30 septembre 2006
Exposé à la réunion publique du Collège de la passe ( la lettre lacanienne et l’école Sigmund Freud
En préalable, qu’est ce que la passe dont nous parlons ? Si elle est proposition faite par Lacan en 67 au psychanalyste de son école, elle est aujourd’hui relevée encore par nos écoles : il s’agit de tenter de savoir ce qui fait passer un psychanalysant au psychanalyste ; cet acte, comme tout autre, échappe au sujet qui tente de le dire, il n’y est représenté que par ce qui cause son désir. Cette procédure recueille le témoignage de quelqu’un qui parle de son analyse en la prenant par un bout, celui de sa fin ; c’est donc depuis l’effet, qui est ce avec quoi travaille le psychanalyste, puisqu’il est admis qu’il ait fait une analyse, avec l’effet de sa cure . Pour ce faire, nous avons ce dispositif : un passant, un qui déclare passer,ou être passé, parle séparément à 2 passeurs, désignés par leur analyste pour être dans cette passe, dans ce moment de virage du désir, sans en prendre acte (faire acte). Les passeurs rapportent le témoignage qu’ils ont recueilli, non à un jury mais à un cartel, tiré au sort dans le Collège de la Passe ,qui en « vérifie » l’effectivité, puis se dissout après avoir décidé d’une nomination AE (Analyste de l’Ecole) ou non. Un Collège de la Passe vient d’entrer en fonction .Des cartels de passe seront constitués par tirage au sort parmi les membres. Des réunions publiques sont de tradition pour transmettre au public des écoles et au-delà à qui veut en savoir quelque chose des effets des passes et le savoir qui en est issu. Mais voilà peut être bien la question, double : avant d’en avoir l’expérience, que dire des passes / et des passes qu’en dire ? Nous avons mis notre travail, au-delà donc des cartels, sous l’intitulé Recueil et transmission d’un savoir singulier auquel il faudrait ajouter un ou plusieurs points d’interrogation. Je vais essayer d’en dire quelque chose aujourd’hui avec mes questions
Sur quoi repose donc cette décision du cartel ? Le cartel recueille-t-il un savoir ? Ou l’effet d’un savoir en tant qu’il est absent, inconscient ? Le désir de passe, de l’analysant à l’analyste peut-il se faire entendre, soit s’articuler à des signifiants d’une communauté analytique ? De quel savoir singulier s’agit-il ? Celui du passant ? Transmis ? Celui singulier du psychanalyste, savoir insu dont la certitude fait trou dans toute possibilité de savoir constitué, même supposé ? S’agit-il du savoir confirmé de la doctrine établie ? Si le second est connu, comment reconnaître un savoir qui y serait singulier ? Et ce savoir, s’il y a, est –il transmissible ? Et les écoles qui supportent cette passe peuvent-elles en témoigner auprès d’un plus large public ?
Qu’en est-il d’un savoir du passant ?
Le passant se propose à dire quelque chose de « ce point où d’être venu à bout de sa psychanalyse, la place que le psychanalyste a tenue dans son parcours, quelqu’un fait le pas de la prendre pour y opérer alors que de cette opération il ne sait rien » [1] Il s’avance moins pour parler que pour dire un savoir qui est le sien sur le devenir analyste, à propos de son devenir analyste passé. Mais ce savoir s’il peut le dire, il ne le sait que comme savoir qui le divise, et il fait le pari de parvenir à le faire entendre,à le faire savoir : que l’Autre entende ce que de son savoir lui même il ne peut prendre en connaissance, mais dont il peut savoir, peut-être, faire entendre les conséquences. Le lieu du savoir n’est pas du côté de celui qui parle je, mais du il dont parle le passant déclinant les conséquences que l’analyse a eu sur lui ; ce savoir de la division il peut le dire, mais le support de cette transmission, le singulier de l’énonciation, pris dans ce désir de transmettre, il n’en sait rien dans le moment de l’acte qu’il accompli, passant d’un côté à l’autre. De ce savoir , de cette certitude qu’il peut mettre en circulation, le psychanalyste peut-il s’en servir pour d’autres, d’autres savoirs qui cherchent un sujet là où lui-même sait qu’il n’y en a pas ? Ce savoir ouvre-t-il à la possibilité d’occuper la place qu’un psychanalyste a tenu dans son propre parcours ? Alors, le passant témoigne-t-il d’un savoir faire ? est-ce là ce savoir singulier que le cartel va recueillir ? Supposant donc qu’il y a là un savoir, singulier d’être sans sujet, qui s’adresse, comme reste, à la psychanalyse dont il est issu. Un savoir produit par le dire en cure, effet de ce dire. Ce savoir, peut-il passer, effet non accompli mais effet encore en œuvre ?
Recueil et Transmission des passeurs ?
Alors peut être que les passeurs transportent un savoir connu, conscient ? Celui qu’ils ont reçu, voire reconnu dans les rencontres avec le passant qui leur a parlé ? Il semblerait bien que non. Les passeurs témoignent de ce qu’ils ont entendu. Les énoncés passent, mais avec cette surprise régulièrement rapportée par les membres des cartels de la passe : le récit qu’ils transmettent, il n’est pas certain que l’on puisse l’attribuer au même passant, c’est-à-dire à quelqu’un, à un. Mais du dire aussi ils sont affectés, et ils seraient plutôt véhicule d’une jouissance, un plus de jouir, détaché, qui circule, mais de qui ? De personne ! C’est le nom d’Ulysse qui échappe au cyclope ; le mouton sous lequel il est accroché n’est-ce pas lui le support de la jouissance, jouissance de liberté d’Ulysse ? Ce mouton n’était-il pas un bélier aux cornes débroussaillées ? Alors avec les passeurs passerait le support d’une jouissance d’un sujet qui n’est assujetti à aucun signifiant maître ? Sans doute s’agit-il d’un savoir comme celui, le même, que véhiculent les non dupes errent et les Noms du Père , un savoir dont le sujet peut se déchiffrer. Le savoir des dupes de l’inconscient serait-il le même que celui des dupes du NdP à ceci près qu’ils sauraient s’en servir ? Et les passeurs sont-ils des analysants à ce moment de leur cure où s’opère ce virage du savoir, qui cependant ne le savent pas et ne peuvent en faire savoir ? Mais assurément ce ne sont pas les passeurs qui déchiffrent le sujet du texte dont ils sont porteurs. C’est la tâche, la responsabilité des membres du cartel et de leur travail, de déchiffrer, et progressivement de découvrir un tel savoir . Les passeurs transportent un savoir, un savoir dont ils ne sont pas le sujet, une combinaison de signifiants dont la déliaison et leur recomposition dévoilent un trou, témoignent d’un dénouement et d’un renouement effectué avec un passage de R sur S quand avant il était de S sur R . Et ce savoir d’un trou, c’est au cartel que ça arrive. C’est ce qui arrive au cartel comme collectif, aux membres du cartel 1 à 1 dans la surprise d’un moment unique qui les dépasse tous.
Recueil de savoir par le cartel ?
Le cartel se réunit, travaille comme l’on dit, à partir des 2 textes des passeurs ; il a une tâche : nommer ou non AE le passant comme lieu d’un certain savoir ; un savoir dont il porte la marque et c’est « à ses congénères de ” savoir ” la trouver » écrit Lacan dans la Note aux Italiens. S’agit-il de recueillir un savoir ou de reconnaître un savoir dans ses conséquences, sa trace ? Toujours est-il que le moment d’une nomination se trouve régulièrement décrit comme troublante précipitation, unanimité non recherchée mais brusquement advenue, désaississement et moment où toute logique discursive du cartel se trouve être soufflée. Cette nomination n’est pas recherchée, n’est pas cherché ce qui pourrait la permettre, rien d’utile, au contraire quelque chose advient là ; Lacan disait du passant , qu’il lui est offert de pouvoir témoigner de la passe « au prix de lui remettre le soin de l’éclairer par la suite » [2], voilà qui est sans doute à étendre aux membres du cartel , mais comment ? Le cartel nomme de l’AE, c’est un savoir ; mais il y a une suite à donner cette nomination d’un savoir inédit, jamais advenu, qui se boucle dans le savoir déjà constitué, non comme savoir mais comme reconnaissance d’un réel .Une nomination suppose l’école où ce réel non pas trouve sens mais est reconnu, et reste en attente d’un enseignement en lequel le savoir s’organise. Ce qui arrive aux membres du cartel n’est-il pas à entendre comme ce que Freud souhaite de la part des analystes dans une lettre à Ferenczi : « je tiens à ce qu’on ne fabrique pas des théories,elles doivent vous tomber dessus dans la maison comme des invités inattendus,alors qu’on est occupé à des recherches de détails » [3] à la charge de ceux qui l’ont expérimenté de donner les termes, de lire cet élément de théorie qui leur est tombé dessus, selon leurs propres articulations ; c’est la communauté d’expérience. [1]
Dans la Note aux Italiens, Lacan parle d’une marque que les analystes doivent savoir trouver dans le texte du passant, le savoir est de leur côté, mais il dit aussi que ce savoir il faut l’inventer » Cette marque le signale « rebut de son propre savoir », le signale, le passant, en tant qu’il est non identique au lui-même dont il s’autorise comme psychanalyste. ? La reconnaissance de ce savoir, cette marque , en quoi serait ce savoir nouveau et s’il l’est comment peut il être reconnu ? Peut être peut-on appeler cette nomination d’une marque une épiphanie, qui porte par l’écrit et dans l’écrit quelque chose qui est de l’ordre de la jouissance tout en passant « par une méconnaissance de la charge de savoir, inconscient,qu’elle véhicule » ? [4] ( épiphanie et acte de nomination qui « surgit d’une mise à l’écart de l’utile,au profit de quelque chose qui est de l’ordre de la jouissance » mais reste à articuler, à l’écrire)
Mais voilà la tâche du cartel s’arrête à la reconnaissance de cette marque, et à sa nomination ; il expérimente un savoir mais peut-il le transmettre, l’écrire, puisqu’il se dissout dans les conséquences de cette nomination ? Un savoir circule, ses effets se repèrent, ils peuvent être nommés : savoir analyste de l’école, savoir analyste du sujet de l’expérience de la psychanalyse, mais est-il transmissible au-delà de ceux qui l’éprouvent dans l’expérience ? Cela fait-il un savoir transmissible au-delà du collectif qui vient d’en faire l’expérience ? N’est ce pas tout l’enjeu de la transmission de la psychanalyse ? Est-ce là une limite de notre dispositif de passe ? La nomination pourrait-elle être le court circuit qui invente du savoir et interdit sa transmission ? Et le CP, ne peut il pas devenir cet obstacle au savoir du soufflé, ce soufflé, le faire retomber ? Si nous, le cartel, le Collège, le public, nous attendons un savoir que le passant saurait transmettre via les passeurs, ou que les passeurs transmettent un savoir recueilli auprès du passant, alors certes les réactions seront de déception, ou d’étrangeté et de sentiment d’ésotérisme. Mais il s’agit d’un savoir à construire, fondé sur le savoir inconscient dont quelqu’un aura transmis comment il y fondait un désir, celui qui préside à occuper cette place de psychanalyste pour un psychanalysant. C’est un savoir qui rejoint ainsi le désir de l’analyste, de cet analyste qui est le sujet même de la psychanalyse et se construit de toute l’expérience analytique. Ainsi le savoir attendu d’une passe est-il savoir concernant le désir du psychanalyste en tant qu’effet d’une cure singulière. Un savoir ayant cet effet de faire lever l’oubli de ce même savoir chez ceux qui déjà l’ont recouvert. Ce désir de l’analyste, concerne l’efficience même de la psychanalyse s’il est le véritable pivot du transfert, c’est donc cela qu’il s’agit maintenant de vérifier : ce qui est recueilli, cela porte-t –il la marque du désir de l’analyste ? C’est-à-dire plutôt un rapport au savoir qu’un savoir, témoignage d’une modification du rapport au savoir. Ce savoir,s’il passe , a des effets qui cause le désir d’un sujet, c’est ce qui est attendu d’une psychanalyse, mais ce n’est pas n’importe de quel sujet, c’est celui de la psychanalyse , « le sujet du désir inconscient qui tendrait à rendre la psychanalyse scientifique » [5] En écrire quelque chose de ce savoir, c’est l’inventer ; C’est une tâche supplémentaire, qui incombe à eux, les quelques autres, du Cp qui y sont confrontés par l’actualité de l’expérience, mais aussi à eux les psychanalystes qui, en fonction, ne sont pas sans mettre en œuvre ce désir, si tout va bien.
Alors avançons un hypothèse : si les passeurs représentent, (sont à l’endroit dans leur cure de) la désupposition du savoir en l’A, le passant est dans le pas de transmettre du savoir en l’A comme tenant-lieu du réel qui le troue C’est là ce qui traverse le cartel, un peu plus ça touchait au but mais non, le réel est l’impossible, encore raté dans ce dispositif du Symbolique ; ce qui vient d’arriver et dont on ne ressent que le souffle ou la vérité ( l’unanimité instantanée des membres) fait du cartel ce pot commun dans lequel le souffle résonne. Un pot commun de la communauté de nos école, pot institutionnel du savoir commun, de vain savoir ou de docte ignorance, qui s’évide sur le texte transmis et l’absence d’un sujet qui ont affecté déjà les passeurs. Un pot (selon la définition de Lacan [6]) , « comme moyen de production, comme signification, est un appareil à masquer les conséquences majeures du discours,à savoir l’exclusion de la Jouissance », et bien ce pot, qui progressivement se réalise comme tel, qui s’évide, ne reçoit qu’un souffle, il se révèle recueillant cet objet « qui est le trou creusé au niveau de l’A quand il est mis en question dans sa relation au sujet » [7] Et bien, vide, vidé, toute consistance de signification soufflée, le pot émet A…E, (un écart de 5 lettres ) ; AE c’est le reste de ce qui s’est perdu dans le fait de l’acte du passant, dans le fait d’inscrire de façon arbitraire ce trait premier du « s’autorise de lui-même » ; c’est la sonorité de cette marque inaugurale,qui convoque la réponse de ceux ,celles qui ont éprouvé une jouissance au-delà de la jouissance liée , qui dès lors qu’elle est inscrite, noue le a, la lettre a de l’objet et de l’analyste avec son ouverture dans le social, ouvre le E muet, fait lettre d’écolle au lieu du E muet qui accompagne le A, de l’analyste, comme le lieu antécédent. Ainsi AE nomme le réel du désir de l’analyste, dans la place singulière de la cure et de son au-delà. Qu’est ce que le désir de l’analyste ? C’est une réponse à cette question que l’on attend de chaque passe, réponse singulière certes mais aussi réponse universelle. Quel savoir inédit, non publié non encore poubellifié, mis dans le pot commun, peut-on recueillir d’une passe ? Que dire d’un désir qui se transmet, manquant cependant de ce reste qui le cause, le corps du passant, et cause la parole des passeurs adressée au cartel ? La passe, de l’analyse en intension à l’analyse en extension, est l’effet et le témoignage du rapport d’un sujet au désêtre de l’analyste dont il fait sa cause. Témoignant de cette cause, on peut alors dire que la passe conjoint chaque analyste à l’expérience commune des psychanalystes et de la psychanalyse fondée par Freud. Chaque passe renouvelle l’acte de Freud inventant la psychanalyse et interdit du même pas qu’on prétende Freud père de la psychanalyse. Autrement dit la passe atteste du meurtre du père et substitue à son désir en l’Autre, causant le sujet au prix d’une perte, le désir du sujet causé en l’Autre par son manque sans autre raison que l’effet de langage dans la parole.
Le sujet de la psychanalyse est le sujet du désir, définit par un désir inconscient et qui ne se connaît que de quelques autres. La passe à l’analyste est un commencement, elle inscrit un savoir d’un commencement sans rapport avec le savoir déjà là ou encore avec quoi que ce soit d’avant ce commencement.
Gilbert Hubé
[1] Discours à l’EFP 6 12 67 p25 Silicet 2/3
[2] [3] idem
[4] (J Aubert in « La psychanalyse : chercher,inventer, réinventer » 2003 Scripta
[5] M-L Susini . Vérifier un désir inédit in « La psychanalyse :chercher,inventer,réinventer » op.cit. qui reprend le : « un seul sujet y est reçu pour tel,celui qui peut la faire scientifique » de Lacan dans « La science et la vérité » des Ecrits, 1966
[6]« D’un A à l’a » Seuil p 102
[7] Id p 60
