A la recherche de l’enfant perdu.

25 novembre 2014.

le Mans, Séminaire « Sans titre »


Je vais poursuivre cette année ma route, celle que j’avais commencé à tracer l’an dernier, à partir de mon questionnement autour d’une similitude, disons inversée, jamais repérée, me semble-t-il, comme telle, entre deux personnages, artistes chacun à leur façon, psychotiques sans aucun doute, James Joyce et Vincent Van Gogh. Avec ces deux sujets se profile la question du sinthome, ouverte par Lacan à propos de l’un d’eux, Joyce. C’est sur celui-ci que je poursuivrai encore cette année en m’appuyant, plus particulièrement sur ma lecture d’Ulysses .1)

James Joyce (2 février 1882 – 13 janvier 1941) est donc un écrivain irlandais né à Dublin, de langue anglaise. Il est issu, versant paternel, d’un milieu de gentleman qui vit de ses rentes dont son grand-père s’est s’appliqué et son père à sa suite, avec beaucoup de zèle, à dilapider les biens dont ils sont les héritiers. Joyce dès l’âge de 12 ans n’aura, dans ce registre, plus rien à hériter. La notion de travail au service d’un autre leur semble étrangère voire celle du travail tout court pour gagner sa croûte, comme on dit populairement parlant. Stanislaus Joyce, frère cadet de James, dans Le gardien de mon frère (GDMF), p 82, 2), avec l’humour sarcastique, sardonique, qui est le sien, dit de son père : Il était toujours à la recherche d’un emploi devant convenir, bien sûr, à un homme qui ne voudrait pas travailler. Des dires de ce genre foisonnent dans tout son ouvrage, quand il s’agit du père en particulier. De cela Joyce se fera l’héritier même s’il s’applique avec jubilation à un autre genre de travail, celui de l’écriture, non pas au service de l’Autre mais contre l’Autre.

Il est le contemporain d’un écrivain anglais Adeline Virginia Alexandra Stephen, mariée en 1912 avec celui qu’elle avait surnommé : le juif sans le sous, Léonard Woolf. Elle est connue sous le nom de Virginia Woolf (25 janvier 1882 – 28 mars 1941). Elle est à l’origine du bloomsbury group, avec quelques autres, dont sa sœur Vanessa, artiste peintre, où figure aussi une certaine Mary dit Moll. Le Bloomsbury est un groupe très fermé qui réunit à Londres des intellectuels et artistes au tout début du 20ième siècle. Il est plus que probable que Joyce en connaissait l’existence avant même que de l’édition d’Ulysses il fut question, ou alors il y a une sacrée coïncidence, ce que vous mettrez entre de gros guillemets (to bury voulant dire enterrer).

Pour l’instant, très très rapidement pour mémoire : Ulysses se déroule la journée du 16 juin 1904, jour de la « rencontre » de Joyce avec Nora. Léopold Bloom est le nom d’un des deux personnages principaux du roman, âgé alors de 38 ans. Son père était un juif venant de Hongrie, émigré, en passant par l’Angleterre, en Irlande. Il se convertit au protestantisme. Par amour de sa femme ? L’histoire ne le dit pas. Léopold Bloom, Dublinois, se convertit lui au catholicisme et épouse une catholique, Marion dit Molly. L’autre personnage est le jeune étudiant Stephen Dédalus, irlandais catholique, âgé alors de 22 ans, celui mis en scène dans le roman qui le précède Le portrait de l’Artiste en jeune homme 3). Il est revenu de Paris où il était sensé faire des études en SPCN (sciences physiques, chimiques et naturelles) car sa mère était mourante. Quand commence le roman elle est morte il y a moins d’un an (13 août 1903). En référence à l’Odyssée d’Homère, Bloom pourrait être identifié à Ulysse et Stephen Dédalus à Télémaque mais sous la forme, chère à Joyce, celle « d’anti-héros ». « Je ne suis pas un héros » dit Stephen Dédalus dans Ulysses qui ouvre cependant  la question de savoir si n’être pas un héros c’est être un anti-héros.

Cette quasi gémellité de ces deux auteurs (Joyce et Woolf), en lien avec leur date de naissance qui va jusqu’à celle de leur mort et de leur destin d’écrivain, n’aurait pas échappé à un James Joyce. S’il revenait d’entre les morts, il y verrait sans aucun doute un signe. Signe de quoi ? Lui seul serait capable de nous le dire mais laissons le maintenant reposer en paix. S’il le peut ! Comme analyste, lui ne nous laisse pas encore en paix, ce qui ne serait pas sans le réjouir, pour ce faire Lacan s’en est occupé. Ajoutons, qu’en ce qui me concerne, n’étant pas initialement de formation que je dirais noblement littéraire, de Joyce je n’avais jamais entendu parler et a fortiori rien lu, avant que je m’intéresse à la psychanalyse et, avouons-le, pas plus que de Virginia Woolf. Bénéfices secondaires de la psychanalyse un peu plus de dite culture dans mon escarcelle !

Ce que je repère prosaïquement pour l’heure c’est que leur art d’écrire ne leur a pas donné à l’un et à l’autre une longévité de vie différente puisque elle est strictement la même (59 ans) et l’on peut dire que, chacun à leur manière, ils y ont mis  du leur pour l’abréger.

L’un mène une vie de patachon, vie d’exil et d’errance bien arrosée à défaut d’être argentée, pour qu’elle ne le soit pas Joyce s’en occupe, elle s’achève dans l’ombre de sa quasi cécité à l’hôpital de Zurich à la suite d’une perforation duodénale, l’autre mène une vie sédentaire bien rangée mise à l’abri de tous « risques » par son mari, dont celui que lui ferait courir la sexualité potentiellement porteuse de plaisir et d’enfantement, elle s’achève par son suicide par noyade dans la rivière où, « voyante », elle s’avance après s’être mis des pierres dans les poches.

Deux humains dont le mode d’assujettissement à la structure peut être repéré comme maniaque pour l’un et mélancolique pour l’autre même si, chez l’un et chez l’autre, l’autre versant n’est pas absent. Ils sont d’une génération, disons celle de leur 20 ans, qui voit dans le monde occidental l’essor de l’industrialisation propre aux dits temps modernes 4), marqués du sceau d’un tout possible, en particulier si l’on met le cap à l’ouest 5) de l’Europe, l’Amérique, le Canada et surtout les USA où les dégâts du discours capitaliste qui y règne déjà en maître ne vont pas être longs à s’afficher, même s’il reste encore l’eldorado, celui des irlandais en particulier. Joyce ne mettra pas le cap à l’Ouest mais plutôt à l’Est pour « s’éldoradoïser » à sa manière.

Lacan remarque dans son séminaire Le sinthome que, dans Ulysses, Bloom fait se lever le soleil au Nord-Ouest derrière la banque à Dublin, humour juif qui le réjouit. On peut penser que Joyce n’est peut-être pas sans savoir que ce sera l’un des signes  de la fin des temps quand le soleil se lèvera à l’Ouest, ici en référence à l’Islam ou, plus laïquement, la promesse d’un rendez-vous sur lequel il ne faut pas compter, rendez-vous manqué d’avance, en référence à une expression populaire qui dit : tu peux compter là-dessus quand le soleil se lèvera à l’Ouest ! C’est-à-dire jamais. Le Nord-Ouest du lever du soleil vient redoubler ici le jamais, le marquant du sceau de l’impossible. J’ y verrais quant à moi un trait d’humour à la manière de Joyce que je dirais être au troisième degré, c’est-à-dire dont on n’est jamais sûr que l’interprétation qu’on en fait soit la bonne, celle qui nous ferait franchement rire, il nous manque toujours une donnée voire il y a en a trop pour s’arrêter à une seule, ce qui finit par agacer notre rire. Deux interprétations, entre autre, ici sont possibles, une qui dirait que du côté de la banque de Dublin il n’y a rien à attendre pour lui, jamais-jamais, mais aussi que la fin des temps n’existe pas. L’avenir dure longtemps dirait Althusser.

Virginia Woolf, elle, appartient à un milieu bourgeois aisé qui vit de son travail et la laisse sans soucis d’argent après la mort de ses parents, milieux culturellement favorisé. Elle ne bougera pas d’Angleterre, on peut dire que pour elle le soleil se lève bien à l’Est derrière sa banque, qu’elle soit de monnaie ou de livres, entendez ici ceux qui se trouvent dans la bibliothèque du père. Mais, pour faire de l’humour à la Joyce, ne peut-on pas dire que d’origine le soleil s’est levé au Nord-Ouest derrière sa banque subjective ? Comme pour Joyce d’ailleurs.

Celui-ci remplit sa banque subjective d’objets, que je dirais de pacotille, l’issue de son savoir venant des livres de son Est (Sud voire Nord-Est), livres savants sans doute à l’origine de sa culture gréco-latine forgée chez les jésuites mais bien au-delà ou en deçà de celle-ci, de ceux issus d’un savoir où le populaire a grandement sa place via la presse voire la presse people et les bibliothèques municipales. Celles-ci n’ont pas le même contenu que la prestigieuse bibliothèque Sainte Geneviève du quartier latin, sanctuaire où je n’ai mis les pieds qu’une fois, en plein jour, si lui dit dans Ulysses y avoir passé toutes ses nuits (ouverte spécialement la nuit pour lui ?) l’année qu’il passa à Paris à 20 ans. Ma culture, gréco-latine, gréco en particulier, relevant du minimum syndical, ce n’est pas a priori de ce côté-là que j’ai été voir, pour Ulysses plus précisément, de beaucoup plus savants que moi l’on fait. J’ai été voir du côté du populaire dans lequel j’ai plus de racines même si, particulièrement «bien élevée » catholiquement parlant, comme Joyce, j’avais quelques repères que beaucoup de « mal élevés » d’aujourd’hui n’auront pas. Mais, revers de la médaille, en ce qui concerne l’ésotérisme mon savoir c’est révélé bien pâle. Pas catholique du tout ce genre de savoir même si quelques bribes ont franchies la barrière de l’interdit – difficile d’y échapper en basse Normandie – quant à celui qui relève de la littérature qui se vendait sous le manteau n’en parlons même pas. Par contre ce qui relève d’un savoir plus scientifique les repères ne me manquaient pas même si du côté de la médecine, la botanique, de l’astrologie je n’étais pas très au point. Joyce, lui, dévalise 6) dans toutes les disciplines, le contenu de tous les livres et ce en plusieurs langues, quels qu’ils soient, savants ou pas savants du tout, « catholiques » ou pas, comme il dévalise réellement les réserves monétaires des autres, qu’ils soient très riches ou pas riches du tout, pour en jouir. Peut-on dire sans compter ? A sa façon Joyce, par l’ intermédiaire de Bloom, compte beaucoup et nous fait aussi beaucoup compter si on veut tenter de le suivre, le problème étant juste de savoir en quelle « base » il compte !

On peut dire que pour ces deux sujets, Woolf et Joyce, approximativement contemporains  de mes grands-parents et pour nombre d’entre vous de vos arrière voire arrière-arrière-grands-parents, leur destins les inscrivent, par le biais de leurs œuvres voire de leur vie, d’une façon remarquable, comme précurseurs de l’époque que nous vivons aujourd’hui dite par certains post-moderne, nos contemporains avant l’heure.

Van Gogh (30 mars 1853 – 29 juillet 1890) les précède dans la génération, il est, quant à lui, de la même génération que Freud (6 mai 1856 – 23 septembre 1939) celle de la naissance des temps modernes qui a encore un pied boiteux dans le siècle dit des Lumières.

Van Gogh et Joyce donc. Je vous redis rapidement ce qui m’a frappé quand on parle de ces deux sujets et qui m’ avait fait titrer une ou deux de mes interventions de l’an dernier : deux frères moins un. Ce qui m’a frappé c’est la mise en avant pour Van Gogh de sa relation très particulière avec son frère cadet Théo et le poids que l’on donne au fait qu’il porte les mêmes prénoms qu’un frère premier-né mort qui, à un an près, à la même date de naissance que lui, alors que lorsque l’on se penche sur le cas Joyce on ne fait jamais état de choses semblables.

Or ce que l’on peut repérer chez James Joyce c’est la relation très particulière qu’il a eu aussi avec son frère cadet : John Stanislaus Joyce, (qui a les deux mêmes prénoms que le père) dont je vous ai un peu entretenu l’an dernier à la suite de ma lecture de deux ouvrages parus sous son deuxième prénom Stanislaus Joyce, celui-ci ayant choisi de gommer le prénom John. Ces ouvrages s’intitulent : My brother’s keeper (Le gardien de mon frère, GDMF) et Journal de Dublin 6). De ce Stanislaus je vous ai trop peu entretenu à mon goût, mais il faut que j’avance et je vous en reparlerai au fil de mon intervention. Par ailleurs, si l’on en croit celui-ci et l’un des biographes de Joyce, cité élogieusement par Lacan, Ellmann, dont Stanislaus est la principale source en ce qui concerne ce qui serait « le vrai » de l’enfance de Joyce, Joyce ne serait pas le premier-né de la famille, s’il est l’aîné des enfants restés vivants. Mais c’est comme premier-né qu’il est dit être plusieurs fois, par Stanislaus lui-même dans GDMF et par Joyce, par la voix de Bloom, dans Ulysses, quand il se présente sous les traits de Stephen Dédalus. De façon très surprenante Stanislaus récusera dans GDMF que Stephen Dédalus dans Ulysses soit James Joyce et dira qu’il s’agit plutôt de leur père !

Alors ce dit premier-né sous la plume de James Joyce et de Stanislaus est-ce un lapsus ? N’ouvre-t-il pas la question du premier-né que nous serions tous quelle que soit la fratrie à laquelle nous appartenons où, dans un certain registre, il s’agirait alors d’absence de fratrie ? Ce serait une autre façon d’introduire la question du sinthome en faisant de ce premier-né que nous serions un enfant unique, unique en son genre, né d’une femme particulière tout aussi unique et qui ouvre à un au-delà de la question du père et, précisons-le à nouveau, non à un en de ça. Pour le dire autrement, ce dit premier-né n’appartiendrait à aucune lignée ni n’en engendrerait aucune, premier et dernier en même temps. Pour orienter la réponse on peut repérer que dans Journal de Dublin ce que met en avant Stanislaus c’est le fait que Jim, c’est la façon dont il nomme toujours son frère James qui est quasiment l’unique objet de son intérêt et de ces écrits, que Jim donc est vivant et c’est pour cela que tout le monde l’aime alors que lui qui voudrait tant être aimé ne l’est pas. Ne serait-il donc pas vivant ? Vivant on s’en doute n’est pas à entendre comme organiquement en vie.

Revenons donc à cet enfant premier-né des Joyce au regard de l’état civil. Ellmann écrit à son propos : le premier enfant, né en 1881, ne vécut pas. « Avec lui ma vie a été enterrée » aurait dit le père (interview d’Eva Joyce, en 1953 âgée alors de 62 ans). De cet enfant il était donc question à la maison. Avant ou après la mort de la mère ? La question restera sans réponse. Ellmann interprète à sa façon ce dire du père en ajoutant : mais il se consola avec une seconde naissance, celle de James donc. Mais on peut entendre aussi qu’avec lui sa « vie de garçon » fut enterrée, ce dont il ne se console pas, vie de garçon où ne pèse pas sur les épaules d’un homme la charge d’une famille dont il aurait à prendre soin, ce qui n’a pas le même sens et me semble plus conforme à ce qui se dessine comme figure du père au travers des écrits de Stanislaus et de James. A la suite de James naquirent quelques autres enfants, je dirais 9 +1. En effet le dernier-né est mort peu de temps après sa naissance à 11 ou 12 jours, cela dépend comment l’on compte. On peut le faire par exemple en tenant compte de l’heure de sa naissance et de sa mort. Ce dernier-né n’est pas compté dans la fratrie, comme le premier-né qu’il est allé rejoindre, mais avec cette différence c’est que du haut de ses 12 ans Joyce a vu ce dernier-né qui ne vécut que le temps d’un souffle. Certains associeront peut-être ceci avec le mot qui manque au début de Finnegans Wake et que l’on (re)trouve à la fin : The, c’est en tout cas l’objectif de mon utilisation du mot souffle. Donc la mère de Joyce, Mary Murray, mariée à 21 ans avec John Stanislaus Joyce qui en avait 31 et qui mourut à 44 ans d’un cancer, mis au monde 12 enfants, plus deux ou trois fausse-couches semble-t-il. Entre le premier-né et le dernier-né morts 10 sont restés en vie, espace ouvert sur le vivant entre sa première et dernière grossesse. L’un d’eux cependant, George, né un 4 juillet comme le père,  meurt  à 14 ans, Joyce a 20 ans. C’est après ce deuil, dont Stanislaus dit que la mère ne s’en remet pas, qu’il fuit l’Irlande pour être libre et part à Paris. Il donnera le nom de ce frère mort dans sa version italienne, à son premier fils (Georgio, qui lui nomma son fils Stephen). Ce qui se profile dans Ulysses, peut faire penser que de cette façon George n’est pas tout à fait mort mais… Stanislaus, qui attribue 17 grossesses à sa mère, traite l’affaire tout à fait différemment. Je vous laisse juge, en effet dans GDMF (p. 73) il écrit : le principe tacite des familles patriarcales étant qu’il faut laisser une grande marge pour les pertes : survivent les plus résistants et ceux que le sort favorise. Le moins que l’on puisse dire c’est que ce n’est pas James joycien ! Mais il nommera son fils, né après la mort de James, James. Pour que le sort le favorise ? Il dit ce qui précède alors qu’il signale la mort du dernier-né. En ce qui concerne le premier il dit juste : mon frère (James) n’était pas le premier-né – celui-ci, un garçon, mourut tout petit – mais c’était l’aîné de la famille et il était beau et intelligent (p. 28). Il dira plus loin aussi l’amour de son père pour les petits enfants. Mais aimer les petits enfants est-ce pour autant être Un père ? Les deux frères témoignent, chacun à leur manière, que non.

C’est donc armée de cette seule information que je suis partie à la recherche de ce garçon premier-né mort tout petit, de son prénom et de sa date de naissance.

La première chose que j’ai faite, vous vous en doutez peut être, c’est de chercher un arbre généalogique de James Joyce. Naïvement je pensais trouver quelque chose qui ressemblerait au magnifique arbre généalogique d’un Vincent Van Gogh voire celui d’un Schreber. Mais dans ce registre l’Irlande ce n’est ni la Hollande ni l’Allemagne, du côté de quelque chose qui serait un minimum rigoureux, fiable et lisible on repassera. Après avoir surfé pas mal sur internet, je n’avais donc que ces dires de Stanislaus et d’Ellmann, ainsi qu’un site en anglais imbuvable, avec lesquels j’ai donc fait le mieux que je pouvais, la saison dernière, un premier arbre généalogique, sans que rien ne me soit révéler de ce qui faisait l’objet de ma recherche. (Pour ne pas patauger dans ce qui va suivre munissez-vous de cet arbre généalogique I).

Mais j’ai relevé quand même au passage quelques incohérences et choses surprenantes dans ce que rapporte Ellmann, par la voix de Stanislaus qui s’appuyait peut être sur les contes du père ou sur ses propres arrangements avec l’histoire familiale voire ceux de Joyce lui-même qui commença à faire faire sa biographie de son vivant, supervisée par ses soins, projet qui avorta semble-t-il. Il y a d’une part le fait que le père de Joyce fut nommé John et non James comme son père (grand-père de Joyce) à cause de l’ébriété de l’employé de l’état civil qui se trompa, rompant ainsi le tradition où tous les premiers-nés s’appelaient James – une tradition pas très ancienne si l’arrière-grand-père de ce père s’appelait George ! – alors qu’il dit plus loin que le père de Joyce fut appelé John comme son grand-père maternel, John O’Connell. Par ailleurs il note l’association dans les affaires de l’arrière-grand-père de Joyce avec son fils sous l’appellation : James Joice and son,le i grec, comme s’amuse à l’écrire Joyce, se transforme en i, perdant ainsi son hellénisme ! Cette association du père et du fils a lieu après la vente en 1842 des salines et pierres de chaux dont il était copropriétaire avec un autre. A cette date le grand-père de Joyce aurait alors 15 ans, s’il est né en 1827. Ce qui m’a semblé plutôt jeune ! Ils firent faillite en 1852, ce grand -père aurait alors 25 ans… Ajoutons que les Joyce sont pléthore dans toute l’Irlande et dans la région de Cork d’où s’origine le père de Joyce et savoir de quelle lignée de Joyce il s’origine ne semble pas simple si ce n’est impossible. Il semblerait que les Joyce seraient issus de normands débarqués en Irlande à Galway au 13ième siècle, devenus plus irlandais que les irlandais « de souche » ! Quant au seul George Joyce que j’ai trouvé qui aurait eu des enfants, il vit à Londres au 17ième siècle, protestant sans doute, il était au service de Cromwell. Pas inintéressant son histoire, mais je passe, je vous signale juste qu’il est supposé être le bourreau masqué du roi Charles1 et vit à l’époque des Trois mousquetaires, qui étaient 4, mis en scène par Alexandre Dumas, père, et de sa suite : Vingt ans après. Si je vous le signale c’est que ma culture populaire m’a fait repérer plus d’un clin d’œil dans Ulysses aux héros et héroïnes d’Alexandre Dumas dont le nom est par ailleurs cité dans Ulysses. Quoiqu’il en soit ce que dit l’Histoire avec un grand H, ce cauchemar dira Stephen Dédalus, c’est que les Joyce sont des descendants d‘étrangers à l’Irlande ce qui ne semble pas avoir échappé à Joyce. Bloom sera dit être un étranger par certains dublinois. Alors s’il fallait une morale à l’histoire qui s’appliquerait à nous même, ne pourrions-nous pas nous poser la question : ne sommes-nous pas tous, français de souche, du moins qui le croyons, fils ou filles d’étrangers ? C’est ce que nous dit Shem, le pen man de Finnegans Wake, bye bye Marine.

Continuons encore un peu cependant, mais ce qui va suivre je vous le donne avec des pincettes même si c’est très troublant et permettrait de comprendre à partir de quels éléments de « réalité » Joyce branche ce que j’appellerais volontiers son délire, vous comprendrez pourquoi j’espère par la suite. En effet il y a peu de temps, alors que j’avais déjà pas mal cogité à mon affaire, j’ ai repris mon investigation sur internet et je suis tombée sur un site dont la prétention est de faire l’arbre généalogique de la terre entière, dont il m’est impossible de savoir s’il est fiable dans ce qu’il avance en ce qui concerne les ascendants de Joyce. II).

En dehors du fait que l’arrière-grand-père de Joyce s’appellerait John et non James, John étant par ailleurs bien le prénom qui est donné à son arrière-grand-père dans le Portrait par Joyce (John Stephen Dédalus p. 155 Foli), ce qui est très troublant, vous le repérez sans doute c’est que le grand-père de Joyce serait né en 1811 et non en 1827. Il lui manquerait donc 16 ans de vie dans le premier arbre généalogique, ce qui correspond à la différence d’âge de Léopold Bloom et de Stephen Dédalus dans Ulysses, Bloom que Joyce fait naître l’année où meurt son grand-père en 1866. (coïncidences ?). Cela mettrait HS l’histoire racontée par Ellmann qui dit que ce grand-père fut marié à 21 ans, pour l’assagir, à une femme de 11 ans son aînée, sortie du couvent, mariage qui renfloue ses caisses (comme est sortie du couvent la Milady de Winter d’Alexandre Dumas ce que, dans Vingt après, révèle en état éthylique son (ex) mari, Athos ! Athos : nom du chien du père de Bloom dont celui-ci lui demande de prendre soin de lui après sa mort. Et « c’est pas fini », ici en référence à la pub qui sévit sur nos écrans, pour une banque je crois. Correction par l’auditoire c’est pour un iphone). Ici sa grand-mère aurait 5 ans de moins que son grand-père qui a 55 ans et non 39 ans à sa mort. Très très troublant aussi, dans cette généalogie, le fait qu’y figure un James Joyce, qui serait donc le frère premier-né du père de Joyce, mort sans doute en bas-âge, et qui serait né 4 mois après le mariage de ses parents… si on compte sur ses doigts, comme le fait Molly ce dont Bloom se moque, il en manque 5 pour faire 9.

J’ai relu, avec ceci en tête, ce passage relevé par Lacan dans Le portrait de l’Artiste en jeune homme (page 148-156 folio) où le père emmène avec lui Stephen (James) à Cork pour la vente des derniers biens de famille (févr. 1894), il a tout juste 12 ans mais depuis un an la déchéance financière du foyer s’affiche au grand jour. Avec elle s’effondre aussi une certaine image du père dont il dit dans ce passage qu‘il lui fait honte. Ce père lui fait visiter, entre autre, l’université, dite le collège de la reine (Queen’s college), où il est sensé avoir commencé des études de médecine. Quels sont les diplômes du père ? Celui-ci racontait qu’ils étaient, avec un dentier, dans une valise qui lui fut volée. Un dentier ! Il ne manque pas d’humour ce père, Stanislaus en témoigne. Comme preuve cette histoire racontée jusqu’à plus soif par le père, sensé être alors collecteur des impôts : apostrophé par un homme pour avoir mis 2L à son nom qui n’en a qu’un, il lui demande lequel des deux il doit enlever. Donc lors de cette visite sur l’un des pupitres de l’amphithéâtre Joyce voit écrit le mot fœtus, gravé en plusieurs endroits et sur un autre les initiales de son père que celui cherche, trouve à l’aide du portier et lui montre. JJ ? Joyce ne le précise pas. Si tel est le cas ce sont les mêmes que les siennes mais aussi celles de son frère cadet. Ou alors est-ce JSJ ? Ce qui renverrait alors au seul Stanislaus qui a les mêmes deux prénoms que son père. Au début de sa rencontre avec Nora, parmi les différentes signatures qu’il utilise pour signer ses lettres il y a  JAJ, avant qu’il choisisse de signer Jim, et dans Portrait de l’artiste qui précède le Portrait de l’Artiste en jeune homme il signe Jas A Joyce. où il fait chuter le me de James. L’usage de la lettre du deuxième prénom en plus de la première pour écrire ses initiales était-elle courante ? Ce n’est pas exclu mais rien ne vient le dire. Donc ? Mais il commente plus loin « Ces lettres gravées (fœtus ou initiales ? On ne le sait pas) semblait le regarder fixement. Je vous passe pour l’heure ce que lui raconte alors le père de son propre père. Cette visite le met en quasi état de dépersonnalisation où il est obligé de répéter « Je suis Stephen Dédalus. Je marche à côté de mon père, etc. » il continu quelques lignes plus loin « Il se souvient qu’il avait rêvé qu’il était mort… Il n’était pas mort, mais il s’était effacé, comme sur une plaque photographique au soleil. Il s’était perdu, il était sorti de l’existence, puisqu’il n’existait plus…oublié quelque part dans l’univers ! C’était étrange de voir son petit corps reparaître un instant : un petit garçon avec un complet gris à ceinture. Les mains dans les poches…». Cette visite guidée par le portier des lieux ressemble étrangement à la visite d’un cimetière, qui n’est pas sans faire écho à celle de Bloom dans Ulysses. Sont évoqués des étudiants qu’a connu le père, dont nombre sont morts alors que le père n’a à ce moment-là que 44 ans. Ce serait une vraie hécatombe chez ces collègues ! Si Stanislaus raconte que Jim avait horreur des cimetières et n’y mettait jamais les pieds on peut se demander pourquoi. Le collège de la reine ne serait-il pas le cimetière de Cork où sont enterrés les parents de son père et les pupitres des pierres tombales où Joyce a lu gravé quelque chose qui ne correspond pas à que ce raconte le père et sur l’une d’elles le nom d’un James Joyce, premier-né mort, fœtus, James Joyce ? Mais encore, qui serait la reine de ce collège ? La reine Victoria (24 mai 1819-22 janvier 1901) qui fit construire l’université ou la reine morte, celle qui règne après sa mort, sa grand-mère paternelle enterrée dans ce cimetière ? Non pas en référence à la pièce de Montherlant (1942) ce qui serait un anachronisme – Joyce n’a pas pu la lire avant d’écrire le Portrait et Ulysses – mais en référence à celle dont elle est inspirée Reinar después de morir (Régner après sa mort), de Luis Velez de Guevara. Qu’il ait lu cet auteur semble très probable. Dans Ulysses, l’Espagne est présente par le biais de Molly Bloom. Quant à ce qu’il fait de l’histoire d’Inès de Castro, c’est une autre histoire ! Cette grand-mère paternelle, Joyce ne l’a pas connue puisqu’elle est morte avant sa naissance (comme sa grand-mère maternelle) et a quitté Dublin après le mariage des parents auquel elle était opposée, son père faisant avec Mary Murray un mariage qui n’était pas de son rang. C’est ce que raconte Stanislaus. Laissons ces questions ouvertes…

Petit détail savoureux, que m’a fait remarquer Emmanuel, c’est que dans cet arbre généalogique le deuxième prénom de Stanislaus, version anglaise de Stanislas, est orthographié Stanislaw, version polonaise m’a dit Jacques Podlejski. Le préposé de l’état civil était-il sous l’effet de la dive bouteille ou devrais-je dire avait-il bu comme un polonais, qui écrit law, loi, au lieu de laus ? Loi de Stani -Stani ou Stannie ?? est l’un de ses surnoms, semble-t-il. Ou alors était-il devin qui énonce par avance le destin de celui qui était surnommé jeune homme frère John au regard de son côté moralisateur et rabat joie, ceci en référence à l’école qu’il fréquentait tenue par les frères des écoles chrétiennes, n’ayant pas eu quant à lui le loisir de fréquenter celles des pères jésuites comme Jim. Faire respecter la (sa) Loi, aussi bien celle qui concerne un certain mode de se conduire que d’écrire, il a la certitude que c’est la mission dont il a la charge auprès de James. « Mon influence sur lui, qui était parfois très forte, s’exerça toujours volontairement dans le sens des sentiers battus, car je sentais qu’il ne fallait pas s’en écarter trop aisément. » (GDMF p. 130). Gardien de la Loi, les sentiers battus, Gardien de mon frère. Ce titre n’est pas sans évoquer, Stanislaus le dit à mots couverts dès la première page de GDMF, la réponse de Caïn à Dieu qui lui demande, alors qu’il vient de tuer Abel : « Qu’as-tu fait de ton frère ? » et qui répond à Dieu: « Je ne suis pas le gardien de mon frère ». Lui l’est, c’est du moins de cette façon qu’il répondra à la question qu’il se pose à 18 ans dans Journal de Dublin : Qu’elle est l’ambition du valet du héros ? Le valet c’est lui, le héros son artiste de frère, ce génie dira-t-il, dans l’ombre duquel il vit, qui a ses yeux à ce moment-là est en train de gâcher son talent et mène une vie de débauche. Quant à lui il dit être alors un raté. Avoir la certitude d’avoir une mission sera sans doute sa façon de sortir du ratage, de se forger un être qui le rendra tout aimable, à cette condition : celle d’être le gardien de son frère. Mais Joyce ne se garde pas facilement et entends se passer de chien de garde, d’autant plus qu’il a la « phobie » des chiens, ces bâtards. Bâtard c’est ainsi qu’il nomme le chien qui l’effraie, se moquant de sa peur, dans Ulysses où de chiens il est beaucoup question. Je reviendrai sur ce point autrement et revenons à nos moutons. Mais retenons que cet arbre généalogique fait, entre autre, sortir du placard un James Joyce inconnu au bataillon, peut-être un bâtard. Quelle que soit sa fiabilité, sa trouvaille dans l’après-coup de ma lecture d’Ulysses et qui m’a fait en relire quelques passages, s’il peut l’éclairer sous un autre angle, ne résout pas ma question initiale, celle du frère premier-né des frères Joyce.

Avant celle-ci je m’étais dit si ce garçon premier-né, mort tout petit, a une importance quelconque pour Joyce je vais en retrouver des traces dans ses écrits, ceux-ci ayant tous un point d’accroche avec son vécu, ce qu’on appelle un élément de réalité, comme c’est aussi souvent le cas avec les rêves, remarquons-le. Si Stanislaus dit de l’œuvre de son frère : ce n’est pas une autobiographie. C’est une création littéraire. (38) comme si l’un excluait radicalement l’autre et que pour ce qu’il en est de la vérité en ce qui concerne James lui seul la sait et peut la restituer, Joyce lui dit dans Ulysses que le faux est souvent plus vrai que le vrai. Pour reprendre sa façon de faire, on peut dire que ces romans sont une « faussevraie » autobiographie. Deux rapports à la vérité chez ces deux sujets fort différents mais où l’un comme l’autre sont sujets à caution car ils dénient chacune à leur façon ce qu’il en est de l’inconscient. Mais on peut dire aussi en suivant Lacan que les deux derniers romans de Joyce en particulier, Ulysses et Finnegans wake, seraient pour le dernier le rêve lui-même, ce que dit Lacan, Ulysses serait alors, là c’est moi qui le dit, le récit du rêve qu’en fait le rêveur, soit déjà une première interprétation du rêve lui-même. Que Joyce commence à l’envers, c’est-à-dire fasse le récit du rêve avant de faire le rêve, c’est le style du bonhomme, ajoutons : s’il s’agissait d’un rêve, même si, c’est là où se porte notre intérêt psychanalytique sur son œuvre, il en dévoile la structure. Il y aurait là une mise à ciel ouvert de l’inconscient. Mais un inconscient à ciel ouvert ce n’est pas l’inconscient. Un inconscient à ciel ouvert, (terme de Freud au sujet du cas Christoph Haitzman, une névrose diabolique au XVII siècle) fait fit du refoulement engendré par le rapport du sujet à la castration et convoque le pulsionnel alors que l’inconscient à proprement parler a pour fonction de protéger le sujet de son émergence. Stanislaus, qui a la prétention d’assainir ses (mes) instincts par la raison (Journal de Dublin p. 84), lui dénie réellement le pulsionnel alors que Joyce le convoque déniant réellement la raison. Ne pourrait-on pas dire que dénier réellement renvoie à une forclusion ? En ce qui concerne Joyce c’est, me semble-t-il, ce qui fait dire à Lacan qu’il est désabonné de l’inconscient, ce qui n’est pas loin d’être le cas de ce que met en jeu le discours capitaliste, que j’ai appelé ailleurs discours de l’ignorance. Avec une nuance qui a tout son poids, si dans le DC le signifiant maître, S1, est masqué c’est sa présence qui permet au discours de tourner, même si c’est en rond, voire qui permet de changer de discours dans le registre des passions, dont j’ai tenté d’en dire quelques petites choses il y a quelques années. Est-ce le cas pour Joyce ? S’il est capable de déchaîner des passions, il n’est pas me semble-t-il un homme de passions mais un homme de pulsions, du tout pulsionnel. Ce qui ouvre la question de savoir ce qu’il en est pour lui de ce S1. Ne serait-il pas absent ? On peut dire la même chose inversée pour Stanislaus où pour lui ce qui est en jeu serait ce que j’ai appelé, dans le registre des passions, le discours de l’amour mais où serait absent et non masqué, l’objet a, celui mis en jeu dans le fantasme du névrosé, qui fait de lui un homme de signifiants, un homme du tout signifiant.

Discours de l'amourDiscours de l'ignorance-capitaliste

En ce qui concerne ma recherche donc, rien à ma souvenance dans Le portrait, ni dans les gens de Dublin que j’avais lu, allons donc voir dans Ulysses, vous avez déjà des traces dans ce qui précède que j’ y ai mis le nez.

Si comme tout un chacun, lacanien qui se respecte du moins, j’avais « nageoté » à la surface de ce texte sans jamais arriver, malgré mes trois ou quatre héroïques tentatives, à accrocher mon attention à ce roman sans intrigue, dans lequel je n’arrivais pas à me repérer et écrit d’une façon si singulière qu’il me chutait des mains (18 points de vue en 18 « styles » différents, pour ne citer que ça !), c’est en partant à la recherche de cet enfant perdu que j’ai pu faire un grand plongeon dans Ulysses. Et je n’ai pas été déçue du voyage, même si, je vous le dis tout de suite, je ne jurerais pas avoir trouvé une réponse à ma question. Si j’ai ma petite idée sur la chose elle est absolument invérifiable, si ce n’est à faire un tour au cimetière de Dublin et encore !

Ulysses donc. Heureusement que j’avais ce texte à écrire pour vous ce soir car j’y serais peut-être encore, et il était temps que je remonte à la surface pour regagner le rivage et reprendre ma respiration après ces quelques mois d’immersion dans ce sous-marin torpille qu’est Ulysse où, me dispensant de lectures le commentant si ce n’est celle de Lacan, armée quand même d’internet qui m’a servi de « bibliothèque », j’ai tenté de trouver quelques repérages, à ma mesure. Si Joyce, par la voix de Bloom, se fait le précurseur d’inventions qui dans Ulysse peuvent être drôles, mais qui seront, pour certaines, le cauchemar de la deuxième moitié du 20ième siècle, (les chambres à gaz par exemple) parmi celles-ci internet n’y figure pas comme tel. A la place des surfeurs que nous sommes devenus ce sont les rats de bibliothèque qui y sont convoqués. Mais ce qui est remarquable et qui m’a particulièrement frappée c’est que le signifiant réseaux propre à notre époque et dont internet est l’outil, c’est ce signifiant réseaux qui convient aussi pour dire le dédale dans lequel on erre dans Ulysses comme on peut errer sans fin sur internet, sans fil d’Ariane pour en sortir voire y entrer ou pour le dire autrement sans signifiant maître pour nous guider. On peut dire aussi que de signifiants maîtres il y en a une multitude ce qui est la façon joycienne de le tourner en dérision et que par ailleurs il masque aussi à sa façon, ce qui fait que finalement on ne sait plus où donnait de la tête si ce n’est à faire ce que il nous conseille de faire, ne pas le prendre au sérieux. Il s’est souvent bien amusé parait-il en écrivant Ulysses tâchons donc d’en faire autant en le lisant, ce qu’il m’est arrivé de faire. Quand un nom (cf. Dalton par exemple), un mot me faisait associer sur quelque chose, je me disais il n’a quand même pas fait ça, vérification sur internet, mais si il l’a fait ! Et là éclat de rire. Mais, comme disait la voisine de ma grand-mère que son mari battait : un peu ça va mais par trop c’est quand même par trop ! Cela finit quand même par être lassant et, question : peut-on rire de tout ? Et doit-on entièrement le croire quand il dit : L’ennui c’est que le public va demander et trouver une morale dans mon livre, ou pire il le prendra pour une chose sérieuse, et sur mon honneur de gentleman, il n’y a pas un seul mot sérieux dedans Je dois dire que l’honneur de gentleman de Joyce je n’y crois pas vraiment. Quant au : pas un seul mot sérieux… Il y en a quelques-uns de sérieux, me semble-t-il, et sur lesquels je reviendrai.

Heureusement aussi qu’Emmanuel était là pour m’accompagner dans ma lecture d’Ulysses. Avec lui j’ai pu partager ce que j’apprenais, découvrais mais aussi la jubilation, tout à fait inattendue, dans laquelle ce texte me plongeait. J’aurais été plus que sceptique si l’on m’avait dit qu’un jour cela m’arriverait. Coïncidence me disait-il parfois face à l’une de mes trouvailles. Coïncidence ou intuition se demande Bloom, vers la fin du livre, lors du son auto-questionnaire catéchétique. Coïncidence dit-il, mais allez savoir ! Remarquons qu’il se pose cette question à propos de l’homonymie entre ce que Stephen s’imagine en train de lire, solitaire, après avoir brûlé un papier  écrit par une jeune fille dans tous ses états,  qui ne l’a pas vu et a quitté la pièce : Queen’s Hotel, Queen’s Hotel, Queen’s Hotel, Queen’s Ho...et le nom de l’hôtel où son père c’est suicidé : le Queen’s Hotel… Queen’s Hotel,  Queen’s college. Il nous a prévenu peu avant, mine de rien, alors que Bloom a des réminiscences de coïncidences que celles-ci sont : vérité plus étrange que la fiction, préindicatives... Il y aurait donc une vérité  en attente dans une coïncidence. Pas de hasard donc. Bienvenue dans le monde joycien.

Donc si il y a une leçon a tiré à ce jour de mon expérience c’est que l’on ne peut rentrer dans ce texte qu’à l’ombre d’une question et je dirais que, d’une certaine façon, il en va de même avec les écrits de Lacan même si parfois, voire le plus souvent, sa question on l’ignore. Sauf que, c’est sans doute la grande différence, c’est que Lacan ne cherche pas à faire jouir son lecteur si c’est l’objectif vers lequel tend Joyce, celui de jouir de nous faire jouir jusqu’à ce que nous disions assez et passions à autre chose, c’est là où il échouerait dans le registre de la perversion si ce n’est à se poser pour lui la question de la sublimation. Lacan cherche, à sa façon, dans un style qui est le sien, à instruire son lecteur en partageant avec lui ses trouvailles où s’inscrit un « tu peux savoir » au début de son enseignement suivi d’un mais « pas tout » par la suite, Joyce non. Il tend un piège à son lecteur en le sachant, celui-ci serait de l’ordre de « cherchez et vous ne trouverez pas » ce qui n’est pas évangélique du tout mais enseignant, analytiquement parlant.


1) Publié en anglais dans un premier temps sous forme de feuilleton dans le magazine américain The little Rewiew entre mars 1918 et déc.1920, avant d’être publié dans son intégralité le 2 février 1922 à Paris. Première traduction en français 1926. Écrit à Triestre-Zurich-Paris 1914-1921. Je conserverai le s de Ulysses qui « consonne » en anglais.

2) Brother’s keeper, Le gardien de mon frère, de Stanislaus Joyce paru en 1958 en anglais après la mort de son auteur et en 1966 en français.

3) Commencé à Dublin en 1904, le 7-1-1904 date de son « auto-préface » signé Jas. A. Joyce, après la mort de sa mère et fini à Trieste 1914. Première parution en anglais le 29 déc. 1916 et1943 en français. Son recueil de nouvelles Dubliners, Les gens de Dublin, est paru en 1914.

4) Cf.Le film de Chaplin1 (6 avril 1889 – 25 décembre 1977) Modern times, Les temps modernes, sorti en1936. Joyce ne l’a pas vu avant d’écrire Ulysses mais Making a Living (Pour gagner sa vie) est sorti le 2 février 1914. C’est le premier film où apparaît Charlie Chaplin. Kid Auto Races at Venice, (Charlot est content de lui) sorti le 7 février 1914, est le film où apparaît le personnage de Charlot pour la première fois. Charlot : chapeau et canne… comme Stephen Dédalus dans Ulysses… voir aussi les personnages de Laurel et Hardy, couple qui apparaît dans Lucky dog (le veinard) en 1921. Si je ne me trompe, Il y a un clin d’œil à ce couple dans Ulysses (Bloom et Stephen Dédalus). Joyce est amateur de cinéma et certains passages d’Ulysses ressemblent à un scénario de film. Il a eu le projet, avorté, d’exploiter une salle de cinéma à Dublin.

5) Terme de Bloom dans Ulysses. Je mettrai dans la suite de ce texte en italique ce qui relève d’emprunts signifiants aux écrits de Joyce.

6) J’ai choisi ce terme en référence aux frères Dalton. Mais oui mais oui. Emmett, le plus jeune des frères Dalton fut l’unique survivant de l’attaque des banques de Coffeyville, le 5 octobre 1892. Condamné à la prison à perpétuité, il sera néanmoins libéré en 1907, au terme de quatorze ans d’emprisonnement. En 1918 il publie, Beyond the law (Au-delà de la loi), récit autobiographique qui retrace l’histoire du gang. Il est également l’auteur de «When the Daltons rode» (1931). Le premier Joyce l’a lu ou alors il y a une sacrée coïncidence. Je vous renvoie donc à ce rade de Dublin nommé coffeyville où Joyce situe une scène d’Ulysses !

7) The Dublin diary of Stanislaus Joyce, paru en 1962 en anglais, 1967 en français Journal de Dublin. Ce journal, qui n’avait pas comme vocation d’être publié, commence peu de temps après la mort de sa mère, il a 18 ans et demi. De la première partie de ce journal nous sommes privés. Voilà ce qu’il en dit dans Journal de Dublin : Lorsque j’ai commencé à écrire mon journal il (James) m’a dit que je ne saurais jamais écrire en prose et que mon journal était inintéressant sauf quand je parle de lui (c’était d’ailleurs le journal de sa vie…). J’ai brûlé ce journal en holocauste. Jim doit peut-être quelque chose de son aspect à ce miroir perpétuellement tenu devant lui. J’imagine qu’il s’est servi de moi comme un boucher se sert d’un fusil à aiguiser pour affiler son couteau. Dans GDMF, il attribuera ce dire à James, qui par ailleurs le reprend d’une certaine façon dans Ulysses. Donc ce qu’il raconte de la jeunesse de l’Artiste à Ellmann et dans GDMF, il le fait de mémoire, qui a parfois des failles. Il fait se marier sa mère par exemple en 1890.


I / Arbre généalogie de James Joyce d’après Ellmann, Stanislaus Joyce et le site anglais : James Joyce: Genealogical Appendix – Ricorso

Arrière-arrière-grand-père de Joyce…
George Joyce (??-??) Il a :
Un fils unique, arrière-grand-père de Joyce
James Joyce (vers 1800 – vers 1855 ?) il a :
Un fils unique, grand-père de Joyce
James Augustine Joyce (1827 – 28 oct. 1866)  > marié le 29 févr. 1848 à Ellen O’ Connell (1816 – 1881)
Un fils unique, père de Joyce
John Stanislaus Joyce (4 juillet 1849 – 29 déc. 1931) > marié le 5 mai 1880 à Mary Jane Murray (12 mai 1859 – 13 aout 1903)

leurs enfants

1 – XXX enfant mort, qui ne vit que quelques jours dont on ignore le nom et la date de naissance…       1881
2 – James Augustina Aloysius 2 févr. 1882 – 13 janv. 1941
3 – Margaret Alice                       18 janv. 1884 – mars 1964
4 – John Stanislaus                 17 déc. 1884 – 16 juin 1955
5 – Charles, Patrick                    24 juil. 1886 – 18 janv. 1941
6 – George Alfred          4 juil. 1887 (88 ?) – 9 mars 1902, meurt à 14 ans
7 – Eilen Isabella                      22 févr. 1889 – 27 jan. 1963
8 – Mary Kathlein                          8 janv. 1890 – 1966
9 – Eva May                               26 oct. 1891 – nov. 1957
10 – Florence                               9 nov. 1892 – 1973
11 – Mabel Joséphine                27 nov. 1893 – 1911
12 – Frédérick                                18-30 juil. 1894


 II – Arbre généalogique « très troublant »de JOYCE sur le site :
http://www.geni.com/family-tree/index/6000000016866827614

Ancêtre ?????
Arrière grand-père de Joyce
John Joyce (??) > marié le 4 mars 1810 à Frances Flynn (??)
Un enfant, le Grand-père de Joyce
James Augustine Joyce 31 Janv. 1811 – 28oct. 1866 > marié le 29 fév. 1848 avec Ellen O’Connell( 1816 -1881)

Deux enfants
James Joyce 6 juil. 1848 -?
> Père de Joyce
John Stanislaus Joyce 4 juil. 1849-29 déc. 1931 > marié le 5 mai 1880 à Mary Jane Murray (12 mai 1859 -13 août1903)

Enfants des parents de Joyce, voir l’autre arbre généalogique, dans celui-ci il n’est pas fait état d’un premier enfant qui n’aurait vécu que quelques jours et il en manque quelques-uns. Par ailleurs le frère cadet de Joyce est nommé John Stanislaw.