24 mars 2007
Lors de ce midi -minuit 2007, avec quatre autres auteurs, Marie Laure Susini a été invitée par l’Association de Psychanalyse Jacques Lacan pour un interview et débat public autour de son livre » L´auteur du crime pervers et son public » paru chez Fayard. France en 2004.voir
María Antoniéta Izaguiré en fut la lectrice et la Présidente de séance Dominique Lechevallier-Schroeder
María Antonieta Izaguiré
Pendant 10 ans, Madame Susini a travaillé comme psychanalyste dans un centre hospitalier pour malades dangereux. Cette expérience hors du commun, que j’imagine dure et difficile, lui a permis de se livrer à une réflexion sur l’image contemporaine du criminel pervers. Une réflexion soutenue par la théorie psychanalytique- comme le précise l’auteur – qui, malgré l’absence de citations et de références bibliographiques, ne laisse aucun doute sur son orientation : la psychanalyse, et plus particulièrement l’enseignement lacanien sur la structure perverse.
Assumant une exigence éthique, celle de transmettre une expérience clinique et, d’une certaine manière, de rendre compte de son acte, Madame Susini a écrit un livre qui révèle ce qui soutient l’acte pervers dans sa cruauté et sa provocation. Découvrir la logique inconsciente, secrète et rigoureuse de l’acte criminel, qui, transformé, en spectacle, fait du criminel l’auteur, l’acteur et le metteur en scène de ce spectacle auquel il invite à participer les officiers de police et de justice et le public.
Comme l’indique l’auteur elle-même sur la page de couverture du livre, celui-ci se propose d’élucider les causes du passage à l’acte et de sa répétition, l’énigme du tueur en série.
Il y a là un effort pour introduire le sujet de cet acte criminel pervers dans une pratique discursive spécifique. Prendre la vie d’un assassin et son acte pour les convertir en texte, en œuvre, dans la mesure où elle est lue avec les références psychanalytiques, est à mon avis original. Cela produit une oeuvre différente qui est plus qu’un bon roman policier. Il s’agit, comme l’a dit Foucault lors d’une conférence donnée le 2 février 1969, intitulée Qu’est ce qu’un auteur ?, d’épingler un sujet dans le langage ; de l’ouverture d’un espace où le sujet, en écrivant, ne cesse de disparaître. .
La structure du livre me semble très intéressante. Il est surprenant de voir comment dans les derniers chapitres, quand entre en jeu la vérité révélée par le parcours clinique et le transfert de deux des criminels, se réordonnent les découvertes d’une recherche rigoureuse sur des assassins qui sont des personnages du passé. Ainsi, Monsieur Bonfil, chasseur et éventreur, et Monsieur Firmin, le pyromaniaque, le flambeur de Pigalle, avec tous les détails et les carrefours de leurs vies, mais, plus encore, avec la mise en marche du transfert, confirment ce que l’interprétation de faits historiques reconstruit à partir d’une étude approfondie des biographies, procès-verbaux de jugements, articles de journaux de l’époque, toute une série de documents, a dévoilé peu à peu. La clinique éclairant la recherche documentaire et historique.
Bonfil et Firmin, permettent, par rétroaction, d’armer le casse-tête du personnage sinistre de Gilles de Rais –fin du Moyen-âge, maréchal de camp de Jeanne d’Arc– qui fut le premier (selon les registres) à avoué éprouver du plaisir à égorger des enfants ; et le marquis de Sade, Jacques l´Eventreur et ses rapports avec les prostituées des rues obscures de Londres, Monsieur Landru, grand amant et dépeceur de la seconde décennie du XX siècle en France, le Boucher de Hanovre, Peter Kunster, le vampire de Düsseldorf, qui sema la panique dans cette ville en 1929.
Ces personnages historiques ont, à leur tour leur contrepoint dans des personnages de la littérature, de l’opéra et du cinéma. Madame Marie-Laure Susini connaît bien l’affirmation de Lacan dans l’Hommage à M. Duras : “… le seul avantage qu’un psychanalyste ait le droit de prendre de sa position, lui fût-elle donc reconnue comme telle, c’est de se rappeler avec Freud qu’en sa matière, l’artiste toujours le précède et qu’il n’a donc pas à faire le psychologue là où l’artiste lui fraie la voie”.
Nous voyons ainsi défiler Perrault avec sa Barbe Bleue et proliférer le mythe à travers Paul Dukas et son oeuvre Ariane et Barbe Bleue (Paris, 1907 à l’Opéra comique), l’opéra de Bartok le Château de Barbe Bleue, (1918), le théâtre et les mises en scène des batailles dans lesquelles Gilles de Rais dépensa sa fortune, Charles Chaplin avec son Monsieur Verdoux, Fritz Lang et M. Le Maudit. Toutes ces oeuvres ont certaines caractéristiques qui contribuent à élucider l’énigme du criminel et de son acte.
Dans un style cinématographique, dirais-je, l’écriture avance, recueillant des faits et signalant des interprétations et des conclusions. Je voudrais ici souligner que l’auteur met ainsi sur le tapis l’horreur de l’acte criminel pervers, sa cruauté, la déshumanisation qui le caractérise. Elle ne le voile pas, cependant, mais elle le fait avec une distance et une élégance qui ne produisent pas de jouissance. On lui en sait gré.
Bien que les auteurs de crimes pervers ne soient pas légion, fort heureusement, les tueurs en série font la une de l’actualité ; on en parle, on écrit à leur sujet, les médias s’y intéressent, ils passionnent le public, leur auteur passe à la postérité. Quel est le dénominateur commun de ces criminels qui éveillent des émotions paradoxales chez le public, qui maîtrisent l’art de la communication et ont un sens aigu de la publicité ? En les rassemblant, en les regroupant en série, on recherche la structure commune à leur acte. Leur auteurs sont pervers, non en raison de la malignité de leur caractère, mais parce qu’ils ont un rapport particulier à l’Autre, initialement l’Autre de la rencontre sexuelle.
L’acte criminel pervers est donc une réponse particulière à la pulsion sexuelle qui contraint le sujet, qui l’oblige et qui tend à la répétition. Cet acte s’effectue dans le cadre d’une perversion, au sens psychanalytique du terme, et dans lequel les questions de la castration et de la demande jouent un rôle fondamental.
L’action violente exercée sur l’autre, qui est très rarement consentant, est un drame théâtral auquel le public assiste et participe. Cette caractéristique de création d’un spectacle est soulignée par le regard attentif d’une psychanalyste qui le met en valeur sous une forme qui passe en général inaperçue dans un monde si avide de spectacles.
Il y a d’autres éléments importants. La différenciation avec la psychose et le psychotique, le caractère réel de la répétition, le lieu du fétiche et du reste. La dialectique du lieu de l’objet, que ce soit le regard, la voix, l’objet oral ou anal, et de la position unique et particulière du sujet pervers : instrument de jouissance dans le fantasme et sa volonté de jouissance. Et de plus, ce qui pousse le criminel à s’inscrire dans la loi et son effort pour s’humaniser après la déshumanisation de l’acte, qui peut revêtir une forme moralisante.
L’auteur nous rappelle les limites d’une enquête psychanalytique. Il ne faut pas attribuer une importance excessive à la compréhension et aux connaissances acquises. Mais tout ce travail servira au moins à quelque chose “Mieux vaut sans doute ne pas trop espérer ni trop attendre de la connaissance. Au moins pourrait-on évaluer plus justement les impasses de certaines expertises, et comprendre l´inutilité préventive de la menace d´une condamnation à la peine capitale. Peut-être aussi pourrait-on mieux repérer la fonction de la propagation du scandale, et se situer plus lucidement face a l’ambiguïté d’une jouissance singulière diffusée par les médias”. (pp.30)
La lecture du livre s’est avérée très intéressante, et c’est une grande leçon sur la manière d’assumer la position du psychanalyste dans un service de malades mentaux dangereux.
Questions :
1. Les moments de fixation, véritables carrefours (c’est le terme utilisé par l’auteur), peuvent-ils être interprétés comme le faisait Freud ?
2. Comment séparer de la folie psychotique les rapports de l’auteur du crime pervers avec la réalité, à ce moment particulier du crime ? Est-ce cette organisation, qui consiste à offrir à l’Autre l’objet voix, par exemple, qui empêche l’auteur du crime pervers de tomber dans des hallucinations auditives organisées en délire, par exemple ?
3. Tout comme en psychanalyse on parle de pousse à la femme, pourrait-on parler de pousse au surmoi ?
4. Peut-on attendre de la cure une transformation du sujet, soutenue par le travail de transfert, mise en acte de la réalité sexuelle de l’inconscient, s’appuyant, de plus sur le concret ?
5. Ne faut-il pas craindre un passage à l’acte en plein transfert ?
6. L’auteur du crime pervers suppose un droit de jouir de la victime, ça implique pour lui l’existence de l’Autre à la différence du psychotique ?
Marie-Laure Susini :
Je vous remercie pour cette remarquable analyse et pour vos questions qui nous emmènent très, très loin. Je suis très sensible aussi au fait que vous ayez lu ce livre au Venezuela, d’autant que j’écris dans mon introduction « n’attendons pas trop de la connaissance… », je suis revenue un peu en arrière de l’espérance de Freud, « La lumière de la raison finira toujours par triompher »… Dans toutes les réserves que je porte à la petite portée de ma contribution à l’utilisation d’un symptôme contemporain, qui là n’est pas celui du pervers criminel mais celui de la réponse médiatique, je suis très sensible au fait que cette petite contribution se lise ailleurs et aie une résonance, en effet, et que ça parle non seulement au psychanalyste mais au public qui se demande « Mais oui, qu’est-ce que c’est que cette fascination du public, des médias, de tout le monde, qu’est-ce qui fait de véritables vedettes de ces horribles monstres qui sont ceux que j’appelle ‘les auteurs de crime pervers’ ? » Je ne les ai d’ailleurs jamais appelés « les pervers », j’ai tenu à ce titre un peu difficile à mémoriser pour le grand public. J’ai vraiment tenu effectivement, comme vous le signaliez, à « l’auteur du crime pervers », c’est-à-dire que je n’envisage ici un sujet que dans son rapport à un acte, qui est un acte que je repère comme étant articulé comme un passage à l’acte criminel, mais articulé sur la structure de la perversion. C’est vrai que pour cela, j’ai été obligée de recourir à des cas cliniques, si vous voulez, de faire des cas cliniques avec des cas historiques sur lesquels il y avait suffisamment de documents, ou à prendre des cas participant à la culture et devenus vedettes de théâtre ou de cinéma après leur mort, c’est-à-dire en considérant en effet comment cet auteur de crime pervers est, curieusement, le héros idéal d’un film, d’une pièce de théâtre ou même d’un opéra.
Ceci dit, il est difficile de répondre d’emblée à toutes les questions que vous posez, qui sont fondamentales, des questions de travail… Vous posez vraiment des questions de collègue. Si j’en prends une seule : pourquoi dis-je « auteur de crime pervers » et pourquoi est-ce que je me pose la question : Est-ce qu’ils sont fous ou pas ? Puisqu’on a affaire à des actes absolument monstrueux, qui défient la raison, on a affaire à des gens dépourvus de sentiments, en apparence, qui revendiquent leur acte, qui ont une présence physique très particulière. Ce sont des gens très sûrs d’eux. Ils m’ont appris une chose, entre autres, une chose qui m’est restée dans ma pratique. J’évalue le poids pulsionnel de quelqu’un. Lacan le disait d’ailleurs avec sa longue expérience. Il disait qu’il y avait des gens qui pèsent plus lourd que d’autres… Ceci dit, ceux que j’ai choisi de suivre, d’écouter un moment, s’expriment le plus souvent très bien, ils ont un rapport au théâtre, ils ont besoin de s’inscrire dans une dimension symbolique du langage et ils ont besoin de vêtir leur être d’un imaginaire de représentation, au minimum, théâtral. Ce qui fait qu’ils ne ressemblent absolument pas à des gens fous. Ils sont d’un calme extraordinaire, leur discours est singulier mais il n’est pas délirant et je me suis posée la question non pas en tant que soignant mais simplement parce que dans la société, en France, à l’époque où je travaillais, il y a vingt ans, on faisait la différence entre les actes qui avaient été commis par des gens en état de responsabilité, de conscience, et ceux qui étaient pénalement irresponsables parce qu’ayant agi en état de démence. Depuis le code a changé. Et donc, on ne savait jamais avec ces êtres monstrueux, monstrueux parce qu’ouvertement pathologiques et en même temps apparemment normaux. L’expert psychiatre ne savait jamais s’il les inscrivait du côté de la responsabilité pénale – c’est-à-dire quelqu’un ayant agi en conscience de ses actes – auquel cas, tout allait au tribunal dans un procès public, ou s’il les inscrivait du côté de la psychose, de la folie, auquel cas, ils aboutissaient à l’hôpital psychiatrique, là où j’en ai vus quelques uns. D’ailleurs, dans le livre je ne m’acharne pas sur cette question, mais j’aboutis en effet, en reconstruisant la logique de l’acte – ce qui est assez long – dans l’articulation au fantasme, dans la réalisation d’une division du sujet dans l’acte, j’en arrive à dire que quand un sujet est obligé de diviser l’Autre dans le réel pour obtenir la séparation symbolique qui sépare le sujet humain de l’objet du désir… Quand on voit quelqu’un qui est obligé de porter la division sur le corps de l’Autre, c’est-à-dire de le fendre d’un coup de couteau, de l’éventrer, pour aller arracher l’objet de la division, eh bien, on a affaire à quelqu’un qui est complètement fou. C’est-à-dire que ce qui est forclos du symbolique est réalisé dans le réel.
Le problème c’est que ce n’est pas tout à fait forclos du symbolique. On a dans un deuxième temps quelqu’un – c’est pour cela que c’est quelqu’un qui paraît tout à fait en bonne santé – qui revient comme sujet de la loi et qui retourne immédiatement, dans le même mouvement, se réinscrire dans la loi.
Je prends le temps de le démontrer avec plusieurs cas que je présente, mais ce serait un peu long… Prenons un exemple rapide, comme je fais dans le livre. C’est un livre qui s’adresse à un vaste public, un public d’honnêtes hommes, éclairés, pas seulement à des psychanalystes. Donc, j’ai essayé de tenir à la fois une véritable recherche, une théorisation de la clinique, et en même temps j’ai essayé d’être audible pour quelqu’un qui ne manie pas les mathèmes lacaniens comme nous. Pour essayer de me faire comprendre, j’ai pris un exemple, dont je ne suis pas mécontente, pour montrer ce qu’est l’acte de cet auteur de crime pervers. Je dis : voilà, il y a une chose à laquelle on est tous sensible, on va au musée et on admire un très beau Titien, un nu érotique, Danaé, par exemple, recevant la pluie d’or de Jupiter. C’est un magnifique nu féminin, avec une chair nacrée, avec une gloire du corps dans sa beauté, alors on y est sensible. Et puis, l’auteur de crime pervers, s’introduit la nuit dans le musée, découpe un sein, et il part. Et quand on revient le lendemain, on découvre ce magnifique chef d’œuvre avec le trou du sein. Il extrait quelque chose, il fait un trou, il enlève l’objet. Mais il ne se contente pas de ça, le lendemain, il convoque la presse et il montre aux journalistes le sein coupé, c’est-à-dire qu’il fait un trou et il le positive. Bien entendu, pour l’érotisme normalement humain, l’objet sein est voilé par la personne du vivant, par l’image du vivant. J’ai pris cet exemple-là parce que c’est l’objet pulsionnel le plus évident. Même l’humain subissant normalement le refoulement – même dans ce refoulement que nous subissons tous normalement – garde dans la mémoire qu’effectivement le sein est un objet pulsionnel. C’est beaucoup plus difficile à démontrer pour la voix, il a fallu d’ailleurs un énorme pan de la théorie de Lacan pour nous signaler la présence de la voix – là, c’est très simple. On voit bien comment le criminel pervers fait quelque chose d’absolument aberrant et fou. En même temps, il introduit un manque et il positive. Il positive un objet qui n’est jamais positivé, qui n’est jamais une pièce de boucherie. Au bout de son acte, le sein devient une pièce de boucherie stockée dans le réfrigérateur, qu’il va montrer aux policiers débarquant à ce moment-là. Qu’est-ce qui est fou ? Ce qui est fou c’est d’aller découper le sein et de le stocker dans le réfrigérateur. Ce qui est moins fou c’est d’aller le montrer aux policiers, et là il revient s’inscrire absolument dans la loi.
C’est le premier mouvement. Le second mouvement qu’on ne peut comprendre que quand on a pris beaucoup de temps pour écouter, le deuxième temps c’est que c’est complété d’un fantasme très prégnant d’aller se faire guillotiner. C’est-à-dire qu’on ne peut pas séparer de l’ensemble de l’acte, le fait d’aller découper le sein sur une femme, du fait d’aller le montrer à des policiers – et il faut les amener les policiers… et ils le font toujours, ils s’arrangent toujours pour amener les policiers jusque là… Il faut que le représentant de la loi tombe sur cet objet – et troisièmement c’est lié au fait que dans la suite il va être guillotiné. C’est pour cela qu’il arrive à se maintenir comme n’étant pas, d’apparence, fou et même parfois « supérieurement normal », je dirais, c’est parce que l’objet a été à la fois négativé et positivé, mais quand il est positivé – je le dis tout à la fin du livre, je mets quand même tout le livre à tomber là-dessus – l’objet devient un objet légal, il est légalisé, il reçoit une estampille légale.
On reconnaît toute une réalisation de la structure, du rapport du sujet de l’inconscient à l’objet. C’est en cela que ça m’a fasciné et qu’il m’a semblé justifié de travailler là-dessus. Et, si on me demandait mon avis comme psychiatre – ce qui ne risque pas d’arriver puisque je n’exerce plus comme psychiatre depuis bien longtemps – je dirais : « il est fou ». Comme psychanalyste, on n’en sait rien. Comme législateur, je considèrerais aussi qu’il est fou – ce serait la prudence du législateur et je ne m’en justifierais pas plus que ça – car je trouve indécent la jouissance collective des morceaux de cadavre éclairés par le choc médiatique – en quoi je suis assez puritaine finalement (rire)… Un législateur extrêmement censurant. Comme psychanalyste ce n’est pas une question qu’on se pose, on a là une fabuleuse aventure d’un sujet qui essaie de retrouver son humanité. On est très loin de la folie, finalement. Dans cet acte il essaie, à chaque fois, de se retrouver humain.
Je vais m’arrêter là parce que vous avez certainement des questions.
Auditrice : Vous parlez des objets pulsionnels, mais ce qui est intéressant dans les cas que vous avez présentés c’est la circulation de la jouissance. C’est-à-dire qu’effectivement, par exemple, pour reprendre le cas de Landru, comment il prélève sur les femmes qu’il tue, de l’argent, des bijoux, pour les offrir à quelqu’un d’autre, et combien… Vous insistez aussi beaucoup, parce qu’effectivement dans la logique de l’acte qui se répète, vous aussi répétez beaucoup combien l’acte doit être sans arrêt reproduit. C’est rare que cela soit une seule fois, très rare. Et que, la demande sexuelle – quand il y a sexualité – vient des femmes, des femmes qui vont être tuées. Vous dites que Landru se complaisait à combler les femmes mais on voit, dans votre livre, que la demande des femmes est très nette. Et vous poursuivez tout le long du livre et on a l’impression, en effet, que cette demande des femmes, que cette intrusion féminine, ramène toujours à la question de la relation avec la mère, la mère qui se présente comme La mère avec un grand L.
M-L. S. : Oui, effectivement, vous posez là une vraie question. Cela a été plutôt de ma part une découverte étonnante, que j’ai faite probablement parce que j’étais une psychanalyste femme et que là dans le transfert – l’analyste est neutre, ni père ni mère – mais, tout à coup, dans le transfert, il m’est revenu qu’il y avait quelque chose qui revenait, de façon absolument dramatique, dans un vrai transfert… Une chose très grave, qui se passait par rapport à la demande de la femme, dans une relation d’amour. La demande de la femme devenait une exigence… C’est ce qui m’a permis de construire tout ce que je construis de cette réponse qu’est l’acte de soustraction… de cette réponse à une exigence je dirais « psychotisante » de la femme. Donc, effectivement, ça apparaît et c’est très net dans ce que j’écris. Cela dit, ce n’est pas pour autant que les femmes ne demandent rien du tout, pas plus que l’analyste. C’est là le côté discrètement paranoïaque de ces sujets, qui ont plusieurs particularités. Ils ont cette particularité de ne pas pouvoir dire non à ce qu’ils entendent comme demande. Ils sont livrés complètement à ce qu’ils construisent de la demande de la femme. Cela se voit avec Landru, cela se voit avec un autre de mes patients, qui répond toujours présent. Ce qui est exactement la dimension de leur pulsion. La pulsion, au lieu d’être subjectivée comme un désir, est du côté de répondre présent, ne pas pouvoir se soustraire à la demande de l’Autre – ce qui le rapproche encore du psychotique. « Acte sans libido » je ne sais pas si je dirais les choses comme ça, mais effectivement cela se fait dans une liaison d’Éros et de Thanatos. C’est le cas de Landru, ou d’un de mes patients qui dit n’être là que pour servir, être au service du plaisir de la femme. Son plaisir, c’est d’être au service de la femme. Donc une demande est extrêmement exigeante pour Landru, et pour ce patient qui était aussi un Don Juan. C’est absolument clair, c’est un véritable esclavage. Ils apparaissent comme des Don Juan, comme des débauchés, mais ce sont des esclaves du plaisir de la femme. Et il accumulent, non pas les conquêtes, mais les devoirs. Il y a même un côté assez comique que Chaplin rend très bien dans Monsieur Verdou, qui court d’un endroit à un autre pour répondre « présent » à ses différentes maîtresses. Cela dit, effectivement on s’aperçoit que c’est de structure, c’est l’exigence de l’Autre à laquelle ils se confrontent, à une demande de l’Autre, qui est plutôt une jouissance de l’Autre. C’est-à-dire que l’on passe d’un homme normalement mâle, attentif au plaisir de la partenaire, à quelqu’un de très différent, qui s’enorgueillit de cette signification phallique qu’il trouve. C’est très important, il trouve là une signification phallique qui lui permet une représentation dans le monde, mais cette signification phallique n’est obtenue qu’au prix de retomber dans l’esclavage de la jouissance de l’Autre. La mère est l’Autre de la jouissance qui n’a pas affaire à la signification phallique de l’enfant, mais à un déchet.
Auditrice : C’est à dire qu’en fait l’auteur du crime pervers perçoit la demande de l’Autre comme une exigence et là, on retrouve la question de Maria Antonieta sur la question du pousse-au-surmoi éventuel dans la perversion. On passe de la demande à l’exigence, et finalement à la persécution.
M-L. S. : Oui, c’est ce que je dis de temps en temps : « discrètement paranoïaque », on le retrouve avec tous. Quand la signification phallique ne peut pas être maintenue, quand il ne peut pas se maintenir sur la scène du monde, brillant séducteur, comblant toutes femmes, quand il ne peut pas, surtout, substituer une signification à une autre, être dans un déguisement, puis un autre, quand la demande de l’Autre se fait extrêmement pressante… Car tant qu’on peut répondre à beaucoup de maîtresses avec une signification phallique, qu’on leur fait plaisir, et puis qu’on s’esquive, qu’on est jamais là, qu’on n’est pas présent aux rendez-vous, l’art de l’esquive et de la substitution, l’art de faire de la représentation phallique imaginaire, tant que ça marche, ça marche. Au moment où une femme, comme partenaire, vient incarner tout à coup autre chose, à son insu et malgré elle, à ce moment-là, c’est vécu comme une exigence.
auditeur : Ma remarque est liée à la présentation puisque quand vous évoquez le prélèvement du sein sur le cadavre, on voit bien là la dimension bouchère. Si vous mettez en même temps du « discrètement paranoïaque » il y sans doute quelque chose de la libido qui est réinvesti. Mais l’exemple dont vous étiez partie c’était le sein de Danaé, c’est-à-dire le découpage dans le tableau. Quand même le fait que ce soit un tableau, cela crée un autre plan que le plan boucher, du point de vue de la structure, même si c’est peut-être plus facile de faire venir les journalistes et de passer à la télé, mais est-ce que c’est la même structure… ?
M-L. S. : Bien sûr que c’est la même chose, c’est exactement le même frissonnement, la même horreur. Là où l’acte est fou, c’est que, au contraire, l’humain normalement névrosé, ne considère pas que le morceau de sein découpé du tableau soit un objet de désir… C’est surtout ça. Ou ça le dégoûte complètement, ou ça le laisse indifférent. En même temps ça le fascine. C’est-à-dire que le côté escamotage, substitution, vol et représentation, le côté magicien, on l’enlève mais il revient quand même, il est négativé mais il est positivé, le fait que c’est une pièce de boucherie, c’est rien, ou c’est un petit morceau de toile découpée, c’est rien, ça ne vaut rien ce petit bout de sein découpé au tableau, vous pouvez le jeter à la poubelle, c’est du déchet… Eh bien, on lui redonne une dimension phallique. Ça n’est que ça ! Bien sûr j’ai choisi un chef d’œuvre qui a un peu une valeur pour tout le monde, c’est bien pire de découper cela sur une femme qu’on a tuée. Surtout, ce que j’essayais de montrer et qui est difficile à envisager pour des gens qui ne sont pas psychanalystes – puisque je m’adressais aussi à eux – c’est comment l’objet pulsionnel est voilé, est effacé dans l’image du vivant. C’est la même chose pour la voix. Si vous êtes amateur d’opéra, vous pouvez tomber amoureux, amoureuse, d’une voix. Pour celui qui tombe amoureux d’une cantatrice, la voix est habillée complètement, effacée dans la personne. Je pense que l’exemple de la voix est très bon, personne n’irait arracher la voix. Personne, sauf Gilles de Rais.
Auditrice : A propos de Gilles de Rais, par rapport à la question des restes… Est-ce que les restes sont tous équivalents ? Par exemple, pour Gilles de Rais, c’est quand même un exemple très démonstratif, entre les têtes de tous ces enfants qu’il a tués et qu’il promène dans des malles et les restes sanglants qu’il fait disparaître. Vous faites de ces restes quelque chose qui serait de l’ordre du fétiche. C’est là où je me questionnais sur la valeur fétichiste. Parce que vous venez de dire comment il fait passer l’objet a à l’objet phallique, comme s’il y avait une équivalence entre a et -φ, quelque chose comme ça. C’est là où c’est très pervers parce que, de toute façon, si a égale -φ, la femme n’est jamais castrée. Par exemple, pour Gilles de Rais, si on prend les têtes qui restent, dans ces têtes il manque la voix, c’est-à-dire qu’il a réellement extrait l’objet a – voix – de la tête, qui est bien l’objet de la femme, puisque c’est un enfant, on pense au castrat, une voix féminine. Et c’est à ce moment-là qu’il va pouvoir retrouver une voix qui devient une voix d’homme et qui à ce moment-là a une valeur phallique. Et cette tête d’où on a extrait l’objet est-ce que ce ne serait pas ce que, justement, on pourrait appeler la Chose ? C’est-à-dire le reste, ce reste qui théoriquement n’existe plus, l’objet perdu, objet perdu qu’il fait cependant toujours exister, qu’il transporte mais pour bien montrer qu’il est mort en même temps…
M-L. S. : Je vous remercie d’avoir lu si précisément, je vous remercie beaucoup parce que cela a demandé beaucoup de travail. Je me suis totalement appuyé sur Kant avec Sade de Lacan. Il est évident que le fantasme de Gilles de Rais s’articule autour de la voix. C’est un cas extraordinaire, dans la mesure où on possède toutes les minutes de ces aveux du procès de l’inquisition, on a le mot à mot des greffiers et – je le dis dans mon livre et j’en suis absolument sûre – personne, aucun criminel pervers, n’oserait plus dire cela, ce n’est pas possible. Donc il livre toute la pratique de ses passages à l’acte et de sa jouissance perverse, c’est insoutenable. Je ne le reprends pas, je l’ai réarticulé sous forme d’organisation du fantasme. C’est très intéressant chez Gilles de Rais, son rapport à la voix… Sans lui, il aurait été difficile d’articuler très précisément le fantasme comme je le fais. C’était long et difficile à écrire parce qu’il faut que le lecteur comprenne ce dont il s’agit mais sans non plus tomber dans la chaîne de transmission d’une jouissance perverse, justement.
Mais c’était absolument passionnant puisque voilà quelqu’un qui est le compagnon de Jeanne d’Arc, maréchal de France, qui participe à l’héroïque bataille d’Orléans, notre reconquête sur les Anglais à la fin du Moyen-Âge, on est au tout début du XVème siècle. C’est en même temps un système féodal qui tient encore, qui va bientôt disparaître, l’unité de la monarchie qui s’instaure, et puis cette extraordinaire légende de Jeanne d’Arc dont Gilles de Rais est un des compagnons. Or, après la mort de Jeanne d’Arc, après la mort de son tuteur, il laisse tomber … Il est maréchal de France à 25 ou 26 ans, un des plus grands personnages du royaume, il a aussi la singularité d’être le plus riche du royaume… Vous voyez le personnage, il a hérité de 5 ou 6 provinces… Il laisse tomber tout cela, disparaît de la vie active, il ne se signale que par le fait qu’il vend les unes après les autres ses forteresses, or vendre ses forteresses dans un pays en pleine guerre, c’est du suicide ! Il mène grand train, il mène une vie scandaleusement prodigue, il fait partie des mécènes qui financent le spectacle le « mystère » du siège d’Orléans, chaque année à la commémoration de la délivrance d’Orléans… Grand spectacle… très coûteux ! Par ailleurs, il se fait chanoine, à l’époque cela veut dire qu’il a le droit d’avoir une chapelle et un chœur. Or, cela fait scandale à l’époque, il construit une chapelle d’un luxe inouï, le clergé y est vêtu de soie, de fourrure, croule sous les bijoux et le joyau de sa chapelle est un chœur d’enfants, de petits garçons. L’objet voix de ce chœur d’enfant, qu’il offre à Dieu, c’est effectivement la voix éphémère et fragile de l’enfant prépubère, cette voix qui va disparaître, c’est-à-dire une présence et une absence déjà, un éphémère. C’est une espèce de phallicisation de l’objet voix qu’il offre à Dieu. D’autre part, de l’autre côté de la chapelle il y a un donjon et derrière les murailles du donjon il offre au Diable le dernier souffle des enfants qu’il égorge. Tout cela a lieu au même endroit, ce sont les mêmes adultes qui sont à la chapelle, chantent et écoutent les enfants, puis les étranglent pour obtenir leur dernier souffle. Et on voit la grande énigme de Gilles de Rais, et là où il mérite un véritable intérêt, c’est que, au moment de mourir, condamné, il demande lui-même à être pendu, à offrir son dernier souffle à Dieu. Le tribunal ecclésiastique et le tribunal laïc sont réunis à Nantes. il demande qu’il y ait une procession de la bonne ville de Nantes, qu’on vienne assister à sa strangulation et qu’on chante des chants pieux. Cela dit, l’intérêt c’est qu’il est sûr d’aller au Paradis. Pourquoi est-il sûr d’aller au Paradis ? Il a été quand même coupable d’hérésie, de sorcellerie – ce qui à son époque n’était pas rien – et puis du meurtre de plus de 200 enfants. Donc, on voit quand même que, de bonne foi, il offre, il complète l’Autre, Dieu, de cette voix phallicisée qui est la voix des enfants.
Pour ce qui est de la relique, du fait que les têtes qui restent sont des reliques et des fétiches, il garde en effet dans ses coffres et dans les couloirs du château des têtes d’enfants qui sont fétichisés comme des têtes d’anges. C’est un gros travail – cela reste un peu laborieux dans ce que j’ai écrit – de montrer comment la tête coupée d’enfant, qui reste, est un objet de dévotion, qu’il embrasse comme une relique… C’est toujours difficile de travailler là-dessus parce qu’on est toujours pris d’abord dans une dimension un peu macabre, cela gêne la réflexion, il faut vraiment arriver ensuite dans une logique extrêmement chirurgicale, si j’ose dire, pour se rendre compte qu’en effet la tête devient le reste de la voix de l’ange. C’est ce qui reste, c’est sa collection de reliques, mais après tout les chrétiens ont des bouts de corps sacrifiés des martyrs dont ils font des reliques… Il ne faut pas croire que cela ait changé, je pense que les grandes vedettes médiatiques des crimes pervers, actuellement, sont toujours persuadés d’avoir gagné leur paradis et sont sûrs de combler l’Autre de quelque chose.
Auditrice : Mais justement, s’ils sont si sûrs, qu’est-ce que c’est ? Est-ce une conviction ?
M-L. S. : Non, c’est le fantasme même, c’est-à-dire qu’ils se sont voués, ils se sont sacrifiés à combler l’Autre, de ce qu’ils ont construit, de là où l’Autre voulait être comblé. C’est leur propre construction. Après tout il n’est pas sûr que Dieu ou Diable se réjouisse de la voix des enfants…
Auditrice : Mais justement, la conviction se passe de l’Autre…
M-L. S. : Comme pour tout un chacun, chacun a son Autre, on se le construit soi-même.
Un auditeur : Tout d’abord une remarque, j’ai été très intéressé par la thèse de criminologie historique que vous soutenez, à savoir que vous faites de Sade un authentique criminel, au contraire de tous ces hagiographes surréalistes et autres. On peut rester sur cette idée d’un héros de la liberté persécuté alors que vous en faites, pas tout à fait l’équivalent d’un Gilles de Rais, mais tout de même. Une question plus théorique, est-ce qu’on pourrait penser que ce qui fait défaut à ces auteurs de crimes c’est une certaine défense tout à fait primitive, qui serait le premier temps de la phobie ? Je reprends un thème propre au travail d’Isabelle Morin, à savoir qu’ils se retrouvent d’un seul coup confronté à la Chose elle-même et c’est cela qu’ils essaient de fendre. Fendre la Chose de l’intérieur même, pour que cela cesse. C’est une question.
M-L. S. : Vous êtes tout à fait lacanien. Lacan commence comme ça, par rapport à la gueule béante de crocodile qu’est la mère, on se remparde soit d’un fétiche, soit d’une phobie. C’est effectivement plus difficile, je n’ai pas du tout abordé cela, dans la mesure où, là, le virage de la phobie est largement dépassé. Cela dit, il y aurait un autre travail à faire, que je n’ai pas fait parce que je ne pouvais partir sur toutes les pistes et j’avais déjà des choses assez carrées à établir. Mais ce que vous me faites remarquer c’est qu’il y aurait un deuxième travail à faire, que quelques uns feront un jour… Ce que j’appelle moi « discrètement paranoïaque », c’est un peu vague, mais bon, je sais de quoi je parle… Est-ce qu’il y a de temps en temps des symptômes phobiques ? Oui, mais justement où sont les phobies pour ceux que j’ai rencontrés ? Où sont-ils discrètement paranoïaques ? Bien sûr, quand on s’approche de la Chose, on a des symptômes absolument étonnants. On le voit très bien, mais traité d’une autre façon, avec le patient dont je parle, monsieur Bonfils. C’est cet homme qui commence une analyse et un refoulement massif lui apparaît : il a oublié le nom de la rue où il a habité pendant dix ans. Le refoulement porte sur un signifiant : hunter, le chasseur. On voit bien que c’est autour de cela qu’il y avait de la phobie, entre le chasseur et le tigre. Pourquoi dis-je cela ? Je dis cela parce qu’il y avait une chose qui le rendait fou c’était qu’on lui dise à l’hôpital « il faut faire une prise de sang », ce n’était pas possible ! On sent bien, là, qu’on est très au-delà de la phobie. C’est quand même quelqu’un qui avait découpé sa maîtresse en morceau et qui avait un refoulement sur le mot chasseur. On pourrait faire sur ce sujet un travail très précis, intéressant, et qui rejoindrait là où il est paranoïaque, si on vient un peu trop le confronter au fait que comme tigre, il n’est pas seulement le chasseur, mais il est une pauvre bête traquée par les méchants chasseurs de tigre. Il y aurait effectivement un travail théorique très précis à faire là-dessus.
Auditrice : Avant de nous séparer je voulais vous demander si vous aviez lu ce livre d’Elfriede Jelinek qui s’appelle Avidité, où justement elle raconte l’histoire d’un homme, un policier, qui tue sans cesse des femmes qui toutes l’aiment et il les tue après leur avoir extorqué leurs maisons. Dans ce livre, qui n’est pas très facile à lire, vu le propos, les moments de jouissance qui sont très particuliers, c’est quand il compte les os.
Auditeur : Ce que vous dites de Gilles de Rais, ici et dans le livre que j’ai lu, me semble assez convaincant. Est-ce que vous pensez que vous pourriez l’appliquer à ces cas de viols et de meurtres d’enfants qui suscitent beaucoup d’émotion ? C’est naturel mais en même temps, comme vous le disiez, ils suscitent une sorte de grand spectacle, et sont présentés faussement comme des cas de pédophilie. Seconde question, vous avez dit que Gilles de Rais raconte tout dans le détail, c’est vrai que ce n’est pas habituel. La question que je me pose c’est de savoir si, là aussi, il ne cherche pas à compléter l’Autre. (inaudible)
M-L. S. : Votre question est tout à fait intéressante. Non seulement il comble l’Autre, tout à fait, et en même temps, il le divise. C’est-à-dire que bien sûr que l’Autre est complètement divisé par ce qu’il entend. Il le comble et il le divise. Là où on sait qu’il ne raconte pas des histoires, que c’est vraiment la vérité, c’est justement quand, comme psychanalyste, on lit le fantasme à ciel ouvert, on sait que ça ne peut pas s’inventer. Il y a une construction inconsciente de tout, quand on retravaille là-dessus, tout est en place dans une cohérence totale. Personne n’aurait pu inventer une chose pareille, à l’époque c’est absolument inimaginable. Et d’ailleurs, on ne savait pas comment l’expliquer.
Cela dit à votre première question, je n’y répondrai pas. Je pense que c’est une chose très délicate à notre époque, là, dans notre monde contemporain. C’est extrêmement délicat, pour des tas de raisons que nous devrions travailler d’ailleurs, nous psychanalystes. C’est extrêmement délicat de parler lucidement et de façon intéressante et utile, dans la société – entre nous peut-être pas – mais dans la société, sur ce qu’on appelle maintenant la délinquance sexuelle. Je pense que nous devrions nous mettre au travail là-dessus.
