est la suivante : « Médée était plutôt satisfaite (du fait) que Kreusa attirât les deux enfants vers elle ; elle ne faisait certainement rien pour déranger l’échange (rapport) du père de ces ( ?)enfants avec la jeune fille. » Dans le texte en français le elle est traduit par Madame K, ce que Freud ne dit pas. Gabrielle émet l’hypothèse que Freud en parlant de Médée parle de la mère de Dora et que Kreusa (Créuse) est Madame K. Ce qui me semble en cohérence avec l’ interprétation de Lacan Nous avons, avant et après la traduction de Gabrielle, retourné à plusieurs la phrase de Freud dans tous les sens pour en donner des interprétations diverses .Elle garde quand même me semble-t-il une part de mystère qui peut peut-être s’éclairer par le jeu des identifications de Dora à l’autre femme qu’est Madame K mais aussi à sa mère dans le rêve de la maison qui brûle qui sacrifierait ses enfants pour sauver sa boite à bijou si le père ne s’y refusait pas ….à suivre Voilà qui est aussi Kreusa dans la mythologie, que j’ai trouvée sur internet, qui là n’est pas la fille de Créon. Une jolie métaphore de l’enfant fantasmé du père …. (Kreusa), Créuse était la sœur de Proscris et d’Orithyie, et elle aussi connut l’infortune. Un jour, alors qu’elle cueillait des crocus sur une falaise de l’Acropole creusée d’une grotte, un jeune homme divinement beau l’enleva et l’emmena dans la caverne. Cet homme qui lui donna un enfant, était Apollon, et, lorsque vint le moment de le mettre au monde, elle se rendit seule dans la grotte et y abandonna l’enfant. Elle revint quelque temps après, mais l’enfant avait disparu sans laisser de traces. Elle se maria alors avec un étranger, nommé Xouthos, qui désirait passionnément avoir un fils. Mais ils n’eurent pas d’enfant. Ils se rendirent alors à Delphes pour demander au dieu s’ils pouvaient encore espérer un enfant. Ayant laissé son mari en compagnie des prêtres, Créuse monta au sanctuaire où elle rencontra un bel adolescent. Après quelques paroles échangées, elle apprit qu’il s’appelait Ion et qu’il avait été abandonné puis recueilli par la Pythonisse, la prêtresse d’Apollon. Créuse raconta son histoire en cachant, naturellement, que c’était la sienne. Ion, choqué par les propos tenus par la jeune femme, fut alors enlacé par Xouthos qui venait d’apprendre par l’oracle qu’Ion était son fils. Apparue, à son tour, la vieille prêtresse qui tenait dans ses mains deux objets : un voile et un manteau de jeune femme, avertit Xouthos que le prêtre voulait lui parler. Xouthos partit, Créuse reconnut ses propres vêtements et les montra à Ion qui comprit alors qu’il venait de retrouver sa mère. La mère et le fils se regardèrent, Ion avec une joie parfaite, Créuse avec un extrême étonnement. L’histoire n’en dit pas plus.

2- Page 9 : Assises sur le savoir du psychanalyste : Il y a une jouissance phallique dans la psychose, mais pas de signification phallique .Autrement dit, il n’y a pas une jouissance primaire non phallique dont la jouissance phallique serait dérivée. La jouissance désarrimée que l’ on constate dans certaines phases du procès psychotique n’ est pas la jouissance supplémentaire , qui implique l’ accès préalable à la signification phallique, ou une suppléance qui puisse pallier l’absence de la métaphore paternelle .La jouissance désarrimée est phallique , mais , sans l’ accès à la signification phallique , elle confronte le sujet à une dispersion et une explosion langagières, dans laquelle l’ émergence éventuelle d’ une hallucination est un essai de capitonnage directement par le réel , le symbolique étant court-circuité .